Intervention de Yves Dauge

Réunion du 25 septembre 2007 à 16h00
Accords avec les émirats arabes unis relatifs au musée universel d'abou dabi — Adoption d'un projet de loi

Photo de Yves DaugeYves Dauge :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ferai, moi aussi, une observation sur la méthode générale.

Le 6 mars 2007, la France et les Émirats Arabes Unis ont signé un accord de coopération pour la création d'un musée universel à Abou Dabi. J'ai lu que, trente mois après la signature, une somme non négligeable de 150 millions d'euros devait être versée.

Aujourd'hui, tous ceux qui interviennent dans cet hémicycle, notamment ceux qui, comme moi, ont des questions à poser ou des réserves à émettre, ont le sentiment qu'il est dommage qu'un débat n'ait pas eu lieu avant la rédaction de ce texte, car ce dernier aurait certainement été rédigé autrement. Je note cependant, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, que ce n'est pas vous qui étiez en fonction au moment où cette opération a été lancée.

Je remercie d'ailleurs Jacques Valade d'avoir bien voulu provoquer le débat que nous avons eu en commission. Celui d'aujourd'hui montre bien que, malgré nos divergences de vues et d'analyses, nous avons tous le désir commun que la France puisse, au travers d'un grand projet, manifester son génie et son savoir-faire.

Cependant, je ressens un sentiment de frustration. À l'heure où nombreux sont ceux qui souhaitent une revalorisation du rôle du Parlement, je ne peux m'empêcher de songer qu'une belle occasion nous était offerte.

Certes, le contexte ne facilite pas les choses. En effet, des inquiétudes se font jour, des suspicions s'expriment par rapport à toute une série d'événements mondiaux. Certaines pratiques se développent dans le monde de l'art, notamment la « franchisation » de grandes institutions. Dans ce monde compliqué, porteur de doutes et d'interrogations, nous devons répondre présents, car nous ne pouvons pas nous permettre de fermer les yeux. Il serait donc souhaitable d'avoir une doctrine claire sur le sujet.

C'est d'ailleurs ce que nous avons dit en commission, cher Jacques Valade. À l'issue des débats, en votre présence, nous avons en effet formé le voeu que, lors de telles opérations, dans la mesure où la France sera amenée à développer d'autres grands projets culturels de par le monde, puisse être rédigé un cahier des charges précisant les règles de conduite et les modalités d'action. Le Parlement pourrait d'ailleurs être sollicité à cet effet.

Pour ma part, j'ai beaucoup regretté que cette affaire ait été conduite sans que, pendant sa « gestation », ni le Parlement ni même les professionnels concernés aient été consultés. Au fond, si nous avons pu nous saisir du dossier et en discuter, c'est à la suite des articles parus dans la presse et des nombreuses signatures recueillies par une pétition.

Nous aurions tous à gagner, dans des affaires aussi passionnantes et passionnées, à développer d'autres types de démarches. C'est une bonne leçon qui nous est ici donnée, et mieux vaut donc revenir sur la gestion de ce projet. Du reste, ce n'est pas parce qu'un accord est signé que tout est bouclé : au-delà de tout ce qui a été dit et même si le texte avait été rédigé d'une autre manière, cette histoire ne fait que commencer !

À cet égard, madame la ministre, il n'est tout de même pas déraisonnable d'espérer que vous voudrez bien tenir compte des nombreuses remarques et préoccupations que nous avons formulées et que vous suivrez de près la manière dont ce dossier évolue.

En l'espèce, sans éluder la question de la valeur même du projet et du génie de la France, je préfère m'en tenir au professionnalisme de la démarche. De ce point de vue, c'est vrai, la France sait conduire et gérer un grand projet, notamment dans le domaine de la culture. Elle en a fait la preuve depuis un certain nombre d'années, depuis le centre Georges-Pompidou jusqu'au dernier exemple en date, le musée du quai Branly ; je pourrais citer bien des réussites sur lesquelles la France a construit sa réputation.

Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, si ces réalisations ont été d'une grande qualité, c'est justement parce qu'elles ont toutes été élaborées autour d'un projet scientifique et culturel. Or, en l'espèce, à la date d'aujourd'hui, je cherche toujours le projet scientifique et culturel ! Personne ne me l'a montré, personne ne m'a annoncé qu'un accord politique était intervenu. En tout cas, si accord il y a eu, nous aurions apprécié que l'on vienne nous le présenter pour pouvoir en discuter.

C'est là le fond de l'affaire ! Cela m'amène à m'intéresser au texte même de l'accord et, plus précisément, aux articles qui traitent des principes, car c'est autour de ces principes que le projet culturel aurait été construit.

Dans le cas présent, je ne peux m'empêcher de vous faire part de ma stupéfaction.

Ainsi, à l'article 2 relatif aux principes mis en oeuvre, le seul élément fort qui ressort est « l'utilisation du nom du Louvre et, le cas échéant, de sa marque ». Vous parlez d'un principe ! Selon moi, une telle précision n'aurait pas dû apparaître du tout, car je suis très critique à l'égard de la vente de cette marque.

Du reste, je le dis en toute franchise, faire porter le premier point de l'article relatif aux principes de l'accord sur l'utilisation de la marque du Louvre, c'est presque de la provocation ! Si nous avions eu notre mot à dire, nul doute que nous aurions rédigé le texte autrement.

Certes, la critique, sur ce point, est facile, et je ne souhaite pas épiloguer. Je mentionnerai tout de même l'article 5 relatif aux principes convenus pour la conception du Musée. Il y est écrit que la maîtrise d'oeuvre sera « confiée à un architecte de renommée internationale » et qu'elle devra respecter « un très haut niveau de qualité ». Quelle révélation ! Et je pourrais continuer ainsi avec les autres articles.

Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, honnêtement, tout cela n'est pas du niveau d'un projet qui, nous l'avons tous dit, se doit d'être ambitieux. Ce texte est désolant et ne fait pas honneur au savoir-faire français.

À mon sens, il fallait construire l'accord sur un article fondamental, l'écriture du projet culturel et scientifique. D'ailleurs, M. Loyrette lui-même, lorsque nous l'avons interrogé à ce sujet, lors de son audition, a confirmé que l'accord devait être fondé sur un tel projet.

Cela demande du temps, au moins plusieurs mois, car encore faut-il que les parties parviennent à se mettre d'accord sur l'écriture de ce projet culturel et scientifique. Si vous me dites, madame la ministre, que tout cela est réglé, très bien, n'en parlons plus ! Cependant, comme j'ai pu le constater dans d'autres dossiers, obtenir un accord entre les parties concernées n'est pas une petite affaire.

J'aurais donc prévu un deuxième article, afin de préciser, une fois l'accord obtenu, l'étape suivante à engager, à savoir la programmation permettant de traduire concrètement le projet culturel et scientifique. Croyez-moi, il s'agit d'un tout autre exercice, également très difficile, qui implique, là encore, de trouver un consensus. J'aurais donc imaginé un accord-cadre, prévoyant plusieurs phases et des rendez-vous en cours de route pour s'assurer que toutes les parties cheminent bien ensemble dans la bonne direction.

Enfin, j'aurais élaboré un troisième article relatif au cahier des charges destiné au choix des maîtres d'oeuvre, choix qui n'est pas non plus une mince affaire. Or, je tiens à le rappeler, alors même que la commission des affaires culturelles discutait du sujet sur notre initiative, j'ai découvert un jour, dans le journal Le Monde, la maquette réalisée par l'architecte « de renommée internationale », qui avait donc déjà bouclé le projet : d'après ce que j'ai pu voir, il s'agirait d'une coupole étoilée qui permettrait de voir le ciel au travers.

Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, de qui se moque-t-on ? Je ne sais pas s'il y a un projet culturel et scientifique. Peut-être allez-vous nous le dire, mais permettez-moi d'en douter ! Si cela a pu être fait si vite, c'est bien, mais, dans ce cas, où est le travail de programmation ? Il est écrit dans le texte que la superficie du musée sera « d'environ 24 000 mètres carrés ». Pourquoi pas 25 000 ?

En l'occurrence, c'est véritablement une caricature de la démarche de grand professionnel sur laquelle nous avons justement fondé notre réputation. Il s'agit là d'une histoire qui n'a rien à voir avec nos compétences et avec ce que nous pouvons apporter à ceux qui nous sollicitent pour élaborer des projets culturels.

Par conséquent, il faut revoir toute cette affaire pour redonner du sérieux à la démarche. C'est encore possible, car, à mon sens, vous avez encore des marges de manoeuvre afin de recadrer ce texte, notamment par des documents complémentaires. Nous sommes un certain nombre de collègues à estimer qu'il faudra nous revoir pour discuter de l'évolution du projet.

Je passerai rapidement sur toutes les questions qui ont été évoquées concernant la gestion du musée. Madame la ministre, vous le savez très bien, le prêt gratuit était la règle ; ce n'est pas vous qui l'avez changée : rappelons-nous le malheureux précédent du prêt au musée d'Atlanta de trois oeuvres pour 5 millions d'euros, qui a fait grincer beaucoup de dents. On continue allègrement dans cette voie ! On nous dit qu'il s'agit de prêts de longue durée, mais ce n'est pas sans nous inquiéter.

J'ai donc encore des interrogations. Cependant, vous l'avez bien compris, il ne s'agit pas d'une condamnation sans appel du projet : je souhaite, avec d'autres collègues, que nous nous remettions à travailler sur ce projet, avec l'ambition que notre pays agisse en grand professionnel et qu'il montre tout son savoir-faire pour conduire des affaires autrement que par une diplomatie qui, en l'occurrence, a choqué un certain nombre de gens compétents. Ces derniers sont prêts à s'engager, mais sur des bases plus claires.

Telles sont les raisons pour lesquelles je ne voterai pas contre ce projet de loi, mais mes réserves me conduiront à m'abstenir.

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