« La corruption est un mal insidieux qui appauvrit de nombreux pays, compromet les résultats économiques, affaiblit les institutions démocratiques et l'état de droit, fragilise le tissu social et favorise la criminalité organisée, le terrorisme et les autres menaces à la sécurité. »
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ainsi s'exprimait le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, dans son message adressé aux participants à la conférence de Mérida, au cours de laquelle fut signée, le 9 décembre 2003, la convention des Nations unies contre la corruption qu'il nous est demandé d'approuver aujourd'hui.
Kofi Annan soulignait également que, touchant les pays pauvres de manière disproportionnée, la corruption détournait les maigres ressources destinées à des besoins essentiels comme l'alimentation, la santé et l'éducation, et constituait « un obstacle majeur à la stabilité politique et à un développement économique et social réussi ».
La lutte contre la corruption figure depuis une décennie à l'ordre du jour des principales organisations internationales.
J'ai mentionné, dans mon rapport écrit - vous les avez citées, madame la ministre - les diverses conventions adoptées sous l'égide de l'Union européenne, de l'Organisation des Etats américains, de l'OCDE, du Conseil de l'Europe ou, plus récemment, de l'Union africaine.
On doit également rappeler que l'incrimination de la corruption des agents publics nationaux figure parmi les dispositions de la convention dite de Palerme contre la criminalité transnationale organisée, adoptée en 2000 sous l'égide des Nations unies.
Il est permis de s'interroger : compte tenu de ce foisonnement d'initiatives, pourquoi élaborer un nouveau traité ? Qu'apportera-t-il par rapport aux différents traités existants ?
Premièrement, il apparaît que l'essentiel des conventions en vigueur ont été conclues dans un cadre régional et se limitent à quelques pays.
Ainsi, la convention de l'OCDE ne lie que les trente Etats de l'Organisation et trois Etats non membres. Les conventions du Conseil de l'Europe ont été ratifiées par trente Etats en ce qui concerne la convention pénale et vingt-trois Etats en ce qui concerne la convention civile. Les conventions interaméricaine et interafricaine n'ont été approuvées que par une partie des Etats de ces continents.
Le premier objet de la convention des Nations unies est donc d'aller au-delà du champ géographique, encore trop restreint, des instruments actuels, mais aussi de couvrir un champ d'application matériel plus large.
En effet, les conventions existantes ne traitent que certains aspects des phénomènes de corruption.
Le cas le plus flagrant est celui de la convention de l'OCDE, qui ne s'intéresse qu'à la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. La préoccupation se limite, ici, à ne pas fausser la concurrence entre les exportateurs des grands pays développés, en proscrivant la pratique des commissions pour l'obtention de marchés ou de grands contrats.
Quant à la convention contre la criminalité transnationale organisée, elle comporte un seul article sur la corruption. Celle-ci est traitée comme une activité connexe des différentes formes de criminalité internationale.
C'est donc en vue d'aborder de la manière la plus complète et la plus globale possible la lutte contre la corruption, puis de donner aux principes retenus une portée mondiale, que l'Assemblée générale des Nations unies décidait, à la fin de l'année 2000, de lancer la négociation d'une convention internationale contre la corruption.
Adopté à l'automne 2003, le texte qui nous est aujourd'hui soumis comporte une liste précise des infractions que les Etats parties devront sanctionner dans leur législation pénale, en particulier la corruption active et passive d'agents publics nationaux, la corruption active et passive d'agents publics étrangers ou de fonctionnaires d'organisations internationales publiques pour l'obtention d'un marché en matière de commerce international, le détournement de biens par un agent public, le blanchiment du produit du crime, le recel et l'entrave au bon fonctionnement de la justice. Les Etats parties devront également établir un régime de responsabilité pénale des personnes morales impliquées dans la corruption.
Mais la particularité de cette convention est qu'elle va au-delà des dispositions à caractère pénal. Ses deux volets les plus originaux concernent la prévention de la corruption - avec des engagements visant à promouvoir un environnement administratif et juridique plus favorable à la lutte contre la corruption - et surtout, vous l'avez souligné, madame la ministre, la réparation des préjudices. Elle érige en principe fondamental la restitution des avoirs détournés et décrit les mesures à prendre pour leur recouvrement direct, en permettant les actions civiles destinées à faire reconnaître l'existence d'un droit de propriété au profit des Etats spoliés et en établissant une procédure de confiscation
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a, bien entendu, approuvé cette convention. C'est certainement la première fois qu'un instrument international aborde de manière aussi complète et aussi détaillée tous les aspects de la lutte contre la corruption. Cette convention constitue donc un incontestable pas en avant, même si demeurent certaines interrogations quant à sa mise en oeuvre effective.
L'une des principales faiblesses du texte réside sans doute dans son mécanisme de vérification et de suivi, qui nous paraît guère étoffé et peu contraignant. En effet, celui-ci repose entièrement sur la conférence des Etats parties, dont les attributions sont définies de manière assez vague. De plus, aucune procédure de mise en demeure d'un Etat qui manquerait à ses obligations n'est prévue. Nous sommes ici très en retrait par rapport aux mécanismes mis en place dans le cadre des conventions du Conseil de l'Europe ou de l'OCDE, qui font appel à des groupes d'experts et à des procédures d'examen et d'évaluation mutuelle de nature à exercer une pression beaucoup plus forte sur les pays qui n'adaptent pas suffisamment leur législation.
Par ailleurs, en dépit du souci d'exhaustivité que traduit la convention, on peut douter qu'elle soit à même de colmater toutes les brèches par lesquelles s'alimentent les circuits financiers de la corruption. Je pense, en particulier, aux centres offshore, qui ont adopté une réglementation d'exception pour les activités financières internationales.
Néanmoins, ces réserves ne doivent pas masquer l'importance de la convention des Nations unies contre la corruption. Il s'agit, je le répète, d'une étape symbolique, importante, forte, et d'un instrument utile pour amener un plus grand nombre d'Etats à progresser sur la voie de la bonne gouvernance et de l'état de droit.
La France, qui a déjà largement adapté sa législation pour se mettre en conformité avec les conventions de l'Union européenne, de l'OCDE et du Conseil de l'Europe, entend rapidement rejoindre les vingt-sept pays déjà parties à la convention, laquelle entrera en vigueur après le dépôt de trente instruments de ratification.
Nous approuvons cette volonté d'agir, en regrettant toutefois qu'un an et demi se soit écoulé entre l'adoption de la convention et le dépôt du projet de loi.
D'une manière plus générale, permettez-moi, madame la ministre, de réitérer un voeu déjà formulé à plusieurs reprises auprès de plusieurs gouvernements successifs, qu'ils soient d'ailleurs de gauche ou de droite. Tous les ministres que j'ai interpellés m'ont répondu que cette idée était excellente et qu'ils y donneraient suite...
Nous pensons qu'il serait bon que le Parlement, régulièrement sollicité pour approuver de nombreux instruments internationaux, soit également tenu périodiquement informé de l'état d'application des engagements souscrits dans le cadre de ces divers accords et traités.
En effet, nous votons des textes internationaux, mais nous ne savons pas ce qu'ils deviennent. Il serait intéressant de faire périodiquement, peut-être une fois par an, le bilan de leur application, de leurs succès ou de leurs insuccès. Cela nous permettrait de nous assurer qu'ils ne restent pas lettre morte. J'espère donc, madame la ministre, que vous serez la première à concrétiser le voeu que je formule et qui est également celui, unanime, de la commission.
Sous réserve de ces observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous demande, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi.