Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 27 juin 2005 à 15h00
Services à la personne et mesures en faveur de la cohésion sociale — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, l'emploi, l'apprentissage, le logement, telles sont les problématiques abordées par le projet de loi relatif au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

Ce texte, déjà central pour le gouvernement Raffarin, qui était confronté à la persistance d'un chômage de masse traumatisant, s'inscrit indiscutablement aujourd'hui dans un contexte singulier marqué par la prégnance des questions sociales.

Il intervient tout d'abord après le référendum du 29 mai à l'occasion duquel, majoritairement, les Français, qu'ils soient cadres, employés ou ouvriers, ont franchement sanctionné les politiques ultra-libérales tant européennes que françaises, et manifesté leur colère face à l'autisme de leurs gouvernants pour ce qui concerne leurs priorités économiques et sociales.

Pour autant, on ne peut pas dire, monsieur le ministre, que vous ayez pris la peine d'aménager substantiellement les dispositifs envisagés afin de tenir compte du ras-le-bol de l'insécurité sociale. A une exception près toutefois, puisque, après un formidable tollé, vous ne vantez plus aujourd'hui les mérites des chambres de bonne de 7 mètres carrés et de 2 mètres sous plafond réservées aux étudiants et aux personnes en difficulté.

Votre texte fait également suite à la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre, qui est décidé à engager la bataille pour l'emploi - un discours déjà entendu, je le rappelle, sous les gouvernements Raffarin I, II et III -, comme si cette urgence était nouvelle et justifiait le recours aux ordonnances.

Ce gouvernement place son action non pas sous le signe de la rupture, mais sous celui de la continuité des politiques capitalistes les plus archaïques, créant outrancièrement toujours plus de précarité, flexibilisant la relation de travail, culpabilisant les chômeurs, contraignant les bénéficiaires de la solidarité nationale à l'activité en contrepartie de cette dernière.

La déclaration du Premier ministre est d'ailleurs restée étrangement silencieuse sur des questions aussi essentielles que l'extension implacable du nombre des travailleurs pauvres, le pouvoir d'achat en baisse, mais aussi et surtout la croissance, comme si ces deux questions n'étaient pas liées et que le surchômage français s'expliquait seulement par une certaine rigidité spécifiquement hexagonale : le code du travail, par exemple, ou le « laxisme » de nos politiques sociales n'incitant pas au retour à l'activité.

Par ailleurs, M. de Villepin s'est dit attaché à notre modèle social mais, comme son prédécesseur, il vante les mérites du modèle danois, qui sécurise la personne plus que l'emploi, pour n'en retenir qu'un aspect, la flexibilité, ce qui a conduit son architecte, M. Nyrup Rasmussen, à sortir de sa réserve en déniant au chef de notre gouvernement « le droit d'utiliser ce modèle pour légitimer des pensées conservatrices françaises ».

Or que propose-t-il en imposant dans les TPE, les très petites entreprises, un nouveau type de contrat de travail permettant à l'employeur de licencier sans motif et sans indemnité à tout moment durant deux ans ? Tout simplement de remettre en cause les droits de millions de salariés employés dans les entreprises de moins de dix salariés, et demain, pourquoi pas, comme le revendiquent déjà les organisations patronales, une fusion des CDD et des CDI ainsi que l'acquisition de garanties en fonction de l'ancienneté du salarié.

Que faites-vous, monsieur le ministre, en ouvrant la possibilité de déroger aux règles du droit commun du travail, s'agissant, d'une part, du travail à temps partiel dans le secteur des services à la personne et, d'autre part, du travail des mineurs en apprentissage la nuit, le dimanche et les jours fériés ? Vous participez, ni plus ni moins, au contournement du code du travail et vous ouvrez de nouvelles brèches dans le droit du travail, qui est perçu comme un frein à l'embauche. Vous vous attaquez donc bel et bien au modèle social français.

En défendant une motion tendant à opposer la question préalable, mon ami Guy Fischer reviendra tout à l'heure sur les raisons pour lesquelles nous rejetons avec force la philosophie qui caractérise la politique de lutte contre le chômage que ce gouvernement entend poursuivre et les outils qu'il utilise pour la mettre en oeuvre. En effet, celle-ci vise non pas à promouvoir des normes d'emploi de qualité ou à éradiquer la multiplication des situations d'exclusion, de mal-vivre social, mais à masquer l'exclusion des moins de vingt-cinq ans et des plus de cinquante-cinq ans du marché du travail derrière le sous-emploi.

Pour ma part, je concentrerai mon propos sur le premier volet du présent texte, à savoir le pari de créer 500 000 emplois dans le secteur des services à la personne.

Pour ce faire, vous proposez un ensemble de recettes classiques - mais néanmoins discutables -, destinées, en premier lieu, à aider toujours les mêmes, c'est-à-dire les entreprises et les familles aisées, en leur aménageant un environnement fiscal et social encore plus privilégié, et tournées, en second lieu, vers la simplification, avec la dérégulation et l'ouverture au secteur marchand et concurrentiel de services liés à l'enfance ou aux personnes fragiles, qui ont pourtant des besoins fondamentaux.

Pour répondre au vieillissement de la population et au changement des modes de vie, notamment, votre projet a pour ambition de répondre à de nombreux besoins insatisfaits. L'objectif est louable, c'est certain ! Toutefois, il doit être relativisé, et on doit le faire substantiellement évoluer, comme le souhaite l'UNIOPSS, l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, qui s'inquiète, par ailleurs, du risque de déconstruction du dispositif de régulation propre aux institutions sociales et médico-sociales mis en place par la loi du 2 janvier 2002.

Dans le rapport du groupe Délos, le commissariat général du Plan montre tout d'abord que la France ne serait pas en retard dans le secteur des emplois domestiques et personnels, ce qui « signifie que l'on ne peut s'appuyer sur un simple mécanisme de rattrapage et que le potentiel de création d'emploi réside plutôt dans l'organisation du secteur », c'est-à-dire sa professionnalisation. Or le projet de loi continue de privilégier principalement la solvabilisation au détriment de la construction de trajectoires professionnelles et de la qualité des services.

En outre, ce même rapport pointe la différence entre le nombre d'emplois et leur équivalent en temps plein, précisions importantes que vous vous êtes bien gardé d'apporter, monsieur le ministre, et ce d'autant qu'en axant votre discours une fois encore sur la solvabilisation de la demande par le CESU, vous prenez le risque de subventionner le marché du gré à gré avec l'emploi direct de particuliers, qui produit les formes d'emploi les plus émiettées. Nous défendrons un amendement visant notamment à faire en sorte que le CESU préfinancé par l'employeur ne puisse servir à rémunérer directement un employé.

Comment lutter contre le travail au noir, sortir de la domesticité, des petits boulots, sans mener une action résolue visant à rendre les métiers de service réellement attractifs ? Comment promouvoir des formes d'emploi structurées, garantir la survie des prestataires de services dans des secteurs non lucratifs déjà engagés dans la professionnalisation par les accords de revalorisation de salaires, de reconnaissance des qualifications, face à l'arrivée d'opérateurs moins-disants socialement, donc moins contraignants financièrement pour l'utilisateur ? Toutes ces questions restent en suspens.

Monsieur le ministre, on a vous peu entendu communiquer sur la nature et la qualité des emplois qui peuvent être potentiellement créés. Quant à la CFE-CGC, la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres, elle considère, à juste titre, que ce texte, qui va « à contre-courant des objectifs annoncés de valorisation et de professionnalisation des métiers des services à la personne, [...] illustre l'art de détricoter le code du travail au nom de la cohésion sociale ».

Et pour cause ! Alors que la sécurisation des parcours professionnels et la lutte contre toutes les formes précaires d'emploi demeurent plus que jamais la préoccupation majeure de nombre de nos concitoyens, en particulier celle des femmes, vous affichez l'ambition de développer encore les emplois à temps partiel, de raccourcir les délais de préavis, de placer le plus souvent possible les salariés dans une relation directe, donc forcément déséquilibrée, avec l'employeur utilisateur.

Pour renforcer la couverture sociale de la personne employée et rémunérée par le CESU, vous n'avez pas choisi de supprimer le calcul des cotisations sociales sur une base forfaitaire, pourtant particulièrement pénalisant pour la constitution de droits sociaux pleins, monsieur le ministre. Nous le proposerons.

J'en viens maintenant aux moyens préconisés pour développer le secteur des services à la personne, plus exactement pour faire de l'intervention des grandes entreprises l'élément structurant du marché des services à la personne. Sur ce point encore, monsieur le ministre, nous sommes en désaccord avec vous. Nous faisons le même constat que la Fédération nationale des particuliers employeurs, la FEPEM, pour laquelle il « favorise le développement des entreprises et non celui de l'emploi ».

Nous condamnons vos choix, qui sont sans effet sur l'emploi. Ainsi, non seulement l'extension des exonérations totales de cotisations patronales d'assurance sociale à toutes les rémunérations versées à des salariés employés par des associations et des entreprises prestataires de services à la personne, quel que soit le bénéficiaire de la prestation, pose la question de l'opportunité de subventionner des emplois de services de confort, mais elle suscite également des inquiétudes légitimes de la part des organismes de sécurité sociale, qui sont habitués à voir le Gouvernement se dispenser de compenser intégralement les exonérations et allégements de cotisations qu'il consent.

En outre, l'autre mécanisme central de réduction d'impôt sur le revenu de la moitié des dépenses engagées pour l'emploi d'un salarié à domicile s'avère une niche fiscale qui bénéficie exclusivement aux 70 000 foyers aisés de notre pays, laissant de côté plus de la moitié des foyers français qui est non imposable.

Par ailleurs, la confusion entretenue dans le texte entre les prestataires de services intervenant auprès des personnes fragiles et les autres nous inquiète tout particulièrement. Cette situation est d'autant plus préoccupante que le projet de simplification du droit en matière d'action sociale et médico-sociale introduit un droit d'option pour les services prestataires d'aide et d'accompagnement à domicile. L'UNIOPSS, comme la FNAAFP-CSF, la Fédération nationale des associations de l'aide familiale populaire-Confédération syndicale des familles, tient à ce que le législateur rappelle qu'un établissement ou service intervenant notamment pour l'autonomie des personnes relève obligatoirement de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale et se voit appliquer le principe de l'autorisation et les mécanismes de la tarification.

Monsieur le ministre, j'espère vivement que vous ferez preuve d'ouverture au cours des débats et que vous accepterez de revoir la frontière entre le régime de l'autorisation et celui de l'agrément en fonction de la nature des prestations, des besoins sociaux auxquelles elles répondent et des publics bénéficiaires. Il y va de la protection des personnes. Plus globalement, il s'agit d'éviter la mort du secteur associatif par la dérégulation du secteur social et médico-social.

Enfin, un dernier élément - et non des moindres - nous fait douter de votre volonté de voir véritablement se structurer le secteur des services à la personne, monsieur le ministre. En effet, là encore, le projet de loi n'apporte aucune garantie de nature à pérenniser certaines missions qui sont actuellement dévolues aux caisses de sécurité sociale.

Non sans paradoxe, dès le mois de mars 2005, soit à peine un mois après le lancement de votre plan en faveur des services à la personne, la répartition des crédits d'action sociale du Fonds national d'action sanitaire et sociale en faveur des personnes âgées, le FNASSPA, laissait apparaître une diminution de l'enveloppe des heures d'aide à domicile de 15 % à 25 %. Cela revient à priver les personnes âgées en GIR 5 et 6 - les fameux groupes iso-ressources - de la possibilité de financer des intervenants en prévention.

La convention d'objectifs et de gestion 2004-2008 entre la CNAF et les pouvoirs publics n'a pas été signée, monsieur le ministre. Voilà qui décrédibilise votre action. En effet, on ne peut exiger de réduire à 7 % ou 8 % le taux d'évolution du Fonds national de l'action sociale - alors que, pour maintenir l'ensemble de leurs interventions sociales et répondre aux besoins de financement des structures d'accueil des enfants de moins de six ans, les caisses estiment que les crédits devraient progresser d'au moins 12 % par an -, sauf à donner un coup d'arrêt à certaines missions, notamment l'aide au foyer, qui fait intervenir des travailleurs sociaux dans les familles pour les aider au quotidien et qui relève justement des services à la personne, et à fragiliser les associations et les collectivités partenaires de la CAF.

Qui plus est, désormais, le CESU, dont le champ d'usage est considérablement élargi, pourra rémunérer directement un employé et payer des prestations d'aides sociales. En conclusion, tout est organisé pour que, demain, les CAF utilisant le CESU pour payer la garde des jeunes enfants par des assistants maternels agréés solvabilisent, en priorité, la demande au détriment de l'investissement dans une offre publique de qualité.

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, et nous aurons l'occasion d'y revenir en défendant la quarantaine d'amendements que nous avons déposés : si nous nous inscrivons dans la lutte contre le chômage et si nous sommes, de fait, favorables à la promotion du secteur des services à la personne, nous exigeons des réponses de qualité tant pour la satisfaction des besoins de la population que pour la garantie des conditions d'emploi des salariés intervenant dans l'intimité des personnes. Or votre projet de loi ne les offre pas.

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