Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd'hui - nous ne pouvons que le constater -, le nouveau gouvernement, compte tenu de la situation pour le moins inconfortable dans laquelle il se trouve, cherche à expédier tous les dossiers législatifs en cours : ainsi l'urgence est-elle déclarée sur divers projets de loi !
Ce calendrier précipité explique bien l'objectif du Gouvernement : son souci premier est d'esquiver le débat. Quels que soient les motifs qu'il invoque pour justifier cette hâte, l'avenir des services à la personne et la cohésion sociale auraient mérité que l'on s'y attarde un peu plus, afin d'approfondir le dialogue et la concertation.
En effet, il y a urgence, car la situation sociale en France est plus que désastreuse. Cependant, l'on ne saurait bâcler un texte d'une telle importance, et ce d'autant plus que ce dernier comporte toute une variété de thèmes et représente, en quelque sorte, un fourre-tout.
C'est ainsi que l'on passe de l'accueil du jeune enfant et de l'assistance aux personnes âgées aux tâches ménagères, aux travaux de jardinage, au contrat d'avenir, au logement. Bref, il faut du temps pour analyser toutes les mesures proposées et il est donc nécessaire d'entamer un débat avec tous les partenaires sociaux.
Après les différentes réformes menées ces trois dernières années, le Gouvernement découvre enfin la dégradation de la situation sociale. Pourtant, voilà longtemps que les élus socialistes et les partenaires sociaux ne manquent pas d'alerter le Gouvernement sur la gravité de la situation sociale du pays.
Depuis avril 2002, notre pays compte 300 000 chômeurs et 300 00 RMIstes de plus et, plus grave, le nombre de jeunes exclus du marché du travail a progressé de plus de 10 % pendant la même période.
Temps partiel imposé, droits sociaux au rabais, bas niveau de rémunération, formation presque inexistante, aucune perspective d'avenir : tel est le bien triste constat que nous pouvons dresser aujourd'hui et qui s'aggravera encore si ce texte est adopté.
En effet, le Gouvernement continue la politique qu'il mène depuis plusieurs années, à savoir celle de la précarisation et de la déréglementation du travail.
A travers ce projet de loi, il souhaite - telle est tout au moins l'ambition qu'il affiche - répondre à un double objectif : d'une part, lutter contre le chômage - grâce à la création de 500 000 postes en trois ans - et, d'autre part, accompagner les personnes à tous les âges de la vie - c'est le volet social du texte.
Or, en prétendant contribuer à la résorption du chômage, le Gouvernement aboutira en fait au développement de l'emploi précaire et du temps partiel dans le domaine des services.
Loin de moi l'idée de contester ici l'importance des services à la personne tant les besoins sont réels ; mais l'urgence de la situation ne justifie pas pour autant que l'on démantèle le code du travail.
S'agissant des 500 000 emplois qui seraient créés, certains spécialistes, compte tenu du fait que les activités de service représentent une durée de travail hebdomadaire moyenne de huit heures, avancent plutôt le chiffre de 100 000 équivalents temps plein.
On nous dit qu'il vaut mieux un emploi précaire que pas d'emploi du tout. Mais n'oublions pas qu'un tel système peut conduire à une dégradation générale des emplois et à une augmentation du nombre de travailleurs pauvres. Est-ce cet avenir que nous souhaitons pour nos enfants ?
De ce point de vue, ce texte me paraît mériter d'être traité en profondeur et de faire l'objet d'un réel débat. Cela est évident, il est urgent d'agir en matière d'emploi ; mais à quel prix et dans quelles conditions ?
Le nombre d'emplois concernés seront-ils des emplois à temps plein ?
Le temps partiel, souvent subi, est très important dans un secteur occupé à 96 % par des femmes ; quant aux conditions de rémunération, elles sont fréquemment désastreuses.
Plus de la moitié des femmes employées dans ce secteur travaillent à temps partiel, mais la proportion s'élève à 80 % pour les femmes de ménage, parmi lesquelles se concentre la plus forte proportion de travailleurs pauvres. Sur ce point-là non plus, le texte dont nous discutons n'apporte aucune réponse.
Sans formation professionnelle, sans perspective sérieuse de carrière, sans possibilité de faire intervenir l'inspection du travail au domicile des particuliers employeurs, avec des taux d'emploi à temps partiel allant de 60 % à 80 % - et que l'on souhaite encore augmenter -, le dispositif proposé reste muet, une fois de plus, sur la lutte contre la précarité et sur la qualité des services, qui constituent pourtant l'enjeu majeur. En effet, les emplois dans ce secteur ne doivent pas être considérés comme de « petits boulots » : ce sont de vrais métiers !
Le plan Borloo prévoit en réalité des projets plus libéraux que sociaux. Il vise à refondre l'ensemble des dispositifs d'insertion professionnelle, à supprimer les stages pour les chômeurs de longue durée, à supprimer les CES, les contrats emploi-solidarité, et les CEC, les contrats emplois consolidés, et à créer de nouveaux contrats d'accompagnement dans l'emploi et des contrats d'avenir qui ressemblent plus à des contrats d'activité qu'à de vrais contrats de travail.
En effet, ces contrats d'avenir sous-payés qui seront proposés à un public pauvre, et qui restera pauvre, n'offriront en fait aucun avenir, puisqu'ils renforceront la précarité.
Aussi, nous nous demandons, madame la ministre, si c'est bien de cohésion sociale que vous parlez. Sans doute notre définition de cette dernière n'est-elle pas la même que celle du Gouvernement. Si la conception que celui-ci a de l'avenir est telle que je l'ai décrite, elle est, je dois le dire, déplorable et il est clair que les Français n'en veulent pas !
Il est une autre interrogation, je veux parler de l'égalité d'accès aux services. Tout le monde pourra-t-il s'offrir ces derniers ? Jean-Louis Borloo a assuré que cet accès profitera à tous. Or, s'agissant des services à domicile, leur accès est aujourd'hui déjà très inégalitaire. Rappelons, à cet égard, que moins de 1 % des couples gagnant moins de 1 500 euros par mois emploient une personne à domicile, contre plus de 40 % pour les couples percevant plus de 5 200 euros.
En fait, pas plus de deux millions de familles ont recours à ce type de service. Aussi aimerions-nous savoir quelle solution est prévue pour les 32 autres millions de foyers fiscaux français. Personnellement, je ne suis pas sûre, madame la ministre, que ces services profiteront à tout le monde.
Le Gouvernement, à travers un tel dispositif, confirme que sa conception de la politique de l'emploi se limite à des baisses d'impôts et de cotisations sociales. Or la solvabilisation de la demande par la réduction d'impôts me paraît parfaitement injuste. En effet, sous prétexte d'employer du personnel de maison, les catégories les plus aisées vont bénéficier de cadeaux fiscaux ! A l'évidence, ce projet de loi est de nature à renforcer les inégalités sociales, puisque les exonérations fiscales ne concerneront que la moitié des ménages.
Le Gouvernement n'entend toujours pas l'ensemble des Français et ne semble pas comprendre, semble-t-il, la réalité dans laquelle ils vivent.
J'en viens au chèque-emploi-service universel, qui pourra être financé par une entreprise ou une collectivité locale. Ce dispositif ferait disparaître la fiche de paye, alors que celle-ci comportait des éléments essentiels, tels que la rémunération horaire ou la rémunération des heures supplémentaires. Dès lors, certaines dérives sont à redouter, puisque l'utilisation du titre emploi-service sera ouverte à tous les services à la personne, y compris au gré à gré, ce qui entraînera de nombreuses difficultés.
Ainsi, tout Français est considéré comme un employeur potentiel sans que le Gouvernement se soucie des conditions de travail des employés.
Si l'on tient compte du fait que 80 % des emplois familiaux relèvent du gré à gré, l'on constate que les salariés sont de fait peu protégés par les conventions collectives, que leurs salaires sont plus faibles que ceux qui sont versés par les entreprises prestataires de services, et que leur temps de transport n'est pas rémunéré. Est-ce cela, la cohésion sociale ?
Il faut une sécurisation réelle des professions de ces salariés, une professionnalisation des services, avec une formation obligatoire.
Dans ce plan, il n'y a pas eu un modèle de concertation avec les partenaires sociaux, et l'on sait que les syndicats ou les associations ont été nombreux à manifester leur mécontentement.
Tout doit être négocié ; l'objectif principal doit être une très significative augmentation des revenus de l'immense majorité des salariés.
De plus, le Gouvernement a mis en place, dans le cadre de la loi portant décentralisation, un dispositif très important qui fait des conseils généraux les organisateurs de missions publiques à destination des publics fragiles. L'agrément départemental, qui était attribué aux associations, sera désormais national. Ce texte court-circuite les schémas départementaux qui devaient organiser les secteurs privé et public des services d'aide à la personne. Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, qu'il y a un véritable manque de cohérence dans ce projet.
La qualité du service rendu est essentielle. Un agrément national, sans référence aucune à l'échelle et à la problématique départementales, me semble dangereux.
Par ailleurs, ce projet de loi prévoit la création d'une agence nationale des services à la personne, dont les objectifs et le rôle sont loin d'être suffisamment définis, notamment en ce qui concerne les relations avec les conseils généraux, devenus les principaux acteurs du secteur.
En outre, il n'est à aucun moment prévu de reconnaître les qualifications des personnes embauchées, d'assurer leur formation et de leur garantir un nombre d'heures suffisant pour qu'elles ne deviennent pas des travailleurs pauvres. Une meilleure définition des missions de l'agence est donc nécessaire.
Un autre problème se pose : l'agence aura-t-elle les moyens de contrôler ce secteur ? Qui va contrôler les emplois de gré à gré, puisque l'inspection du travail n'a pas le droit de pénétrer au domicile des particuliers ? Là encore, nous sommes dans le flou.
Par ailleurs, les personnels de cette agence ne seront pas agents titulaires de la fonction publique, mais pourront relever d'un CDD ou être recrutés pour une mission déterminée. Ne s'agit-il pas là d'une forme de précarité ? Est-ce, une fois de plus, votre définition de la cohésion sociale ?
Plus grave, le projet de loi ne garantit à aucun moment la nature des emplois créés. Il peut aussi bien s'agir d'heures de ménage et de jardinage que d'aide à la mobilité ou d'aide aux personnes légèrement handicapées. Faut-il traiter dans un même dispositif l'assistance aux personnes âgées, le ménage et le jardinage ? On ne peut quand même pas mettre ensemble tous les métiers !
Pour sortir de la difficulté, il paraît essentiel de créer de vrais services à la personne et de les différencier des simples services à domicile. Soigner une personne dépendante et tondre son jardin, ce n'est pas la même chose ! On se rend donc très vite compte que ce dispositif est insuffisant et inadapté.
J'attire votre attention, madame la ministre, sur la nature et la qualité des services que vous souhaitez développer.
L'aide aux personnes âgées ou handicapées et les activités liées à la petite enfance sont des services essentiels qui nécessitent de réelles compétences, un vrai savoir-faire.
La formation dans ce secteur est capitale. La mise en place de formations est donc primordiale et doit donner des perspectives aux salariés. Or je ne vois malheureusement pas, dans ce texte, un accent mis sur la formation.
Si vous persistez à négliger la formation dans ce secteur très féminisé, vous risquez d'aggraver - et j'insiste sur ce point - les inégalités entre hommes et femmes sur le marché de l'emploi et de précariser encore davantage une partie de la main-d'oeuvre féminine qui occupe la plupart des emplois à temps partiel généralement contre son gré.
Je vous rappelle qu'il existe un projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes :...