Intervention de Albéric de Montgolfier

Réunion du 30 avril 2009 à 9h00
Communication sur les suites du sommet du g20 — Point de vue des groupes politiques

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, membre du groupe de travail :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi à titre liminaire de me réjouir à mon tour de l’initiative prise à l’automne dernier par le Président du Sénat de constituer un groupe de travail associant députés et sénateurs, pour réfléchir sur les réponses à donner à la crise financière. C’est une première qui, assurément, a montré sa pertinence dans un débat d’importance internationale dépassant dans une large mesure les clivages partisans.

Le sommet du G20 qui s’est tenu à Londres a été salué comme un relatif succès de l’action coordonnée des grandes nations contre la crise financière. Alors qu’on en prédisait un possible échec, les négociations ont en effet permis d’enregistrer différentes avancées qui paraissaient encore irréalistes voilà peu. Le cas de la lutte contre les paradis fiscaux est, à ce titre, symbolique de la rapidité avec laquelle la volonté politique s’est imposée sur un sujet figé de longue date.

La France a fait entendre sa voix et a pesé dans cette avancée. L’action du Président de la République pour mettre notre pays au centre du débat international sur la sortie de crise ne peut qu’être unanimement reconnue. Dans ce cadre, notre groupe a été reçu à trois reprises par le Président de la République, preuve que la revalorisation du rôle du Parlement n’est pas un vain mot.

Avant de revenir sur les constats auxquels a donné lieu ce sommet et sur les principales décisions prises à cette occasion, j’exprimerai, au nom, du moins je le pense, de tous les parlementaires membres du groupe de travail, ma satisfaction d’avoir été non seulement consulté, mais aussi entendu.

Tout d’abord, j’évoquerai les constats sur lesquels ont reposé nos travaux. Ils sont, je le crois, largement partagés et s’articulent autour de l’idée d’une nécessaire régulation face aux excès du capitalisme financier. Il s’agit non pas forcément de tout réguler ou de réguler plus, mais de réguler mieux. Le contrôle des marchés et de la sphère financière doit ainsi être confié non pas à leurs propres acteurs, mais bien au politique, qui doit reprendre la main, comme le soulignait dans ses conclusions le groupe de travail, que je cite : « La crise a mis en évidence les limites et les effets pervers de l’autorégulation. Le groupe de travail rappelle la nécessité d’affirmer la primauté de la régulation et de replacer les États – et donc le politique – au centre du jeu monétaire et financier international. »

Parmi les éléments qui ont contribué à la violence de la crise figurent en priorité un certain nombre de dysfonctionnements de la finance et des marchés, qui ont exposé des ménages et des institutions financières à des risques incontrôlés, en abusant des possibilités offertes par la loi, jouant à l’excès de l’effet de levier et exacerbant les possibilités de gains.

La dénonciation des paradis fiscaux, refuge de l’argent sale, mais aussi et surtout facteur d’opacité des circuits financiers, nous est apparue à ce titre comme une nécessité, à l’heure où le retour de la confiance et la juste évaluation des risques nécessitent une transparence accrue.

Notre groupe s’est également interrogé sur le fonctionnement des agences de notation, qui ont souvent failli dans leur analyse, se montrant peu à même d’évaluer correctement le risque inhérent à certains actifs ou produits complexes ou encore à la solvabilité d’émetteurs souverains.

Le caractère pervers de certaines normes comptables a, de même, été souligné. Nous pensons notamment aux normes américaines qui, en permettant la réévaluation permanente des actifs figurant au bilan des banques au fur et à mesure que les marchés immobilier et boursier étaient orientés à la hausse, ont amélioré les ratios fonds propres sur encours et accentué la capacité de prêt de manière artificielle.

Comme d’aucuns l’ont rappelé, ce schéma a permis la période de croissance des années deux mille, mais il a aussi précipité le retournement de situation avec d’autant plus de violence qu’il a asséché la source du crédit.

Notre groupe de travail s’est ensuite attaché à formuler des propositions. Je ne parlerai ici que des axes prioritaires qui ont été évoqués à l’occasion du G20.

En premier lieu, nous avons insisté sur la nécessité d’assainir les relations avec les pays qualifiés de paradis fiscaux, bancaires ou réglementaires. La publication d’une liste isolant les États qui n’ont pas mis en place une coopération suffisante ni émis de signes clairs de bonne volonté représente un saut qualitatif majeur vers une transparence accrue et un meilleur contrôle des placements offshore. La simple évocation de la fin du secret bancaire suisse ou luxembourgeois aurait fait sourire voilà quelques mois ; pourtant, aujourd’hui, ce secret est bel et bien en passe d’être largement aménagé.

Comme cela a été souligné tout à l’heure, il faut cependant rester vigilant face à la persistance de zones ou d’États qui, sans figurer sur la liste établie, conserve une législation très éloignée des standards internationaux en matière de transparence, notamment en ce qui concerne l’enregistrement des sociétés commerciales.

En deuxième lieu, nous avons plaidé en faveur d’une révision de l’architecture de la supervision internationale qui passerait, notamment, par un renforcement des rôles respectifs du Fonds monétaire international et du Forum de stabilité financière, sous le contrôle des États membres du G20.

L’augmentation considérable des moyens octroyés au FMI, qui voit ses pouvoirs étendus et son budget triplé pour atteindre 750 milliards de dollars, a été l’un des apports majeurs de ce deuxième sommet du G20.

La crise aura donc eu également pour mérite d’ébaucher une gouvernance mondiale dans les questions qui relèvent de la sphère financière et d’étendre aux nouvelles grandes puissances, comme la Chine ou l’Inde, le cercle des pays appelés à participer sur une base régulière à ces sommets internationaux.

De nouveau, je cite les conclusions de notre groupe de travail, lesquelles résument l’esprit d’une nouvelle régulation dans le but de prévenir les risques systémiques : « Il est nécessaire […] de soumettre tous les pays à des inspections et évaluations régulières, de disposer d’une connaissance précise de l’ampleur et de la nature des flux financiers, d’identifier les facteurs de risque et d’établir une “courroie de transmission” avec les régulateurs nationaux pour qu’ils prennent, le cas échéant, les réglementations qui s’imposent. »

Au niveau européen, nous proposons d’appliquer les recommandations du groupe d’experts présidé par Jacques de Larosière, qui prône notamment la création d’un Conseil européen du risque systémique.

De la même manière, notre groupe a proposé d’associer les banques centrales, notamment la BCE, à la prévention de ces risques, en élargissant leur mandat au-delà de l’actuel suivi de l’évolution des prix et de la lutte contre l’inflation, pour toucher également les actifs financiers et immobiliers.

Enfin, le groupe de travail a souhaité une plus grande régulation des produits et des acteurs financiers à risques. Les agences de notation doivent ainsi faire l’objet d’une attention particulière : elles devraient se soumettre à des principes déontologiques étendus et pourraient voir leur responsabilité engagée.

Nous avons également proposé la création d’une chambre de compensation des produits dérivés négociés de gré à gré, en particulier des dérivés de crédit, ainsi qu’une plus grande standardisation de ces contrats. Cela répondrait à un impératif de clarté et faciliterait les comparaisons, donc les évaluations des actifs lorsqu’ils ne font pas l’objet d’une cotation.

Nous estimons en outre nécessaire de préciser les normes prudentielles applicables aux établissements de crédit, notamment la méthodologie d’évaluation des produits titrisés, et de réfléchir à une interdiction de la titrisation intégrale des prêts, comme cela s’est pratiqué.

Il serait également nécessaire de clarifier certains principes comptables, notamment pour permettre l’évaluation des instruments financiers complexes en cas de marché peu liquide.

J’aimerais enfin conclure mon propos en soulignant, à titre personnel, combien il a pu paraître surprenant de constater le silence ou, du moins, le manque d’efficacité de l’Europe sur ces questions essentielles.

À quelques semaines des élections européennes, force est, hélas, de constater que l’Europe a été très largement absente de ces débats, s’effaçant notamment derrière le couple franco-allemand. La Commission européenne, qui aime à s’intéresser à des sujets de détail et qui sait réglementer jusque dans les plus fines subtilités certaines activités économiques, aurait gagné à donner de la voix sur ces sujets primordiaux. Les tenants d’un retour des États-nations y trouveront sans doute quelques motifs de satisfaction. Au contraire, je souhaite pour ma part que la construction européenne se poursuive aussi autour de ces grands sujets et qu’une concertation s’établisse avec les parlements nationaux.

La démarche de notre groupe de travail s’inscrit dans cette logique d’une force de proposition vigilante et exigeante. Il est de notre responsabilité de ne pas laisser sans lendemain les annonces faites, et c’est pourquoi nous souhaitons obtenir des réalisations concrètes dans tous les domaines évoqués.

Un troisième sommet du G20 est d’ores et déjà prévu, dont l’une des missions sera de contrôler la mise en œuvre des mesures annoncées. Notre groupe de travail répondra à l’invitation du Président de la République à l’occasion de ces travaux.

En définitive, la régulation financière doit être ambitieuse, sans tomber dans l’écueil d’un interventionnisme national trop marqué. De la même manière que la crise peut conduire à s’interroger sur l’idée d’un protectionnisme éclairé, soucieux de la sauvegarde justifiée des emplois et des solidarités collectives, il faut réfléchir à la notion de nouvelle réglementation publique, qui veille à corriger les excès du capitalisme financier sans étouffer la compétitivité de nos économies dans un carcan trop étroit. C’est un défi dans lequel les parlementaires que nous sommes ont leur mot à dire, en rappelant le cas échéant les décideurs à une juste mesure.

Comme l’ont souligné Jean Arthuis et Philippe Marini, nous devons aussi rester modestes, sachant que toute régulation efficace ne pourra être que supranationale. Nous sommes donc, avec mes collègues députés et sénateurs, toujours aussi fortement engagés dans le processus de concertation et de réflexion qui a été enclenché. À l’instar du président du Sénat, je souhaite que nos travaux se poursuivent maintenant sur des sujets plus techniques.

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