Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 30 avril 2009 à 9h00
Communication sur les suites du sommet du g20 — Point de vue des groupes politiques

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous n’avons pas tous la même analyse de la crise, les divergences qui peuvent exister sur les causes de celle-ci n’ont pas empêché le groupe de travail Assemblée nationale-Sénat de formuler, à l’unanimité, des pistes de réforme qui concernent l’assainissement des relations avec les paradis fiscaux, bancaires et réglementaires, l’architecture de la supervision internationale et, enfin, la régulation des produits et acteurs financiers.

Reconnaissons d’emblée que ce G20 marque une avancée, car, à la différence du G7, il associe la plupart des grands pays émergents et reflète la nouvelle multipolarité du monde. Le renforcement de son rôle politique et son institutionnalisation, souhaités par notre groupe de travail, paraissent en bonne voie, même si de nombreux progrès restent à accomplir.

Sur le fond, les positions prises par le G20 le 2 avril dernier vont souvent dans le bon sens. Elles restent cependant insuffisantes, voire inappropriées pour certaines d’entre elles. À titre d’exemple, l’assainissement des relations avec les paradis fiscaux – un problème important, même s’il ne se situe pas à la racine de la crise – prendra du temps et demandera une résolution sans faille. Celle-ci manque, évidemment, comme l’a d’ailleurs relevé Mme Bricq à propos des propositions faites par les commissaires européens MM. Barroso et McCreevy.

De même, la limitation de la réglementation des hedge funds à ceux qui ont une importance systémique pourra facilement être contournée. Dans une interview accordée au journal Les Échos, Joseph Stiglitz observe que, sur ce point essentiel, aucun engagement n’a été pris en raison de l’influence des banques américaines dans le système. Il ajoute qu’il n’existe pas de volonté réelle de venir à bout des facteurs qui ont contribué à la crise. Il cite en particulier, comme l’a d’ailleurs fait excellemment le président de la commission des finances, M. Jean Arthuis, le problème du traitement des produits dérivés, qui ont pourri le système. Il est évident qu’il n’existe pas d’instances claires au sein desquelles la transparence pourrait s’exercer dans ce domaine qui, je vous le rappelle, représente la somme colossale de 60 trillions de dollars – 60 000 milliards de dollars, plus que le PIB mondial ! – liée à la fluctuation des cours des monnaies, des matières premières et des taux d’intérêt.

Les deux problèmes essentiels, celui de l’assainissement financier et celui de la relance économique, sont très étroitement connectés.

Il ne suffit pas d’injecter des capitaux dans le système bancaire pour l’assainir. Il est même choquant de voir le contribuable venir au secours de banquiers faillis qui ne souhaitent, une fois remis en selle, que recommencer le grand jeu de la mondialisation libérale, et inégale, et reprendre leurs pratiques déresponsabilisantes de titrisation ainsi que la course à des taux de rentabilité exorbitants, lesquels étaient censés justifier leurs extravagants bonus.

Il faudrait au moins exiger que les banques conservent à leur bilan les risques les plus lourds et ne puissent titriser qu’une partie de leurs prêts, comme M. Marini vient, à juste titre, de le rappeler. Nos concitoyens ne peuvent accepter que la dette publique prenne simplement le relais de la dette privée creusée par ceux-là mêmes que l’on maintient en place, alors qu’ils n’ont rien perdu de leur arrogance et de leurs prétentions financières.

Oui, monsieur le secrétaire d’État, la question de la nationalisation des banques se pose, comme je l’avais suggéré dès les 8 et 15 octobre 2008, à l’occasion du débat sur la crise financière et bancaire et de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie. Elle se pose notamment pour Dexia et pour la banque issue de la fusion de la Caisse nationale des caisses d’épargne et de la Banque fédérale des banques populaires.

La renationalisation de tout ou partie du système bancaire, en France comme ailleurs – regardez ce qui se passe en Grande-Bretagne, et même aux États-Unis –, obéit à une double nécessité, politique, d’abord, car il est normal que celui qui paye commande, économique, ensuite, dans la mesure où la reprise du crédit ne se fera que par une entente coopérative entre les banques. Comme l’a bien montré M. Jean-Luc Gréau, c’est à l’État d’organiser et de surveiller cette entente coopérative durant toute la période nécessaire au retour à la normale. Il ne suffit pas de nommer un médiateur.

J’en arrive maintenant aux plans de relance économique.

M. Strauss-Kahn a mis en cause la frilosité des pays européens. Il ne faut certes pas exclure un nouveau plan de relance axé sur l’investissement, la préservation du tissu productif, les revenus les plus bas, les chômeurs et les jeunes, mais il est légitime de veiller à ce que l’injection de crédits publics n’aboutisse pas, selon l’expression consacrée, à « arroser le sable ». Il est malheureusement trop évident que, jusqu’ici, l’effort du contribuable a servi pour l’essentiel à renflouer le système bancaire, en vertu du principe : « On prend les mêmes et on recommence. »

Un traitement insuffisant de la crise ne sera pas toléré, d’abord parce que cela ne marche pas : le risque principal réside aujourd’hui dans le mitage du système « banque-assurances » par des engagements irraisonnés ; je rappelais à l’instant que plus de 60 trillions de dollars avaient été titrisés sous forme de CDS, ou credit default swaps, et que le sujet des produits dérivés n’avait pas été traité lors du sommet de Londres.

Il est certes vrai que le redressement de nos économies pose un problème d’une immense ampleur, mais, pour redonner un horizon à nos démocraties et rétablir durablement la confiance, il faut une perspective de progrès partagé, qui passe par une progression des rémunérations égale à celui de la productivité et par un partage plus honnête des salaires et du profit.

Il est évident que la déformation du rapport entre les revenus du travail et du capital n’est guère compatible avec un libre-échange généralisé, dès lors que les écarts de salaires sont de un à vingt. Il faut donc instaurer une concurrence équitable. Je parle non pas d’un repli autarcique mais d’une régulation négociée des échanges internationaux qui permettrait une sortie de crise à l’échelle mondiale, et d’abord en Europe et aux États-Unis, à partir d’une revalorisation salariale substantielle, à l’abri d’une protection modérée, corrigeant les distorsions de salaires abusives.

Or le sommet de Londres, on l’a rappelé tout à l’heure, s’est borné à fulminer une excommunication contre le protectionnisme, au nom d’une lecture d’ailleurs biaisée de l’histoire des années trente.

Les mêmes qui ont failli veulent persévérer : alors que le commerce international devrait se contracter de 9 % cette année – pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le protectionnisme –, ceux-là mêmes qui ont présidé à une mondialisation qu’ils disaient « heureuse », mais qui s’est révélée catastrophique, entendent à nouveau – et encore plus – « libéraliser » le commerce international à Doha, en juillet prochain.

Il n’y a aucune guérison à attendre de ces mauvais médecins.

Il faudrait, au contraire, mettre en place une régulation par grandes zones économiques regroupant des pays de niveau comparable en termes de salaires, sans se fermer à une raisonnable concurrence des pays à bas coûts. Ces derniers seraient fortement incités, en contrepartie, à développer leur marché intérieur, leur système de sécurité sociale et la protection de leur environnement.

Tout cela passe par une grande négociation internationale, qui prendra beaucoup de temps. Mais, heureusement, le G20 s’est mis en place. Il se réunira à plusieurs reprises, au niveau des ministres des finances et des chefs d’État et de gouvernement. Il conviendra, dans ce cadre, d’aller dans le sens que j’ai indiqué.

J’ajouterai un mot sur le FMI, dont on voit tripler les ressources, ce qui fera l’affaire des pays au bord de la banqueroute comme des grands pays exportateurs. Mais cela ne remédiera pas aux déséquilibres fondamentaux dont souffre l’économie mondiale, du fait notamment du déficit abyssal de la balance commerciale américaine.

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