Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, beaucoup de choses ont été fort bien dites, et de ces différentes interventions se dégagent sans conteste un certain consensus.
En effet, l’ampleur de la crise financière a ébranlé les fondements du capitalisme financiarisé dans sa version anglo-saxonne. Elle impose de repenser la régulation et les valeurs du système économique mondial, dont l’instabilité a mis en évidence plusieurs défaillances, notamment en matière de réglementations, de systèmes d’informations et d’incitations, tous s’étant révélés particulièrement inadéquats. Tout le monde en a pris conscience, même ceux qui vantaient il n’y a pas si longtemps encore les vertus du modèle capitaliste américain !
Prenant acte de la faillite du système financier mondial, les pays du G20 se sont donné pour objectif, dès novembre 2008, de dessiner les contours d’un nouvel ordre financier mondial sur la base de mesures destinées à améliorer la supervision du système financier dans de nombreux domaines. L’objectif principal est en effet de remettre de l’ordre dans la finance, car ce secteur a pris une place démesurée dans le capitalisme contemporain. La production de nouvelles normes permettrait d’éviter, ou du moins de limiter considérablement, la possibilité d’une nouvelle crise.
Au-delà, la profondeur et la nature multidimensionnelle de la crise conduisent à repenser le système de régulation à plusieurs niveaux. Il s’agit de garantir la stabilité financière en appliquant de nouvelles normes au secteur financier, à l’échelle tant nationale que supranationale, pour renforcer notamment la coordination économique mondiale.
Plus précisément, la crise économique actuelle révèle sur le plan microéconomique les insuffisances de la production d’informations et des pratiques du secteur financier. Sur le plan macroéconomique, elle illustre le caractère problématique des déséquilibres internationaux. En effet, la crise est née d’une conjonction de mauvaises incitations, de réglementations inadéquates et d’un défaut de coordination des politiques économiques au niveau mondial. Tout le monde pose ce diagnostic. C’est pourquoi il faut repenser, d’une part, la régulation du secteur de la finance et, d’autre part, les contours d’une gouvernance mondiale dont les principales institutions ont été formatées voilà plus de cinquante ans.
Prenant acte de cette défaillance, les pays du G20 se sont engagés, lors du récent sommet de Londres, sur les principaux chantiers de la régulation : encadrer les activités bancaires ; renforcer les politiques de maîtrise des risques des banques ; encadrer les marchés de produits financiers sophistiqués et s’attaquer aux paradis fiscaux. Ce sont ces différents aspects que je me propose d’aborder à présent.
La crise a, en effet, révélé les insuffisances des normes prudentielles destinées à limiter le risque systémique. Les crises financières importantes récentes résultent de l’éclatement de bulles, dont la formation, originellement aux États-Unis, résulte non pas forcément de la distribution excessive de crédits, mais des subprimes, qui étaient en réalité des prêts risqués accordés à une clientèle peu ou pas solvable. C’est pourquoi il faut non seulement inciter fortement les banques à mettre plus de capital de côté pendant les périodes d’euphorie, mais également instaurer un contrôle plus efficace. Cela est possible en rémunérant mieux les contrôleurs internes, en encadrant les rémunérations des traders, et en mettant en place des systèmes d’information capables de fournir un état de leur exposition totale aux risques pris. En outre, il faut rééquilibrer les incitations individuelles au profit du long terme.
Ce que nous enseigne également la crise dans ce domaine, c’est qu’il est nécessaire que les banques, principalement les banques d’affaires, disposent en permanence d’actifs de qualité susceptibles d’être apportés aux banques centrales en cas de problème.
Le G20 de Londres a a priori pris en compte les questions prudentielles. Néanmoins, monsieur le secrétaire d'État, ainsi que M. le rapporteur général l’a indiqué dans son intervention, force est de reconnaître que, lorsqu’ont été adoptées, sur un plan mondial, les normes IFRS édictées par l’IASB, les pays d’Europe continentale se sont montrés bien complaisants.
Aujourd’hui, les méthodes du mark to market ou de la fair value impliquent l’existence réelle d’un marché. Mais, en l’absence d’un tel marché, il devient impossible de se référer à une quelconque valeur. C’est bien ainsi qu’il faut expliquer les « cantonnements » auxquels les banquiers ont procédé.
Aux incitations défaillantes s’est ajoutée une insuffisance de l’information financière. Ainsi, l’existence de marchés dits « de gré à gré », c’est-à-dire ceux dont les conditions sont laissées à la libre négociation, pose problème dans la mesure où les transactions restent opaques.
Il est également nécessaire d’encadrer les produits dérivés structurés, dont même ceux qui les conçoivent ne savent pas bien ce qu’ils recouvrent. Là est le problème !
Au centre de la crise, les agences de notation, rétribuées par ceux-là mêmes dont elles étaient chargées de noter les produits, ont montré leurs défaillances en diffusant de mauvaises informations ou en accordant des notes AAA à des produits financiers qui se sont révélé des créances pourries. Ce faisant, elles ont conduit les investisseurs à minimiser les risques qu’ils prenaient.
Cela prouve que le G20 devra encore revenir sur les règles applicables à ces agences de notation et sur leur façon de se rémunérer. Avec les normes IFRS, celles-ci ont certainement contribué à l’accélération de la crise financière mondiale.
Limiter la dissémination et l’opacité des risques financiers est un enjeu majeur de la régulation. Il existe aujourd’hui un consensus politique international en faveur de la lutte contre les paradis fiscaux.
Si l’on a pu parfois inclure parmi les paradis fiscaux des pays qui n’en étaient pas, en revanche, on en a ignoré certains autres, pourtant beaucoup plus proches de nous, y compris au sein de l’Union européenne, par exemple les îles anglo-normandes.
La meilleure régulation financière sera facilement contournée si l’ensemble des paradis fiscaux peuvent continuer à œuvrer comme bon leur semble. On peut agir au niveau national en renforçant les moyens de l’administration fiscale, au niveau européen en rendant effectives les différentes directives dans ce domaine, et, enfin, au niveau international en exigeant le reporting, pays par pays, des multinationales.
En renforçant la complexité et l’opacité des instruments financiers, les paradis fiscaux ont contribué à un accroissement des prises de risque par les acteurs financiers et à la perte de la traçabilité de ces risques. Jean-Pierre Chevènement indiquait d’ailleurs les sommes fabuleuses que représentent l’ensemble de ces produits structurés.
C’est le cas également des hedge funds, ces fonds spéculatifs enregistrés pour la plupart aux îles Caïmans, responsables pour une grande part de la panique boursière dans la mesure où, en prenant des risques excessifs, ils ont introduit une trop grande volatilité sur les marchés financiers. De fait, ils ont nourri la crise et contribué à faire de la finance internationale une zone de non-régulation.
L’action du G20, dans ce domaine, paraît déterminée, même si l’on peut s’interroger sur l’absence sur la liste publiée par l’OCDE de certains États américains, asiatiques ou européens, pourtant notoirement connus pour être des paradis fiscaux.
Dans ce contexte, il me semble nécessaire d’instituer un superviseur européen des établissements financiers. De nombreux orateurs ont indiqué l’absence de l’Europe, dont le silence était assourdissant. Il faudra qu’elle se réveille !
La multiplication des faillites bancaires en Europe a montré les faiblesses du contrôle opéré sur ces établissements. En effet, ce contrôle reste toujours national, alors que les établissements bancaires développent leurs activités aux niveaux européen et mondial. Il faudra y remédier.
En outre, ce contrôle devra être indépendant des États et pourra, ce à quoi je suis tout à fait favorable, être rattaché à la BCE.
Enfin, l’autorité de contrôle pourrait donner son agrément aux agences de notation. Un régulateur indépendant et de qualité est une condition essentielle à la prévention des futures crises.
Comme on le voit, tout nous rappelle qu’une gouvernance économique européenne est indispensable pour faire face à la crise financière et en prévenir une nouvelle.
Il paraît indispensable de renforcer la gouvernance économique mondiale. La crise a démontré la nécessité de réponses coordonnées des gouvernements. Les déséquilibres mondiaux, qui ont largement alimenté la crise, sont en partie le résultat de politiques monétaires et de politiques de change non coopératives.
Devant le risque d’une déflation mondiale, la coordination des États doit œuvrer à une relocalisation des liquidités émanant des pays émergents. Il faut donc conduire l’ensemble des pays à mener des politiques monétaires et budgétaires concertées. Il est d’ailleurs regrettable que, lors du sommet de Londres, aucune discussion n’ait eu lieu sur ces déséquilibres monétaires et budgétaires.
La crise financière rappelle, en outre, la nécessité de nouvelles institutions élargies de coordination des politiques économiques au niveau mondial. Le G20, qui s’est imposé à cette occasion comme l’instance politique de régulation de la crise, a décidé de confier cette coordination au FMI avec des moyens renforcés, notamment dans sa fonction de surveillance financière, en contrepoint de la production de normes comptables ou prudentielles.
La crise financière internationale, en mettant fin au mythe de l’autorégulation des marchés, a replacé les États et la politique au centre du jeu monétaire et financier international. C’est une bonne chose. Si les conclusions du G20 vont dans le bon sens et marquent sans conteste une avancée, il faudra s’assurer, comme l’a souligné M. le coprésident du groupe de travail, que ces engagements ne restent pas à l’état de vœux pieux et qu’ils se traduisent véritablement par de nouvelles règles financières internationales. Le prochain rendez-vous du G20 sera l’occasion de le vérifier.