Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 30 avril 2009 à 15h00
Communication de la commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009 — Adoption d'une proposition de résolution européenne modifiée

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca, auteur de la proposition de résolution européenne :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de résolution que j’ai l’honneur de présenter au nom de notre groupe répond à la volonté, toujours réaffirmée par les parlementaires socialistes français et européens, de promouvoir et de garantir les services d’intérêt général en Europe.

La discussion de cette proposition de résolution survient quatre mois après la clôture de la présidence française du Conseil de l’Union européenne et à cinq semaines du renouvellement du Parlement européen. Il offre au groupe socialiste l’occasion de présenter l’orientation nouvelle qu’il souhaite pour l’Europe et ses citoyens.

Au cours de la présidence française, à l’automne 2008, nous avions déposé une proposition de résolution par laquelle nous demandions à la Commission européenne de prendre toutes les initiatives permettant de conforter le statut des services d’intérêt général, notamment d’inscrire dans sa stratégie politique annuelle pour 2009 l’élaboration d’une législation cadre.

Parallèlement, nous demandions au chef de l’État, dans l’exercice de sa présidence du Conseil de l’Union, d’impulser l’adoption d’un agenda européen pour l’élaboration d’un outil juridique. Cette présidence offrait à la France une occasion politique d’agir en ce sens.

Une telle démarche bénéficiait également d’une légitimité juridique puisque le traité de Lisbonne, par son nouvel article 14 et le protocole additionnel sur les services d’intérêt général, conforte la base juridique qui permet l’élaboration d’un cadre législatif général.

Le Président de la République s’est souvent déclaré favorable à une application par anticipation du nouveau traité. L’élaboration d’une législation cadre sur les services d’intérêt général pouvait permettre de concrétiser cet aspect du traité de Lisbonne et de donner un contenu au souhait de la France de faire de 2008 l’année du « redémarrage social de l’Europe ».

Notre proposition de résolution constituait un rappel de ces objectifs et une invitation à agir.

Au sein de la Haute Assemblée, la commission des affaires économiques, qui est compétente pour l’examen de cette proposition de résolution, avait alors préféré ne pas s’en saisir. Au niveau européen, la présidence française s’est achevée sans qu’aucune initiative ait été prise en faveur des services d’intérêt général. C’est pourquoi nous présentons aujourd’hui une proposition de résolution rectifiée.

Les raisons de notre engagement sont claires. Les services d’intérêt général constituent un des piliers du modèle social européen. Ils sont un élément essentiel dans la qualité de vie des Européens et sont un gage d’égalité entre les citoyens.

Ils ont aussi un rôle clé à jouer dans la bataille que veut livrer l’Union pour créer l’économie la plus dynamique et durable du monde. De bons services publics peuvent aider à surmonter la crise économique, à renforcer la cohésion sociale et territoriale et à améliorer le fonctionnement du marché intérieur de l’Europe et sa compétitivité extérieure. Les forces du marché ne peuvent pas, à elles seules, garantir les services publics dont nous avons besoin pour bâtir une Europe qui soit non pas exclusivement un marché, mais une société conforme à ce que nous souhaitons.

Aujourd’hui, les services d’intérêt général et les services d’intérêt économique général n’ont pas leur juste place dans l’ordre juridique communautaire. La législation européenne actuelle est confuse et source d’incertitudes. Le traité de Lisbonne pose les principes généraux régissant les services publics et constitue une avancée importante en leur faveur. Mais, pour être effectif, cet apport doit bénéficier d’une traduction législative. À défaut, reste la législation actuelle, sectorielle. Mon collègue Michel Teston traitera du cas particulier du service postal.

Cette législation sectorielle ne permet pas de dire clairement si les services d’intérêt général relèvent du droit de la concurrence, de la législation du marché intérieur ou des règles conçues pour réglementer les subventions ou les marchés publics. Cette confusion fait le lit d’un double déséquilibre.

Le premier est d’ordre juridique. En l’absence d’un cadre législatif propre aux services publics, ce sont, dans bien des cas, les règles de la concurrence et du marché intérieur qui régissent les services d’intérêt général, lesquels se trouvent alors détournés de leurs missions. En outre, les enjeux sociaux, environnementaux et d’aménagement du territoire que portent les services d’intérêt général sont oubliés.

Le second déséquilibre est institutionnel. En l’absence d’un cadre juridique pour les services d’intérêt général, leur définition, leur financement et leur gestion sont aujourd’hui tributaires de la jurisprudence. Plusieurs arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes ont mis en cause les modes d’organisation et de financement choisis par des collectivités ; ce fut notamment le cas pour une desserte de bus dans un canton allemand, des services d’énergie ou encore de chauffage municipal dans des communes italiennes. De son côté, la Commission a lancé des procédures à l’encontre de plusieurs États membres pour contester la gestion par leur administration ou leurs collectivités de services locaux aussi différents que des musées en Allemagne, des services d’ambulance en Toscane ou de traitement des eaux à Hambourg.

Au fil de sa jurisprudence, dans le vide laissé par le législateur européen, la Cour de justice fixe ainsi les règles de financement et de délégation des services publics, de partenariat public-privé, d’organisation des sociétés d’économie mixte, et ce au détriment des choix effectués par des autorités locales élues.

Ce phénomène de dépossession des autorités nationales ou locales est la négation du projet d’Europe politique que nous portons, et pour lequel le Gouvernement dit plaider. Il a pour effet de contredire le principe de subsidiarité et l’autonomie des autorités locales. Celles-ci considèrent que l’exercice de leur mission est menacé et que c’est le devenir des services publics locaux qui est désormais en jeu. Ces autorités sont, à tous les niveaux, profondément impliquées dans l’organisation et le financement des services d’intérêt général.

Dans la pratique, elles sont de plus en plus confrontées à l’intervention de la Commission européenne ou de la Cour de justice, qui évaluent leurs activités à la seule lumière des règles du marché intérieur.

Les élus locaux le savent, pour que leur autonomie soit préservée de manière effective, il faut que l’application du principe de subsidiarité s’inscrive dans un cadre légal de niveau européen garantissant une réelle sécurité juridique.

S’en tenir au simple rappel d’un principe de subsidiarité déjà mis à mal, comme semble vouloir le faire l’UMP dans sa campagne pour les élections européennes, témoigne d’une volonté de freiner toute consolidation juridique qui permettrait de mettre un terme au recul des services publics en Europe. On cherche la cohérence avec les discours du chef de l’État sur la régulation et la nécessité d’édifier une Europe politique.

La construction européenne s’est accélérée sous l’impulsion de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, en s’appuyant sur trois piliers : le marché intérieur, la solidarité et la coopération.

La droite européenne a fait le choix de bâtir l’Europe sur le seul pilier du marché intérieur, abandonnant ainsi les objectifs de solidarité et de coopération. Face à la crise, cela n’est plus défendable.

À nos yeux, la sécurisation des services publics est un impératif majeur pour l’avenir de l’Union. L’objectif est clair : permettre une prise en compte des services d’intérêt général qui équivaille à celle des autres politiques de l’Union et mettre un terme à la primauté du droit de la concurrence, qui est, au niveau communautaire, en passe de déterminer tous les autres.

C’est pourquoi le nouveau cadre juridique devra définir les relations entre les règles du marché unique et la poursuite des objectifs d’intérêt général. Il devra introduire des critères distinguant les services à caractère économique des services non économiques, les uns et les autres étant régis par des dispositions légales distinctes.

C’est à un réel exercice de rééquilibrage entre les politiques de l’Union que nous vous appelons.

Cette base juridique protectrice des services d’intérêt général devra permettre de préserver le principe de subsidiarité et clairement délimiter les responsabilités des États membres, d’une part, et de l’Union européenne, d’autre part.

Enfin, nous souhaitons compléter cette évolution juridique par une garantie institutionnelle. Dans la perspective du renouvellement de la Commission européenne à l’automne prochain, nous proposons l’institution d’un Commissaire européen en charge des services publics. Il aurait pour mission d’assurer la prise en compte des services publics dans toutes les politiques communautaires, leur niveau de qualité et leur bon fonctionnement.

Alors que la Commission européenne confirme que les services régaliens de police et de justice restent exclus des règles du marché intérieur, elle n’accorde pas la même garantie aux services sociaux et de santé, qui sont considérés pour 80 % d’entre eux comme des services économiques et peuvent donc être régis par les règles de la concurrence et du contrôle des aides d’État. Une protection s’impose. Mon collègue Roland Ries reviendra sur ce sujet.

La Commission européenne n’a pas rempli son rôle. Elle s’est toujours évertuée à bloquer toutes les demandes qui lui ont été faites d’évolutions législatives sur les services d’intérêt général, jusqu’à sa communication du 22 novembre 2007 sur le marché intérieur, dans laquelle elle indique explicitement qu’elle renonce à l’élaboration d’une législation qu’elle ne juge pas « utile ».

Dans cette logique, sa stratégie politique annuelle pour 2009 ne prévoit aucun projet permettant d’endiguer la remise en cause dont les services publics européens sont victimes.

L’agenda social 2010-2015 est tout aussi discret sur les services d’intérêt général.

La Commission affirmait par le passé que le sujet était trop compliqué et qu’un cadre juridique général ne pouvait pas aborder les nombreux problèmes qui se posent aux services publics. En même temps, elle soulignait l’urgence de les faire bénéficier d’une garantie légale.

Une réponse à la remise en cause des services d’intérêt général est non seulement utile, mais possible, pour peu que l’on veuille bien sortir du carcan idéologique libéral imposé par la Commission.

Nous en avons dressé les lignes de force : clarification de la définition et du statut des services d’intérêt général, consolidation du principe de subsidiarité et de l’autonomie des autorités locales dans l’exercice de leur mission, volonté de mettre un terme à la primauté du droit de la concurrence et reconquête du politique.

Les parlementaires socialistes européens, décidés à démontrer qu’il est possible d’élaborer un instrument juridique cohérent ont rédigé le projet de législation-cadre que la Commission refuse aux États et aux citoyens.

Le travail de formulation juridique est réalisé. Il importe désormais de le mettre en œuvre. Cela demande une volonté politique. C’est l’un des enjeux des élections européennes.

Au moment de donner de bonnes raisons aux citoyens de voter et de se déterminer sur un choix européen, la mise en route de l’élaboration d’un instrument juridique propre aux services d’intérêt général serait un gage supplémentaire vers l’Europe sociale.

Enfin, cette proposition de résolution vise à donner une perspective pour l’Europe politique de demain. Un examen attentif du bilan de la Présidence française de l’Union européenne et des votes des eurodéputés de l’UMP et du Parti populaire européen, le PPE, permet de dire que la droite française et européenne s’est toujours opposée à offrir aux services publics le cadre juridique protecteur qui leur fait défaut.

La Présidence française s’est réduite, sur le terrain des services d’intérêt général, à la tenue d’un forum auquel il ne fut d’ailleurs jamais donné aucune suite.

Au Parlement européen, au cours de ces cinq années de mandat, les eurodéputés de droite ont voté contre l’exclusion des services sociaux et des services d’intérêt économique général de la directive sur les services. Ils se sont opposés, chaque fois qu’ils l’ont pu, à l’élaboration d’une législation-cadre.

Soutenir aujourd’hui la reconduction de José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne, c’est, de fait, soutenir la reconduction d’une Commission européenne qui, par son opposition systématique à toute action favorable aux services publics, use de son droit d’initiative comme d’une force de blocage quant à l’édification d’une Europe politique et sociale.

Si les Européens font le choix d’une majorité nouvelle de gauche pour le Parlement européen au soir du 7 juin, ce Parlement renouvelé sera en capacité de pousser la Commission européenne renouvelée, non seulement à inscrire le dossier des services d’intérêt général au rang de ses priorités, mais à le faire avancer concrètement.

La crise économique et financière actuelle, qui submerge le monde, rend la protection des services d’intérêt général encore plus nécessaire.

Face à cette crise, les pays européens, y compris les plus marqués par l’idéologie libérale, ont reconnu le rôle stabilisateur des services publics à la fois par le maintien de l’emploi et par l’offre égalitaire de services aux citoyens.

Comment les peuples européens pourraient-ils comprendre que, pour contrer les effets désastreux de la crise, l’Europe ne se donne pas les moyens de conforter leurs services publics ?

Sur le fond, cette analyse fait largement consensus et les travaux de la commission des affaires économiques s’inscrivent dans cette approche. Mais il reste à franchir un pas supplémentaire pour la traduire dans une législation-cadre contraignante si l’on veut vraiment protéger les services d’intérêt général.

En adoptant cette résolution, notre assemblée apporterait une réelle contribution en ce sens.

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