À la volonté de laisser les marchés décider seuls de l’allocation des biens et des ressources entre les acteurs économiques s’est substitué le constat qu’une intervention des acteurs publics par la régulation, mais aussi par les aides directes, est nécessaire pour assurer la continuité du tissu économique et la cohésion sociale et territoriale.
Les services publics réduisent les inégalités de fait en apportant à chacun la possibilité d’obtenir des soins, d’éduquer ses enfants, de se déplacer pour un coût raisonnable. Une société pourvue de services publics efficaces bénéficie d’un point d’accroche lors des crises économiques.
J’ajouterai – j’y suis particulièrement sensible en tant que président de l’Observatoire national de la présence postale – que seule l’intervention des pouvoirs publics, notamment la péréquation, peut assurer à chacun un accès aux services de poste et de télécommunications, même pour celui qui est situé dans un territoire isolé ou socialement défavorisé, sans jamais dissocier les deux.
La présente proposition de résolution demande donc à la Commission européenne de prendre des initiatives en vue de conforter le statut des services d’intérêt général.
Rappelons que les services d’intérêt général sont couverts par des règles comme celles du « paquet Monti-Kroes » de 2005. Toutefois, les bilans effectués, notamment un rapport remis récemment par le Gouvernement à la Commission, montrent que ces règles sont insuffisantes et demeurent mal appréhendées par les acteurs locaux, qui craignent pour la sécurité juridique des services qu’ils fournissent ou subventionnent.
Les grands services de réseau – poste et télécommunications, énergie, transports – ont déjà fait l’objet, pour leur part, de directives sectorielles. Le problème se pose d’une manière plus aiguë pour les services sociaux d’intérêt général, c’est-à-dire pour tous les services qui répondent aux objectifs de santé, d’éducation, d’aide aux personnes vulnérables, d’insertion économique, de logement social, entre autres.
Dans ces secteurs, qui couvrent un public plus important en période de crise, les opérateurs sont souvent de petite taille et s’interrogent sur la possibilité de bénéficier d’un soutien public : quelle activité peut-elle être qualifiée de marchande ou de non marchande ? Comment calculer et mettre en œuvre la compensation pour service public ? Or on est ici au cœur de la notion d’intérêt général, dans un domaine où le marché ne peut, à lui seul, satisfaire les besoins de la collectivité.
À ce sujet, je souhaite souligner que la Présidence française de l’Union européenne, au deuxième semestre de 2008, a été marquée par de nombreuses initiatives, telles que le deuxième forum sur les services sociaux d’intérêt général, ou encore la constitution du groupe de travail, conduit par M. Michel Thierry, sur la sécurisation juridique des services d’intérêt économique général.
Pour cette raison, la commission des affaires économiques a adopté des amendements qui visent à retirer, dans la présente proposition de résolution, les alinéas qui remettent en cause le bilan de la Présidence française dans un texte qui concerne, d’abord et avant tout, – rappelons-le, mes chers collègues – la stratégie politique de la Commission européenne !
L’outil juridique proposé est celui de la directive-cadre. Pourquoi se limiter à ce seul outil ? D’autres instruments juridiques sont possibles, par exemple, le règlement prévu par le traité de Lisbonne, traité qui, soulignons-le, marque une avancée importante en faveur des services d’intérêt général, comme l’a remarqué l’an dernier Mme Tasca dans un rapport réalisé au nom de la délégation à l’Union européenne.
Une directive sur les services sociaux serait également la bienvenue, s’agissant du secteur qui suscite aujourd’hui le plus d’interrogations, pour ne pas dire d’inquiétudes.
C’est pourquoi la commission des affaires économiques a adopté un amendement qui reprend la formulation plus large d’« instrument juridique communautaire », déjà présente dans une résolution adoptée par le Sénat le 23 mars 2005.
Je crois surtout que, au-delà de la forme juridique, le contenu sera primordial. Les positions des États membres varient fortement – faut-il le rappeler ? – sur la question des services publics.
Certains craignent un État Léviathan, qui prendrait le contrôle de l’économie et briderait les initiatives individuelles. Seuls un effort de réflexion à l’échelon national et un effort de concertation à l’échelon européen permettront de dégager un modèle de service d’intérêt général pour l’Europe d’aujourd’hui et de demain.
L’heure actuelle se prête à un tel débat en raison de la crise, mais aussi en prévision des élections européennes de juin et du renouvellement de la Commission européenne qui aura lieu à l’automne.
Cela m’amène au dernier point de la proposition de résolution. Il s’agit de demander qu’un commissaire européen soit explicitement chargé de garantir la prise en compte des services publics dans la politique communautaire.
L’intérêt de cette proposition est de donner une force symbolique importante aux services publics et d’améliorer leur mise en œuvre en les intégrant dans les missions confiées explicitement aux commissaires au même titre que, par exemple, la construction du marché intérieur et l’application des règles de concurrence.
On peut discuter des modalités précises, mais il m’est apparu plus efficace de donner cette compétence à un commissaire déjà existant, par exemple à celui qui est chargé du marché intérieur, d’autant que les règles du traité de Nice, qui s’appliqueront si le traité de Lisbonne n’entre pas en vigueur, impliquent une réduction du nombre des commissaires.
La commission des affaires économiques s’est également accordée sur ce point.
Au final, je serais heureux que le Sénat trouve un accord le plus large possible pour affirmer l’importance des services d’intérêt général et la nécessité de les conforter à l’échelon européen où une action efficace pourra être menée sur l’ensemble des secteurs concernés.
Je vous propose donc, mes chers collègues, de voter en faveur de cette proposition de résolution assortie des amendements adoptés par la commission des affaires économiques.
En conclusion, qu’il me soit permis de remercier le président de la commission des affaires économiques de l’action qu’il a conduite dans cette affaire.