… à aboutir à une solution satisfaisante. C’est certainement la raison pour laquelle nous en discutons de nouveau aujourd'hui.
Pourtant, il s’agit d’une question majeure et éminemment politique. Il devient urgent de traiter le problème du cadre juridique des services d’intérêt économique général en Europe.
Cette question présente des enjeux majeurs de solidarité, de cohésion et d’efficacité économique pour ce secteur qui se situe au cœur de notre modèle de société.
Je ne reviendrai pas sur la genèse du débat qui nous occupe aujourd'hui ni sur les divergences doctrinales qui bloquent encore à l’heure actuelle toutes avancées juridiques et politiques.
Une conclusion s’impose toutefois à nous : le manque de consensus politique en Europe est patent et la position de la France, malgré son bien-fondé, est isolée.
Si un large consensus est apparu sur la nécessité de clarifier le cadre juridique applicable aux services d’intérêt général, en revanche, il n’y a pas de convergences de vues sur la manière d’y parvenir.
Mes chers collègues, je souhaite simplement apporter quelques réflexions dans ce débat.
La France a vraiment « découvert » l’expression de « services d’intérêt général » entre 2004 et 2006, lors des discussions nées de la transposition en droit français de la directive sur la libéralisation des services.
Depuis, notre pays essaie de définir une doctrine européenne visant à garantir que les services publics français correspondent aux critères des services d’intérêt général définis par l’Union européenne.
À titre d’exemple, en droit communautaire, pour qu’une mission de service public déléguée à un opérateur public ou privé soit reconnue comme telles, il faut qu’elle ait fait l’objet d’un « mandatement ». Or cette notion n’existe pas encore en droit interne. Il faut donc que la France adapte sa législation.
À notre avis, les représentants français auprès des instances communautaires doivent militer afin que d’autres règles communes soient adoptées et qu’un statut juridique des services publics s’affirme au niveau de l’Union européenne.
Le traité de Lisbonne, mes chers collègues, contient d’ailleurs de nouvelles dispositions sur les services d’intérêt général dont des règles communes devront être tirées.
En effet, un très grand nombre de services publics, dont les services publics sociaux d’intérêt général, sont locaux : le logement social, les services à la petite enfance, le ramassage des ordures, etc.
Les collectivités locales ont un rôle central à jouer. Il y a une vraie marge de manœuvre, à condition d’accepter d’adapter notre système de service public aux règles européennes. Ce sera un grand chantier, espérons-le non pour les années à venir, mais pour les prochains mois !
Le gouvernement français doit donc travailler avec les collectivités locales sur la définition des statuts des services publics, et ce dans le respect du cadre européen.
L’échec du projet de Constitution européenne, projet généralement taxé d’ultralibéralisme par ses détracteurs français, et les difficultés que rencontre actuellement le traité de Lisbonne pourraient bien, paradoxalement, venir sonner le glas de l’élaboration d’un statut unifié du service public au niveau communautaire.
Reconnaissons que le traité de Lisbonne instaure une nouvelle donne puisqu’il consacre les services d’intérêt économique général dans un protocole qui leur est dédié et qui leur confère légitimité et base légale. Sur ce point, le traité de Lisbonne améliore le traité instituant l’Union européenne. Ainsi, il confie au Parlement européen et au Conseil le soin de définir les principes qui régissent les services d’intérêt économique général.
En outre, le protocole additionnel relatif à ces mêmes services, d’une part, prévoit une disposition précisant les valeurs communes qui fondent leur fonctionnement et, d’autre part, pose le principe de subsidiarité en confirmant que les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour définir les services d’intérêt économique général ainsi que leurs missions. Cette marge d’appréciation, au demeurant, n’est pas forcément discrétionnaire, puisqu’elle reste soumise au respect du droit positif issu du traité de Rome. Elle devrait cependant permettre que soit dissipée l’insécurité juridique dans laquelle, actuellement, sont placés les États membres. Ceux-ci doivent en effet attendre les arrêts de la Cour de justice, qui – comme dans le droit anglo-saxon, d’ailleurs – statue au cas par cas.
Aujourd’hui, du fait de l’absence de législation européenne unifiée, les États membres, les entreprises et les citoyens se voient privés de toute visibilité et de toute certitude. En tout état de cause, cette situation, véritable manteau d’Arlequin, est contraire aux vœux de la France et à l’intérêt général européen.
Nous pensons, mes chers collègues, que la question des services publics appelle une réponse politique et non uniquement des solutions juridiques établies au cas par cas par la Cour de justice.
On est donc loin, bien loin du postulat de départ selon lequel le droit communautaire n’envisagerait les services publics que comme une exception au marché. Bien au contraire, s’est dégagé peu à peu un véritable corpus législatif et jurisprudentiel du « service public européen ».
Dans ce contexte, qu’attendre d’une directive horizontale sur les services d’intérêt économique général dans l’Union européenne telle que la réclame Mme Tasca dans sa proposition de résolution ?
Il semble tout d’abord que, sans modifier les principes existants, un tel instrument revêtirait une portée politique forte et dissiperait une bonne fois pour toutes les malentendus sur la place du service public dans la construction communautaire. Par ailleurs, du point de vue juridique, un tel texte aurait le mérite de la clarté, dans un environnement qui souffre, de par l’éparpillement de ses règles, d’une relative insécurité juridique.
Les avantages de cette proposition sont donc évidents ; mais ses inconvénients le sont tout autant. Une directive-cadre générale « cristalliserait », à la date de son adoption, le consensus minimal existant entre les États membres sur la question des services d’intérêt général et gommerait les différences naturelles entre les différents secteurs : elle risque, finalement, de priver les gestionnaires de services publics de la souplesse d’adaptation nécessaire à l’exécution de leurs missions.
Une démarche raisonnable consisterait, à notre avis, à concilier les contraires, de manière empirique et quotidienne. Dans ce cadre, la définition de grands principes communs précisant les lignes directrices fixées par le protocole n° 9 annexé au traité de Lisbonne prend tout son intérêt. Ces principes seraient ensuite déclinés plus précisément par le biais de trois ou quatre directives sectorielles aménageant les équilibres nécessaires et possibles selon les domaines d’activité.
Une telle vision nous semble plus réaliste et efficace ; elle permettrait d’éviter que l’on ne se contente du plus petit dénominateur commun, qui, paradoxalement, entraînerait un nivellement par le bas au regard de l’avancée de nos acquis nationaux.
L’opportunité de l’action ne fait évidemment pas débat : seule la question de la détermination de l’instrument juridique adéquat n’est pas réglée. Le débat reste ouvert, ce qui ne doit pas nous empêcher d’avancer. La solution envisagée par la commission des affaires économiques nous paraît être un bon compromis, car elle respecte les positions de chacun tout en affirmant la nécessité de l’action.
La place des services publics en Europe constitue un enjeu éminemment politique dans la perspective des prochaines élections européennes. Il est essentiel que la solidarité, la cohésion sociale, le modèle social européen, l’équilibre entre les exigences d’une économie compétitive et l’intérêt général protecteur soient au centre du débat européen. C’est une manière d’y inclure les questions relatives aux valeurs de l’Europe, à son équilibre institutionnel et à sa réalité vécue. Si elle assure aux services d’intérêt général les moyens de fonctionner, l’Union européenne sera perçue positivement. L’évolution des esprits, qui s’est notamment manifestée à l’occasion de la négociation du traité de Lisbonne, confirme que la période est favorable à de telles initiatives.
La France a, à mon avis, un rôle très particulier à jouer dans ce contexte. Notre pays, à travers l’action de ses gouvernements successifs constamment soutenus par son Parlement, est peut-être l’État membre le plus soucieux de promouvoir les services publics en Europe. Car il ne s’agit plus désormais de se contenter de les « défendre » : notre pays a dans ce domaine une tradition juridique solide et plus variée que ne le laisse paraître une certaine focalisation du débat sur les services publics nationaux à statut. Les Français peuvent aussi légitimement s’enorgueillir des succès rencontrés par leurs entreprises assumant des services publics sur le marché européen, succès que l’on constate tous les jours. Ces entreprises ont su, pour la plupart, s’adapter à la nouvelle donne communautaire afin de devenir plus performantes.
Toutefois, mes chers collègues, je pense qu’il est indispensable pour la France d’éviter toute morgue. Le service public « à la française » a sans doute ses qualités propres, mais il ne peut prétendre à l’exemplarité sur tous les points. Au contraire, il faut reconnaître que les contraintes communautaires ont permis aux services publics français de beaucoup s’améliorer et admettre qu’eux aussi peuvent apprendre des pratiques de leurs homologues.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous sommes évidemment favorables à la possibilité de mettre en place un cadre juridique stable et cohérent, capable de fournir aux services publics la pérennité nécessaire. Si les choses demeurent figées, nos services publics resteront sous le feu de la « guérilla » déterminée de la Commission et de la Cour de justice, sans aucune perspective solide de visibilité à long terme.
La position traditionnelle, qui estimait préférable en la matière de faire confiance aux seules « préférences collectives nationales », n’est plus rentable et n’est plus tenable, car l’absence de règles européennes conduit à une insécurité permanente des services publics nationaux et à une incertitude irrésolue sur les formes qu’ils peuvent revêtir à l’avenir. L’urgence est donc de donner un contenu au « marché intérieur social » en s’inspirant des principes de loyauté, de transparence, d’universalité et d’égalité qui forment l’essence de nos services publics.
Sous les réserves que j’ai exprimées, mes collègues du groupe UMP et moi-même voterons cette proposition de résolution modifiée par les amendements proposés par le rapporteur de la commission des affaires économiques, parce que nous partageons son objectif et son ambition.