… pour exclure de cette directive certains services sociaux sous certaines conditions et faire ainsi reculer la Commission européenne sur ce point.
Parmi ces conditions, mes chers collègues, la plus essentielle impose au prestataire gérant un SSIEG d’être « mandaté » par la puissance publique.
Pour les services sociaux, cette obligation de mandatement pose des problèmes considérables.
Soulignons tout d’abord qu’une approche exclusivement fondée sur la commande publique méconnaît le fait que, le plus souvent, la puissance publique n’est pas à l’origine d’une « demande » : ce sont les associations qui la créent, ce sont elles qui proposent un service, lequel est ensuite éventuellement repris par l’État ou les collectivités locales ; je pense notamment aux soins aux SDF, à la petite enfance, aux services ou aux soins apportés aux personnes âgées.
Dans la notion de mandatement, l’initiative est inversée, à rebours de la réalité sociale. Au fond, l’initiative publique n’est pas l’alpha et l’oméga en matière de services sociaux, on le sait bien. L’initiative associative soutenue par les pouvoirs publics est souvent tout aussi efficace, si ce n’est davantage.
L’épineuse question du mandatement pose aussi la question du contrôle du financement des fonds publics engagés. En effet, au vu des règles extrêmement complexes, pour ne pas dire déroutantes, à la fois de la Cour – arrêt Altmark de 2003 – et de la Commission – paquet Monti-Kroes –, il semble impossible pour un prestataire de service social normalement constitué de les comprendre, de les appliquer et donc, en définitive, d’être exempté de l’obligation de notification pour aide d’État à la Commission européenne.
Permettez-moi de prendre un exemple afin d’illustrer le caractère « kafkaïen » des preuves que doit apporter le prestataire. Celui-ci doit démontrer que la compensation de service public reçue n’affecte en rien le bon équilibre du « marché » au sein duquel il intervient et que cette compensation correspond strictement au coût moyen de ce service, ce que la Cour a si poétiquement appelé « une entreprise moyenne bien gérée et adéquatement équipée ».
On peut s’interroger sur le sens d’une telle formule. Qu’est-ce qu’une entreprise moyenne bien gérée et adéquatement équipée ? Les interprétations les plus diverses peuvent être avancées.
Dans ces conditions, on ne comprend que trop la difficulté que rencontrent les acteurs sociaux, qui sont souvent de petites entités, pour appréhender des règles de financement d’une telle complexité.
En définitive, mes chers collègues, nous avons, d’un côté, des tentatives récurrentes de libéraliser globalement par la législation le secteur des services ; de l’autre, une volonté jamais démentie de maintenir le secteur des services sociaux dans une situation de flou juridique préjudiciable à son bon fonctionnement. Il y a donc bien de la part de la Commission européenne une grande réticence à donner aux services publics le statut juridique dérogatoire dont ils ont pourtant le plus grand besoin.
Il est vrai que depuis bientôt cinq ans, José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, a abîmé l’idée européenne en l’associant systématiquement à la dérégulation économique et sociale, dont la directive Bolkestein a été le symbole, tout comme le projet, fort heureusement avorté, de directive « temps de travail » qui ouvrait la possibilité d’étendre la durée de travail hebdomadaire jusqu’à soixante-cinq heures par semaine.
C’est donc en toute logique qu’en novembre 2007, M. Barroso a décidé de ne pas présenter de directive sur la question des services publics. Mais c’est aussi en toute logique que nous socialistes condamnons très fermement cette position.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me dois également de souligner que la présidence française n’a guère apporté d’avancée significative sur ce dossier. Celle-ci n’a en effet pas donné l’impulsion décisive que beaucoup attendaient. Jacques Toubon lui-même avait estimé que la présidence française constituait « une fenêtre de tir à ne pas manquer » et qu’« il fallait aboutir à un cadre juridique pour les services sociaux d’intérêt général ». On attend toujours !
Vous l’aurez compris, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, fort de ce que je viens de rappeler, on ne comprend que trop la nécessité pour la future Commission, qu’on espère renouvelée, de se saisir d’urgence du dossier des services publics et de légiférer.
Comme le rappelle le parti socialiste européen dans son « manifesto » pour les élections européennes de juin, un instrument législatif européen est devenu une condition sine qua non pour l’avenir des services sociaux et des services publics en général.
Le renouvellement du Parlement européen dans quelques semaines devrait permettre, je l’espère, de débloquer cette situation et de conférer enfin aux services publics en France et en Europe un cadre juridique spécifique pour assurer la pérennité de leurs missions d’intérêt public.
Monsieur le secrétaire d’État, en ce sens, nous ne pouvons bien évidemment que souscrire à la sage proposition de résolution qui nous est présentée par Mme Catherine Tasca. Il y va en effet de l’impérieuse nécessité de sécuriser celles et ceux qui sont les victimes de la crise que nous traversons actuellement, et qui ne peut être résolue uniquement dans le cadre aujourd’hui trop étroit des différentes nations constituant l’Union européenne.
C’est bien une autre logique politique dans le domaine des services que nous préconisons de mettre en œuvre. C’est une décision urgente, une décision politique que doivent prendre sans plus attendre les autorités compétentes de l’Union.