C’est avec un sentiment de colère et de profonde frustration, monsieur le secrétaire d'État, que je m’adresse à vous aujourd’hui, au nom de notre assemblée.
Sentiment de colère, profonde et légitime, parce que le Gouvernement ou les fonctionnaires qui le représentent à Bruxelles n’ont tenu aucun compte de la résolution européenne adoptée par le Sénat le 17 novembre dernier sur la sixième directive anti-discrimination en cours de discussion au Conseil.
Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, de vous faire mesurer la réalité et l’ampleur du déni dont la volonté du Sénat a fait l’objet.
Nous avons demandé aux autorités françaises qui nous représentent à Bruxelles de veiller à obtenir une modification de l’article 2 de la directive, qui, en l’état actuel de sa rédaction, remet en cause l’égalité des citoyens devant la loi, principe fondamental de notre République, vous en conviendrez.
Le 21 novembre dernier, lors de la réunion du Conseil consacrée aux questions sociales, les autorités françaises, qui présidaient alors l’Union, ont présenté plusieurs amendements sur cet article, mais elles n’ont même pas évoqué notre résolution : elles ont tout simplement ignoré la position du Sénat.
Notre résolution demandait également que les définitions européennes de la discrimination directe, de la discrimination indirecte et du harcèlement soient révisées.
Lors de la même réunion du Conseil, la France a soumis aux États membres l’examen de ces définitions, mais les arguments de la résolution ont été passés sous silence : les autorités françaises ont, là encore, complètement ignoré la position du Sénat.
Concernant la lutte contre les discriminations envers les personnes handicapées, notre résolution soulignait le risque d’insécurité juridique inacceptable contenu dans la notion d’ « aménagement raisonnable ».
Lors d’une réunion ultérieure du Conseil, le 27 novembre, la présidence française a présenté plusieurs amendements concernant ce problème, mais aucun ne prenait en compte notre résolution : les autorités françaises ont, une troisième fois, ignoré la position du Sénat.
Enfin, nous avons mis en évidence le fait que la proposition de directive peut avoir des répercussions sur le droit d’accès des couples homosexuels à la procréation médicalement assistée. Nous avons solennellement rappelé que seuls les parlements nationaux, étant donné la complexité et la sensibilité du sujet, ont la légitimité démocratique nécessaire pour se prononcer sur cette question. À aucun moment, ni au cours du débat sur l’article en cause ni lors de la discussion des conclusions sur les travaux accomplis pendant la présidence, les autorités françaises n’ont fait valoir le problème devant le Conseil : elles ont – faut-il le dire une fois de plus, puisqu’il s’agit manifestement d’une habitude ? – ignoré la position du Sénat.
Le mépris systématique de la volonté du législateur me conduit à vous poser une question simple, monsieur le secrétaire d'État.
Si les autorités françaises ne se sentent absolument pas liées par les résolutions que le Parlement leur adresse, si elles n’ont que faire de la volonté du Parlement, sans lequel elles n’ont pourtant aucune légitimité, qu’on le dise clairement ! Qu’il soit dit clairement qu’en matière communautaire le Parlement est une chambre d’enregistrement et que les résolutions européennes qu’il adopte ne servent à rien !
Je le crois profondément, c’est en agissant ainsi, c’est en ignorant totalement les volontés des populations qui s’expriment à travers leurs représentants qu’on éloigne l’Europe des peuples qui la composent, qu’on rend l’Europe impopulaire, qu’on rend l’Europe antidémocratique.
Si des sénateurs membres de tous les groupes politiques sont à l’origine de cette résolution, si celle-ci a fait l’objet d’un consensus quasi unanime, c’est bien parce qu’elle vise, face à une directive d’inspiration ouvertement communautariste, à défendre notre patrimoine commun, notre modèle républicain, selon lequel la lutte contre les discriminations passe par la reconnaissance d’une égalité de tous les hommes, indépendamment de leur origine, de leur sexe ou de leur couleur de peau, et non par la création de communautés auxquelles seraient octroyés des droits particuliers.
La présidence française était une occasion unique de promouvoir, avec ces États membres, auprès de tous nos partenaires européens, une autre manière de lutter contre les discriminations, une manière plus ouverte, plus respectueuse de notre conception républicaine de l’égalité, plus fidèle à l’héritage des Lumières. Cette occasion, les autorités françaises à Bruxelles l’ont gâchée.
Je n’imagine pas que, s’agissant d’un sujet aussi important, à savoir la lutte contre toutes les formes de discrimination, les autorités françaises ne s’engagent pas fermement pour défendre et promouvoir nos valeurs républicaines et méprisent plus longtemps la volonté de leur Parlement.