Intervention de Jean Desessard

Réunion du 23 juin 2011 à 15h00
Bioéthique — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte issu de la commission mixte paritaire ne comporte aucune surprise : la messe était écrite avant même que nous nous réunissions !

Le seul point positif de ce texte est le maintien de la clause de révision. Encore ne s’agit-il que d’une piètre avancée, puisque nous passons d’une révision tous les cinq ans à une révision tous les sept ans…

Au cours de la deuxième lecture comme durant les travaux de la commission mixte paritaire, les tabous et conservatismes, que nous étions d’abord parvenus à mettre de côté, ont finalement ressurgi. Chassez le naturel, il revient au galop ! On peut se demander quel serait le sort réservé aujourd'hui aux projets de loi Neuwirth ou Veil...

Pour conclure l’examen de ce texte, je dessinerai les contours de ce que serait, pour les écologistes, une loi de bioéthique véritablement ambitieuse.

Nous nourrissions de nombreuses espérances à l’issue de la première lecture, mais la deuxième lecture nous a profondément déçus. De fait, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi fait peu de cas des libertés individuelles.

Le droit à disposer de son corps n’est pas renforcé. Il est de plus en plus difficile, on le sait, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse, une IVG : les centres pratiquant l’IVG ferment et les médecins formés à la pratique de cette opération sont de moins en moins nombreux. Or le présent projet de loi rend encore plus complexe le recours à l’interruption médicale de grossesse.

Le droit à mourir dans la dignité n’a pas été instauré. Je déplore ce manque de considération pour les dernières volontés des personnes en fin de vie. Vous le savez, je suis de ceux qui pensent que c’est dans l’illégalité que sont commis les abus. Je considère que la légalisation de l’aide médicalisée à mourir relève du droit fondamental qu’a chaque être humain de décider de sa propre vie.

Inutile de se cacher derrière un hypothétique développement des soins palliatifs : votre « grand plan », madame la secrétaire d'État, est loin d’être une réussite. Du reste, quand bien même les unités de soins palliatifs seraient en nombre suffisant sur l’ensemble du territoire, cela ne nous empêcherait pas d’autoriser les personnes en fin de vie à mourir si elles le souhaitent. Le développement des soins palliatifs et l’affirmation d’un droit à mourir dans la dignité sont complémentaires.

Le droit à ce que soient respectées, après leur mort, les volontés qu’ont exprimées les personnes relativement au don d’organes, ne vous a pas non plus convaincus, mes chers collègues. Je ne comprends pas pourquoi la création d’un fichier positif du don d’organes, opposable aux décisions de la famille, serait un problème. En effet, notre pays manquant cruellement de greffons, nous avons besoin d’une politique volontariste d’information et de promotion du don d’organes après la mort.

Les écologistes sont également déçus et choqués par le choix qu’a fait la majorité de maintenir un certain nombre de discriminations liées à l’orientation sexuelle.

Alors que nous sommes désormais au XXIe siècle, vous persistez à empêcher des hommes d’accomplir cet acte citoyen qu’est le don de sang au seul motif qu’ils ont des rapports sexuels avec d’autres hommes. Cette interdiction me semble archaïque, humiliante, insultante et stigmatisante pour les homosexuels masculins.

Les couples de femmes ne sont pas épargnés. En effet, vous avez refusé d’ouvrir l’assistance médicale à la procréation aux couples infertiles socialement. Quand accepterez-vous que l’homoparentalité est une réalité, et que les « bébés Thalys » ne sont qu’une solution par défaut, retenue parce que le législateur français refuse de regarder la société telle qu’elle est ? Alors qu’une femme célibataire peut adopter un enfant, comment justifier que les couples de femmes et les femmes seules se voient refuser l’accès à l’assistance médicale à la procréation ?

Nous sommes également déçus de constater que des tabous prévalent sur l’intérêt supérieur des enfants nés à l’étranger au moyen d’une GPA. Il est indécent de faire peser sur des enfants le choix qu’ont fait leurs parents de recourir à cette technique. Combien de temps allons-nous laisser sans papiers, juridiquement orphelins, des enfants de couples français vivant en France mais n’en possédant pas la nationalité ?

Les écologistes sont très attachés au respect de l’autonomie des personnes. Nous souhaitons donc que chacun puisse décider par lui-même, en connaissance de cause, en fonction des choix offerts par la science.

Nos concitoyens le savent bien : ouvrir des possibilités n’a jamais obligé quiconque à les mettre en œuvre. Permettre le diagnostic prénatal n’obligera personne à procéder à une interruption médicale de grossesse ; accepter l’euthanasie n’empêchera personne de préférer les soins palliatifs ; autoriser des couples homosexuels à mener à son terme leur projet parental n’empêchera pas les couples hétérosexuels d’en faire autant. Enfin, je ne vois pas en quoi la nationalisation d’enfants de parents français vous dérange…

Après avoir évoqué ces aspects « sociétaux », j’aimerais maintenant aborder la recherche sur l’embryon. Les écologistes souhaitent que nous sortions de l’actuel régime d’hypocrisie en autorisant une recherche encadrée. La loi se doit d’être lisible et intelligible.

Depuis 2004, 90 % des demandes d’autorisation ont reçu une réponse favorable de l’Agence de la biomédecine. L’interdiction relève surtout d’une sémantique visant à satisfaire les lobbies. Se cacher derrière ce terme tout en y dérogeant la plupart du temps est à mon sens irresponsable et trompeur. Voilà qui en dit long sur les influences qui pèsent sur la législation en matière de bioéthique…

Durant l’examen du présent projet de loi, vous avez également tenté de vous en prendre aux prérogatives des citoyens et de la représentation nationale.

Depuis 1994, il appartient au Parlement d’édicter les règles en matière de bioéthique. La parole citoyenne ne doit pas être laissée de côté ; celle des « experts » doit être pesée et évaluée. Du reste, on ne peut pas véritablement parler d’ « experts en éthique » : il faut surtout prendre en compte l’expérience de terrain, le témoignage du citoyen, pour encadrer, anticiper ou suivre les évolutions des mœurs, de la société, de la recherche.

Nous devons aussi respecter la clause de révision, car le progrès technique avance souvent plus vite que le droit, qui est pourtant censé l’encadrer.

Les écologistes, je l’affirme de nouveau, sont attachés à ce que les décisions soient prises démocratiquement, c'est-à-dire par la représentation nationale ou par le peuple.

En outre, le recours à de « pseudo-experts » pose parfois le problème de leur manque d’indépendance. La prévention n’est jamais excessive, s'agissant de conflits d’intérêts.

En réalité, c’est toute la déontologie de la vie publique qu’il convient de remettre à plat.

De fait, le propre des gouvernements néolibéraux est de prévoir des règles de santé favorables à des intérêts commerciaux. Progressivement, l’État se désengage du domaine de la santé – je pense que le projet de loi sur la dépendance en constituera encore une illustration saisissante –, laissant la place au secteur privé, qui s’y immisce petit à petit. Les entreprises pharmaceutiques sont cotées en bourse. La recherche publique est appauvrie et obligée de recourir à des fonds privés, si bien que ce sont les mêmes personnes qui développent une molécule et la jugent en vue de sa commercialisation.

Je m’en tiens là, mais je répète que des risques de dérives, dont il est essentiel de se prémunir, existent.

En résumé, l’approche écologiste de la bioéthique est fondée sur trois exigences : s’assurer que les citoyens puissent faire des choix libres et éclairés pour ce qui concerne leur vie et leur corps ; encadrer et accompagner les évolutions de la société et de la technique, de manière éthique et sans hypocrisie ; garantir l’indépendance des acteurs du secteur de la santé et de la thérapeutique.

C’est à cela que le législateur écologiste aspire : dépasser les tabous qui sclérosent la société et reconnaître aux citoyens les libertés auxquelles ils ont droit.

À ceux qui nous tiennent pour des utopistes, je répondrai que nous sommes pragmatiques : il est plus aisé de contrôler l’assistance médicale à la procréation dont veulent bénéficier certaines femmes sur notre territoire, plutôt que de les forcer à y recourir en Belgique ou aux Pays-Bas ; il est plus commode d’aider une personne en fin de vie sur notre territoire, plutôt que de la contraindre à se rendre en Suisse ; il est plus sain de permettre à des enfants issus d’une GPA de se construire une véritable identité sur notre territoire, plutôt que de leur opposer un rejet administratif.

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