Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai quasiment pas sur la commission mixte paritaire, puisque le rapporteur, ainsi que mes collègues qui m’ont précédée, l’ont fait avec précision. Je le ferai d’autant moins que les points alors soumis à notre appréciation étaient finalement périphériques, le cœur du texte ayant été rendu intouchable par le Gouvernement. De cette coquille vide, malgré les quelques précisions apportées, le tour est vite fait.
Nous sommes maintenant parvenus au vote du projet de loi qui nous est soumis et je souhaite, à mon tour, vous rappeler les raisons pour lesquelles les membres du groupe socialiste se prononceront contre.
S’il s’est révélé être l’un des plus passionnants dont nous ayons eu à débattre au cours de cette législature, ce texte est aussi l’un des plus décevants, eu égard à ses conclusions. Son examen a montré à quel point une certaine droite, plus réactionnaire que conservatrice, même si elle n’a guère de prise sur notre société, pèse encore sur les décisions du Gouvernement : de l’interdiction de la recherche sur l’embryon au rejet de la prise en compte de la stérilité sociale, la peur et l’ostracisme l’ont finalement emporté.
Ces remarques, je le sais, ne sont pas faciles à entendre, mais la plupart des progressistes de cette assemblée, quelle que soit leur appartenance politique, ont multiplié les précautions oratoires et affiché leur respect des orientations philosophiques différentes, comme des interdits religieux, propres à chaque orateur. Ils ont bien souvent étaient frappés d’anathème par ceux pour lesquels recherche et avancée de la science du vivant sont synonymes respectivement de transgression et de déshumanisation.
Accusation d’eugénisme, procès en sorcellerie fait aux chercheurs, culpabilisation des femmes, refus de l’accès à la parentalité pour les couples homosexuels…. En entendant certains de mes collègues de la majorité gouvernementale, j’ai constaté qu’ils se sont fait l’écho des affrontements qui se sont déroulés dans ce même hémicycle au moment des débats sur la contraception et l’IVG, voilà presque un demi-siècle.
Je suis d’autant plus déçue, face à ce texte régressif et fermé, qu’il eût pu en être tout autrement. Il est à l’honneur du Sénat et de la commission des affaires sociales de l’avoir fait évoluer, notamment à l’issue de la première lecture, vers l’ouverture et la modération. Et certains de nos collègues, siégeant à droite de cet hémicycle, ont eu le cran de préférer leurs convictions à la soumission exigée par le Gouvernement. À cet égard, je veux saluer, notamment, le courage politique de notre rapporteur, Alain Milon, et de la présidente de la commission, Muguette Dini. Mais je le fais
Lors de la première lecture, Xavier Bertrand n’avait pas manqué de déclarer en séance qu’il ferait revenir l’Assemblée nationale sur chacune des avancées apportées par les sénateurs. C’est chose faite. Mais à quel prix !
En érigeant la méfiance face à la science et la suspicion à l’égard des chercheurs en horizon indépassable, vous transformez la recherche en transgression. En préférant les interdits symboliques aux recherches encadrées et contrôlées, vous assimilez le progrès scientifique à une dégénérescence morale.
C’est vite oublier que la proposition d’autoriser les recherches sur les cellules embryonnaires était assortie de garde-fous juridiques et éthiques. C’est faire fi de l’attention portée au respect de la dignité humaine, comme de la non-marchandisation du vivant, principes prônés tant par les partisans de cette évolution que par les chercheurs eux-mêmes.
S’il est vrai que, sur ces sujets, les bénéfices attendus de la science et les dangers potentiels d’une mauvaise utilisation suscitent une réelle tension, l’interdit érigé en dogme ne changera pas la donne : il ferme juste la porte à une recherche raisonnée et laisse entendre à toutes ces familles qui attendent des avancées dont dépend l’avenir de leurs enfants que leur demande est illégitime !
Comprenez-moi bien, personne dans cette enceinte ne considère les cellules souches de l’embryon comme un simple matériel biologique que l’on pourrait allègrement exploiter. C’est d’ailleurs parce que ce point fait consensus que ce type de recherche doit être fortement encadré.
Pour autant, ceux qui sanctifient un groupement de six cellules, parce qu’il possède le matériel génétique pour en faire un embryon potentiellement viable, semblent épuiser, dans cette défense acharnée, toute leur compassion. Il ne leur reste plus guère d’empathie pour les enfants malades, les parents désespérés et les familles en souffrance.
Supporter l’épreuve et prendre les coups du sort avec la résignation des humbles, voilà le destin du genre humain et, pour certains, vouloir le changer, c’est s’opposer à la condition de l’espèce.
Cela n’est pas clairement dit, mais le refus de la recherche sur les cellules souches embryonnaires et du bébé du double espoir, ou encore les attaques portées à l’encontre du diagnostic préimplantatoire le sous-entendent.
Or rien de ce qui est humain ne devrait nous être étranger et si, en ce domaine, la recherche a un sens, c’est bien pour soulager, guérir et redonner un avenir à ceux que la maladie condamne, pour rendre espoir à ceux que la douleur torture, pour faire reculer la mort et la souffrance.
Mes chers collègues, je me sens plus proche de ces familles en détresse, de ces enfants en sursis que des raisonnements apocalyptiques faisant de la quête de connaissance de l’humanité l’instrument de sa perte.
Autre refus dommageable à mes yeux, celui de prendre en compte l’existence de la stérilité sociale. Les couples homosexuels sont exclus de l’accès à la parentalité. Le raisonnement des opposants à cette demande formulée par une partie de notre société est basique : la nature n’a pas voulu que ces couples puissent enfanter. Remédier à cette situation par la science serait également toucher aux fondamentaux de l’espèce.
L’intérêt de l’enfant, brandi pour justifier cet interdit, n’est finalement qu’un faux nez. En réalité, il s’agit d’une forme de moralisme étriqué et de « bien-pensance » médiocre. De l’humanité à chaque phrase, mais peu de compassion pour qui ne rentre pas dans le moule, voilà les conséquences de l’attitude du législateur lorsqu’il s’autorise à faire prévaloir les principes religieux sur toute autre considération !
Mais, quelles que soient nos convictions religieuses ou philosophiques, notre intime compréhension nous conduit à affirmer qu’il existe, en matière de recherche, un « champ des possibles » à explorer. Le refuser, laisser cette porte fermée et nos peurs dominer notre conscient, voire notre conscience, revient, d’abord, à abandonner ceux et celles qui ont juste besoin d’espoir et, ensuite, à nous renier en tant que collectivité de droit et de progrès.
Mes chers collègues, c’est précisément ce que vous allez faire si vous adoptez le présent texte, mais ce sera sans les voix des socialistes.