Ce texte constitue une illustration d’un travail exemplaire d’élaboration d’un texte législatif. Le Gouvernement a voulu que s’ouvre un large débat sociétal dans l’ensemble de nos institutions, du Comité consultatif national d’éthique au Conseil d’État, en passant notamment par l’Agence de la biomédecine et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques. Vous-même, madame la présidente de la commission, vous avez sollicité le président Larcher, car vous vouliez organiser les Rencontres de la bioéthique, ce dont je vous remercie. Ces rencontres se sont tenues bien en amont de ce débat, avec, pour objectif, de permettre un questionnement mutuel sur les enjeux anthropologiques, scientifiques et juridiques qui allaient nous être présentés.
C’est au fil de ces débats préparatoires au présent texte, au fil de quelques très belles rencontres que j’ai réussi à forger les arguments de nature scientifique et juridique que j’ai ensuite exposés devant cette assemblée. Cette démonstration, j’ai appris à la construire au gré d’entretiens avec des personnes dont je ne partageais pas toujours les points de vue. Je pense, par exemple, au professeur Claude Sureau ou au professeur Jean-Claude Ameisen, membres du Comité consultatif national d’éthique. À l’Académie de médecine, j’ai assisté à un débat avec Michel Serres qui m’a bouleversée. J’ai entendu le gynécologue qui ouvrait les Rencontres sur le diagnostic prénatal et préimplantatoire faire part de sa difficulté à trancher sur ce sujet. Car si vingt-cinq centimètres seulement séparent la tête du cœur, le chemin est quelquefois long et lent pour prendre, avec son cœur, une décision juste face à certaines familles. Cela demande, nous a-t-il dit, de faire preuve de beaucoup de conscience et d’agir avec un esprit de responsabilité.
Signataire de 122 amendements, dont 82 en mon nom et 40 déposés avec d’autres collègues, je me réjouis que, à l’issue de ce débat, 45 d’entre eux aient été adoptés.
Je suis parvenue au terme d’un combat que j’ai mené pendant sept ans. Ce combat, je l’ai livré pour un déchet opératoire qui s’appelait alors le sang de cordon ombilical. Grâce à vous, madame la secrétaire d'État, il est désormais devenu une ressource thérapeutique. Je dois vraiment remercier le Parlement et l’ensemble de mes collègues qui m’ont soutenue.
Force m’est néanmoins de dire que ce texte comporte, madame la secrétaire d'État, un certain nombre d’articles auxquels je ne peux vraiment souscrire. Ai-je une vision étriquée, une vision bornée ? Suis-je sans compassion ? Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que je viens dans cette assemblée avec mes convictions. Comme chacun d’entre vous, je viens aussi avec mes blessures, avec ce que j’ai vécu et ce que je n’ai pas vécu. Et je considère que la vie est effectivement un don. Vous, monsieur le président, vous êtes pour moi un mystère. Au-delà d’une unité corporelle qui me fait face et à laquelle je suis en train de parler, vous êtes une personne qui porte quelque chose d’indescriptible et que je ne pourrai jamais atteindre. Et cette personne, elle se constitue dès la cellule initiale que forme l’embryon.
C'est la raison pour laquelle je ne peux admettre malgré tout, malgré l’interdiction qui est posée, la définition retenue à l’article 23 relative à la recherche sur l’embryon telle que nous l’avons acceptée, d’autant qu’elle fait passer du progrès thérapeutique au progrès médical. J’y vois un paradoxe puisque, lorsque nous aborderons le dossier du Médiator, par exemple, nous allons proposer de réintroduire la notion de progrès thérapeutique.
Quant aux embryons surnuméraires, en 2004, il avait été annoncé que, en cas de vitrification ovocytaire, on en limiterait le nombre, voire on les supprimerait. Or, madame la secrétaire d'État, vous n’avez pas introduit cette disposition dans le présent texte, ce que je ne puis accepter.
Enfin, les mesures concernant le diagnostic prénatal ont été modifiées par l’amendement que nous avons cosigné et qui a été porté par Anne-Marie Payet et aux termes duquel le diagnostic prénatal doit désormais être adapté à chaque situation. Oui, tel doit bien être le cas. Car vous le savez, monsieur le rapporteur, certains accueillent le handicap avec beaucoup de compassion et d’amour, l’acceptent et le vivent au quotidien.
À ce propos, je parlais hier avec Mme Dini d’un livre qui vient de sortir sous le titre Deux petits pas sur le sable mouillé. Son auteur, Anne Dauphine Julliand, y raconte comment, en regardant sa fille sur la plage, elle s’est aperçue qu’elle marchait mal. Elle a par la suite appris que son enfant était atteint d’une maladie neurologique dégénérative et qu’elle-même, alors enceinte, était porteuse de la même maladie.
Elle conclut ce livre ainsi : « Ça m’a fait l’effet d’une bombe aveuglante [au moment de sa mort]. Sans un mouvement et sans un mot, Thaïs me livre un secret, le plus beau, le plus convoité : l’Amour, celui avec une majuscule. »
Elle poursuit, notant cependant s’être battue : « Je n’ai pas compris que c’était elle mon professeur d’amour. Pendant ces mois passés auprès d’elle, je n’ai pas compris, parce que, en fait, à bien y réfléchir, je ne connais pas grand-chose à l’amour, le vrai. […]
« L’amour de Thaïs ne s’impose pas, il s’expose. […] Bien sûr, ceux qui regardent ça de loin peuvent railler, mépriser, repousser cette fragilité. Mais ceux qui s’approchent, qui se penchent, qui cherchent à accompagner, ceux-là perçoivent comme moi que cette vulnérabilité n’appelle qu’une réponse, l’amour. »
Madame la secrétaire d’État, je ne pourrais approuver votre texte, pour les raisons que je viens d’exposer.