Intervention de Michel Mercier

Réunion du 29 mars 2011 à 14h30
Simplification et amélioration de la qualité du droit — Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture

Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, Montaigne, déjà, notait que « nous avons en France plus de lois que le reste du monde ensemble, et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Épicure ».

L’inflation législative, l’empilement de textes, que dénoncent depuis plusieurs années le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, mais également l’ensemble de la représentation nationale, est donc un mal ancien. Nous avons déjà eu l’occasion, en première lecture, d’évoquer les méfaits de l’inflation législative.

Cette évolution tient notamment à la diversification et à la multiplication des sources du droit : je pense en particulier au développement du droit international, qu’il s’agisse des conventions internationales, multilatérales ou bilatérales, et au foisonnement du droit européen, directives et règlements communautaires étant, directement ou indirectement, créateurs de règles nouvelles en droit interne.

Mais ce qui doit véritablement nous préoccuper, ce sont les conséquences de cette situation.

Dans son rapport de 1991, le Conseil d’État soulignait que « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ». Des lois trop nombreuses, ce sont des lois moins légitimes.

En outre, les modifications législatives successives, dans tous les domaines du droit, aboutissent à un enchevêtrement de textes à la cohérence parfois incertaine, et donc à une insécurité juridique.

Plus fondamentalement, la loi peut-elle encore protéger le faible, garantir la compétitivité de nos entreprises lorsqu’elle est aussi complexe et instable ?

Il est donc de notre devoir de respecter l’objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

La proposition de loi dont nous allons aujourd’hui achever l’examen est la troisième initiative parlementaire de cette législature en matière de simplification du droit. Elle répond à un objectif auquel le Gouvernement s’associe pleinement, celui de rendre le droit plus cohérent, plus clair et plus lisible.

Les deux précédents textes de cette nature, devenus la loi du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit et la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures, ont permis d’abroger un grand nombre de textes désuets, d’améliorer la rédaction de lois restant en vigueur, de simplifier des démarches administratives.

Dans le texte soumis aujourd’hui à votre examen, 71 articles restent en discussion, l’Assemblée nationale en ayant voté 136 dans les mêmes termes que le Sénat.

Sur plusieurs points, des désaccords subsistent entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et la Haute Assemblée.

J’exposerai rapidement les principaux amendements que j’ai déposés au nom du Gouvernement, ce texte se caractérisant par sa dimension transversale et concernant directement la quasi-totalité des ministères.

Tout d’abord, le Gouvernement souhaite que les dispositions relatives aux fichiers de souveraineté – fichiers de police, de gendarmerie ou des douanes – soient rapidement inscrites dans la loi.

Je rappelle que les articles en cause tendent à mieux encadrer la création de ces fichiers, afin de garantir les libertés tout en assurant à nos concitoyens la sécurité à laquelle ils aspirent légitimement. Ils visent aussi à étendre les pouvoirs de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, en prévoyant la création en son sein d’une formation spécialisée chargée de ces fichiers. Ils ont enfin pour objet de renforcer l’efficacité du contrôle des fichiers d’antécédents judiciaires par le procureur de la République.

C’est pourquoi cette proposition de loi est, de l’avis du Gouvernement, le véhicule législatif le plus adéquat, sans que cette appréciation mette en cause la qualité du travail effectué par le Sénat sur la proposition de loi de Mme Escoffier et de M. Détraigne.

Par ailleurs, je souhaite mettre en exergue l’article 8 du texte, supprimé par la commission des lois du Sénat et qui tendait à prévoir la possibilité d’organiser des « consultations ouvertes », afin d’associer plus largement les citoyens aux décisions des autorités administratives. Celles-ci auraient la faculté de choisir entre la consultation traditionnelle de la commission compétente et le recours à un dispositif permettant aux « parties prenantes », selon la formulation européenne, de s’exprimer. L’Organisation de coopération et de développement économiques – l’OCDE – a d’ailleurs souligné, dans des rapports concernant notamment la France, le caractère souvent trop formel de nos consultations, et nous encourage à ouvrir ces dernières au plus grand nombre. Pour autant, cette faculté n’empêcherait pas l’autorité administrative de combiner les deux modes de consultation si elle le souhaite. C’est pourquoi je défendrai un amendement visant à rétablir ce dispositif souple et peu contraignant.

Le Gouvernement propose également que, à compter de la promulgation de la loi, toute nouvelle disposition législative prévoyant la remise régulière par le Gouvernement d’un rapport au Parlement soit abrogée au terme d’un délai de cinq ans. Cette disposition s’inscrit dans la continuité de l’article 80 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, qui avait supprimé quatre-vingt-dix-huit obligations de dépôt de rapport. Elle crée une règle pérenne pour l’avenir, les rapports demandés antérieurement à la publication de la loi devant pour leur part faire l’objet d’une suppression législative particulière, si leur production est devenue inutile.

En outre, la commission des lois du Sénat a rétabli la disposition visant à étendre au partenaire lié par un pacte civil de solidarité les dispositions de l’article 79 du code civil, qui imposent l’énonciation, dans l’acte de décès, des « prénoms et nom de l’autre époux, si la personne décédée était mariée, veuve ou divorcée ».

Les dispositions prévues par l’article 79 du code civil ont pour objet de faciliter le règlement de la succession du défunt, le conjoint survivant ayant la qualité d’héritier légal. Tel n’est pas le cas pour les couples unis par un PACS, au sein desquels le partenaire survivant n’a pas de vocation successorale légale. Il n’est donc pas utile ni opportun de compléter l’article 79 du code civil.

Enfin, le Gouvernement propose d’aligner sur le droit commun les modalités de paiement des congés payés des salariés pour lesquels les employeurs recourent au chèque emploi associatif, le CEA. La rédaction adoptée par la commission des lois apparaît devoir être source d’une trop grande complexité pour les associations employeurs, alors même que le dispositif du CEA est fait pour leur simplifier l’embauche.

De surcroît, un tel dispositif n’est pas conforme au droit communautaire, en application duquel la période minimale de congés annuels payés ne peut pas être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. L’alignement proposé sur le système de droit commun est le moyen le plus simple et le plus juste de gérer les congés payés, pour les employeurs, et d’assurer l’effectivité des droits à congés des salariés. C’est pourquoi le Gouvernement propose au Sénat de modifier l’article 25.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le chantier de l’amélioration de la qualité de la loi retient toute l’attention du Gouvernement. Il est vaste et il exige de chacun d’entre nous une grande vigilance : on le sait, les modifications, même formelles, des règles de droit ne sont pas sans conséquences. Au moment où s’engagent nos débats, gardons tous à la mémoire que la qualité de la loi est le gage de sa légitimité, et donc de sa pleine effectivité.

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