Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 29 mars 2011 à 14h30
Simplification et amélioration de la qualité du droit — Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Ce sont d’ailleurs ces dernières qui appellent la multiplication des textes sécuritaires, marquée par les errements encore mis en exergue voilà quelques semaines par le Conseil constitutionnel, qui a censuré des articles de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, sur lesquels nous avions été nombreux ici à appeler l’attention du Gouvernement et de nos collègues de la majorité : je pense, par exemple, à l’article 18, relatif à la vidéosurveillance.

Cette quête effrénée de la simplification aboutit même parfois à renforcer l’insécurité juridique.

Voyez, à cet égard, la dématérialisation des circulaires, dont la force probante était censée être acquise depuis le 1er mai 2009 par leur publication sur le site officiel circulaires.gouv.fr. Or le décret organisant cette publication était si mal rédigé que le Conseil d’État a jugé, dans un arrêt du 23 février dernier, que devaient être considérées comme abrogées toutes les circulaires antérieures non reprises sur le site, sans qu’une publication ultérieure ne puisse purger cette irrégularité.

Améliorer le droit en alourdissant les textes n’est certainement pas une bonne méthode légistique, pas plus que voter un texte comme celui-ci, modifiant à lui seul des dizaines de codes.

Nous ne nous opposons pas à l’ensemble des articles de cette proposition de loi, dont certaines dispositions prises isolément constituent de réels progrès. Mais soyons clairs : bien malin le citoyen lambda qui, se fiant à l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité du droit, pourra s’y retrouver dans ce capharnaüm législatif de plus de deux cents articles…

Sans doute faudra-t-il un jour en venir à la méthode que préconise notre collègue Hervé Maurey, à savoir discuter chaque année d’une loi de simplification sectorielle, en prenant le temps d’effectuer le travail d’analyse requis.

Nous en sommes, hélas ! encore loin. Nous pouvons ainsi relever que nombre de dispositions de ce texte ont un intérêt plus que limité : actualisation de terminologie, coordinations, suppression de références devenues inutiles. Si certaines de ces dispositions sont utiles sur le plan juridique, nous ne pensons pas qu’elles méritent que soit ainsi mobilisé un temps de travail important du Parlement, alors qu’il est évident que l’urgence, pour nos concitoyens, se situe ailleurs, et tient d’abord à l’amélioration des conditions de vie des plus modestes, pour qui le changement de statut des GIP, les groupements d’intérêt public, a une importance très relative…

L’autre défaut structurel de cette proposition de loi est que chacun, y compris le Gouvernement, se trouve encouragé à déposer des amendements sur tous les sujets possibles, en manifestant parfois une imagination aussi créative que déroutante, soumise ensuite à un filtre à géométrie variable.

En première lecture, la commission avait ainsi supprimé, à juste titre, les articles relatifs au droit de préemption, jugeant qu’une telle réforme devait être envisagée dans le cadre de l’élaboration d’un texte spécifique, afin de permettre une analyse approfondie.

Partant d’une logique identique et confortés par le raisonnement de la commission, nous souhaitions la suppression des articles relatifs aux GIP. Le rapporteur avoua comprendre notre préoccupation, qu’il partageait « à 1 000 % », ce qui ne l’empêcha toutefois pas de s’opposer par la suite à nos amendements, « compte tenu de la nature de ces dispositions » et de la nécessité d’une entrée en vigueur rapide… Nous ne pouvons donc que constater que la cohérence des raisonnements est parfois mise à rude épreuve, d’autant que l’on trouve encore une fois le moyen de nous appliquer le principe de « l’entonnoir », au motif que des amendements n’auraient pas de lien avec des dispositions restant en discussion. Faut-il en sourire ? Comment serait-il possible qu’un amendement n’ait pas de lien avec un texte aussi pléthorique, fourre-tout, « touffu et hétéroclite », selon les propres mots de M. le rapporteur, et qui sert de voiture-balai à nombre de propositions de loi ?

Il faut à coup sûr fixer des limites au droit d’amendement, aux escadrons de cavaliers – on en verra d’ailleurs un exemple exceptionnel ce soir lors de l’examen de la proposition de loi relative au prix du livre numérique –, mais il ne faudrait pas banaliser à l’excès le recours à l’article 48 du règlement.

En toute hypothèse, nous constatons que notre débat de seconde lecture portera finalement sur les points de désaccord qui avaient déjà été soulignés lors de la première lecture par le Sénat et l’Assemblée nationale. Pour notre part, et même si nous désapprouvons la philosophie de ce texte, nous saluons la position globalement mesurée de la commission, particulièrement pour ce qui concerne le rétablissement de la suppression de l’article 107, relatif aux peines encourues par l’auteur d’une prise d’otages, qui n’a rien à faire dans un texte de simplification

Nous saluons également la suppression de l’article 8 généralisant les consultations ouvertes préalablement à l’édiction d’actes administratifs, qui créait, en réalité, un nouveau monstre technocratique.

La révision constitutionnelle visait à renforcer les pouvoirs du Parlement. À l’évidence, nous en sommes encore loin, et cette proposition de loi l’illustre parfaitement.

Aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, l’ensemble du monde judiciaire est mobilisé, parce que notre justice est malade : manque de greffiers, de moyens, à la fois pour traiter les dossiers et assurer l’exécution des décisions. Elle souffre de l’absence d’un vrai programme, d’une vision moderne. Face à cela, combien surréaliste est ce débat sur la prétendue simplification du droit !

Tous les sujets devenant prioritaires, plus rien ne l’est en réalité, sauf ce qui relève du tempo dicté par les médias.

Pour conclure, je reprendrai, comme en première lecture, la formule de Renaud Denoix de Saint Marc, ancien vice-président du Conseil d’État, qui déclarait en 2005 : « L’action politique a pris la forme d’une gesticulation législative. [...] La loi doit être solennelle, brève et permanente. Aujourd’hui, elle est bavarde, précaire et banalisée. »

Pour toutes ces raisons, la majorité des membres du RDSE se prononceront contre ce texte, et les autres s’abstiendront.

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