Il serait plus juste de dire que les caprices du Gouvernement soient mis en œuvre sous une main ferme et déterminée.
Le code civil, principal support de votre politique de division des Français, a été modifié huit fois en 2009 et pas moins de douze fois en 2007.
Le livre des procédures fiscales, principal support de votre politique de classe, a été modifié dix-huit fois en 2009, et jamais moins de dix fois par an entre 2004 et 2008.
Le code pénal, éponge de votre politique ultrarépressive et parfois obscurantiste, a été modifié entre neuf et douze fois par an depuis 2004. Il est à noter que de nombreuses surprises nous attendent encore, puisque le code pénal est agité au gré du moindre fait divers et que le code de procédure pénale est à peine imprimé qu’il est déjà caduc.
Au-delà de ces remarques statistiques, mes chers collègues, nous pouvons légitimement nous indigner face à un tel mépris du travail parlementaire et du mandat qu’il nous incombe d’exercer.
La grande majorité des textes dont nous avons été saisis – et il y en a eu pléthore – sont des projets de loi. Aussi, au regard du peu de temps consacré à l’examen des initiatives parlementaires, il apparaît inadmissible que des propositions de loi servent encore de réceptacle aux injonctions du Président de la République, voire de ses amis, qui escomptent ainsi obtenir quelques responsabilités.
Comment ne pas dénoncer le rythme qui nous est imposé pour des raisons purement électoralistes ou de communication ?
Le rapport de 2006 du Conseil d’État le soulignait : la pertinence d’une réforme implique qu’une réflexion soit menée sur la nécessité d’une nouvelle législation, au regard non seulement de l’objectif visé, mais aussi de l’impact potentiel de cette nouvelle législation.
Ainsi, avez-vous mesuré l’impact de la suppression des GRETA, les groupements d’établissements publics locaux d’enseignement, programmée à l’article 78 qui a été adopté conforme par l’Assemblée nationale ? Ces structures assurent depuis plus de trente ans des actions de formation continue pour adultes, donc une mission fondamentale de service public. Surtout, interrogez-vous sur l’opportunité d’insérer cette suppression dans une proposition de loi « d’amélioration de la qualité du droit », alors même qu’il s’agit d’une régression inqualifiable !
Peu vous importe, en réalité. L’essentiel est de faire passer le maximum de choses en un minimum de temps, au détriment des missions fondamentales de nos services publics et de nos concitoyens.
À ce propos, M. Saugey a apporté en commission, par voie d’amendements, quelques rectifications intéressantes et pour le moins révélatrices. Plusieurs d’entre elles visent à supprimer des dispositions qui ont déjà été intégrées dans d’autres propositions ou projets de loi, par exemple celles qui étaient initialement contenues dans les articles 29 et suivants.
Il convient de rappeler que, dans le cadre de la réflexion menée par le groupe de travail parlementaire sur la qualité de la loi, dont ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat était membre, Jean Marc-Sauvé, vice-président du Conseil d’État, avait souligné que la brièveté des délais d’examen des textes avait pour conséquence que des dispositions très proches pouvaient être modifiées en parallèle dans des sens incompatibles, sans même que les ministères en soient conscients. Autant dire que cela échappe également à nos concitoyens, dont vous vous souciez peut-être peu hors du temps électoral !
Jean-Marc Sauvé nous avait alors alertés sur l’aggravation de ce phénomène, notamment en raison de l’usage, quelque peu abusif, de la procédure accélérée. Ainsi l’institution a-t-elle déploré être saisie de plus en plus souvent en urgence, de façon injustifiée, alors que l’importance et la complexité de la réforme envisagée auraient pourtant justifié un examen approfondi.
À titre d’exemple, le Conseil d’Etat a été amené à examiner le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires suivant la procédure d’urgence, alors que celui-ci n’a été inscrit que six mois plus tard à l’ordre du jour de la première assemblée saisie. Nous avons nous-mêmes été de nombreuses fois contraints par la brièveté des délais de dépôt d’amendements sur des textes dont l’examen a été repoussé sine die, sans que ces délais soient pour autant rouverts.
De la même manière, soixante-douze heures seulement ont séparé l’examen du projet de loi de finances pour 2010 de l’ultime saisine de la section des finances du Conseil d’État sur ce texte. Pourtant, on ne peut pas dire que la gestion de nos finances publiques soit irréprochable !
De tels délais ne permettent pas au Conseil d’État d’effectuer les recherches et les vérifications approfondies qu’exigent des textes d’une pareille ampleur. Ils ne permettent pas non plus aux parlementaires d’exercer leur droit d’amendement.
J’ose espérer que vous ne considérez pas que la consultation du Conseil d’État et l’exercice de notre droit d’amendement sont de simples formalités, monsieur le ministre ! Les rôles respectifs du Parlement et du Conseil d’Etat sont fondamentaux et incontournables dans un État de droit digne de ce nom. La loi n’est pas seulement un acte de puissance.