Intervention de Claude Bérit-Débat

Réunion du 2 décembre 2010 à 15h00
Loi de finances pour 2011 — Compte spécial : avances à l'audiovisuel public

Photo de Claude Bérit-DébatClaude Bérit-Débat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à dire combien je regrette que le temps qui nous est imparti pour évoquer les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles» soit aussi restreint. Dans ces conditions, je m’intéresserai à la situation de la presse, mes collègues Claudine Lepage et David Assouline ayant déjà évoqué la situation des médias.

En vérité, la situation de la presse n’est guère plus florissante que celle des médias. Du reste, c’est en grande partie pour cette raison que le Gouvernement a décidé de reconduire sa mesure d’accompagnement exceptionnelle du secteur pour la troisième année consécutive.

En trois ans, cette mesure, prise dans le prolongement des états généraux de la presse écrite, aura permis au secteur de bénéficier de près de 900 millions d’euros d’aides directes, sans compter les aides indirectes. Cette année, ce sont 305 millions d’euros d’aides directes qui vont venir soutenir le secteur. Ainsi, 198 millions d’euros seront consacrés aux aides à la diffusion, 12 millions d’euros aux aides au pluralisme et 94 millions d’euros à la modernisation. Pour autant, les transformations structurelles qui attendent la presse à l’heure d’Internet restent à mener. Or ces aides n’ont, en fin de compte, pas véritablement permis de favoriser le développement de la presse. Elles ont surtout permis à beaucoup d’entreprises d’éviter des difficultés graves, voire le dépôt de bilan.

Dans ces conditions, une première question s’impose : alors que nous arrivons à la dernière année du plan d’aide prévu par le Gouvernement, quelle sera la situation à partir de l’année prochaine ?

Au reste, ce plan d’aide ne fait que montrer l’état de fragilité dans lequel se trouve désormais la presse française.

Cette fragilité tient avant tout aux difficultés qu’éprouvent les acteurs du secteur à préserver le tirage de leurs titres. Deux chiffres illustrent cette situation : les cinq premiers quotidiens régionaux vendent environ 2 millions de numéros par jour, tandis que les cinq premiers quotidiens nationaux n’en vendent que 1, 3 million. Non seulement les ventes sont donc plutôt faibles, mais elles enregistrent une décroissance.

Pour y remédier, les journaux se lancent dans une politique de concentration, et chacun de nous peut l’observer dans son département. C’est ainsi que de grands groupes maîtrisent l’offre sur des portions entières du territoire, tout en contrôlant, souvent, des titres nationaux.

Néanmoins, cette stratégie ne garantit en rien l’avenir de la presse, d’autant qu’elle n’empêche pas la chute du lectorat. D’autres voies doivent donc être explorées.

De ce point de vue, je ne partage pas les conclusions du rapport Cardoso, lequel invite notamment à poursuivre le mouvement de concentration. Ce rapport propose en effet de moderniser le secteur, ce qui, dans l’état actuel des choses, ne manquera pas d’entraîner la disparition des journaux à faible tirage en réduisant les aides à la distribution.

Non seulement cette stratégie n’est pas forcément la plus efficace, mais elle renvoie aussi au problème du pluralisme et de la liberté éditoriale. La concentration du capital de la presse au bénéfice de groupes dont ce n’est souvent pas le cœur de métier soulève des interrogations en termes de liberté d’expression et de respect du pluralisme.

Nous avons déjà pu en discuter à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de David Assouline visant à limiter la concentration dans les médias, mais que le Sénat a rejetée. Bien entendu, le problème n’est nullement réglé aujourd’hui, et nous pouvons le constater quotidiennement.

La presse, en France, doit donc relever un défi économique, mais elle doit en outre relever un défi tout aussi essentiel : conserver sa singularité et sa liberté. Or cela n’a rien d’évident ! Nous l’avons vu avec le projet de réorganisation de l’AFP, l’autonomie des organes de presse reste menacée. La précarité, très forte dans ce secteur, représente également une menace pour l’indépendance journalistique. Mais c’est surtout l’autonomie des journalistes, chaque jour plus réduite, vis-à-vis des groupes propriétaires de leurs journaux qui peut susciter des craintes à cet égard.

Autrement dit, derrière l’apparence d’un budget à première vue satisfaisant, aucune réponse concrète n’est apportée aux défis qui attendent la presse écrite. Or c’est bien sur ces points qu’une direction doit être indiquée. On ne peut se contenter de considérer que la concentration des titres réglera à elle seule tous les problèmes du secteur. Le croire, c’est se tromper économiquement et tourner le dos aux valeurs du journalisme. C’est pourquoi je ne voterai pas ce budget.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion