Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Travail et emploi » dispose de 11, 46 milliards d’euros, qui sont destinés, en principe, à réduire le chômage et à développer l’emploi.
Le budget de la politique de l’emploi dépasse largement les seuls crédits de cette mission. En effet, le Gouvernement mobilisera 51, 4 milliards d’euros en 2011 pour la politique de l’emploi et du travail, soit plus de la moitié de notre déficit budgétaire, pour un résultat très contestable, car ces crédits financent en réalité une multitude d’aides sociales n’aboutissant à aucune création d’emploi.
Dans cette période cruciale où le Gouvernement essaie de trouver les économies nécessaires pour réduire notre déficit budgétaire et conserver notre notation AAA, il ne serait pas inutile d’étudier de plus près des dépenses qui n’ont aucun effet sur l’augmentation du nombre d’emplois et qui ne sont en fait que des dépenses sociales.
En plus des 11, 46 milliards d’euros de la mission « Travail et emploi », sur lesquels nous reviendrons, doivent être également pris en compte 10, 51 milliards d’euros de dépenses fiscales, dont près de 3 milliards d’euros affectés à la prime pour l’emploi. Il faut bien le dire, ces dépenses ne créent aucun emploi et ne sont, en réalité, qu’un complément de salaire très agréable pour ceux qui en profitent, mais très lourd pour l’État. Il faut également comptabiliser les crédits et réductions d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile, dont le coût dépasse les 3 milliards d’euros, mais qui permettent, eux, de créer de nombreux emplois.
Les exonérations d’impôt sur le revenu au titre des heures supplémentaires, qui coûtent 1, 36 milliard d’euros à l’État, ne créent aucun emploi. Elles pourraient donc être supprimées ; j’ai d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.
Si l’État acceptait de supprimer la prime pour l’emploi et l’exonération d’impôt au titre des heures supplémentaires, qui ne créent aucun emploi, je ne me lasserai pas de le répéter, il économiserait 4, 29 milliards d’euros.
Les allégements généraux de cotisations de charges sur salaires coûtent près de 25 milliards d’euros. Le MEDEF accepterait désormais – car c’est nouveau – de les aménager de manière progressive et différenciée en fonction de la situation conventionnelle des entreprises. Il souhaiterait que soit, au préalable, réglée la question très importante de la durée légale du travail, de telle sorte que celle-ci puisse être modulée, après discussions avec les syndicats, en fonction des besoins et des charges de chaque entreprise : ce serait effectivement beaucoup plus efficace en termes de rendement des activités industrielles.
Il est certain que des modifications des allégements de charges ne pourraient s’appliquer qu’aux entreprises ou aux branches qui seraient sorties du système de durée légale du travail. Il serait intéressant que le Gouvernement puisse étudier cette nouvelle proposition du MEDEF.
En finançant 25 milliards d’euros d’allégements de cotisations de charges par an depuis plus de dix ans, l’État aura fait augmenter notre dette de plus de 250 milliards d’euros, sans compter les charges afférentes, et cela sans aucune limite. Il s’agit d’une dépense considérable, sur laquelle il me semble utile d’attirer votre attention.
Par ailleurs, en vertu de la loi TEPA, les heures supplémentaires entraînent 3, 23 milliards d’euros d’exonérations de charges, là encore sans aucune création d’emploi.
Enfin, les exonérations ciblées de cotisations patronales, sur lesquelles je n’ai aucune information, mais qui représentent 5 milliards d’euros, pourraient aussi être supprimées, car leur contribution à la création d’emplois ne paraît pas évidente.
Au total, la politique de l’emploi, qui mobilise aujourd’hui 51, 44 milliards d’euros, pourrait être réduite de 37, 5 milliards d’euros et ramenée à 14, 4 milliards d’euros, sans compromettre l’emploi, mais notre déficit budgétaire s’en trouverait diminué d’autant.
Mes chers collègues, je vous fais remarquer que cet énorme budget, de plus de 51 milliards d’euros, ne prévoit que très peu de financements en direction des entreprises, pour les aider à développer leurs activités, ou des créateurs d’entreprise, alors que c’est là que se trouve le plus sûr moyen de créer des emplois. Certes, le programme 103 prévoit 307 millions d’euros d’aides à la création et à la reprise d’entreprises, mais il s’agit essentiellement d’exonérations, et non de subventions efficaces pour aider les entreprises en début d’activité.
Les entreprises auraient pourtant bien besoin de ces aides en capital pour la création d’activités nouvelles, le lancement de nouveaux produits, la modernisation de leurs installations ou encore la recherche de nouveaux marchés à l’étranger.
Il serait vraiment utile que le budget de l’emploi favorise la création d’emplois par les entreprises au lieu de financer la multiplication d’aides sociales qui ne créent aucun emploi.
Mais revenons au budget de la mission « Travail et emploi ». Le Gouvernement propose de faire des économies sur plusieurs dispositifs.
Les subventions accordées aux maisons de l’emploi sont très significativement revues à la baisse, avec une diminution de 45 % : elles s’élèvent désormais à 53 millions d’euros, au lieu de 95 millions d’euros en 2010. Cette mesure est contestée par plusieurs de mes collègues ici présents.
Diverses mesures de suppression de crédits, notamment l’exonération de 15 points pour les particuliers employeurs, permettront d’économiser globalement plus de 530 millions d’euros, mais auront pour conséquence de réduire les emplois à domicile. J’y suis tout à fait opposé ; je serai donc favorable à l’amendement de ma collègue Marie-Thérèse Hermange, qui propose de conserver cette exonération, en la ramenant de 15 à 10 points.
Le Gouvernement propose de supprimer l’exonération des avantages en nature dans la restauration, qui avait été adoptée par la commission des finances l’année dernière avant d’être rejetée en séance publique. Cette mesure d’économie est désormais acceptée, mais elle n’aura aucun effet sur l’emploi.
J’en viens aux crédits de la mission « Travail et emploi » qui, je le rappelle, s’élèvent à 11, 46 milliards d’euros. Ils se décomposent en quatre programmes : le programme 102, Accès et retour à l’emploi, doté de 6, 19 milliards d’euros ; le programme 103, Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi, doté de 4, 45 milliards d’euros ; le programme 111, Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail, doté de 77 millions d’euros ; enfin, le programme 155, Conception, gestion et évaluation de la politique de l’emploi et du travail, qui est le programme « support » intégrant les moyens en personnel, doté de 744 millions d’euros.
Le programme 102 affecte 1, 36 milliard d’euros à Pôle emploi, dont on ne sait pas si son action a un quelconque effet sur les chiffres du chômage, et 1, 6 milliard d’euros à l’indemnisation des chômeurs en fin de droits. Cette dernière mesure est complètement inutile : elle ne crée aucun emploi puisqu’elle vise des chômeurs. Elle devrait être supprimée, car « il est reconnu que le maintien d’un haut niveau d’allocation peut être un frein au retour à l’emploi », ainsi que le dit Christopher Pissarides, qui a reçu le prix Nobel d’économie en 2010.
Les crédits pour l’emploi devraient être affectés en priorité au développement de l’économie et non aux aides sociales.
Ensuite, 2 milliards d’euros sont prévus pour les contrats aidés, dont seulement 232 millions d’euros pour les contrats marchands, les seuls qui soient vraiment créateurs d’emploi, le reste, soit près de 1, 7 milliard d’euros, étant affecté aux contrats non marchands. Sans contester l’intérêt des contrats aidés non marchands, qui permettent aux collectivités de recruter des jeunes inactifs, ce qui a au moins le mérite d’amener ceux-ci vers une situation d’emploi, il serait tout de même utile d’augmenter le budget des contrats aidés marchands, qui débouchent, eux, sur de vrais contrats de travail.
À ce sujet, si les rapporteurs des budgets pouvaient disposer d’informations sur les budgets consommés l’année précédente, ils pourraient mieux juger de la nécessité de les augmenter ou de les réduire. Les projets de loi de règlement des comptes existent, mais ils ne sont pas assez bien renseignés sur les détails des dépenses effectuées.
Les missions locales reçoivent 179 millions d’euros pour procurer des emplois ou des formations à des jeunes de moins de 25 ans, ce qui est extrêmement utile. Elles complètent le travail de Pôle emploi, qui s’occupe des chômeurs de plus de 25 ans. La commission des finances a accepté d’accorder 15 millions d’euros de crédits supplémentaires à l’accompagnement renforcé des jeunes vers l’emploi, même si j’avais proposé un montant beaucoup plus élevé. J’ai déposé un amendement en ce sens et la commission des finances a bien voulu accepter d’accorder 5 millions d’euros supplémentaires aux missions locales et la même somme aux écoles de la deuxième chance ainsi qu’au Fonds d’insertion professionnelle des jeunes.
L’intitulé du programme 103, « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi », qui est doté de 4, 45 milliards d’euros, est prometteur.
La sous-action 2, avec 3, 2 milliards d’euros de crédits, favorise le développement de l’alternance et de l’apprentissage, ce qui est bien. Néanmoins, elle devrait aussi comporter une incitation pour les entreprises à embaucher des apprentis, ce qui est aujourd’hui très difficile. Il y a malheureusement un certain nombre de jeunes qui cherchent des stages en entreprise, qui n’en trouvent pas et qui risquent de ne pas pouvoir être formés.
Les exonérations d’impôt sur le revenu au titre des heures supplémentaires, qui s’élèvent à 1, 36 milliard d’euros et qui correspondent à des pertes pour l’État, pourraient être réduites, voire supprimées, car il n’y a aucune raison que des salariés ne paient pas d’impôt sur ces revenus. J’ai donc déposé un amendement de suppression de ces exonérations. Grâce aux économies ainsi réalisées, 500 millions d’euros pourraient, par exemple, être affectés aux aides à la création d’entreprises, Ces dernières constituent la plus forte source de créations d’emplois. Il n’en est pourtant absolument pas question dans ce budget.
Le programme 111, Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail, est doté de 77 millions d’euros. Or, il ne comporte aucune action en faveur de l’emploi.
Au titre du programme 155, Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail, 744 millions d’euros sont dévolus à l’ensemble des moyens humains mis en œuvre pour les autres programmes, c’est-à-dire au paiement du personnel. Or il s’agit de près de 60 000 personnes, dont 46 000 pour Pôle emploi. Il serait peut-être utile d’évaluer l’intérêt d’avoir autant de personnel pour ces opérations. Cela permettrait peut-être de réaliser des économies.
Je présenterai plusieurs amendements.
Au nom de la commission des finances, je proposerai : premièrement, la réduction de 10 % de la prime pour l’emploi ; deuxièmement, la suppression – souhaitée par M. Carle – de l’article 96, qui prévoit un prélèvement de 300 millions d’euros sur le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels ; troisièmement, j’en ai déjà parlé, le transfert de 15 millions d’euros aux missions locales, au Fonds d’insertion professionnelle des jeunes et aux écoles de la deuxième chance.
À titre personnel, je vous proposerai de supprimer l’exonération d’impôt sur le revenu des heures supplémentaires au-delà de 35 heures.
Pour mieux connaître l’efficacité de tous ces dispositifs, je proposerai que le budget de la mission « Travail et emploi » fasse l’objet d’un audit d’ensemble. Je souhaite pouvoir établir la liste de toutes les dépenses inutiles pour l’emploi, ou dotées trop largement, et supprimer tout ce qui correspond à une aide sociale, pour reporter les sommes correspondantes vers les entreprises, seules véritables créatrices d’emplois. Je voudrais que l’État reporte les aides sociales vers le budget dont elles relèvent vraiment, c’est-à-dire celui de la sécurité sociale.
Je voudrais, pour terminer, rappeler quelques impératifs en matière de création d’emplois.
Il faudrait, tout d’abord, réformer l’enseignement, pour permettre aux jeunes d’apprendre un métier dès 14 ans. Il est indéniable que l’éducation nationale échoue dans sa mission d’apporter aux jeunes la possibilité d’exercer un métier à la fin de leurs études puisque près de 140 000 jeunes sortent chaque année des collèges, des lycées et des universités sans aucune formation. Ils constituent le peloton des jeunes au chômage, qui s’accroît chaque année, et dont certains deviennent des délinquants.
En effet, si les jeunes étaient mieux formés à des métiers, ce qui est actuellement dépensé pour faire travailler ceux qui ne savent rien faire serait beaucoup moins élevé. C’est pourquoi je propose que la formation professionnelle initiale s’adresse aux jeunes à partir de 14 ans, avec apprentissage dès 16 ans, afin que ceux qui sont désorientés par les études théoriques et non motivés puissent occuper rapidement des emplois de proximité.
Sans formation, les jeunes deviennent des chômeurs. Sans entreprises, ils ne trouvent pas d’emploi. Sans création d’entreprises nouvelles, ils restent au chômage. Pour éviter ces conséquences néfastes, il faut adopter les mesures utiles pour les entreprises et pour l’emploi.
Par ailleurs, il faut savoir que de plus en plus de jeunes diplômés et de chercheurs s’expatrient aux États-Unis. Ainsi, d’une part, un grand nombre de jeunes sans diplôme deviennent chômeurs ou délinquants et restent chez nous, tandis que les bons, ceux qui sont diplômés, s’en vont. Que va-t-il nous rester pour faire tourner nos entreprises ?
En réalité, un vrai programme pour l’emploi devrait tenir compte de la nécessité absolue de maintenir nos jeunes et nos entreprises en France. À cet égard, la création du statut d’auto-entrepreneur, sur l’initiative de M. Novelli, a été un grand succès. Il faut renforcer ce mouvement en favorisant l’investissement dans les jeunes entreprises.
En conclusion, je voudrais vous dire que j’ai rédigé ce rapport avec le souci de l’emploi et animé par la volonté d’apporter des propositions pour éviter au Gouvernement des dépenses ne correspondant pas prioritairement à cet objectif, à savoir des aides sociales n’ayant rien à voir avec cette mission. Ce qui m’a toujours choqué dans ce budget, que je vous présente depuis cinq ans, ce sont les dépenses orientées davantage vers les aides sociales que vers les emplois et les entreprises qui, seules, peuvent créer ces emplois.
Je pense que le rôle de la commission des finances n’est pas uniquement de vous présenter les propositions du Gouvernement, mais aussi d’attirer votre attention sur l’urgence de revenir sur des décisions antérieures, prises dans des conditions financières et politiques totalement différentes, et qui grèvent lourdement notre budget.
De toute façon, le rapporteur propose, le Sénat et le Gouvernement disposent. Je m’en remettrai à vos décisions.