Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’analyse de la situation de l’emploi dans notre pays devrait inspirer, c’est une évidence, les choix budgétaires de la mission « Travail et emploi ». Quelle est donc la situation de l’emploi et quels sont, en regard, les choix qui nous sont proposés dans ce budget ?
Certes, en octobre dernier, et pour la première fois depuis longtemps, le nombre des demandeurs d’emplois de catégorie A a marqué le pas, s’établissant à 2 676 800, soit une baisse de 0, 8 %. Cette annonce est évidemment bonne à prendre, mais elle ne doit pas pour autant nous conduire à baisser la garde sur le front de l’emploi. Elle ne doit surtout pas nous faire oublier les données structurelles, qui restent préoccupantes. J’en citerai quelques-unes.
En un an, le chômage des trois catégories de demandeurs d’emplois a augmenté de 5 %. Le nombre de chômeurs de longue durée a augmenté plus gravement encore, de 23 % pendant la même période ; or ceux-ci représentent aujourd’hui 37 % des demandeurs d’emplois et la durée moyenne d’inscription au chômage ne cesse de s’allonger. En outre, 23 % des jeunes actifs sont aujourd’hui demandeurs d’emplois. Enfin, le chômage des seniors progresse de 16 % en un an.
Pour résumer en une phrase la situation que nous observons aujourd’hui, je dirai que le chômage est de plus en plus grave et surtout qu’il dure de plus en plus longtemps, en touchant les publics fragiles que sont les jeunes et les seniors.
Face à cette situation, quelles sont les réponses du projet de loi de finances pour 2011 ? Le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales nous a expliqué que c’était un budget soumis à de fortes contraintes, ajoutant que la mission « Travail et emploi » ne devait pas échapper à l’effort de maîtrise des dépenses qui touche tous les domaines.
Si nous nous accordons sur la nécessité de la réduction du déficit public, monsieur le ministre, nous contestons en revanche l’application uniforme et aveugle de la politique de rigueur. Deux secteurs auraient mérité, selon nous, d’être sanctuarisés, le logement et l’emploi, car ils ont un effet direct sur la situation sociale de nos concitoyens, mais aussi sur la croissance et l’activité économique.
Dans ce contexte, on aurait pu s’attendre à un renforcement de la politique de l’emploi. Dès lors, monsieur le ministre, comment accepter que la dotation de la mission « Travail et emploi » affiche une diminution de l’ordre de 13 % en un an – si je tiens compte des crédits inscrits dans le plan de relance de 2010, qui ne sont pas reconduits – et que 805 millions d’euros d’aide à l’emploi des jeunes et des seniors soient supprimés ?
Comment comprendre, par ailleurs, l’annonce faite par le Président de la République de doubler le nombre de jeunes admis en formation en alternance, alors que, dans le même temps, vous ponctionnez le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels ?
Comment comprendre également que la subvention que l’État accorde à Pôle emploi diminue en valeur absolue ?
Je focaliserai mon propos sur deux points.
Le premier concerne le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, au sujet duquel j’approuve sans réserve la démonstration apportée à l’instant par notre collègue Jean-Claude Carle.
Ce fonds, je le rappelle, a été mis en place par la loi du 24 novembre 2009, relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, qui avait fait l’objet d’un consensus au sein de notre assemblée, notamment sur ce point. Alimenté par une contribution des entreprises, ce fonds a pour but d’assurer la qualification ou la requalification des salariés, mais aussi des demandeurs d’emploi, par des actions adaptées. Quelque 500 000 salariés supplémentaires, parmi les moins qualifiés, devaient être formés grâce à ce fonds, ainsi que 200 000 demandeurs d’emplois.
Or, par l’article 96, monsieur le ministre, vous opérez une sorte de hold-up – ce n’est d'ailleurs pas le seul domaine où vous procédez de la sorte – en prélevant 300 millions d’euros sur ce fonds, soit le tiers des sommes dont il dispose, alors qu’il avait précisément pour objet d’agir sur le front de la formation professionnelle.
De surcroît, l’argent que vous allez prélever servira à financer ce que le budget de l’État avait habituellement vocation à assumer : la prise en charge, d’une part, de la certification des titres professionnels par l’AFPA, à hauteur de 50 millions d’euros, et, d’autre part, de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle, pour un montant de 126 millions d’euros – excusez du peu !
Si le FPSPP est effectivement privé d’une telle somme, on peut penser – et j’en prends le pari aujourd’hui – que jamais les crédits dont elle va combler le manque ne reviendront dans le budget de la nation.
Quelles seront les conséquences de ce prélèvement, s’il est confirmé après que nous aurons examiné l’article 96 ?
Premièrement, vous le savez, monsieur le ministre, les partenaires sociaux ont décidé, dans ces conditions, de ramener le taux maximal de contribution de 13 % à 10 %. Autrement dit, avant même d’avoir commencé le match, si j’ose dire, nous avons déjà perdu des moyens !
Deuxièmement, et c’est beaucoup plus grave, les actions de formation professionnelle vont diminuer, alors que les besoins sont immenses, comme l’a fort bien indiqué notre collègue Jean-Claude Carle.
J’en viens à mon second point, à savoir Pôle emploi.
Je vous le concède, monsieur le ministre, cette institution n’a pas d’effet direct sur la croissance, mais elle joue un rôle majeur non seulement comme amortisseur social – ce qui est déjà très important – mais aussi comme outil de régulation du marché du travail.
Dès lors, comment comprendre, au regard précisément des indicateurs que je rappelais tout à l’heure, que vous décidiez de diminuer les moyens alloués à Pôle emploi et d’y supprimer 1 800 emplois ?
Par ailleurs, en ne finançant pas le transfert des 920 psychologues de l’AFPA qui ont été alloués à Pôle emploi au cours de l’année 2010, vous dégradez les conditions d’exercice et de travail de ce service public.
Chaque conseiller se verra confier en moyenne 130 demandeurs d’emplois, ce qui est très au-dessus des normes européennes. Dans certaines zones où la situation est particulièrement difficile, le nombre de dossiers pourra même aller jusqu’à 200.
En résumé, monsieur le ministre, ce budget est à nos yeux un budget de capitulation, à moins qu’il ne résulte d’une double erreur d’analyse.
La première serait d’estimer que nous sommes sortis de la crise et que le retour de la croissance fera son œuvre. Or, comme en témoignent les indicateurs que j’ai rappelés, vous le savez, monsieur le ministre, nous ne sommes pas dans cette situation.
La seconde serait de considérer que toutes les dépenses de l’État, emploi inclus, doivent diminuer. Or les politiques malthusiennes n’ont jamais démontré leur efficacité dans les périodes difficiles. De ce point de vue, ce budget est un mauvais coup porté à l’emploi dans notre pays.