Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en matière d’emploi, seule doit guider notre action, et donc déterminer les moyens qui y sont alloués, la réponse à une question simple, centrale, évidente : sur le front de l’emploi, est-on sorti de la crise ?
À la fin du mois d’octobre, les chômeurs des catégories A, B et C cumulées, c’est-à-dire tous les chômeurs, hormis les stagiaires et les personnes en contrats aidés, étaient près de 4 millions. Malgré des chiffres mensuels en très légère amélioration, sur les douze derniers mois, le chômage a encore augmenté de 5 %.
Le chômage des seniors explose – il a augmenté de 16 % en un an – et si celui des jeunes diminue, il demeure à un taux excessivement et durablement haut, à 23 %. Pour mesurer l’ampleur de la catastrophe, je rappelle que les jeunes sans emplois représentent 37 % des chômeurs en France.
Nous sommes loin, très loin, du niveau de l’emploi de 2008. La crise est arrivée, elle se poursuit, et les prévisions de croissance sont trop faibles pour permettre de relancer efficacement la création d’emplois. L’Observatoire français des conjonctures économiques, le centre de recherche en économie de Science Po, prévoit que nous aurons, en 2011, 800 000 chômeurs de plus qu’en 2008. L’INSEE confirme cette prévision et parle d’une reprise « timide » à partir du deuxième trimestre de 2011.
Enfin, deux autres éléments structurels viennent malheureusement encore ternir les perspectives en matière d’emploi.
Avec la crise et la raréfaction des emplois, les populations qui devaient faire leur entrée sur le marché du travail retardent cette arrivée. Ainsi les jeunes préfèrent-ils prolonger leurs études et les femmes en congé maternité allonger leur congé. Mais ces reports ne dureront pas éternellement. Dès que la situation de l’emploi commencera à s’améliorer, ces populations viendront grossir les rangs des demandeurs d’emploi, sauf si de nombreux emplois sont créés, ce qui est peu probable. Si l’on se fonde sur les taux de croissance estimés, le chômage risque fort de repartir à la hausse.
Par ailleurs, rappelons que, au cours des douze derniers mois, 97 000 des 100 000 emplois créés étaient des emplois en intérim, donc non pérennes ! Comme toujours, précarité et chômage se cumulent et s’alimentent au détriment des plus fragiles.
Dans ces conditions, comment croire que, sur le front de l’emploi, nous sommes sortis de la crise ? C’est impossible, mais c’est pourtant le postulat de la majorité.
À l’Assemblée nationale, Mme Chantal Brunel, rapporteur de la commission des finances, n’a pas hésité à écrire dans son rapport que « notre pays sort de la crise ». Je lui rappelle que les indicateurs économiques la contredisent, particulièrement en matière d’emploi, et que les Français ne sont pas du tout d’accord avec elle. En effet, selon une étude d’opinion du 22 novembre, 70 % de nos concitoyens estiment que « le gros de la crise reste à venir ».
Partant de ce constat, il eût été non seulement logique et, surtout, indispensable que les crédits de la mission « Travail et emploi » soient augmentés pour l’année 2011. Au contraire, ils diminuent de 13 % !
M. le rapporteur pour avis, Alain Gournac, qualifie pudiquement cette baisse de « sensible », mais il atténue immédiatement ses propos en précisant qu’il n’est pas « illégitime de revenir sur certaines augmentations de crédits réalisées au plus fort de la crise et qui ne sont plus justifiées aujourd'hui ».
Mes chers collègues, dans le contexte actuel, on ne peut qualifier de « sensible » une baisse de 13 %. Une telle baisse est irresponsable et traduit le désengagement de l’État de nombre de programmes qui avaient permis d’amortir, en partie, l’effondrement de l’emploi.
Je ne prendrai qu’un seul exemple de ces désengagements inscrits noir sur blanc dans ce projet de budget : celui de la disparition de 130 000 contrats aidés. Pourquoi cette suppression ? Sans doute s’explique-t-elle par le coût de ces dispositifs, mais aussi, peut-être, par votre répugnance, monsieur le ministre, à admettre que ce type de contrats, à l’instar des emplois-jeunes de Lionel Jospin, constitue bien une des réponses nécessaires en temps de crise.
En sus de ces désengagements, d’autres mesures prévues dans le budget de la mission « Travail et emploi » sont pour le moins critiquables.
Je pense, d’abord, à la suppression de la prime de retour à l’emploi pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique. Elle permettra de réaliser une économie de 40 millions d’euros, au détriment des plus démunis, ceux qui retrouvent un emploi après avoir vécu des minima sociaux des mois durant.
Je pense, ensuite, à l’augmentation des charges des particuliers employeurs. Il s’agit là non pas de rééquilibrer les exonérations dont bénéficie Mme Bettencourt, mais bien d’aller taxer les familles des classes moyennes. Or ces familles, compte tenu de leurs temps de transport ou de leurs horaires de travail, sont obligées de recruter une « nounou » à temps partiel pour aller chercher leurs enfants à la sortie de l’école ou à la fermeture de la crèche. Les frais que cela représente s’ajoutent à ceux de la garderie pré et post-scolaire, de la cantine et de la crèche.
Quoi que vous en pensiez, monsieur le ministre, cette situation, c’est le quotidien de milliers de parents. Une telle mesure, sous couvert d’abroger une niche fiscale, aura notamment pour conséquence de favoriser, de nouveau, le travail au noir. Je ne suis pas la seule dans cet hémicycle à dénoncer cette situation.
Au-delà de ces points précis, nous contestons la nature même de votre projet de budget, monsieur le ministre, pas seulement son orientation. M. le rapporteur pour avis a d’ailleurs un mérite réel. Il est sans ambigüité quant à la nature de ce projet de budget pour 2011, puisqu’il a déclaré, en conclusion, que ce budget « contribue à l’effort nécessaire de réduction de nos déficits publics ». C’est bien de cela qu’il s’agit, mes chers collègues.
Pour la majorité, le problème est non pas d’agir en faveur de l’emploi et contre la précarité, mais de réduire les déficits, coûte que coûte.