Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le baron Pierre de Coubertin déclarait que « le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre ». En effet, si nous supprimons la peur, la fatigue et la difficulté, le sport n'existe plus ! L'enjeu de la lutte contre le dopage est précisément de préserver ces aspects, qui sont l'essence même du sport.
Il est pourtant vrai, monsieur le ministre, que l' « omerta » a longtemps prévalu dans le milieu sportif s'agissant du dopage, notamment dans les compétitions internationales. Certaines nations organisaient même le dopage collectif de leurs sportifs à des fins de gloire nationale ! Des sportifs admettaient d'ailleurs le principe du dopage. À titre d'exemple, Jacques Anquetil avait déclaré, en 1967 : « Il faut être un imbécile ou sacrément faux jeton pour s'imaginer qu'un cycliste professionnel qui court 235 jours par an, par toutes les températures et dans toutes les conditions, peut tenir le coup sans stimulants. »
Après plusieurs scandales médiatiques, notamment l'affaire Festina lors du Tour de France de 1998, plusieurs États, au premier rang desquels la France, ont fait de la lutte antidopage un enjeu primordial. Jouer franc jeu est donc devenu un objectif.
Cependant, la presse et les médias, comme l'a indiqué Mme Luc, nous rappellent au quotidien que le dopage est tristement au coeur de l'actualité sportive : la semaine dernière, c'était le verdict du procès Cofidis, puis la révélation du contrôle positif au salbutamol d'Oscar Pereiro, deuxième du Tour de France de 2006, remporté par Floyd Landis, lui aussi accusé de dopage. Je n'évoquerai pas tous les coureurs, de plus en plus nombreux, qui, sous couvert d'autorisations d'usage à des fins thérapeutiques pour des problèmes d'asthme d'effort, prennent des médicaments interdits.
Devant cet amoncellement de problèmes qui touchent le cyclisme, je me demande ce que sera le Tour de France de 2007. En effet, c'est au moins la huitième année consécutive que le vainqueur est suspecté de dopage, et l'on envisage de remettre dans le circuit Ivan Basso et Jan Ullrich ! Ce matin encore, L'Équipe a publié un article sur les aveux du champion flamand Johan Museeuw. La Grande Boucle, qui est pourtant l'événement sportif le plus populaire en France, est bien malade. C'est dommage !
Cela étant, il ne faut pas se focaliser sur le cyclisme, même si l'année 2006 a été assez noire dans cette discipline, car, hélas ! tous les sports sont touchés, pas seulement l'univers professionnel d'ailleurs : même le monde amateur est frappé par le fléau du dopage. En athlétisme, sport de base par excellence, Hind Dehiba, détentrice du record de France du 1 500 mètres, a été arrêtée à la douane voilà trois jours, ainsi que son mari, en possession d'hormones de croissance.
Ce qui se passe actuellement est dramatique. Or qu'a-t-on fait, depuis dix ans, pour lutter contre le dopage ?
Après la loi de 1999, qu'il faut saluer, la présente législature a permis de donner une ampleur nouvelle à la lutte contre le dopage. En octobre 2005, le Sénat adoptait le projet de loi relatif au dopage et à la protection de la santé des sportifs, qui modernisait considérablement les outils juridiques en matière de lutte antidopage. J'avais d'ailleurs eu l'honneur d'être désigné rapporteur de ce texte par la commission des affaires culturelles.
Quelques mois après la promulgation de la loi, le 5 avril 2006, la présente convention internationale permet d'harmoniser les législations. Je me félicite de ce que la commission des affaires culturelles se soit saisie pour avis du présent projet de loi.
À l'échelon international, c'est en mars 2003 que près de quatre-vingts gouvernements, dont celui de la France, ont témoigné, en signant la résolution de Copenhague, de leur volonté d'appuyer un processus conduisant à la mise en place d'une convention internationale de lutte contre le dopage, devant être exécutée au moyen d'instruments propres aux États. C'est sur cette base qu'a été engagée, sous l'égide de l'UNESCO, l'élaboration de la présente convention internationale contre le dopage dans le sport, finalement adoptée en 2005. Cette convention devait être applicable au premier jour des jeux Olympiques d'hiver de Turin, ce qui n'a malheureusement pas pu être le cas, mais elle le sera pour les jeux Olympiques d'été de Pékin.
Parallèlement à cette coopération interétatique, le Comité international olympique a mené une consultation transnationale sur la question, qui a abouti à la création de l'Agence mondiale antidopage en 1999 et à l'adoption du code mondial antidopage en 2003.
Ce code détermine les compétences et fixe les règles en matière d'organisation des contrôles antidopage, d'analyse des échantillons, de mise en oeuvre des procédures disciplinaires, de régime des sanctions, de prévention et de recherche scientifique dans le domaine de la lutte contre le dopage. Émanant d'une fondation de droit privé, il n'a cependant pas de valeur juridique s'imposant aux États.
Par conséquent, si l'ensemble des fédérations internationales des sports olympiques ont souscrit au code mondial antidopage avant les jeux Olympiques d'Athènes de 2004 - il s'agissait de l'une des conditions de participation à ces derniers -, les fédérations nationales obéissent, en revanche, aux règles fixées par la loi du pays. L'un des objectifs visés au travers de la loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs était précisément d'aligner la législation française sur certaines dispositions du code mondial antidopage.
Toutefois, dans un contexte de sport mondialisé, pour assurer une égalité de tous les sportifs, sur tous les terrains de jeu, c'est bien le droit international qu'il fallait « doper », si j'ose dire ! selon deux impératifs : harmoniser les règles et essayer de les rendre contraignantes, ce qui n'est pas le plus facile.
La convention internationale contre le dopage dans le sport, élaborée sous l'égide de l'UNESCO et adoptée par les États membres à l'unanimité en octobre 2005, répond pleinement à ces exigences.
En effet, la convention a pour objet, d'une part, de fournir un cadre juridique reconnu à l'échelon international, afin de garantir que les gouvernements agissent contre le dopage dans le sport, en coopération avec le mouvement sportif, par des actions antidopage, nationales et internationales, notamment dans les domaines de l'éducation, de la formation et de la recherche, et, d'autre part, d'étayer le code mondial antidopage et les normes internationales définies par l'Agence mondiale antidopage, en reconnaissant l'importance de ces documents dans l'harmonisation des politiques et des pratiques dans le mouvement sportif international.
Cette convention, mes chers collègues, est donc nécessaire pour que les gouvernements appliquent les principes fixés dans le code mondial antidopage et pour faciliter l'alignement des réglementations nationales et internationales. Il y a en outre des mesures que seuls les gouvernements peuvent prendre pour combattre le dopage dans le sport, s'agissant par exemple de la disponibilité des substances interdites et des méthodes ou encore de l'étiquetage des suppléments alimentaires.
Cette harmonisation des différentes normes en matière de dopage se manifeste sur plusieurs points.
Est ainsi considérée comme une violation des règles antidopage, aux termes de l'article 2 de la présente convention, mais aussi de l'article 2 du code mondial antidopage, la présence dans le corps d'un sportif d'une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs. Il s'agit du cas le plus courant. Ainsi, Floyd Landis fut déclaré positif à la testostérone à l'occasion du Tour de France de 2006.
Par ailleurs, la convention reprend la règle de la responsabilité objective existant dans le code mondial antidopage et en droit français : il y a violation lorsque le sportif a, intentionnellement ou non, fait usage d'une substance interdite, a fait preuve de négligence ou lorsqu'un autre manquement est survenu. Lorsqu'un échantillon a été déclaré positif à la suite d'une compétition, les résultats du sportif sont alors automatiquement annulés.
Le refus de se soumettre à un prélèvement d'échantillon, le non-respect des exigences posées en matière de disponibilité des sportifs pour les contrôles hors compétition, la falsification d'un élément du processus de contrôle du dopage, le trafic ou l'administration de toute substance interdite constituent une autre forme de violation des règles antidopage. Les sportifs ne sont pas seuls à être concernés : les entraîneurs et les médecins le sont également, comme c'est le cas dans les affaires Balco et Puerto.
Les articles 3 et 4 de la convention affirment clairement que le code mondial antidopage est le texte de référence en matière de lutte contre le dopage. Les États parties doivent « adopter des mesures appropriées aux niveaux national et international qui soient conformes aux principes énoncés dans le Code » et « s'engagent à respecter les principes énoncés dans le Code ». Ainsi, la convention ne réinvente pas le droit en matière de lutte contre le dopage, ce qui est heureux, mais elle promeut des principes et des règles déjà existants.
Il est toutefois précisé que le texte du code ne fait pas partie intégrante de la convention. En clair, une réelle marge est laissée aux États signataires de la convention, entre la mise en oeuvre à la lettre du code et l'application des principes qu'il pose.
Cette précision est d'autant plus utile que le code mondial antidopage est un texte évolutif, comme l'a rappelé M. le ministre. Aux termes de l'article 4, rien n'empêche les États d'adopter des mesures additionnelles ou complémentaires au code. À cet égard, je me félicite de ce que la France ait mis en place un dispositif spécifique de lutte contre le dopage animal en 2005.
En outre, la convention précise que ses dispositions ne s'opposent pas aux textes européens en vigueur.
Je tiens par ailleurs à souligner que la législation et la pratique françaises répondent pleinement aux exigences de la convention, grâce notamment à l'adoption de la loi du 5 avril dernier.
En effet, cette loi a mis en place, en particulier, l'organisation antidopage évoquée à l'article 7 de la convention, qui prend la forme de l'Agence française de lutte contre le dopage, présidée par Pierre Bordry, qui n'est pas un inconnu dans notre maison. Cette agence dispose d'une compétence générale à l'échelon national. Elle bénéficie en outre d'une indépendance et de pouvoirs accrus, s'agissant des contrôles et des sanctions.
En ce qui concerne les règles de territorialité, la loi a repris le principe issu de l'article 15.1 du code mondial antidopage : toutes les compétitions ou manifestations sportives de niveau international, quel que soit le lieu où elles sont organisées, relèvent du pouvoir de contrôle et de sanction des institutions internationales.
C'est ainsi que lors de la prochaine Coupe du monde de rugby, qui se déroulera en France, les sportifs contrôlés seront soumis aux procédures disciplinaires de l'International Rugby Board, l'IRB, et non à celles de la Fédération française de rugby ou de l'Agence française de lutte contre le dopage. Cette dernière n'aura comme pouvoirs de contrôle que ceux que lui aura délégués l'IRB.
Le droit français prévoit aussi, comme la Convention dans son article 8 ainsi que le Code mondial antidopage, la délivrance d'autorisations à usage thérapeutique, les fameuses AUT. L'ensemble des acteurs a choisi de n'utiliser comme liste des substances et procédés dont l'usage peut être autorisé que celle de l'Agence mondiale antidopage, qui devient donc un standard international.
La Convention comprend, par ailleurs, des prescriptions relatives à l'éducation et à la formation en matière de lutte antidopage, que la France met pour la plupart déjà en oeuvre, grâce aux différentes actions menées par le ministère des sports. Ces mesures concourent à la prévention.
La politique de recherche est également encouragée, ce qui ne peut qu'être salué. Je rappelle à ce titre que l'Agence française de lutte contre le dopage mène différents projets de recherche, en partenariat avec des instituts de recherche, des laboratoires ainsi que des universités.
C'est le fameux Laboratoire national de dépistage du dopage de Châtenay-Malabry, que notre commission avait visité voilà trois ans, qui a mis au point la méthode permettant de détecter la présence de l'EPO dans les urines. Je suis particulièrement attaché au renforcement des capacités du laboratoire d'analyses, afin de pallier les quelques insuffisances que nous avions relevées à l'époque.
Je voudrais faire une remarque à propos du bilan de l'Agence pour l'année 2005. Le nombre de contrôles réalisés par l'Agence augmente tandis que le nombre de sportifs déclarés positifs diminue. Il me paraît nécessaire de clarifier les causes de ce phénomène paradoxal, en améliorant en permanence la pertinence et la qualité des contrôles.
La récente mise en place de l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport au sein de l'INSEP par M. le ministre des sports répond également aux attentes exprimées dans la Convention.
À travers ces exemples, il est clair que la législation et la pratique administrative françaises répondent de manière efficace aux exigences de la présente convention, notamment depuis l'adoption de la loi du 5 avril 2006.
On peut toutefois regretter, monsieur le ministre, que trois des cinq décrets d'application de cette loi n'aient toujours pas été publiés, ce qui nuit à l'efficacité de la lutte antidopage menée par votre ministère et par l'AFLD. Nous en avions discuté à l'occasion de votre audition devant notre commission des affaires culturelles : il me paraît fondamental d'accélérer la publication de ces décrets.
Enfin, pour mettre en valeur un apport original de la Convention, citons l'article 17 qui prévoit la création d'un « Fonds pour l'élimination du dopage dans le sport », financé par des contributions volontaires et utilisé pour l'application de la Convention. Le fait que le mécénat ou les sponsors puissent aider à la lutte contre le dopage me semble une bonne chose. Les sociétés qui s'impliqueront financièrement dans cette lutte pourront ainsi valoriser leur image.
En dépit des nombreuses convergences constatées, la question de la compatibilité entre le Code mondial antidopage, largement repris par la Convention, et le droit français a été posée, notamment par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Dans son propos introductif, le ministre a rappelé avec précision les points de compatibilité avec notre droit et il a présenté quelques garanties ; je n'y reviens pas.
Il est vrai que la fixation de sanctions automatiques, la procédure d'appel, ainsi que le cas des sportifs internationaux posaient problème. Tout est clair désormais et, pour reprendre les propos employés par le ministre à l'Assemblée nationale, « chacun est maître chez soi » ; les décisions des fédérations internationales et du Tribunal arbitral du sport, le TAS, ne s'appliqueront que pour les compétitions internationales.
La commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale a finalement adopté ce projet de loi, suivie à l'unanimité en séance publique par nos collègues députés.
Bien évidemment, j'estime que ce débat juridique ne doit pas nous amener à repousser l'adoption de ce projet de loi, dans la mesure où je suis pleinement favorable à la ratification de la Convention, surtout dès lors que quarante-deux pays ont déjà ratifiée en seulement deux ans, ce qui constitue presque un record en la matière.
C'est d'autant plus urgent que la Convention entre en vigueur le 1er février prochain, à la suite de sa ratification par le Luxembourg le 11 décembre dernier.
La ratification permettra de plus à la France de continuer à jouer un rôle moteur en matière de lutte antidopage et, plus prosaïquement, de participer aux travaux du comité de suivi de la convention, qui auront lieu les 5, 6 et 7 février prochains à Paris.
Notre commission des affaires culturelles a donc donné à l'unanimité un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi, le 17 janvier dernier.
Il serait toutefois utile, monsieur le ministre, que l'interprétation des dispositions quelque peu litigieuses soit clarifiée à l'occasion de l'actualisation du Code mondial antidopage, lors de la conférence qui se tiendra au mois de novembre prochain à Madrid.
Permettez-moi pour conclure de dire combien nous apprécions l'implication totale et déterminée de M. le ministre dans le combat contre le dopage. Il a fait de la lutte contre ce fléau qui dénature le sport l'une des priorités de son ministère. Il vient également d'accepter la responsabilité de la vice-présidence de l'Agence mondiale antidopage, l'AMA.
Personnellement, pour avoir eu le privilège, au nom de la commission des affaires culturelles, de suivre le dossier du dopage depuis 2004, je ne peux que rendre hommage à l'action de Jean-François Lamour et lui assurer que, dans cette lutte antidopage, le Sénat sera toujours à ses côtés.