Monsieur le président, mes chers collègues, Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, ne peut être présent parmi nous aujourd’hui. Je vais donc m’exprimer en son nom, en plein accord avec lui.
Pour la première fois, avec le traité de Lisbonne, les Parlements nationaux interviennent au sein même du processus de décision de l’Union européenne.
Cette intervention prend trois formes.
La première est la procédure des avis motivés sur la subsidiarité. Dans cette procédure, les projets d’actes législatifs européens sont transmis directement aux Parlements nationaux. Je ferai remarquer que, si une relation directe entre la Commission européenne et les Parlements nationaux peut apparaître normale chez nos voisins qui ont une tradition parlementaire forte, c’est un peu moins naturel en France. Mais nous en prendrons l’habitude.
Les Parlements nationaux ont dès lors huit semaines – c’est un délai impératif – pour adresser un avis motivé aux institutions législatives de l’Union européenne. Il ne s’agit pas, je le souligne, de se prononcer sur le fond même du texte. La seule question examinée est le respect de la subsidiarité, c’est-à-dire du meilleur niveau pour agir. L’Union européenne ne doit intervenir que si l’objectif poursuivi dépasse les capacités d’action des États membres et qu’une action de l’Union a toutes les chances d’être plus efficace. L’Union ne doit agir que dans la mesure où son action est nécessaire. Elle ne doit pas « charger la barque », aller trop loin dans le détail.
Les avis motivés n’ont un effet contraignant que si un certain nombre de Parlements nationaux en adressent un sur le même texte. Il faut qu’un tiers des Parlements nationaux aient adressé un avis motivé pour que la Commission européenne soit tenue de réexaminer le texte. Ce seuil est abaissé à un quart des Parlements nationaux si le texte concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
Ces seuils vont être difficiles à atteindre, soyons lucides. En effet, pour respecter l’égalité entre les Parlements bicaméraux et les autres, on a donné une voix à chaque chambre pour les Parlements bicaméraux et deux voix pour la chambre unique des autres Parlements. Actuellement, il y a treize Parlements bicaméraux et quatorze monocaméraux, c’est-à-dire au total quarante chambres qui auront leur mot à dire.
Pour atteindre le « seuil critique », il sera donc nécessaire de trouver de nombreux alliés. Il faudra constituer des réseaux entre Parlements. Cela demandera de nouvelles habitudes de travail interparlementaire.
Le traité envisage, d’ailleurs, le cas où la moitié des Parlements nationaux adresserait un avis motivé. Dans ce cas, le processus législatif est interrompu et le Parlement européen et le Conseil votent sur la question de la subsidiarité. Si l’un ou l’autre donne raison aux Parlements nationaux, le texte est retiré.
À côté des avis motivés, qui interviennent au début du processus législatif, le traité de Lisbonne accorde une deuxième modalité d’intervention aux Parlements nationaux : la possibilité de saisir la Cour de justice de l’Union européenne. C’est un pouvoir très significatif, même si le recours ne peut porter que sur la subsidiarité et que, là encore, il y a un délai impératif : deux mois après la publication du texte.
Je souhaite souligner en cet instant le rôle de la Cour de Luxembourg, qui semble toujours un peu en retrait et qui est méconnue du grand public. La construction européenne est d’abord fondée sur le droit et la Cour de justice est, avec la Commission, au cœur de la construction communautaire. Le rôle de la Cour de justice de Luxembourg est souvent sous-estimé alors qu’il est essentiel.
Enfin, le traité de Lisbonne met en place une troisième modalité d’intervention des Parlements nationaux : le droit d’opposition à l’utilisation des clauses-passerelles, ces clauses qui permettent, dans certains cas, sans réviser le traité, de changer la procédure de décision de l’Union européenne. Pour cela, il faut d’abord que le Conseil européen ou le Conseil, selon les cas, parvienne à un accord unanime. Ensuite, les Parlements nationaux ont six mois pour manifester leur opposition. Il suffit qu’un seul Parlement national s’oppose pour que la clause-passerelle ne puisse pas jouer.
Dans notre Constitution, nous avons choisi la solution la plus européenne. J’en suis personnellement heureux. Pour que le Parlement français s’oppose, il faut que chaque chambre s’oppose. L’Assemblée nationale ne peut en l’occurrence avoir le dernier mot. Le Sénat dispose donc d’un pouvoir propre important. Si l’Assemblée nationale veut s’opposer à l’utilisation d’une clause-passerelle, elle aura besoin de l’accord du Sénat.
Ces nouveaux pouvoirs ont déjà été pris en compte par les articles 88-6 et 88-7 de la Constitution. Il restait à les traduire dans notre règlement. C’est ce que tend à faire le texte qui nous est proposé.
L’article 73 octies précise les conditions dans lesquelles le Sénat peut, par une résolution, adopter un avis motivé sur la subsidiarité ou décider de former un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Le dispositif proposé me paraît être parfaitement dans l’esprit de la démocratie parlementaire. Tout sénateur peut proposer une résolution. À tout moment, un président de groupe peut demander un examen en séance publique.
C’est, en même temps, un dispositif pragmatique. Un premier examen a lieu au sein de la commission des affaires européennes. Si celle-ci adopte une proposition de résolution, cette dernière est transmise à la commission compétente au fond, qui peut la rejeter, l’adopter avec ou sans modification, ou l’adopter tacitement, en laissant expirer le délai de huit semaines sans intervenir. Il n’y a pas de règle précise pour la gestion du délai de huit semaines, l’objectif étant que la commission compétente au fond dispose du meilleur délai possible pour se prononcer.
Ainsi, plutôt que de retenir des règles rigides, on laisse une place aux bonnes pratiques sénatoriales, et c’est très bien. On ne peut tout prévoir et il faut faire confiance aux acteurs de cette nouvelle procédure.
L’article 73 nonies, quant à lui, inscrit dans notre règlement la faculté donnée par la Constitution à soixante sénateurs de former un recours contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Cette disposition également est bien dans l’esprit de la démocratie parlementaire puisque, en pratique, c’est un droit dont disposera en particulier l’opposition.
Enfin, l’article 73 decies précise la procédure par laquelle le Sénat peut s’opposer, par le vote d’une motion, à l’utilisation d’une clause-passerelle. Comme le sujet s’apparente à une révision des traités, la commission compétente est la commission des affaires étrangères et de la défense. La décision est prise en séance publique. Ce sont des solutions de bon sens.
On aura compris que j’approuve sans réserve l’excellent rapport de Patrice Gélard. Comme lui, je souhaite que le texte soit adopté sans modification par notre assemblée.
Avant de conclure, je souhaite prolonger quelques instants mon propos. Le traité de Lisbonne a consacré le rôle des Parlements nationaux dans la construction européenne. Cela s’est tout de suite, et très naturellement, traduit dans le contrôle de la subsidiarité, dont nous parlons aujourd’hui. Il est normal que les Parlements nationaux, comme le Parlement européen, puissent s’exprimer sur la répartition des compétences entre les États et l’Union européenne.
L’actualité nous montre, cependant, que le rôle des Parlements nationaux est beaucoup plus large. Ce qui était implicite doit être dit et assumé. La politique de défense et de sécurité relève, pour l’instant, de l’intergouvernemental. Les Parlements nationaux restent compétents pour voter les crédits, pour en contrôler l’usage, pour ratifier des traités de paix. Les budgets nationaux, prérogatives des Parlements nationaux par excellence, vont être mis en coordination et sous surveillance mutualisée des États de l’Union européenne. Les Parlements nationaux ont voté chacun une part de la garantie apportée par le fonds de stabilité européen aux emprunts souverains.
De plus en plus, la relation entre le Parlement européen et les Parlements nationaux va se resserrer. Je cite un dernier exemple : 85 % des ressources du budget européen sont votées par les Parlements nationaux, même si la contribution des États est quasi-obligatoire car elle relève de l’application des traités. Je pourrais citer d’autres exemples montrant que le rôle des Parlements nationaux reste tout à fait majeur dans le cadre de la construction européenne.
En fait, sur cette question de la subsidiarité, mais aussi sur toutes les questions que j’ai énumérées et sur bien d’autres, une excellente concertation entre les Parlements nationaux va devoir être mise en place. De même, un dialogue efficace doit être construit entre le Parlement européen, d’une part, et les Parlements nationaux, d’autre part. La formule de la conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des Parlements de l'Union européenne, la COSAC, ou les formules dans lesquelles les commissions du Parlement européen invitent tel ou tel d’entre nous à suivre leurs travaux à Bruxelles ne seront plus suffisantes.
J’insiste sur ce point car nous avons devant nous un grand chantier à défricher. Tout cela fera l’objet, j’en suis sûr, de futurs débats dans notre hémicycle.