Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 20 décembre 2010 à 15h00
Adaptation du règlement du sénat au traité de lisbonne — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Ma deuxième réflexion porte sur le fond. Autant il est justifié et nécessaire, compte tenu de certaines initiatives qui témoignent d’un zèle de réglementation excessif de la part de Bruxelles, de mettre en place des dispositifs de protection du principe de subsidiarité, autant il me paraît personnellement contestable de permettre au parlement d’un seul État membre de s’opposer à l’adoption d’une clause passerelle ou de l’équivalent d’une telle clause en matière de coopération judiciaire civile ou de droit de la famille.

Dans les deux cas, il s’agit de passer d’une prise de décision à l’unanimité à la prise de décision à la majorité qualifié – ce n’est pas n’importe quelle majorité ! –, sous condition d’une décision unanime du Conseil européen.

En matière de droit de la famille ou de l’organisation judiciaire, il s’agit uniquement d’affaires ayant des incidences transfrontalières, et non pas de compétence nationale.

Comment ne pas voir qu’une telle faculté de blocage conférée à un seul parlement national dans l’Europe des vingt-sept constitue, même si elle n’est mise en œuvre que rarement, un risque de paralysie qui est la négation même de la démarche communautaire, raison d’être de la construction européenne ? De deux choses l’une : soit on s’inscrit dans une démarche communautaire, et une décision à l’unanimité du Conseil accompagnée d’une décision à la majorité qualifiée devrait suffire, soit on ne veut pas vraiment s’y engager, et alors qu’on en sorte...

Nous sommes en présence d’une de ces dispositions qui conduisent à s’interroger sur le point de savoir si le système institutionnel communautaire est vraiment conçu pour favoriser la construction de l’Europe. Il apparaît quelquefois comme plutôt destiné à la paralyser.

Ma troisième réflexion sera pour rappeler que le principe de subsidiarité ne saurait fonctionner à sens unique. Il ne doit pas seulement nous préserver de décisions prises au plan européen dans des domaines où le cadre national, voire régional, correspond mieux à la nature des problèmes qu’il s’agit de résoudre. Ce principe devrait également – ce serait probablement même plus important – nous déterminer à cesser de prétendre pouvoir traiter correctement au niveau national des problèmes qui appellent manifestement des politiques définies à un niveau supérieur par leur nature même et par l’étendue de leurs enjeux.

Croyons-nous encore pouvoir développer des politiques qui soient à la hauteur de ces enjeux dans les domaines comme celui de la recherche scientifique, des grands moyens de transport, des grandes infrastructures, des ressources énergétiques et des matières premières, de la protection de l’environnement, de la lutte contre la délinquance transnationale, de la sécurité et de la défense ? Excusez du peu !

Il suffit d’évoquer de tels sujets, qui sont essentiels, pour mesurer la terrible insuffisance de nos politiques nationales au regard des exigences du temps présent.

Comme en ont témoigné les propos tenus récemment par le président de la SNCF, M. Pepy, lors de son audition par la commission des affaires européennes, nous devons être conscients du fait que, non seulement nos politiques nationales particulières ne disposent pas des moyens à la hauteur de nos ambitions, mais qu’il leur arrive en outre de se nuire mutuellement par l’effet de leur concurrence, qui affaiblit plus encore leur capacité à rivaliser avec les partenaires mondiaux.

Actuellement, les industries allemandes et françaises, pour ne parler que d’elles, se livrent à une concurrence destructrice au sujet de l’Eurostar, ce qui ne nous permet pas de rivaliser avec les industries chinoises et autres.

Sans doute faisons-nous quelques efforts, surtout verbaux, d’ailleurs, pour, selon les euphémismes en vigueur, « harmoniser », rapprocher ces politiques, et avancer pas à pas dans la voie d’une véritable coopération dont aucun esprit sérieux ne doute de la nécessité. On vient de le voir, par exemple, sur le terrain de la défense. Pour autant, nous sommes bien incapables de faire quoi que ce soit de réellement en commun. On fera l’analyse des problèmes, l’inventaire des situations dans les différents pays, ce qui prendra un an, et pendant ce temps l’histoire s’écoulera !

Cependant, la mondialisation qui bouscule les situations acquises avance, elle, à grand pas, et il est à craindre que les États européens empêtrés dans leurs particularismes, leurs préventions, leurs prétentions, se révèlent incapables de mettre en place des réponses appropriées aux défis de notre temps.

Comme quatrième réflexion, j’évoquerai une réalité que nous rencontrons fréquemment à l’issue des analyses menées au sein de la commission des affaires européennes : dès lors que nous sommes confrontés à des problèmes qui appellent des solutions communes et que l’ensemble des États européens ne parviennent pas dans des délais convenables à mettre en place des réponses appropriées, il appartient aux États qui sont les plus conscients de l’importance des enjeux, de l’urgence et de leurs responsabilités de s’unir, même à quelques-uns, pour définir et mettre en œuvre des politiques communes qui auront au moins l’avantage de se situer à un meilleur niveau d’efficacité. C’est ce que nous appelons communément des coopérations renforcées ou des coopérations volontaires, qui sont probablement le seul moyen qui s’offre aux Européens de ne pas se laisser déborder et marginaliser par le « tsunami » de la mondialisation.

Pour finir, je formulerai une dernière réflexion qui viendra prolonger celle de Denis Badré. Il faut que les parlements nationaux soient plus présents dans les débats européens. Comment y parvenir ? Notre collègue l’a souligné, la COSAC et les différentes réunions qui ont lieu régulièrement sont très utiles, mais tous ces contacts ne sont pas à la hauteur de la complexité des problèmes et des engagements nécessaires. La véritable solution, dans toute construction politique plurinationale, fédérale ou de type fédéral, c’est l’existence d’une seconde chambre. Il est évident que l’Europe a besoin d’une seconde chambre qui devrait être selon moi, c’est une idée que je partage avec M. Badré, issue des parlements nationaux. Serait transposée alors une véritable culture parlementaire nationale au niveau européen. En connexion avec leurs parlements nationaux, les représentants pourraient se consacrer à leur mission de parlementaires, et assumeraient pleinement leurs responsabilités. C’est le schéma classique de toute constitution de type fédéral. Au demeurant, je sais bien que c’est une idée pour l’avenir.

Telles sont les réflexions qui viennent à l’esprit des membres de mon groupe à l’occasion de l’examen de cette proposition de résolution que nous voterons avec confiance, mais non sans inquiétude quant à l’avenir de l’Europe.

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