Une autre piste consisterait à revoir l’organisation du travail et à mieux axer la réduction du temps de travail sur l’égalité entre hommes et femmes.
Sans doute faudrait-il aussi sortir de la logique de généralisation du travail à temps partiel et s’orienter plutôt vers la remise en question de la norme du travail à temps plein.
L’OCDE semble désormais aller en ce sens, car elle n’insiste plus, dans ses recommandations, sur l’accentuation du travail à temps partiel, mais sur l’instauration de vraies politiques de conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale.
À ce titre, il pourrait être judicieux de porter un regard sur les expériences étrangères qui peuvent présenter un intérêt particulier. C’est ainsi que, d’une manière générale, dans les pays scandinaves, nous pouvons observer l’existence d’une meilleure articulation des temps professionnels et familiaux.
L’exemple des Pays-Bas mérite également d’être cité. C’est à l’issue d’un large débat, portant sur l’évaluation de la durée du travail selon qu’elle permet un accomplissement satisfaisant des tâches parentales, que des scénarios ont abouti à préconiser une durée de 32 heures de travail hebdomadaire pour les hommes et les femmes. Une loi relative à l’adaptation du temps de travail, votée dans la foulée, permet aux salariés de demander des augmentations ou des diminutions du temps de travail à leur employeur, lequel, en cas de refus, doit prouver son impossibilité de satisfaire cette demande.
La Suède, quant à elle, a instauré un congé de maternité plus long et une durée des congés pour soigner des enfants malades pouvant aller jusqu’à soixante jours.
Peut-être serait-il également souhaitable de déconnecter la période de maternité de la période de travail, afin de rééquilibrer les déroulements de carrière.
Des pays comme le Canada, notamment la province du Québec, ont travaillé de façon très approfondie sur ces questions. Les principales remarques des Québécois sur la manière dont nous abordons la question de l’égalité salariale portent essentiellement sur notre optique, jugée trop étroite, en matière d’inégalités salariales.
Dans nos sociétés dites occidentales, l’une des principales origines des inégalités entre femmes et hommes sur le marché du travail réside dans la distinction, créée artificiellement, entre un travail qui serait productif, c’est-à-dire hors du foyer et donc rémunéré, et un travail improductif, celui qui est accompli à l’intérieur du foyer.
Avec l’arrivée des femmes sur le marché du travail, au moment de la Première Guerre mondiale, cette même distinction s’est perpétuée, en réservant aux hommes les secteurs réputés productifs, dans les domaines techniques ou de direction, et aux femmes les secteurs qualifiés d’improductifs, à savoir la santé, la protection sociale ainsi que les tâches administratives dans les entreprises. Il en est résulté une rémunération moindre dans les secteurs considérés, de fait, comme féminins.
Selon les Québécois, c’est sur cette division du travail, responsable des préjugés de genre, que nous devrions principalement nous pencher.
Le système canadien se fonde sur l’idée que toute personne occupant un poste sous-évalué, considéré comme féminin, doit avoir droit à une rémunération fondée sur la valeur du travail et non sur les préjugés de genre.
Au lieu d’analyser simplement les différences de revenus entre individus exerçant un même travail, la législation canadienne s’intéresse aussi aux inégalités entre les secteurs d’emploi.
De plus, au lieu de laisser la situation se normaliser à partir des plaintes émanant des salariés, ce sont les employeurs qui, au Canada, doivent agir pour constater les inégalités salariales et réduire les écarts salariaux. Par exemple, la législation canadienne impose aux employeurs de plus de dix salariés de suivre un programme d’équité salariale Ce système s’applique aussi bien au secteur privé qu’au secteur public et prévoit des sanctions envers les employeurs qui ne respecteraient pas ce programme.
Mise en œuvre depuis 1997, cette loi canadienne sur l’équité salariale a permis une diminution des écarts salariaux entre les femmes et les hommes. De 16, 1 % en 1997, ils sont passés à 13, 9% en 2004. Il reste qu’elle n’a pas abouti à l’égalité de fait.
Les cultures et des traditions sont encore lourdes. Certains préjugés ont la vie dure !
Ils sont fondés sur les rapports sociaux entre les sexes et renvoient à la division des rôles au sein de la sphère familiale : accès différenciés à l’éducation et à la formation, répartition inégale du travail domestique, persistance de repères d’un salaire familial masculin assurant la couverture des besoins du ménage et, inversement, d’un salaire d’appoint pour les femmes.
Comme nous le voyons, un changement de mentalité s’impose également du côté des hommes. Ces derniers doivent également prendre part aux tâches domestiques. Lorsque les enfants sont malades, pourquoi serait-ce obligatoirement à la mère de s’absenter de son travail ? Lorsque les enfants sont encore en bas âge, pourquoi le père ne prendrait-il pas un congé parental ? Certains le font, mais ils restent trop rares. Pourquoi les pères ne demanderaient-ils pas à bénéficier d’un horaire aménagé pour pouvoir aller chercher leurs enfants à l’école à seize heures ?
Cette dynamique d’égalité, qui prend en compte l’intérêt des femmes et des hommes, est encore largement sous-estimée.
Heureusement, l’arrivée des jeunes générations, plus sensibilisées que leurs aînées au partage des rôles et aux aléas de la vie professionnelle, pourrait bien modifier les représentations de l’égalité et peser favorablement, demain, sur l’égalité salariale des hommes et des femmes dans les entreprises.
En conclusion, je dirai que la question des inégalités salariales entre hommes et femmes est complexe parce qu’elle témoigne du caractère fortement imbriqué de l’ensemble des inégalités dont sont victimes les femmes dans le monde du travail.
Si l’on souhaite assurer l’égalité entre les sexes, il faut s’en donner les moyens. Il faut agir sur le marché du travail : légiférer efficacement sur l’égalité salariale en appliquant des sanctions dissuasives aux entreprises qui ne respectent pas les lois, combattre le temps partiel subi, favoriser la formation professionnelle des femmes, particulièrement des femmes seules, et aménager leur temps de travail.
Il faut également agir sur la vie familiale et mener une politique volontariste en matière de garde d’enfants.
Les bonnes intentions ne sont pas suffisantes, il est temps d’agir !
Je tiens à rappeler que le Gouvernement vient de montrer le peu de cas qu’il fait de la situation des femmes dans deux textes majeurs : la réforme des retraites et celle des collectivités territoriales.