Intervention de Jean-Claude Peyronnet

Réunion du 27 octobre 2005 à 15h00
Création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Jean-Claude PeyronnetJean-Claude Peyronnet :

En effet, derrière l'objectivité apparente des chiffres, dont nous ne manquerions pas d'être abreuvés, il y a toujours une interprétation. D'ailleurs, d'une façon générale, s'agissant de ce type de commission, que nous ayons initialement voté sa création ou non, il conviendrait que l'opposition y ait toute sa place, au regard non seulement d'une représentation proportionnelle des différents groupes, mais aussi d'une répartition équitable fonctions de président et de rapporteur, comme cela a été le cas à l'Assemblée nationale. De ce point de vue, nous avons noté un léger progrès au sein de la commission des lois, mais il est nécessaire de continuer d'avancer dans ce domaine.

Nous ne voterons donc pas ce texte. En effet, le dépôt d'une telle proposition de résolution dix-huit mois avant une échéance majeure, le rapport final devant être rendu un an avant celle-ci, permet aisément de percevoir, grâce aux enseignements du passé, quelle utilisation peut être faite, une nouvelle fois, d'un sujet aussi sensible pour l'électeur. Dès lors, naturellement, une telle initiative nous inspire quelque méfiance ... pour ne pas dire quelque défiance !

S'agit-il d'un procès d'intention ? Peut-être en partie ! Il reste que l'on peut relever dans l'exposé des motifs de cette proposition de résolution des phrases qui ne sont tout de même pas innocentes et qui dénotent une vision manichéenne des politiques menées dans ce domaine : la gauche y est présentée sous des traits « angéliques » et démagogiques - description dans laquelle nous ne nous retrouvons pas du tout - tandis que la droite y est dépeinte comme menant, depuis trois ans, une politique « volontariste » - en apparence ! -, « décomplexée » - ce n'est pas fait pour nous rassurer ! - et « efficace » - c'est pure invention ! En effet, si tel était le cas, pourquoi M. Sarkozy annoncerait-il une réforme de la politique migratoire reprenant les mêmes thèmes que ceux de la loi qu'il avait fait voter en 2003 sur ce sujet ?

Cette vision simpliste laisse mal augurer des conclusions d'une commission d'enquête au sein de laquelle nous risquons, une fois encore, d'être marginalisés lors de l'élaboration et de la validation des résultats. Et je ne parle pas de l'utilisation médiatique qui ne manquera pas d'en être faite !

Nous ne voterons pas ce texte parce que le sujet y est appréhendé par le petit bout d'une lorgnette purement franco-française. Vous avez parfaitement mis en évidence ce problème, monsieur Nogrix, sans toutefois en tirer les mêmes conclusions que nous.

Certes, le problème est grave et l'exposé des motifs pointe des sujets qui sont importants : le rôle des mafias, l'importance du travail au noir, l'indécence des conditions de vie de ces clandestins et la situation intenable de certains départements et territoires d'outre-mer. Ce sont en effet des sujets sensibles, qui, humainement, nous touchent, comme vous, et à propos desquels nous avons, comme vous, identifié des situations extrêmement délicates, auxquelles l'administration est confrontée. Je citerai pour exemple les conseils généraux, qui sont dans l'obligation d'assister les familles avec enfants en situation notoirement irrégulière, sans domicile connu, quand EDF réussit le tour de force de leur faire payer leur consommation d'électricité ! Quelle hypocrisie !

Nous ne voterons pas ce texte parce que les questions évoquées par l'exposé des motifs ont déjà été traitées par un texte de loi présenté, voilà moins de trois ans, le 26 novembre 2003, par M. Sarkozy. Aujourd'hui, sans que la moindre évaluation de cette loi ait été effectuée, mais sans doute en en reconnaissant implicitement l'échec - et cela contredit cet exposé des motifs lénifiant -, M. Sarkozy lui-même annonce le dépôt d'un nouveau projet de loi, qui reprend tous les sujets antérieurs et donne les conclusions qu'il faut en tirer, avant même qu'il soit rédigé et voté, en nous assurant que seront cette fois-ci traités au fond tous les problèmes. Sont alors égrenés les détournements de procédure en matière d'asile, les mariages blancs, le visa à points pour les travailleurs, la rationalisation du regroupement familial avec le préalable des conditions de ressources et de logement, sans oublier, bien sûr, grâce à l' »immigration choisie », le pillage qui vide les pays émergents de leurs étudiants et de leurs techniciens les plus brillants.

D'ailleurs, je vous le demande, est-ce cela l'aide au développement ? Pour résumer, si vous êtes médecin, vous serez accueilli à bras ouverts et embauché - à bas prix, il est vrai - dans nos hôpitaux ; si vous êtes footballeur de qualité, vous signerez un contrat et vous serez en outre bien payé ! Pendant ce temps, les malheureux du Sahel, ceux du Mali, du Togo, du Congo, du Niger, notamment, sont refoulés brutalement aux portes de l'Europe, en Afrique, où ils sont envoyés sans eau en plein désert !

Combien de temps allons-nous fermer les yeux ? Cette proposition de résolution, qui ne traite que de l'immigration clandestine, est partielle et partiale. Vous seriez mieux inspirés, mesdames, messsieurs les sénateurs de la majorité, en vous penchant sur le problème de l'immigration dans son ensemble, en particulier en essayant de trouver des solutions avec les pays « émetteurs », pour prévenir plutôt que réprimer.

Il ne s'agit pas de laxisme ! C'est bien un socialiste qui a dit, à bon droit : « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». Mais pendant combien de temps allons-nous laisser des tiers, je pense en particulier au Maroc, régler nos problèmes ? Quelle politique d'immigration cohérente menons-nous avec ces Etats « émetteurs », pour les aider à créer les conditions du développement local ? Combien de temps allons-nous laisser les grandes multinationales, en particulier agro-alimentaires, encourager le développement d'une agriculture spéculative et sous-payée, qui détruit les cultures vivrières, chasse les paysans de leurs terres, les conduisant à s'agglutiner aux portes des villes, démunis, malheureux et prêts à toutes les aventures, même les plus dangereuses ?

Sur tous ces points, l'objet de la commission d'enquête ne nous satisfait pas. C'est sur les sujets que je viens d'évoquer qu'il nous aurait semblé opportun de mener l'enquête, en évaluant objectivement le résultat des politiques suivies, y compris et peut-être surtout dans un cadre européen.

Se rendre en Roumanie - comme cela a été fait - afin de régler, ou de tenter de le faire, avec le gouvernement de ce pays la question du déplacement des nomades est une bonne initiative. Mais un suivi a-t-il été prévu ? Peut-être. Quels sont les résultats ? Le Parlement n'est pas informé et, hélas ! ne cherche pas à l'être.

Ces questions constitueraient pourtant, me semble-t-il, des champs d'investigation pertinents pour une commission d'enquête qui s'intéresserait à la racine du mal et s'emploierait à traiter les causes plutôt que les effets. Encore faudrait-il pour cela se préoccuper davantage de l'intérêt général que de politique politicienne et des futures échéances électorales !

J'ajouterai que ce n'est pas en se lançant dans une communication people au coût exorbitant ni en suivant le Gouvernement en toute circonstance que l'on crédibilisera le Sénat. C'est en produisant des travaux sérieux et objectifs. Le rapport de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, qui vient d'être remis, en est un exemple éclatant.

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