Séance en hémicycle du 27 octobre 2005 à 15h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • DDEN
  • OMC
  • clandestine
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La séance

Source

La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Mes chers collègues, je dois tout d'abord vous indiquer que la conférence des présidents s'est vue, en raison du retard pris par nos travaux, dans l'obligation de vous proposer, en accord avec M. Paul Girod, le retrait de notre ordre du jour d'aujourd'hui du débat de contrôle budgétaire sur la gestion de la dette dans les Etats de l'Union européenne.

Le Gouvernement a accepté d'inscrire ce débat à l'ordre du jour prioritaire du mercredi 9 novembre, à quinze heures, ce dont nous lui sommes très reconnaissants, car nous savons notre collègue M. Paul Girod particulièrement attaché, à fort juste titre, à la tenue de ce débat.

Par ailleurs, la conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

Mercredi 2 novembre 2005

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures 30 et le soir :

- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, d'orientation agricole (26, 2005-2006) ;

M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social exposera l'avis du Conseil économique et social sur le projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Jeudi 3 novembre 2005

A 9 heures 30 :

1°) Nomination des membres de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine ;

Les candidatures à cette commission d'enquête devront être déposées au secrétariat central des commissions au plus tard le mercredi 2 novembre 2005 à 17 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Ordre du jour prioritaire

2°) Suite du projet de loi d'orientation agricole ;

A 15 heures et le soir :

3°) Questions d'actualité au Gouvernement ;

Ordre du jour prioritaire

4°) Suite du projet de loi d'orientation agricole.

Vendredi 4 novembre 2005

Ordre du jour prioritaire

A 9 heures 30 et à 15 heures :

- Suite du projet de loi d'orientation agricole.

Lundi 7 novembre 2005

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et le soir :

- Suite du projet de loi d'orientation agricole.

Mardi 8 novembre 2005

A 10 heures :

1°) Dix-huit questions orales :

L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.

- n° 784 de M. Dominique Braye à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- n° 789 de M. José Balarello à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- n° 794 de M. Ivan Renar à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- n° 806 de Mme Catherine Troendle à M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;

- n° 807 de M. Denis Badré à M. le ministre de la santé et des solidarités ;

- n° 810 de M. Claude Biwer à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement ;

- n° 812 de M. Roland Courteau à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

- n° 813 de M. Richard Yung à M. le ministre délégué à l'industrie ;

- n° 821 de M. Jean-Pierre Bel à M. le ministre de la santé et des solidarités ;

- n° 824 de M. André Lardeux à M. le ministre de la culture et de la communication ;

- n° 826 de Mme Alima Boumediene-Thiery à M. le ministre des affaires étrangères ;

- n° 828 de M. Jean-Pierre Sueur à M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;

- n° 829 de M. Gérard Delfau à M. le ministre de la santé et des solidarités ;

- n° 830 de M. Claude Domeizel à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

- n° 832 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat à M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement ;

- n° 833 de Mme Monique Cerisier-ben Guiga à M. le ministre des affaires étrangères ;

- n° 838 de M. René-Pierre Signé à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche ;

- n° 846 de Mme Gisèle Gautier à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche ;

Ordre du jour prioritaire

A 16 heures et le soir :

2°) Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre les Gouvernements de la République française, de la République fédérale d'Allemagne, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et du Royaume des Pays-Bas, relatif à la coopération dans le domaine de la technologie de la centrifugation (40, 2005-2006) ;

3°) Suite du projet de loi d'orientation agricole.

Mercredi 9 novembre 2005

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures :

1°) Débat de contrôle budgétaire sur la gestion de la dette dans les Etats de l'Union européenne ;

A 16 heures et le soir :

2°) Suite du projet de loi d'orientation agricole.

Jeudi 10 novembre 2005

Ordre du jour réservé

A 9 heures 30 et à 15 heures :

1°) Question orale avec débat n° 6 de M. Nicolas About sur l'état de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire ;

2°) Conclusions de la commission des affaires culturelles (n° 27, 2005-2006) sur la proposition de loi de M. Philippe Marini complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (n° 59, 2004-2005) ;

3°) Débat de contrôle budgétaire sur le rapport d'information établi par M. Roland du Luart au nom de la commission des finances sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire (478, 2004-2005) ;

Lundi 14 novembre 2005

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et le soir :

- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 (A.N., n° 1830) ;

Par ailleurs, la conférence des présidents a décidé d'organiser deux débats :

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Mardi 15 novembre 2005

A 10 heures :

1°) Dix-huit questions orales :

L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.

- n° 793 de Mme Anne-Marie Payet à M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement ;

- n° 796 de M. Jean Boyer à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ;

- n° 823 de M. Bernard Dussaut à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

- n° 834 de M. Alain Dufaut à M. le ministre de la culture et de la communication ;

- n° 835 de M. Denis Detcheverry à M. le ministre de l'outre-mer ;

- n° 837 de M. Gérard Longuet à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

- n° 839 de M. Michel Billout à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

- n° 840 de M. Bernard Piras à M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative ;

- n° 841 de M. Michel Doublet à M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative ;

- n° 843 de M. Pierre Laffitte à M. le ministre délégué à l'industrie ;

- n° 844 de Mme Hélène Luc à Mme la ministre de la défense ;

- n° 845 de M. Adrien Gouteyron à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

- n° 847 de Mme Marie-France Beaufils à M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;

- n° 848 de M. Bernard Angels à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

- n° 849 de M. Dominique Mortemousque à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- n° 851 de Mme Françoise Henneron à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ;

- n° 856 de M. Jean-Marc Todeschini à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- n° 857 de M. Simon Sutour à M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative ;

Ordre du jour prioritaire

A 16 heures et le soir :

2°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

Mercredi 16 novembre 2005

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et le soir :

- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

Jeudi 17 novembre 2005

A 9 heures 30 :

Ordre du jour prioritaire

1°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

A 15 heures et le soir :

2°) Questions d'actualité au Gouvernement ;

Ordre du jour prioritaire

3°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

Eventuellement, vendredi 18 novembre 2005

Ordre du jour prioritaire

A 9 heures 30 et à 15 heures :

- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

Lundi 21 novembre 2005

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et le soir :

- Projet de loi portant engagement national pour le logement (57, 2005 2006) ;

Mardi 22 novembre 2005

Ordre du jour prioritaire

A 10 heures, à 16 heures et le soir :

- Suite du projet de loi portant engagement national pour le logement.

Mercredi 23 novembre 2005

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures :

1°) Suite du projet de loi portant engagement national pour le logement ;

2°) Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 ;

Le soir :

3°) Suite du projet de loi portant engagement national pour le logement.

Du jeudi 24 novembre au mardi 13 décembre 2005

Ordre du jour prioritaire

- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2006 (A.N., n° 2540) ;

En outre,

Jeudi 1er décembre 2005

A 15 heures :

- Questions d'actualité au Gouvernement ;

En application de l'article 28 de la Constitution et de l'article 32 , alinéa 1, du règlement, le Sénat a décidé de suspendre ses travaux en séance publique :

- du vendredi 23 décembre 2005 au dimanche 15 janvier 2006,

- du dimanche 12 février 2006 au dimanche 19 février 2006,

- du dimanche 16 avril 2006 au lundi 1er mai 2006,

- du dimanche 21 mai 2006 au dimanche 28 mai 2006.

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

Ces propositions sont adoptées.

(Ordre du jour réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de résolution de MM. Josselin de Rohan, Henri de Raincourt, André Dulait et des membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, apparentés et rattachés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine (31).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des lois a eu à examiner à la fois la recevabilité juridique de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine et l'opportunité de la création de cette commission d'enquête, en application de l'article 11 de notre règlement.

Je passerai très rapidement sur la recevabilité de cette proposition de résolution, laquelle ne pose pas de difficultés particulières. En effet, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précise : « Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information, soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées.» Cette proposition de résolution ne portant pas sur des faits déterminés, il n'est donc pas nécessaire d'interroger le garde des sceaux sur l'existence de poursuites judiciaires.

La proposition de résolution a pour objet de contrôler le fonctionnement de services publics, notamment ceux de la police, de la justice, du travail ou encore de l'aide sociale à l'enfance. Son exposé des motifs invite en effet à « une réflexion globale sur les sources de cette immigration illégale, ses filières, l'efficacité ou les dysfonctionnements de nos dispositifs préventifs ou répressifs ». Ses auteurs estiment également qu'« il ne peut être fait l'économie d'une analyse précise des conséquences de ce phénomène sur la structure économique et sociale de notre pays ».

Quant à l'opportunité de créer cette commission d'enquête, elle est apparue indiscutable à la commission des lois.

L'actualité rappelle en effet en permanence le difficile problème que pose l'immigration irrégulière. Les drames de Ceuta et Melilla ou les récents heurts à Mayotte, à la suite d'une manifestation de clandestins dans les rues de Mamoudzou, sont les illustrations d'un phénomène continu et massif.

Depuis 2002, la lutte contre l'immigration clandestine est au coeur de la politique du Gouvernement en matière d'immigration ; elle est aussi le pendant d'une action volontaire en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière. Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de résolution, « depuis les lois de 2003, la France s'est dotée d'instruments nouveaux pour lutter avec efficacité contre l'immigration clandestine ». Les premiers résultats ont pu être constatés, en particulier en matière d'éloignement et de traitement des demandes d'asile. Aux frontières de la métropole, la pression migratoire semble également avoir diminué, selon les chiffres du rapport annuel du Gouvernement au Parlement, établi en application de l'article 1er de la loi du 26 novembre 2003 et publié en 2005, sur les orientations de la politique de l'immigration. Une inflexion de tendance est perceptible.

Toutefois, les chiffres de l'activité des services de la police aux frontières en France métropolitaine, en 2004 et 2005, invitent à ne pas relâcher l'effort entrepris pour lutter contre l'immigration illégale. Ils sont la démonstration aussi bien de l'ampleur de l'immigration clandestine que de l'efficacité et du renforcement de l'action de la police aux frontières. Ainsi, les éloignements effectifs ont crû de 25 % au premier semestre 2005 par rapport au premier semestre 2004 et les interpellations d'étrangers en situation irrégulière, de 45 %.

Des efforts importants ont également été entrepris pour mieux appréhender l'ampleur de l'immigration clandestine. Quelques indicateurs peuvent nous aider. Ainsi, le nombre de personnes mises en cause pour infraction à la police des étrangers s'est élevé à 66 062 pour l'année 2003 et le nombre annuel de bénéficiaires de l'Aide médicale d'Etat, l'AME, qui concerne en très grande majorité des étrangers en situation irrégulière, est passé de 139 000 à 170 000 entre 2001 et 2003. Pour autant, ces indicateurs doivent être utilisés avec prudence, chacun ne permettant de cerner qu'une partie du phénomène, qu'il reste nécessaire de mieux appréhender.

Comprendre l'immigration, c'est aussi saisir ses causes profondes ainsi que les attentes d'hommes et de femmes poussés par la misère. Il faut s'interroger sur les moyens de développer une réelle coopération avec les pays qui sont à la source de l'immigration, allant bien au-delà de la simple conclusion d'accords de réadmission.

Enfin, comprendre l'immigration clandestine est encore plus délicat dès lors qu'il s'agit d'en saisir les conséquences et le coût. L'exposé des motifs de la proposition de résolution met ainsi l'accent sur : « des difficultés en matière de sécurité dans la mesure où cette immigration est principalement coordonnée par des organisations mafieuses ; des difficultés économiques en raison du travail au noir qui est la conséquence de cette immigration ; des difficultés sociales en raison de la précarité consubstantielle des conditions de vie de ces migrants ».

L'immigration clandestine est surtout un phénomène en évolution permanente. Les pouvoirs publics, Etat et collectivités territoriales, ont ainsi dû faire face à un nombre croissant de mineurs étrangers isolés appelant des réponses différentes. L'ensemble du territoire français a été concerné par ce phénomène, y compris des départements qui n'étaient pas confrontés jusque-là au problème de l'immigration.

La question de l'outre-mer a également ressurgi avec une acuité nouvelle. Comme le relève l'exposé des motifs de la proposition de résolution, aux difficultés habituelles posées par l'immigration clandestine s'ajoutent « des difficultés démographiques [...] puisque ces collectivités au territoire limité subissent d'intenses flux migratoires, en dépit d'un contexte économique et social souvent déjà délicat ».

Outre la Guyane et Mayotte, où près de 35 % des habitants seraient des étrangers en situation irrégulière, la Guadeloupe, la Martinique et, dans une moindre mesure, la Réunion sont aussi touchées par une immigration clandestine en recrudescence.

L'avis de la commission des lois sur les crédits du projet de loi de finances pour 2005 consacrés aux départements et régions d'outre-mer relevait ainsi que, en Guyane, « les infractions à la législation sur les étrangers constituaient 43 % du nombre total des infractions » et que, en Guadeloupe, le nombre des reconduites à la frontière et expulsions avait augmenté de 53, 5 % en 2003 par rapport à 2002.

Par ailleurs, les filières d'immigration clandestine dévoient parfois à leur profit les possibilités offertes par les droits de la nationalité et de la filiation ou les règles applicables en matière de regroupement familial.

Enfin, le cadre européen ajoute à la complexité, l'ensemble des Etats membres de l'espace Schengen étant solidaire pour garantir la régularité de l'entrée et du séjour des ressortissants des Etats tiers. L'action communautaire contre l'immigration irrégulière est en plein essor, mais commence seulement à être opérationnelle et efficace.

L'un des axes de cette action consiste à associer les pays sources ou de transit à la lutte contre l'immigration clandestine vers l'Europe.

Dans un tel contexte, il paraît aujourd'hui souhaitable d'améliorer, par un travail approfondi, notre connaissance de l'immigration clandestine et de ses effets, afin d'y répondre dans le respect des libertés et de la tradition républicaine d'accueil. A défaut, les réflexions actuelles sur une immigration choisie seraient vaines.

Or, depuis le rapport de notre excellent collègue José Balarello, établi en 1998 au nom de la commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière opérées depuis le 1er juillet 1997, aucun travail global d'enquête n'a été accompli dans le cadre des assemblées parlementaires sur cette question, qui est au coeur des préoccupations de nos concitoyens.

Le Sénat pourrait donc apporter, par la création d'une commission d'enquête, une contribution importante à la réflexion sur l'immigration clandestine.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, la commission des lois, qui a adopté la proposition de résolution sans modification, vous propose, mes chers collègues, de l'adopter à votre tour.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 19 minutes ;

Groupe socialiste, 14 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 8 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Nogrix.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Nogrix

Droit de vote des étrangers, droit du sol, immigration choisie, expulsions, objectifs chiffrés, sans-papiers : autant de sujets qui viennent régulièrement, monsieur le président, mes chers collègues, alimenter le débat politique et qui font aujourd'hui l'objet d'une actualité pressante, après différents accidents regrettables et les déclarations de certains ministres du gouvernement de M. de Villepin.

Il nous est proposé aujourd'hui d'examiner une proposition de résolution émanant du groupe UMP et tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine.

Le groupe UC-UDF soutient cette initiative dans la mesure où une expertise sérieuse, tenant compte de tous les éléments constitutifs de ce problème, permettra d'élaborer une politique réfléchie, en évitant des conclusions hâtives et la préconisation de mesures parfois excessives.

Des efforts ont été faits ces dernières années. Depuis 2003, notre législation a progressé s'agissant du volet répressif. Elle s'est un peu moins améliorée s'agissant du volet préventif, mais on ne peut que reconnaître la volonté du Gouvernement sur ce point particulier.

Les chiffres livrés par M. le rapporteur indiquent, par exemple, une hausse de 53 % des activités des services de police pour la répression des « aidants » à l'entrée irrégulière, ainsi qu'une augmentation de 32, 46 % des actions menées contre les employeurs fautifs.

Néanmoins, comme vient de le souligner M. le rapporteur, une connaissance encore plus approfondie de la situation nous paraît nécessaire.

Il importe notamment de comprendre cette immigration clandestine, de comprendre pourquoi des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants tentent l'impossible au risque de leur vie, de comprendre pourquoi il est difficile, pour les autorités publiques, d'en appréhender les réseaux, de comprendre pourquoi il faut absolument en limiter le flux, de comprendre ce que celui-ci a de négatif pour notre société.

Il est également important - les auteurs de la proposition de résolution l'ont eux-mêmes souligné - de prendre en compte la particularité des territoires d'outre-mer, chacun d'entre eux étant concerné par ce problème en fonction de ses particularismes géographiques, géopolitiques ou culturels. En effet, le phénomène n'est pas le même à la Réunion et à Mayotte, en Guyane et en Martinique. Les récents événements de Mayotte ont montré l'urgence qu'il y avait à traiter la situation dans cette collectivité.

Toutefois, l'amélioration des conditions de vie dans les pays d'origine me semble tout aussi importante, ce que la discussion que nous avons eue ce matin sur la coopération décentralisée a bien fait ressortir. La commission d'enquête permettra sans doute de prendre la mesure de la détresse de ces migrants, mais il faut désormais agir directement, de concert avec les gouvernements concernés.

En effet, pour éviter des flux migratoires toujours plus divers et massifs, quel meilleur moyen que de maintenir ces populations dans leur pays d'origine, en leur permettant de se développer économiquement et de vivre dans des conditions humaines acceptables ?

A ce titre, il me semble que la question du développement des pays d'origine doit relever d'une politique qui soit, au minimum, de dimension européenne et, au mieux, de dimension internationale. A cet égard, je regrette que les auteurs de la proposition de résolution ne fassent pas la moindre allusion à l'Europe dans l'exposé des motifs. Or, depuis la création de l'espace Schengen, il s'agit bien d'une problématique européenne. Tant que cette question ne sera pas traitée en accord avec les autres pays membres, comment imaginer que la France réussira à la régler toute seule, alors que l'Espagne, à l'instar de l'Italie, vient de régulariser 700 000 sans-papiers ?

Cette question me semble capitale et, encore une fois, je m'étonne que cet aspect ait été complètement omis dans l'exposé des motifs.

Enfin, pour conclure, j'insisterai sur la nécessité de réfléchir plus globalement à notre politique d'immigration, dont l'immigration clandestine n'est qu'un aspect. En effet, l'immigration ne devient clandestine qu'à partir du moment où elle sort du cadre de l'immigration légale. Or quel est justement le cadre que nous souhaitons donner à cette dernière ?

Il convient donc de réfléchir à toutes les problématiques que je viens d'exposer, afin de ne pas considérer uniquement l'immigration sous des aspects négatifs, comme le sous-tend l'objet de cette commission d'enquête : travail illégal, organisations mafieuses, clandestinité, marchés noirs... Voilà l'image que tend à véhiculer un tel sujet, alors que nous préférerions l'aborder de manière plus globale, pour permettre une réflexion plus positive, dynamique et volontariste.

Le groupe UC-UDF soutient donc la présente proposition de résolution émanant du groupe UMP et, si cette commission est créée, comme je le souhaite, participera activement à ses travaux.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Autant le dire tout de suite, le groupe socialiste ne votera pas la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine.

Je précise cependant que, si cette proposition était adoptée par le Sénat - après tout, ce n'est pas impossible !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

En effet, derrière l'objectivité apparente des chiffres, dont nous ne manquerions pas d'être abreuvés, il y a toujours une interprétation. D'ailleurs, d'une façon générale, s'agissant de ce type de commission, que nous ayons initialement voté sa création ou non, il conviendrait que l'opposition y ait toute sa place, au regard non seulement d'une représentation proportionnelle des différents groupes, mais aussi d'une répartition équitable fonctions de président et de rapporteur, comme cela a été le cas à l'Assemblée nationale. De ce point de vue, nous avons noté un léger progrès au sein de la commission des lois, mais il est nécessaire de continuer d'avancer dans ce domaine.

Nous ne voterons donc pas ce texte. En effet, le dépôt d'une telle proposition de résolution dix-huit mois avant une échéance majeure, le rapport final devant être rendu un an avant celle-ci, permet aisément de percevoir, grâce aux enseignements du passé, quelle utilisation peut être faite, une nouvelle fois, d'un sujet aussi sensible pour l'électeur. Dès lors, naturellement, une telle initiative nous inspire quelque méfiance ... pour ne pas dire quelque défiance !

S'agit-il d'un procès d'intention ? Peut-être en partie ! Il reste que l'on peut relever dans l'exposé des motifs de cette proposition de résolution des phrases qui ne sont tout de même pas innocentes et qui dénotent une vision manichéenne des politiques menées dans ce domaine : la gauche y est présentée sous des traits « angéliques » et démagogiques - description dans laquelle nous ne nous retrouvons pas du tout - tandis que la droite y est dépeinte comme menant, depuis trois ans, une politique « volontariste » - en apparence ! -, « décomplexée » - ce n'est pas fait pour nous rassurer ! - et « efficace » - c'est pure invention ! En effet, si tel était le cas, pourquoi M. Sarkozy annoncerait-il une réforme de la politique migratoire reprenant les mêmes thèmes que ceux de la loi qu'il avait fait voter en 2003 sur ce sujet ?

Cette vision simpliste laisse mal augurer des conclusions d'une commission d'enquête au sein de laquelle nous risquons, une fois encore, d'être marginalisés lors de l'élaboration et de la validation des résultats. Et je ne parle pas de l'utilisation médiatique qui ne manquera pas d'en être faite !

Nous ne voterons pas ce texte parce que le sujet y est appréhendé par le petit bout d'une lorgnette purement franco-française. Vous avez parfaitement mis en évidence ce problème, monsieur Nogrix, sans toutefois en tirer les mêmes conclusions que nous.

Certes, le problème est grave et l'exposé des motifs pointe des sujets qui sont importants : le rôle des mafias, l'importance du travail au noir, l'indécence des conditions de vie de ces clandestins et la situation intenable de certains départements et territoires d'outre-mer. Ce sont en effet des sujets sensibles, qui, humainement, nous touchent, comme vous, et à propos desquels nous avons, comme vous, identifié des situations extrêmement délicates, auxquelles l'administration est confrontée. Je citerai pour exemple les conseils généraux, qui sont dans l'obligation d'assister les familles avec enfants en situation notoirement irrégulière, sans domicile connu, quand EDF réussit le tour de force de leur faire payer leur consommation d'électricité ! Quelle hypocrisie !

Nous ne voterons pas ce texte parce que les questions évoquées par l'exposé des motifs ont déjà été traitées par un texte de loi présenté, voilà moins de trois ans, le 26 novembre 2003, par M. Sarkozy. Aujourd'hui, sans que la moindre évaluation de cette loi ait été effectuée, mais sans doute en en reconnaissant implicitement l'échec - et cela contredit cet exposé des motifs lénifiant -, M. Sarkozy lui-même annonce le dépôt d'un nouveau projet de loi, qui reprend tous les sujets antérieurs et donne les conclusions qu'il faut en tirer, avant même qu'il soit rédigé et voté, en nous assurant que seront cette fois-ci traités au fond tous les problèmes. Sont alors égrenés les détournements de procédure en matière d'asile, les mariages blancs, le visa à points pour les travailleurs, la rationalisation du regroupement familial avec le préalable des conditions de ressources et de logement, sans oublier, bien sûr, grâce à l' »immigration choisie », le pillage qui vide les pays émergents de leurs étudiants et de leurs techniciens les plus brillants.

D'ailleurs, je vous le demande, est-ce cela l'aide au développement ? Pour résumer, si vous êtes médecin, vous serez accueilli à bras ouverts et embauché - à bas prix, il est vrai - dans nos hôpitaux ; si vous êtes footballeur de qualité, vous signerez un contrat et vous serez en outre bien payé ! Pendant ce temps, les malheureux du Sahel, ceux du Mali, du Togo, du Congo, du Niger, notamment, sont refoulés brutalement aux portes de l'Europe, en Afrique, où ils sont envoyés sans eau en plein désert !

Combien de temps allons-nous fermer les yeux ? Cette proposition de résolution, qui ne traite que de l'immigration clandestine, est partielle et partiale. Vous seriez mieux inspirés, mesdames, messsieurs les sénateurs de la majorité, en vous penchant sur le problème de l'immigration dans son ensemble, en particulier en essayant de trouver des solutions avec les pays « émetteurs », pour prévenir plutôt que réprimer.

Il ne s'agit pas de laxisme ! C'est bien un socialiste qui a dit, à bon droit : « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». Mais pendant combien de temps allons-nous laisser des tiers, je pense en particulier au Maroc, régler nos problèmes ? Quelle politique d'immigration cohérente menons-nous avec ces Etats « émetteurs », pour les aider à créer les conditions du développement local ? Combien de temps allons-nous laisser les grandes multinationales, en particulier agro-alimentaires, encourager le développement d'une agriculture spéculative et sous-payée, qui détruit les cultures vivrières, chasse les paysans de leurs terres, les conduisant à s'agglutiner aux portes des villes, démunis, malheureux et prêts à toutes les aventures, même les plus dangereuses ?

Sur tous ces points, l'objet de la commission d'enquête ne nous satisfait pas. C'est sur les sujets que je viens d'évoquer qu'il nous aurait semblé opportun de mener l'enquête, en évaluant objectivement le résultat des politiques suivies, y compris et peut-être surtout dans un cadre européen.

Se rendre en Roumanie - comme cela a été fait - afin de régler, ou de tenter de le faire, avec le gouvernement de ce pays la question du déplacement des nomades est une bonne initiative. Mais un suivi a-t-il été prévu ? Peut-être. Quels sont les résultats ? Le Parlement n'est pas informé et, hélas ! ne cherche pas à l'être.

Ces questions constitueraient pourtant, me semble-t-il, des champs d'investigation pertinents pour une commission d'enquête qui s'intéresserait à la racine du mal et s'emploierait à traiter les causes plutôt que les effets. Encore faudrait-il pour cela se préoccuper davantage de l'intérêt général que de politique politicienne et des futures échéances électorales !

J'ajouterai que ce n'est pas en se lançant dans une communication people au coût exorbitant ni en suivant le Gouvernement en toute circonstance que l'on crédibilisera le Sénat. C'est en produisant des travaux sérieux et objectifs. Le rapport de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, qui vient d'être remis, en est un exemple éclatant.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le président, mes chers collègues, il nous est aujourd'hui proposé de créer, au sein de la Haute Assemblée, une commission d'enquête sur l'immigration clandestine. Le groupe UMP, à l'origine de cette proposition, estime en effet - et à juste titre - que ce problème mérite une attention toute particulière.

La nécessaire intégration des populations immigrées installées en toute régularité sur notre sol est compromise par une pression migratoire illégale, qui draine avec elle un nombre important de problèmes : le travail clandestin, une grande précarité qui engendre des phénomènes de délinquance, le développement de filières mafieuses et, parfois, un véritable trafic d'êtres humains.

La désillusion pour ces candidats au voyage clandestin est souvent très grande. L'eldorado tant rêvé se transforme rapidement en un véritable cauchemar.

Cette situation engendre des violences ou une délinquance de subsistance qui compromettent les efforts d'intégration de l'immigration régulière.

Au-delà des aspects juridiques et matériels de cette question, nous sommes confrontés à un véritable problème humain, qui mérite tout autant notre attention de parlementaires.

Notre pays doit traiter cette immigration clandestine de manière ferme et déterminée, mais il a aussi l'obligation de ne pas agir de manière inhumaine.

Plus généralement, il importe de contrôler que nos services publics des douanes, de police, de gendarmerie, de justice, du logement et de l'inspection du travail fonctionnent correctement. Il nous incombe également de nous assurer que les lois que nous avons votées aux mois de novembre et de décembre 2003 sont parfaitement appliquées.

Des améliorations sont sans doute possibles, et les conclusions du rapport que rendra cette commission d'enquête pourront utilement nourrir notre réflexion à tous.

Monsieur Peyronnet, vous avez affirmé que, si les auteurs de la proposition tendant à la création de cette commission d'enquête s'étaient fixé comme objectif d'appréhender le problème de l'immigration dans son entier, celle-ci aurait pu être adoptée à l'unanimité. Il nous faut alors regretter que vous n'ayez pas déposé en temps utile un amendement en ce sens. Il aurait pu - qui sait ? - recevoir un accueil favorable !

Je tiens à rappeler que, si la lutte contre l'immigration illégale a nettement progressé - le nombre d'arrêtés de reconduite à la frontière a augmenté de 30 % en 2004 et le nombre de mesures exécutées a crû, quant à lui, de 40 % -, cela demeure insuffisant. En effet, quatre immigrés clandestins sur cinq restent sur notre sol malgré une mesure de reconduite à la frontière prononcée à leur encontre, mesure souvent confirmée par une décision de justice.

La commission d'enquête, si elle est créée, se penchera également sur le défi démographique lancé par l'immigration clandestine dans nos territoires ultramarins, où cette question revêt une acuité particulière.

L'exemple de Mayotte - de récents événements nous ont rappelé l'actualité et la gravité du problème qui s'y pose - est, de ce point de vue, emblématique. Imaginez que, dans cette collectivité d'outre-mer, un habitant sur trois est un immigré clandestin ! D'ici à cinq ans, si l'on se fonde sur l'évolution actuelle, les personnes vivant en toute irrégularité sur le territoire mahorais représenteront la majorité de la population. Une telle situation est-elle acceptable ?

Est-il tout autant acceptable, d'ailleurs, d'être régulièrement confronté au décès de clandestins cherchant à entrer dans notre pays ou, plus généralement, en Europe ? Souvenons-nous de la découverte macabre, au mois de juin 2000, des corps sans vie de cinquante-huit immigrants illégaux d'origine chinoise dans la remorque d'un camion, lors d'une vérification douanière au port de Douvres. Cette tragédie ne constitue sans doute que la partie émergée de l'iceberg du trafic d'êtres humains. On estime à 30 millions le nombre de personnes qui, chaque année, traversent illégalement les frontières internationales et entre 400 000 et 500 000 celui des migrants illégaux qui, annuellement, entrent dans l'Union européenne. Quelque 3 millions de personnes résideraient actuellement de façon illégale en Europe.

Face à cette situation, nous devons poser, sans tabou, les problèmes liés à l'immigration clandestine sur notre territoire. Sans tabou, cela signifie tout voir et tout dire ! Cela signifie aussi mieux connaître ce qui pousse à de tels comportements. Cela signifie encore être capable de proposer des solutions conformes aux valeurs qui animent notre République.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP, qui est à l'origine de cette demande de création de commission d'enquête, votera cette proposition de résolution.

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Je suis saisi, par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des lois sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine (31, 2005-2006).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Eliane Assassi, auteur de la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, mes chers collègues, la maison France brûlerait-elle ?

Y a-t-il péril en la demeure au point de créer, dans la précipitation, « une commission d'enquête sur l'immigration clandestine pour appréhender l'ensemble du phénomène et ses conséquences », ainsi que le précise l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution ?

Etait-il urgent d'inscrire à notre ordre du jour ce texte qui ne donnera finalement lieu, faute de temps, qu'à une heure de débat ?

Nous ne pouvons que nous étonner de la mise en discussion d'une telle proposition de résolution qui, dans le contexte que nous connaissons à l'échelon tant européen que national, paraît aussi inopportune que déplacée. En effet, elle est déposée quelques semaines après les drames qui se sont déroulés dans les deux enclaves espagnoles situées au Maroc, où des innocents ont été tués par balles en tentant de franchir la frontière quand de nombreux autres ont été blessés, déportés, abandonnés en plein désert sans eau ni vivres.

L'Union européenne, qui mène depuis des années une guerre larvée contre les migrants et les réfugiés, a franchi cette fois une étape supplémentaire. Il s'agit là de l'un des exemples les plus significatifs des conséquences de la logique répressive par laquelle l'Europe a choisi de traiter la question des migrations.

L'Union européenne a décidé de financer la répression contre les migrants, notamment en promettant de verser au Maroc 40 millions d'euros à condition que celui-ci s'engage à lutter contre l'immigration clandestine. Un tel procédé traduit la volonté de l'Union européenne de se défausser du problème des migrants sur les pays tiers de transit comme le Maroc ou la Libye tout en renforçant la forteresse Europe.

Pudiquement, cela s'appelle l'« externalisation du traitement des réfugiés ». En termes plus crus, cela revient à parquer les demandeurs d'asile dans des camps de réfugiés aux portes de l'Europe. Or une telle politique ne remédie en rien aux causes de l'immigration qui sont la pauvreté, les famines, les guerres.

En France, les politiques d'immigration conduisent à expulser du territoire à tour de bras, au mépris des droits les plus élémentaires, des jeunes pourtant scolarisés en France, voire des familles entières, et à multiplier les « rafles » de migrants.

J'ai lu avec attention l'interview qu'a accordée le ministre de l'intérieur à un journal du soir daté du mardi 25 octobre dernier. J'y ai relevé qu'il demandait aux préfets de surseoir aux expulsions d'enfants scolarisés, et ce jusqu'à la fin de l'année scolaire. Est-ce à dire que ces jeunes pourront faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière dès le mois de juillet 2006, c'est-à-dire en plein coeur de l'été, au moment où les Français sont en congé et donc moins mobilisés ?

En revanche, dans cet entretien, le ministre de l'intérieur ne remettait nullement en cause son objectif de porter le nombre de reconduites à la frontière à 24 000 d'ici à la fin de l'année 2005.

Le Gouvernement va-t-il encore accélérer les « charters », ces vols groupés permettant de renvoyer plus rapidement, plus discrètement et à moindre coût, les étrangers chez eux en les regroupant par nationalité, alors même que les expulsions collectives sont condamnées par la Convention européenne des droits de l'homme ?

Qui plus est, un nouveau projet de loi sur l'immigration est annoncé, lequel vise non seulement à restreindre davantage encore les droits fondamentaux des étrangers, notamment en matière de regroupement familial et d'incidence du mariage sur le droit au séjour et l'accès à la nationalité - ils relèvent pourtant de l'immigration légale -, mais aussi à créer une police de l'immigration et à mettre en oeuvre une politique des quotas.

Le ministre de l'outre-mer, M. François Baroin, a, quant à lui, jugé utile d'aller encore plus loin en annonçant la possibilité de remettre en cause le droit du sol à Mayotte. Ses propos, qui ont provoqué quelques remous au sein du Gouvernement, ont été immédiatement repris dans une proposition de loi déposée par le député UMP de Mayotte.

N'oublions pas que l'été dernier fut meurtrier à plus d'un titre ! Les incendies d'immeubles insalubres à Paris ont mis en avant, s'il était nécessaire, le fait que les étrangers étaient aussi victimes du mal du logement.

Permettez-moi de citer également les deux décrets remettant en cause l'aide médicale d'Etat, et le scandale des conditions de travail des travailleurs saisonniers sous contrat délivré par l'Office des migrations internationales, l'OMI, dans le sud de la France.

Aujourd'hui, d'aucuns voudraient laisser croire que la France est dépourvue de toute législation. Pis, ils ne font rien pour infirmer l'idée selon laquelle notre législation est trop laxiste, constitue un appel d'air et permet à un grand nombre d'étrangers d'entrer sur notre territoire.

Dois-je rappeler que, depuis le retour de la droite au pouvoir, deux lois ont été adoptées voilà moins de deux ans ? Il s'agit de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité et de celle du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile. Beaucoup s'accordent à dire, y compris dans les rangs de la majorité, que ces deux lois ont considérablement durci la législation en matière de droits des étrangers et d'accès au droit d'asile.

En outre, ces réformes ont permis de jeter nombre d'étrangers en situation régulière dans la clandestinité. Il n'est qu'à citer quelques exemples éclatants des reculs en la matière !

Je pense à la création de nouvelles possibilités de retrait de la carte de séjour temporaire, à l'allongement de la durée du mariage ouvrant droit à l'obtention d'une carte de résident, au renforcement du contrôle de l'effectivité d'une paternité pour la délivrance de plein droit d'une carte de résident. Je pense aussi à la suppression de la délivrance de plein droit de la carte de résident aux étrangers la demandant au titre du regroupement familial ainsi qu'à ceux ayant bénéficié pendant cinq ans d'une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Je pense encore à la création d'un délit spécifique de mariage simulé, aux nouveaux cas de reconduite à la frontière, à la réforme du régime de la rétention administrative qui se traduit notamment par l'allongement de la durée de rétention de douze à trente-deux jours, à l'augmentation du nombre de places en rétention administrative, à la délocalisation des audiences, etc.

Par conséquent, mes chers collègues, avant de déposer un énième projet de loi, comme cela est annoncé, et avant même de créer une telle commission d'enquête, il nous faut nous interroger.

Quel bilan devons-nous tirer de l'application de ces récentes lois ? Disposons-nous d'une évaluation de la législation en vigueur ? Où en sont les décrets ?

Allons-nous continuer à travailler ainsi, c'est-à-dire à légiférer sans cesse au gré de l'actualité, et à modifier une fois encore l'ordonnance de 1945 ? Ce n'est pas sérieux !

C'est dans ce contexte - qu'il n'était pas inutile de rappeler - qu'intervient cette proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine.

Je dois l'avouer : parler de laxisme en matière de politique d'immigration, à l'échelon tant national qu'européen, me laisse perplexe. Faut-il comprendre que le pire est encore possible ?

Cela dit, il est vrai que les mesures dissuasives et répressives qui ont été prises tant en Europe qu'en France pour se protéger des mouvements migratoires indésirables - les murs de plus en plus hauts, l'immigration zéro, la fermeture des frontières avec l'instauration de l'espace Schengen - n'ont pas empêché l'immigration de continuer.

Cela me renforce dans l'idée que les politiques qui sont mises en oeuvre ne sont pas tant laxistes qu'inefficaces au regard du phénomène qu'elles sont censées contenir. Et je ne parle pas du danger qu'elles constituent pour les droits de l'homme comme d'un point de vue idéologique !

En réalité, loin d'endiguer ces déplacements, ces politiques les ont rendus plus difficiles, plus coûteux, plus dangereux, allant jusqu'à mettre à mal le respect de certains droits fondamentaux tels que le droit d'asile et la libre circulation des personnes. Qui plus est, elles ont mis en danger la vie même de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants, c'est-à-dire de ces exilés en quête de travail et de sécurité au sein de l'Europe. Ainsi, de 1997 à 2004, 4 000 morts et portés disparus en mer ont été recensés aux frontières de l'Union européenne.

Compte tenu des obstacles qui rendent le voyage vers un lieu sûr plus difficile, voire impossible, les candidats à l'immigration se trouvent à la merci des réseaux mafieux, des marchands de sommeil et des employeurs d'une main-d'oeuvre en situation irrégulière taillable et corvéable à merci, dont l'activité se nourrit bien évidemment de ces politiques de fermeture des frontières.

Le nombre croissant de migrants n'est ni un problème temporaire ni le fruit du hasard : c'est la conséquence prévisible de la crise des droits humains dans le monde. Tant que les écarts économiques et sociaux ne cesseront de croître entre les régions du monde qui profitent de la mondialisation du libéralisme économique débridé et celles qui en sont les victimes, il est inévitable que les populations des pays ravagés par la misère, par les conflits ou par l'absence de démocratie continuent de tenter de trouver ailleurs de meilleures conditions de vie, quand ce n'est pas tout simplement le droit de vivre.

En effet, quand 2, 5 milliards d'individus de par le monde vivent avec moins de 2 dollars par jour, quand un habitant de la Zambie a moins de chance d'atteindre l'âge de trente ans qu'un Anglais en 1840, quand l'aide au développement est moins forte en 2005 qu'en 1990 - les pays riches ne lui affectant que 0, 25 % de leur revenu national brut -, il n'est pas étonnant que des hommes, des femmes, des enfants migrent, se déplacent pour aller chercher ailleurs, y compris au péril de leur propre vie, ce dont ils sont totalement dépourvus.

Il faut savoir que l'Union européenne n'accueille que 10 % à 15 % des dizaines de millions de personnes réfugiées ou déplacées qui sont contraintes de quitter leur lieu de résidence par la violence.

Contrairement aux idées reçues, les pays sollicités sont bien souvent les Etats voisins des zones de conflit, eux-mêmes très précaires en termes d'économie et d'équilibre politique. On assiste ainsi plus souvent à des déplacements Sud-Sud qu'à des déplacements Sud-Nord.

Autre idée reçue qu'il faut avoir le courage et l'honnêteté de combattre, celle selon laquelle la France serait un « pays d'immigration massive ». Si la France est un vieux pays d'immigration, elle n'est plus un pays d'immigration massive depuis au moins vingt-cinq ans. C'est même le pays d'Europe où la croissance démographique dépend le moins de l'immigration ; tel est, en tout cas, le constat que fait chaque année l'INSEE dans son bilan démographique.

Si la demande migratoire existe à nos frontières, au travers de la procédure d'asile, elle ne peut aucunement être assimilée à une « invasion ». Elle correspond, pour l'essentiel, à un mouvement régulier en provenance de nos anciennes colonies d'Afrique et d'Asie.

Par ailleurs, il faut en finir avec cette hypocrisie qui consiste, d'un côté, à dresser des obstacles pour empêcher les migrants de se rendre en Europe et à expulser tant qu'on peut les étrangers qui y sont déjà installés et, d'un autre côté, à vouloir faire venir des étrangers afin de satisfaire les besoins économiques des pays les plus riches.

Cette immigration utilitaire, « immigration choisie » ou « politique des quotas » - appelez-la comme vous voulez, le résultat est toujours le même ! - est inscrite très clairement dans le Livre vert sur les migrations économiques, publié par la Commission européenne en janvier dernier : il faut « encourager des flux d'immigration plus soutenus pour couvrir les besoins du marché européen du travail et assurer la prospérité de l'Europe ».

Il s'agit là d'une conception purement économique de l'immigration, qui consiste à évaluer le « besoin d'immigrés » des pays européens comme on évalue le besoin de marchandises disponibles sur le marché.

Cette conception figure déjà dans les lois récemment adoptées en France sur l'immigration et le droit d'asile, qui présentent l'immigration sous un angle utilitaire. L'étranger y est, en effet, considéré avant tout comme une main-d'oeuvre devant répondre aux besoins de l'économie libérale et suppléer, pour un temps seulement, au déficit que, en France, certains secteurs économiques connaissent à cet égard.

La présence de l'étranger en France est alors envisagée à titre provisoire : l'étranger - de préférence jeune et en bonne santé - doit être au service exclusif du marché de l'emploi et ne doit surtout pas être tenté de s'installer en France de façon durable ni de faire venir sa famille par le biais du regroupement familial.

On ne peut que regretter que la France n'ouvre pas de nouvelles perspectives de coopération internationale dans lesquelles le respect des droits et des libertés fondamentales serait le préalable à toute législation concernant les flux migratoires. Elle continue, au contraire, comme dans les années soixante, à avoir une politique d'immigration reposant avant tout sur les besoins de son économie.

C'est une vision qui reproduit les mécanismes de la domination, de l'exploitation et de la mise en concurrence des travailleurs - nationaux et immigrés - au profit exclusif du capitalisme.

Cette conception de la « libre circulation des travailleurs », loin de favoriser l'épanouissement des hommes, revient en réalité à piller les pays du Sud de la part de leur population la plus active, la plus dynamique, réduisant dès lors quasiment à néant les possibilités de développement sur place de ces pays.

Vous l'aurez compris, nous sommes foncièrement opposés à la mise en place d'une telle commission d'enquête. Elle risque, selon nous, de cautionner une idéologie qui transpire déjà dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution, laquelle souligne : « des difficultés en matière de sécurité dans la mesure où cette immigration est principalement coordonnée par des organisations mafieuses ; des difficultés économiques en raison du travail au noir qui est la conséquence de cette immigration ; des difficultés sociales en raison de la précarité consubstantielle des conditions de vie des migrants ».

On le voit, l'immigration n'est appréhendée ici que sous l'angle des difficultés qu'elle engendre... nécessairement. Cet amalgame entre immigration et insécurité sous les formes les plus variées est inacceptable au moment où des migrants continuent de mourir aux frontières de l'Europe dans une relative indifférence générale.

J'ose espérer que cette commission d'enquête à laquelle nous participerons, si elle est créée...

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

En tout cas, comptez sur nous pour y proposer un certain nombre de choses !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

...aura vraiment pour objectif - c'est en tout cas le point de vue que nous défendrons au sein de la commission d'enquête - de réprimer ceux qui tirent profit des politiques restrictives en matière de droits des étrangers : les réseaux mafieux, les employeurs de main-d'oeuvre irrégulière, les marchands de sommeil, et de faire respecter les textes internationaux relatifs au droit d'asile, à la protection des migrants et contre la torture.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Qu'on ne compte pas sur nous si elle veut remettre en cause le droit du sol à Mayotte, durcir notre législation en matière d'immigration ou bien encore mettre en place des quotas pour choisir les immigrés dont la France a besoin, économiquement parlant.

Les élus de mon groupe estiment que ni cette commission d'enquête sénatoriale ni les propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale par les députés UMP ni un énième projet de loi gouvernemental sur l'immigration ne sont capables d'apporter un commencement de réponse à la question des migrants dans le monde.

Ces textes, qui sont d'ailleurs si complémentaires et forment un ensemble si logique qu'on pourrait penser que le chef d'orchestre n'est pas loin, .ne répondent absolument pas à une situation qui mérite autre chose que la seule répression, le durcissement des lois, le renforcement des barrières aux frontières de l'Europe, etc.

Et ce n'est pas la récente prise de position toute « personnelle » du ministre de l'intérieur sur le droit de vote des résidents étrangers - une mesure que, pour notre part, nous ne cessons de demander depuis plusieurs années puisque nous avons déposé une proposition de loi sur cette question dès 1989 -...

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

...qui va gommer ou atténuer en quoi que ce soit le caractère inhumain de la politique gouvernementale menée en matière d'immigration. D'autres ont agi de même avant lui : je veux parler de MM. Pasqua et Juppé, qui, en leur temps, avaient annoncé une réforme en ce sens. On ne peut que constater aujourd'hui que rien n'a bougé !

Le ministre de l'intérieur nous rejoue le film de la « double peine » qui, quoiqu'il en dise, n'a pas été supprimée pour mieux faire passer les mesures les plus dures de votre politique.

Il feint de reculer sur le droit de vote des résidents étrangers, mais ce n'est que pure démagogie, tout comme cette commission d'enquête ne consiste qu'en un affichage politique.

Car je ne suis pas naïve, cette commission d'enquête parlementaire, dont les travaux peuvent durer jusqu'à six mois va avoir un écho médiatique qui risque d'alimenter les débats les plus populistes.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Elle va occuper le terrain jusqu'à ce qu'un projet de loi définitif soit déposé au Parlement, vers l'automne 2006 par exemple, ce qui est bien calculé dans la perspective des échéances électorales de 2007.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Nous n'y avions pas pensé, mais quelle bonne idée !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Mme Eliane Assassi. Eh bien, je vous la donne !

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Je vois bien que les questions sur l'immigration vous dérangent !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Pas du tout ! D'ailleurs, nous proposons la création d'une commission d'enquête !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

C'est aussi une des raisons pour lesquelles nous siégerons au sein de cette commission d'enquête !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

En fait, le but à peine voilé est de placer au coeur de la campagne pour la présidentielle de 2007 le thème de l'immigration, comme l'insécurité avait été le thème principal de la présidentielle de 2002, afin notamment de flatter l'électorat de l'extrême droite et de récupérer ainsi quelques voix.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d'adopter, par scrutin public, la motion tendant à opposer la question préalable pour décider qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry, contre la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

La commission est peut-être en pré-campagne électorale. Il n'en reste pas moins que, dans les départements et territoires d'outre-mer, nous n'avons cessé de réclamer qu'une commission d'enquête soit constituée sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

Je ne pense pas que l'on puisse reprocher ici à nos populations de rejeter leurs frères, notamment haïtiens, qui viennent chez nous chercher de la formation, des soins médicaux, et que nous avons toujours aidés.

Mais, aujourd'hui, force est de constater un dérapage qui n'est pas acceptable : les habitations fermées, les terres inexploitées sont envahies. Les Guadeloupéennes accouchent dans les couloirs des hôpitaux parce que les Haïtiennes et les Dominicaines ont pris leur place. La violence s'est instaurée. La drogue est à la porte de nos collèges. Dans nos prisons - et c'est un avocat qui parle -, il y a plus d'étrangers que de Guadeloupéens.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

Dès lors, si cette commission d'enquête n'était pas créée, on aurait le sentiment que la loi n'est pas respectée.

Sur le territoire français de la Guadeloupe, des transports organisés appartiennent à des Haïtiens, il existe une banque haïtienne, et je ne parle pas de la Martinique, non plus que de la Guyane, où la situation est particulièrement grave.

Au moment où deux cyclones viennent, une nouvelle fois, de frapper Haïti, le pays le plus pauvre du monde, c'est à la Guadeloupe, avec Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Marie-Galante, les Saintes et la Désirade, que nous devons régler les problèmes insurmontables qui en découlent.

Dire que la solution réside dans le développement des pays ACP - Afrique, Caraïbes, Pacifique -, c'est méconnaître les efforts entrepris par la France dans cette zone. La France est le pays qui a injecté le plus d'argent dans la Caraïbe pour tenter d'apporter des réponses concrètes à l'intégration des étrangers. Mais nous continuons à avoir dans ce domaine une politique de générosité qui n'est plus tenable.

Parler de l'Europe, c'est ignorer que, sur la banane, le droit nul est applicable à des pays ACP tels que la Jamaïque et la Dominique, alors que la Guadeloupe n'en bénéficie pas, et c'est méconnaître la réalité du terrain.

Mais il y a autre chose qui nous fait très mal : c'est la mauvaise intégration des Domiens en France métropolitaine. Les étudiants de la Guadeloupe, de la Martinique ou de la Guyane se font traiter d'étrangers, parce que l'on n'a jamais réellement intégré la France ultramarine dans le territoire européen de la France. La France, pour de trop nombreux métropolitains, c'est l'Hexagone et la Corse : l'outre-mer n'en fait pas partie !

J'entends aujourd'hui pour la première fois, dans un débat, un rapporteur évoquer les conséquences néfastes de l'immigration sur nos territoires : je l'en remercie.

Mais que l'on ne me parle pas de reconduite à la frontière : il suffit de prendre un bateau pour arriver aux Saintes, et quand on est aux Saintes, on rejoint la Dominique. Et, par avion, le vol dure sept minutes !

Cette commission d'enquête nous donnera l'occasion d'étudier les conséquences néfastes de cette immigration non contrôlée sur des territoires français.

Mes chers collègues, je vous remercie d'avoir pensé que les institutions de la République étaient en danger, mais l'identité culturelle de l'outre-mer l'est également : notre nourriture a changé, nos danses ne sont plus les mêmes, la langue haïtienne commence à être utilisée chez nous. Or nous tenons à préserver notre identité culturelle.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Je ne peux qu'émettre un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable puisque ses conclusions sont contraires à celles de la commission des lois.

L'actualité récente suffit malheureusement à démontrer le bien-fondé de la création d'une telle commission d'enquête. Du fait de son large champ d'investigation, celle-ci pourra appréhender le phénomène dans sa globalité et ne pas se limiter, contrairement à ce que certains auraient pu craindre, et à l'inverse de nombreux travaux d'information ou d'enquête, à un seul aspect du problème.

Pour rassurer les auteurs de la motion, j'ajoute que l'objet de la commission d'enquête ne se borne bien évidemment pas à la répression de l'immigration clandestine. Comme cela a été souligné la semaine dernière en commission des lois, cette commission d'enquête devra s'attacher à comprendre les causes profondes de l'immigration irrégulière, notamment en tenant compte des problèmes spécifiques de l'outre-mer que vient de soulever Mme Michaux-Chevry.

Elle devra s'interroger sur les moyens de développer une réelle coopération avec les pays sources de l'immigration en allant bien au-delà de la simple conclusion d'accords de réadmission. Elle devra également traiter du problème des mineurs isolés, qui requiert des réponses adaptées, et de l'aide médicale d'Etat.

Vous le voyez, mes chers collègues, la dimension sociale de l'immigration clandestine ne sera pas négligée.

A ceux qui ne souhaitent pas la création d'une commission d'enquête à dix-huit mois d'échéances nationales, je répondrai que, si l'on devait les suivre, il ne resterait plus qu'à nous abstenir totalement de tout travail législatif durant la période à venir, car toute loi, par définition, aura des répercussions sur les élections nationales.

Faire en sorte que le Sénat crée cette commission d'enquête, dont les conclusions - il suffit de se référer au passé pour le constater - sont attendues par la France tout entière, c'est aussi montrer le rôle essentiel de notre assemblée dans le fonctionnement des institutions de la République et nous permettre de manifester notre soutien à nos amis d'outre-mer.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de résolution.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

Il est procédé au comptage des votes.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 4 :

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, nous passons à la discussion de l'article unique.

En application de l'article 11 du règlement du Sénat et de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres sur l'immigration clandestine.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Il est regrettable que la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration limite son champ d'investigation à la seule immigration clandestine.

Ces dernières années - triste constat ! -, le sujet de l'immigration a donné lieu à une inflation législative, qui n'a d'ailleurs apporté aucune solution durable à ce problème complexe et sensible.

Ainsi, mes chers collègues, saviez-vous que l'ordonnance de 1945 a été modifiée dix-sept fois ? Pour sa part, la dernière loi relative à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers, qui date de novembre 2003, a connu plusieurs circulaires, décrets et mesures d'application au cours de la session 2004-2005, dont une vingtaine en 2005.

Malgré ces dispositions, la question de la double peine n'est toujours pas réglée. Il en va de même pour les questions relatives au droit de vote des résidents étrangers, au droit du sol ou à la libre circulation et à l'installation de l'immigration régulière dans l'Union européenne. D'ailleurs, en tant qu'ancienne députée européenne, je tiens à vous signaler que la France est le seul pays à ne pas avoir encore transposé dans son droit national la directive reconnaissant le droit au séjour et au travail pour les migrants extracommunautaires en situation régulière.

Pis, ces questions font l'objet de tentatives régulières de polémiques démagogiques et de manipulations à des fins bassement politiques, dans un concert d'amalgames médiatiques qui ne font qu'alimenter les peurs et agiter les populismes.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation pleine de contradictions.

D'un côté, nous assistons à ce qui peut être qualifié de réelle chasse aux étrangers, ce qui entraîne d'ailleurs inévitablement une série de dérives inacceptables.

En violation de la Convention européenne des droits de l'homme, des enfants mineurs sont ainsi séparés de leurs parents qui se font expulser. Quand ce ne sont pas les enfants eux-mêmes que l'on expulse ou tente d'expulser !

Lors d'une récente visite dans un centre de rétention administrative, j'ai pu constater de mes yeux que des vieillards et des enfants y séjournaient dans des conditions indignes de notre République. Certains enfants avaient même été appréhendés par les forces de l'ordre à la sortie de l'école ou au centre de loisirs.

De tels actes sont profondément choquants et font écho à une période sombre de notre histoire, période que nous espérions révolue à jamais ! Je tiens d'ailleurs à saluer ici ces enseignants, ces professeurs et ces simples citoyens qui, parfois au risque d'une condamnation sanctionnant leur solidarité, se mobilisent de toutes leurs forces afin d'empêcher le recours à ces méthodes injustes et inhumaines.

A côté de la multiplication de ces dérives, s'impose l'idée que l'Europe et la France ne peuvent se passer de l'immigration. D'ailleurs, à toutes les époques, elles ne s'en sont jamais privées. De nombreux rapports nous rappellent ce constat simple : tant sur le plan économique que démographique, l'Europe a besoin de l'immigration.

Créer une commission d'enquête exclusivement axée sur l'immigration clandestine représente donc un non-sens politique, sauf si celle-ci nous prépare des mesures iniques et permet ainsi de légitimer l'illégitime. C'est à cela que servira cette commission, n'est-ce pas, mes chers collègues ?

Mais la politique menée aujourd'hui n'est ni plus ni moins qu'une réactualisation d'une politique ancienne, dans la continuité d'une logique répressive et policière. Selon les propositions plus ou moins avouées du Gouvernement, il semble que nous serons bientôt appelés à légiférer à nouveau sur la politique d'immigration, notamment sur les quotas d'immigration, qui sont esthétiquement labellisés par certains « immigration choisie ».

Hier, les immigrés étaient « choisis » par la France pour servir de chair à canon, lorsque la défense de la patrie le nécessitait, puis pour servir de main-d'oeuvre très bon marché, lorsque la reconstruction de la France et le développement de la production industrielle l'imposaient.

Dans le contexte d'une économie globale où les services et les produits de haute technicité permettront à la France de rivaliser de plus en plus avec ses concurrents, ce seront les immigrés les mieux formés et les plus diplômés qui seront arrachés aux pays du Sud. Cela s'appelle le pillage de cerveaux, forme moderne de la colonisation.

Demain, les pays du Sud seront ainsi à nouveau appauvris de leur principale richesse : l'intelligence humaine. A nous les personnes les plus qualifiées, les cerveaux les mieux remplis ! A eux les personnes les plus faibles, les ventres les plus affamés !

Non, les pays du Sud ne doivent pas devenir les self-services de la main-d'oeuvre dont l'Europe a besoin !

Nous ne pouvons pas évoquer l'immigration clandestine sans aborder l'immigration dans sa globalité. Une meilleure gestion de l'immigration nécessite une profonde transformation de notre manière de concevoir l'aide au développement. Plus qu'une aide au développement, c'est une coopération pour un développement durable et humain qui doit être mise en oeuvre.

Au-delà d'un soutien socio-économique, les peuples de ces pays ont avant tout besoin d'un soutien politique afin que soit respectée leur volonté de démocratie et de liberté face à des dictateurs, ces dictateurs que nous, Français et Européens, soutenons trop souvent, trop longtemps. Ben Ali, Omar Bongo, Omar Guelleh et les autres, eux, ne se voient jamais refuser l'entrée sur le territoire français et ne sont jamais reconduits à nos frontières.

Lutter contre l'immigration clandestine, ce n'est pas mener la guerre aux immigrés, c'est mener la guerre aux trafics d'êtres humains, aux réseaux mafieux et aux patrons qui exploitent sans scrupule.

Avoir une politique de l'immigration, ce n'est pas remplir des charters ni construire une Europe-forteresse, dont Ceuta et Melilla seraient les nouveaux remparts et la Méditerranée les nouvelles douves, contre lesquels des hordes de désespérés viendraient mourir en croyant fuir la misère ou la dictature pour un monde meilleur, et en espérant ainsi aider leur famille à survivre !

Enfin, la création de cette commission d'enquête semble obéir à une certaine logique : celle qui vise à stigmatiser les immigrés clandestins et à les rendre responsables de tous nos maux. Je vous concède que c'est bien pratique quand on ne parvient pas à trouver de solutions concrètes aux préoccupations de nos concitoyens.

La création de cette commission permettra également de légitimer un ensemble d'amalgames et de suspicions racistes alimentant les peurs et de justifier les mesures que M. Nicolas Sarkozy et ce gouvernement préparent : je pense notamment à la remise en cause du droit de vivre en famille, du droit du sol et du droit d'asile.

Pour toutes ces raisons, les Verts ne voteront bien évidemment pas la création de cette commission d'enquête.

Pour ma part, je vous suggérerais volontiers la création d'une autre commission d'enquête portant, celle-là, sur l'ouverture des frontières et la liberté de circulation. Ce n'est pas une provocation ; cette commission permettrait, me semble-t-il, d'en finir avec certains mythes.

Exclamations et rires sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

A ce sujet, je vous recommande vivement le dernier ouvrage de Mme Catherine Vihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS. Une telle lecture vous aiderait, je n'en doute pas, à prendre conscience d'un certain nombre de réalités.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Je ne peux pas laisser passer certains des propos que viennent de tenir Mmes Eliane Assassi et Alima Boumediene-Thiery. Certaines de leurs allusions me semblent en effet absolument outrancières et indignes de cette assemblée.

Vous avez évoqué, chères collègues, la « forteresse-Europe » ; vous avez même employé les termes de « déportation »...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Par l'emploi de tels termes, vous cherchez manifestement à faire surgir de terribles images qui renvoient à la période la plus noire de l'histoire de notre pays et de l'Europe. Comment pouvez-vous décemment, dans le cadre de ce débat, faire ainsi allusion au nazisme ou le régime de Vichy ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

M. Philippe Dallier. Non, c'est vous qui, par des insinuations scandaleuses, y avez fait référence !

Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Comment osez-vous utiliser un tel vocabulaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

Si ce que nous disons vous gêne, c'est que cela doit être vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Madame Assassi, tout comme vous, je suis sénateur du département de la Seine-Saint-Denis.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

C'est vrai. D'ailleurs, je ne vous vois pas souvent sur le terrain !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Vous connaissez, chère collègue, les difficultés de ce département. Vous savez qu'il croule sous le poids de l'immigration clandestine.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Moi, je ne suis pas dans la même logique que vous !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

Allons, madame Assassi ! Laissez parler M. Dallier !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

C'est faux ! M. Dallier me prête des propos que je n'ai jamais tenus et parle de choses qui n'existent pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Madame Assassi, ayez l'élégance de laisser parler M. Dallier comme il vous a lui-même laissée parler !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Madame, je suis maire d'une commune depuis dix ans et je rencontre chaque semaine des gens en situation irrégulière. J'ai donc eu l'occasion de constater qu'il existe des filières pour faire entrer ces personnes sur le territoire français et pour les héberger.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Des personnes malintentionnées exploitent ces immigrés clandestins et les font travailler au noir.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

Et, concrètement, que faites-vous pour y faire face ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Or, alors que la réalité de ces situations est connue de tous, vous ne voulez surtout pas que l'on en discute sous prétexte, dites-vous, que cela alimenterait le populisme !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

C'est faux ! Nous voulons nous attaquer à ceux qui exploitent la misère humaine !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

M. Philippe Dallier. Depuis vingt ans, personne n'a eu le courage d'aborder lucidement les problèmes d'immigration clandestine. C'est précisément pour cette raison que les idées d'extrême droite ont pu se développer et prospérer dans notre pays.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Il faut donc débattre sereinement de ces questions. C'est pourquoi j'approuve sans réserve la proposition de résolution qui nous est soumise.

Applaudissements sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

L'amendement n° 1, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Eliane Assassi.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

J'ai déjà longuement exposé les raisons de notre opposition à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine ; il me semble donc inutile de rappeler ce qui motive notre amendement.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Il appartiendra à cette nouvelle commission d'enquête de déterminer ses priorités, et ce débat aura, me semble-t-il, permis d'y contribuer.

Pourtant, monsieur le président, il est une priorité sur laquelle j'aimerais insister. En effet, nous avons été fortement sollicités par les élus des départements et collectivités d'outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je dis bien : des « collectivités » d'outre-mer ! Il ne vous a certainement pas échappé, mon cher collègue, que la Constitution avait été révisée et que les « territoires d'outre-mer » n'existaient plus.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

La commission d'enquête devra bien évidemment traiter spécifiquement des problèmes dont ces élus d'outre-mer nous ont saisis.

Je profite de cette occasion pour préciser que, contrairement à ce qui est parfois reproché à la commission des lois, celle-ci examine chaque année, lorsqu'elle étudie le projet de budget des collectivités et départements d'outre-mer, les problèmes d'immigration clandestine, ce qui lui permet de constater que celle-ci augmente effectivement dans certaines collectivités.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote sur l'article unique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Fourcade

Monsieur le président, mes chers collègues, avant que le Sénat se prononce sur la création de cette nouvelle commission d'enquête, je souhaite formuler un voeu.

Si certaines de nos collègues ont abordé ce débat dans un esprit plutôt polémique, je voudrais, pour ma part, évoquer un constat que j'ai pu faire en tant que maire d'une grande ville : l'accès au logement social est l'un des problèmes les plus difficiles que pose l'immigration clandestine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Fourcade

Par conséquent, il me paraît nécessaire que la commission d'enquête examine aussi avec précision le fonctionnement des commissions d'attribution de logements sociaux dans les grandes villes.

En effet, de nombreux immigrés clandestins font venir leur famille. Or, comme ils sont hébergés dans de très mauvaises conditions, ils finissent par devenir prioritaires pour l'attribution des logements sociaux, au détriment des candidats normaux à cette attribution.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

C'est faux ! Les immigrés clandestins n'ont pas accès aux logements sociaux !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Fourcade

Il faut donc ajouter le problème de l'accès au logement social parmi les conséquences de l'immigration clandestine. Pour le maire de grande ville que je suis - et c'est également le cas dans les villes moyennes -, il s'agit d'un problème de cohabitation et de cohésion sociale essentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

J'aimerais simplement obtenir une petite précision.

En France, sauf erreur de ma part, l'accès à un logement social nécessite la présentation d'un certain nombre de documents. Par conséquent, je ne vois pas à quoi M. Fourcade fait allusion. J'ignore en effet comment un immigré en situation irrégulière pourrait avoir accès à un logement social. En pratique, c'est impossible !

Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

Permettez-moi de vous en fournir une illustration. Après les incendies qui se sont produits récemment, il a fallu procéder à des relogements. Or, vous l'avez constaté, ce sont seulement les personnes en situation régulière - heureusement les plus nombreuses - qui ont, jusqu'à présent, été relogées. Le cas des personnes en situation irrégulière, précisément pour les raisons que je viens d'évoquer, n'est toujours pas réglé à ce jour.

Regardez les textes, monsieur Fourcade ; vous comprendrez que votre interprétation est erronée.

M. Jean-Pierre Fourcade manifeste son incrédulité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Il y a, me semble-t-il, une grande confusion dans les propos qui sont tenus. Cela nous renforce dans l'idée que l'objet de la commission d'enquête proposée a un objet trop restreint.

Se préoccuper uniquement de l'immigration clandestine n'est pas convenable ; il faut traiter le dossier de l'immigration dans son ensemble, de préférence dans le cadre européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Pour cette raison, nous nous sentons confortés dans notre opposition à la création de cette commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

N'inversons pas les priorités. Il faut traiter ce qui est irrégulier avant d'en venir à ce qui est régulier.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

Par conséquent, nous devons d'abord examiner les conséquences de l'immigration clandestine.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

Ensuite seulement, nous pourrons évoquer la situation des personnes qui respectent les lois de la République.

Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de résolution.

La proposition de résolution est adoptée.

(Ordre du jour réservé)

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

L'ordre du jour appelle la discussion de la question européenne avec débat de M. Jean Bizet à Mme la ministre déléguée au commerce extérieur sur la position de l'Union européenne dans les négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce avant la conférence de Hong Kong.

La parole est à M. Jean Bizet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la conférence ministérielle de Hong-Kong aura lieu dans quelques semaines. Elle devra aboutir à un accord sur le cycle de négociations commerciales lancé lors du sommet de Doha en 2001.

Nous devons tout faire pour que cette conférence soit un succès. En effet, en 2003, l'échec retentissant de la conférence de Cancún a constitué un revers pour tout le monde, qu'il s'agisse des pays développés, des pays les plus pauvres ou, d'une manière générale, du multilatéralisme, que certains souhaiteraient voir remis en cause.

En l'absence d'accord en décembre prochain, c'est le fonctionnement même de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, qui pourra être contesté. Pourtant, c'est la seule instance, notamment son organe de règlement des différends, l'ORD, qui soit capable de réguler le commerce international, et cela au bénéfice de tous. Mais un accord lors de la prochaine conférence ministérielle ne peut évidemment être obtenu à n'importe quel prix.

Quels seront les thèmes de discussion à Hong-Kong ? Contrairement à ce que l'on entend souvent, les négociations ne se limiteront pas aux seuls sujets agricoles. Elles concerneront également les droits de douane des produits industriels, les services, la facilitation des échanges et le développement. Par conséquent, réduire la négociation aux seuls thèmes agricoles serait méconnaître les intérêts essentiels de notre pays et de l'Union européenne, qui réalise plus de 85 % de son commerce extérieur grâce aux produits industriels et de services.

S'agissant de l'agriculture, sujet évidemment essentiel, il existe trois principaux thèmes de négociation : d'abord, la suppression des subventions à l'exportation, qui ont un effet de distorsion du commerce mondial ; ensuite, l'accès au marché par le biais d'une réduction des droits de douane ; enfin, la réforme des soutiens internes.

Sur ces trois thèmes, un accord-cadre est intervenu à Genève le 1er août 2004, et ce, je le rappelle, grâce aux initiatives prises par l'Union européenne. Cette dernière a en effet consenti à faire des concessions difficiles, notamment en acceptant de laisser de côté certains sujets dits « de Singapour » et en annonçant la fin, à une date qui reste à déterminer, de toutes ses subventions à l'exportation.

A l'approche de la conférence de Hong-Kong, il reste à fixer des chiffres et des dates sur les décisions de principe. Quel sera le pourcentage de réduction des tarifs douaniers ? Quelle date sera retenue pour la fin des subventions à l'exportation ? Enfin - et c'est le sujet le plus important -, combien de produits sensibles seront protégés et lesquels ?

Nous savons tous que le commissaire européen au commerce a fait des propositions chiffrées en réponse à une première offre des Etats-Unis, qui proposaient de réduire de 60 % leurs subventions internes. La Commission européenne a en effet répondu en proposant de réduire de 70 % ses aides directes aux agriculteurs et d'abaisser parallèlement ses droits de douane dans une proportion de 20 % à 50 %.

Ces propositions, ainsi que l'idée de limiter à cent soixante le nombre de produits sensibles à protéger, sur un total d'environ deux mille produits agricoles, ont suscité l'émoi de nos agriculteurs et une réaction ferme de notre gouvernement. Un mémorandum a été signé par notre pays et cinq de nos partenaires, à savoir l'Italie, l'Espagne, la Pologne, l'Irlande et la Hongrie.

Cette action commune a montré que nous n'étions pas les seuls à souhaiter préserver les engagements pris en faveur des agriculteurs européens. Par ailleurs, un groupe ad hoc d'experts a été mis en place pour évaluer très précisément l'offre faite par la Commission européenne, ainsi que ses effets sur l'ensemble des filières.

Aujourd'hui, certains voudraient aller plus loin et exigent, par exemple, que Peter Mandelson, le commissaire européen au commerce, ait les mains liées pour l'avenir. Selon eux, la Commission européenne ne défendrait pas suffisamment les intérêts de l'Union, en particulier la préférence communautaire en matière agricole.

Or je ne pense pas que la Commission européenne oublie les intérêts de nos agriculteurs. Le rappel à l'ordre me semble avoir porté ses fruits. Il y a clairement une ligne rouge à respecter, à savoir le mandat donné par le Conseil : il ne faut pas toucher à la réforme de la PAC, négociée jusqu'en 2013. Tout est une question de transparence à l'égard des Etats membres de l'Union, et si celle-ci a sans aucun doute fait défaut ces dernières semaines, le message est, me semble-t-il désormais passé.

Aujourd'hui, la clé des négociations de Hong-Kong se trouve non pas dans les querelles internes à l'Union européenne, mais du côté des Etats-Unis.

Une véritable publicité doit être faite sur le scandale du Farm bill, qui, contrairement à la PAC, n'a pas été réformé. Il le sera au cours de l'année 2007. Le Farm bill n'est plus viable en l'état, ni d'un point de vue international ni d'un point de vue purement budgétaire. Une réforme de l'aide alimentaire américaine, qui constitue une forme de protectionnisme agricole déguisé, est également nécessaire et urgente, même si j'en mesure les difficultés. Rien de substantiel n'a été accordé sur ce point.

En tout état de cause, nos partenaires américains doivent faire des pas significatifs, dans la mesure où l'Union européenne a déjà fait sa part du chemin avec la réforme de 2003, qui a permis le découplage entre la production et les aides aux agriculteurs, et, l'an passé, sa proposition de mettre fin, à terme, aux subventions à l'exportation.

En clair, l'Union européenne ne peut payer seule le prix de l'ouverture des marchés agricoles et elle ne doit pas le payer en deux fois.

Ce n'est qu'après avoir obtenu des assurances sur une réforme des aides agricoles américaines, qui, je le rappelle, passe par une décision du Congrès - le mode de fonctionnement est différent de celui de l'Union européenne - que nous pourrons parvenir à un accord détaillé sur les concessions, y compris sur la liste des produits sensibles à protéger.

Cette liste devra être élaborée avec la plus grande attention, car elle désignera très précisément les secteurs agricoles que nous entendons protéger. Notre attitude doit être constructive, et non défensive. Nous ne devons pas faire de procès d'intention à la Commission européenne, sachant qu'elle sera amenée à rendre des comptes. Si le compte n'y est pas, il n'y aura pas d'accord à Hong-Kong.

Un autre point de la discussion est l'équilibre qui doit être trouvé entre les trois grands piliers de la négociation : l'agriculture, l'industrie et les services, et le développement. Toutefois, ne nous faisons pas d'illusions : ces négociations ne pourront pas aboutir à un résultat très avancé s'agissant de l'industrie et, surtout, des services, pour lesquels les échanges d'offres n'en sont aujourd'hui qu'à un stade préliminaire.

Pour autant, il me semble qu'un message fort doit désormais être adressé aux grands pays émergents comme la Chine, l'Inde ou le Brésil. Ces pays, qui sont encore très fermés dans le domaine industriel et dans le domaine des services, alors même que leurs marchés sont en pleine expansion, tout en réclamant toujours plus à l'Union européenne en matière agricole. Leurs tarifs industriels connaissent des pics allant de 15 % à 60 %, alors que la moyenne des tarifs industriels de l'Union européenne se situe à 4 %. Cette situation n'est pas acceptable. Il n'est plus possible d'adopter la même position à l'égard des pays les moins avancés, dont les économies - et les régimes - sont fragiles, et à l'égard de ces pays, qui deviennent extrêmement dynamiques.

En effet, ce sont d'abord ces grands pays émergents, avant les pays les plus pauvres, qui profitent d'une libéralisation croissante des échanges agricoles et industriels. Des avancées significatives devront être faites sur ces sujets à Hong-Kong, sinon, à l'évidence, l'accord ne sera pas équilibré.

Les négociations entre l'Union européenne et le Mercosur, en Amérique latine, ont échoué parce que, en contrepartie de concessions agricoles, aucune offre crédible ne nous avait été faite sur l'ouverture des marchés industriels et de services de ces pays. Sur ce sujet, les Etats membres de l'Union européenne peuvent, me semble-t-il, parvenir à un consensus. En tout état de cause, il apparaît clairement qu'un accord limité au seul volet agricole serait purement et simplement inacceptable.

L'Union européenne ne doit pas avoir peur de mettre en valeur des dossiers très importants pour l'avenir, comme le respect des indications géographiques protégées ou la protection de la propriété intellectuelle. Le commerce international, ce n'est pas seulement des échanges libéralisés et la suppression des droits de douane, c'est également une concurrence loyale entre les Etats. Pour cela, les règles de protection des origines et de fabrication des produits doivent être respectées. Or, plusieurs Etats membres de l'OMC ne respectent pas ces règles ou refusent d'en discuter : nous ne devons pas l'accepter, pour des raisons liées à l'histoire et à la formation de l'Union européenne.

En ce qui concerne les pays pauvres, il est important de souligner - on ne le dira jamais assez - qu'il n'y a pas d'opposition entre leurs intérêts et les nôtres. En effet, ces pays bénéficient de préférences spécifiques de la part de l'Union européenne, qui importe, rappelons-le, 80 % de leur production agricole. En outre, la défense d'une certaine exception agricole les avantage également. Qui pourrait dire, par exemple, que la libéralisation totale des marchés agricoles serait profitable aux économies des pays pauvres, dont la seule richesse repose parfois sur des monocultures ? Dans un monde entièrement libéralisé, ces pays n'ont que peu de chances.

L'exemple du textile a montré en effet que ces pays souffraient d'un effet de masse des grands pays émergents. Il faut donc continuer de leur offrir des avantages comparatifs par rapport au reste du monde, comme le système des préférences généralisées.

Mais il faudra aussi que la conférence de Hong-Kong permette des avancées significatives sur des sujets comme le coton, qui avait été la cause principale de l'échec de la conférence de Cancún en 2003. La création d'un sous-comité coton, au sein de l'OMC, n'est pas du tout à la hauteur de leurs attentes et des enjeux.

En conclusion, madame la ministre, je voudrais souligner combien il me semble indispensable qu'un débat parlementaire ait lieu sur ces sujets essentiels qui concernent l'ensemble de notre économie et l'avenir de l'agriculture dans notre pays et au sein de l'Union européenne.

Je regrette qu'un tel débat parlementaire ne soit pas systématique avant toute prise de position de notre gouvernement à Bruxelles, comme cela se passe par exemple au Danemark. Les parlementaires français sont trop souvent mis devant le fait accompli et amenés à devoir justifier des choix sur lesquels ils n'ont pas été consultés.

Je vous remercie donc, madame la ministre, d'être présente pour nous indiquer très précisément l'état actuel des négociations, la position du gouvernement français et les propositions faites par la Commission européenne et nos partenaires pour la conférence de Hong-Kong.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Hubert Haenel

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, tout d'abord, de saluer l'initiative de notre collègue Jean Bizet, qui est à l'origine de notre débat d'aujourd'hui.

Cette initiative répond pleinement au souci de revaloriser l'approche des questions européennes au Parlement et de mieux faire comprendre les débats communautaires. Nous devons intervenir en temps utile, c'est-à-dire avant que les décisions soient prises : c'est le cas aujourd'hui, puisque ce débat a lieu bien en amont des négociations de Hong-Kong, qui se dérouleront du 13 au 18 décembre prochain.

L'intervention du Parlement en amont deviendra, je l'espère, de plus en plus souvent la règle. En tout cas, le Premier ministre nous en a fait la promesse. Déjà, le 15 juin dernier, le Gouvernement avait accepté, et c'était une première, un débat en séance publique avant le Conseil européen, afin que nous puissions connaître ses intentions et lui faire part de nos observations. J'espère que cette expérience se renouvellera. Il est très important en effet que les parlementaires puissent agir en amont, plutôt que de constater et de se désoler des résultats de négociations communautaires qui seraient prises en charge et orientées par les seuls gouvernements.

Plusieurs dossiers importants, qu'il s'agisse de la directive dite « Bolkestein » ou d'autres textes moins médiatiques, ont montré qu'il était nécessaire d'avoir un débat d'orientation politique avant d'engager les discussions avec nos partenaires.

Je vous remercie vivement, madame la ministre, d'avoir accepté de venir nous présenter les enjeux de ces négociations et la position du Gouvernement. Cela nous permettra peut-être de relativiser ce que nous lisons dans les journaux, entendons à la radio et voyons à la télévision.

Sur le fond, je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit Jean Bizet, qui connaît très précisément les dossiers commerciaux et le fonctionnement de l'OMC.

L'enjeu des négociations commerciales de Hong-Kong est d'abord et avant tout un enjeu de développement pour les pays les plus pauvres, qui souffrent d'une concurrence parfois faussée - je pense en particulier au dossier du coton -, mais aussi pour nos économies, qui bénéficieront de l'ouverture des marchés extérieurs, lesquels sont actuellement en pleine croissance, en Asie ou en Amérique Latine.

Récemment, l'entrée massive de textiles chinois a légitimement suscité l'émoi et conduit l'Union européenne à négocier des quotas d'importation pour permettre la restructuration de nos industries. En échange de ces ouvertures, douloureuses pour certains secteurs d'activité, nous devons conquérir des marchés extérieurs, dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée comme les transports, la téléphonie et les services.

S'agissant de l'agriculture, nous devons sans cesse réaffirmer, à temps et à contretemps, qu'il ne s'agit pas d'un bien comme un autre. Au-delà de l'aspect économique, l'agriculture est en effet un élément du patrimoine européen - et pas seulement français -, un aspect de l'équilibre territorial, social et environnemental de nos pays.

L'Union a besoin d'une politique agricole commune. Si cette politique doit faire l'objet d'adaptations - cela a souvent été le cas ces dernières années -, nous ne devons jamais en perdre de vue les conséquences sur l'aménagement du territoire de l'Europe, la sauvegarde de ses paysages, parties intégrantes de son identité. Il faut certes savoir évoluer, mais sans sacrifier l'essentiel.

Je pense, madame la ministre, que vous nous confirmerez que, sur ce point, un grand nombre d'Etats membres sont en accord avec la France.

Sur les sujets industriels et les services, je rappellerai principalement que, tout comme en matière agricole, il existe des garde-fous, en particulier en ce qui concerne le respect des services publics et de la diversité culturelle.

S'agissant des services publics, l'accord dit « AGCS » - accord général sur le commerce des services - a suscité des craintes dans les collectivités territoriales quant à une possible ouverture à la concurrence des services d'intérêt général, comme la distribution de l'eau. Ces craintes sont infondées, car la Commission a formellement exclu ce type d'offres. D'autres pays pourront le proposer, mais pas l'Union.

Concernant la diversité culturelle, je me félicite de la récente adoption de la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, qui constitue une arme juridique supplémentaire pour exclure les produits culturels des procédures habituelles de libéralisation des échanges.

Par ailleurs, comme Jean Bizet, je souligne que le débat public ne doit pas porter uniquement, comme c'est le cas en ce moment, sur le respect par la Commission européenne de son mandat. Certes, ce thème est important, mais il ne doit pas occulter la nécessité, pour l'Union européenne, d'être un interlocuteur unique pour l'OMC et de développer une véritable stratégie de négociation.

A ce propos, je voudrais rappeler le cadre juridique des négociations commerciales - cela me semble nécessaire, et c'est mon job ! Celles-ci sont régies par l'article 133 du traité instituant la communauté européenne.

En vertu de cet article, « si des accords avec un ou plusieurs Etats ou organisations internationales doivent être négociés, la Commission présente des recommandations au Conseil, qui l'autorise à ouvrir les négociations nécessaires ». Le Conseil donne donc un mandat de négociation à la Commission. Pour les négociations de Seattle, le Conseil Affaires générales du 25 octobre 1999 avait ainsi déterminé les grandes lignes du mandat de négociation de la Commission.

Par ailleurs, « les négociations sont conduites par la Commission en consultation avec un comité spécial désigné par le Conseil [...]. La Commission fait régulièrement rapport au comité spécial sur l'état d'avancement des négociations ».

Ainsi, les outils juridiques existent pour permettre une véritable transparence des négociations : le comité spécial, dit « comité 133 », désigné par le Conseil, se réunit régulièrement, tout en laissant à la Commission le soin de conduire les négociations. A cela, il faut bien évidemment ajouter les comités d'experts qui doivent appuyer le rôle du comité 133.

Enfin, il faut rappeler que, toujours en vertu de l'article 133 du Traité, le Conseil statue à la majorité qualifiée, c'est-à-dire qu'aucun Etat membre, pris isolément, ne dispose du droit de veto.

Certaines dispositions requièrent cependant l'unanimité si l'accord comprend des dispositions pour lesquelles l'unanimité est requise pour l'adoption de règles internes, ou pour un accord qui concernerait le domaine des services culturels et audiovisuels, des services d'éducation, ainsi que des services sociaux et de santé humaine, qui relèvent de la compétence partagée entre la Communauté et ses Etats membres.

Il est utile de rappeler sans cesse ces règles, qui sont les fondamentaux des négociations qui seront menées à Hong-Kong au mois de décembre prochain.

Ces règles doivent nous conduire, me semble-t-il, à adopter une double attitude de vigilance et de confiance à l'égard de la Commission : vigilance quant au respect de nos intérêts et quant à l'expression, le cas échéant, de nos désaccords ; confiance dans les capacités de négociation de la Commission européenne, qui dispose seule de la légitimité pour négocier au nom de tous. Ce n'est qu'à ce prix que le cycle de Doha pourra se conclure sur un succès.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Mme Michèle André remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, moins de cinquante jours nous séparent du prochain sommet de l'OMC, qui se tiendra à Hong-Kong, du 13 au 18 décembre prochain.

Les négociations commerciales, qui ont commencé avec succès à Doha en 2001, et qui ont « trébuché » à Cancún en 2003, ont-elles, dans ce court délai, une chance d'aboutir à un accord global équilibré, respectueux des intérêts de l'ensemble des pays ?

Nous voulons, bien entendu, le croire, tant nous avons besoin de réguler les échanges mondiaux, de garantir aux pays les plus pauvres les conditions de leur développement, et, s'agissant de la France, de favoriser le développement de nos entreprises à l'exportation, qui constitue bien sûr un vivier d'emplois très important.

Toutefois, si l'accord de Genève, conclu en juillet 2004, nous laissait espérer une relance positive du cycle, les récents développements sur la question agricole font naître de sérieuses craintes quant à son issue.

Avant d'aborder cette question agricole, placée, depuis plusieurs années, au centre des débats, je souhaite exprimer un regret d'ordre général et une interrogation.

Le regret porte sur le sort de la déclaration adoptée à l'issue du sommet de Doha, après le 11 septembre 2001. Elle avait placé le développement au coeur du cycle de négociations. Force est de constater que, sur ce sujet, peu d'avancées réelles ont été enregistrées, qu'il s'agisse, par exemple, du coton ou de l'accès aux médicaments.

Sur le coton, malgré leur condamnation par l'OMC, les Etats-Unis n'ont toujours pas réformé leur système de soutien de manière satisfaisante, alors même que les subventions accordées à leurs producteurs atteignaient 3, 9 milliards de dollars en 2002.

Or les pays regroupés dans le G90 ont récemment laissé entendre qu'ils feraient échouer la conférence de Hong-Kong s'il n'y avait pas d'accord dans ce domaine, qui, il faut le rappeler, avait largement contribué à l'échec de Cancún. Sur ce dossier emblématique, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer où en sont les négociations ?

J'en viens à la question des médicaments.

La France, qui s'était particulièrement investie dans ce dossier, s'était réjouie de l'accord qui avait pu être trouvé en 2003 sur ce sujet. Toutefois, la mise en oeuvre concrète de l'accord se heurte aujourd'hui à des obstacles. Faute d'adoption d'un amendement à l'accord sur la propriété intellectuelle de l'OMC, les avancées dans ce domaine demeurent aujourd'hui très limitées. Pouvez-vous nous donner des précisions, madame la ministre, sur la traduction juridique des engagements pris en 2003 ?

Sur ce sujet du développement, l'Union européenne, et singulièrement la France qui, par la voix de son président, avait lancé une initiative en faveur de l'Afrique, peut et doit jouer un rôle moteur.

Pouvez-vous à cet égard, madame la ministre, nous donner votre sentiment sur la possibilité que soit étendue l'initiative européenne « Tout sauf les armes », qui consiste à laisser entrer dans l'Union, sans aucun droit de douane, les produits émanant des pays les plus pauvres ?

J'aborde à présent ce qui occupe le coeur de l'actualité.

Nous ne pouvons que déplorer, tout d'abord, qu'une fois de plus la négociation commerciale soit « prise en otage » par le volet agricole. La réforme de la PAC, en 2003, ne devait-elle pas être « pour solde de tout compte » ? Comment se fait-il que l'Union européenne, qui a réformé sa politique agricole avant de négocier, se trouve aujourd'hui, une fois de plus, en situation défensive face aux Américains qui vont aller négocier, eux, sans avoir réformé leur politique ?

Celle-ci aboutit pourtant, il faut le rappeler, à ce que les deux millions de fermiers américains soient individuellement plus soutenus que les quinze millions d'agriculteurs européens.

Nous ne pouvons également que déplorer que ne soient pas davantage prises en compte toutes les formes d'aides, notamment les systèmes américains de crédits à l'exportation, ou d'aide alimentaire, qui déstabilisent bien plus les marchés mondiaux que la politique européenne.

Il convient de rappeler, à ce point de la discussion, que le marché européen est le plus ouvert de tous les marchés mondiaux, et que l'Union, en acceptant six fois plus d'importations en provenance des pays africains que les Etats-unis, est le plus gros importateur de produits agricoles au monde.

Malgré cette situation, malgré la réforme de 2003, et malgré l'avancée sur les restitutions aux exportations en 2004, la Commission européenne paraît être entrée dans une dynamique de concessions unilatérales face aux Etats-unis et aux pays du groupe de Cairns, qui seront probablement les grands gagnants de cette dynamique.

Or nous ne pouvons accepter qu'un accord équilibré, qui sanctionne toutes les formes de soutien à l'exportation, y compris l'aide alimentaire, celle-ci devant se faire uniquement sous forme de dons et répondre à un besoin constaté internationalement.

Pouvez-vous, à cet égard, madame la ministre, nous donner des éléments précis s'agissant de l'impact qu'aurait sur la politique agricole commune la proposition de la Commission de réduire les droits de douane sur les produits agricoles de 20 à 50 % ? Pouvez-vous également nous donner des précisions sur l'expertise commandée au niveau européen afin de déterminer si le mandat de la Commission a été outrepassé ? Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur la position de nos partenaires européens ?

S'agissant ensuite de la filière viticole, qui représente tout de même 80 % de notre excédent agricole à l'exportation, l'Union européenne et les Etats-Unis ont trouvé, après des années de discussions, un accord sur le commerce viticole, qui prévoit de mieux protéger les dénominations des vins communautaires.

Toutefois, les Américains pourront continuer, sous certaines conditions et pour une période limitée, à utiliser certaines expressions traditionnelles, ce qui pose problème. Une deuxième phase de négociation va s'ouvrir : peut-on imaginer qu'à son terme les Américains renoncent totalement, pour leur production de vins, à utiliser des dénominations européennes ?

Pouvez-vous également nous indiquer, de manière plus générale, les progrès qui peuvent être espérés sur la question des indications géographiques, indispensables pour bonifier la valeur ajoutée de notre agriculture ?

Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, madame la ministre, nous souhaitons - et nous savons que le Gouvernement l'a instamment demandé à la Commission - que les négociations soient recentrées sur l'industrie et les services. L'Union, en la matière, a des intérêts offensifs majeurs à faire jouer, avec une moyenne tarifaire aux alentours de 4 %, et un secteur industriel qui représente 85 % des exportations françaises.

Sur cette question, comme sur l'agriculture, il nous faut trouver les moyens d'une plus grande différenciation entre les pays les plus pauvres et les pays émergents, qui maintiennent des barrières douanières très élevées, avec des tarifs qui varient entre 20 et 40 %. Il faut, à cet égard, rappeler que le PIB par habitant au Brésil s'élève à 3 100 dollars, quand celui du Ghana se situe à 320 dollars, soit dix fois moins. Les grands pays émergents, qui ont bénéficié de l'ouverture des échanges, doivent dorénavant ouvrir leur propre marché, notamment aux pays les moins avancés, comme l'a fait l'Union européenne.

Enfin, nous avons des interrogations sur certains facteurs susceptibles d'influencer les négociations. Il y va ainsi du comportement à attendre des groupes de pays qui avaient été en partie à l'origine de l'échec de Cancún. Les coalitions du G90 et du G20, qui affichent des intérêts commerciaux très concentrés sur un petit nombre de sujets, voire de productions, sont-elles capables de formuler des compromis sur une vision d'ensemble de la négociation ? Par ailleurs, quel pourra être le rôle du directeur général de l'OMC, qui a pris ses fonctions il y a quelques mois seulement ? Enfin, l'échec de Cancún avait mis en lumière la nécessité d'un certain nombre de réformes structurelles de l'OMC. Une réforme de cette structure est-elle envisagée ?

En formulant à nouveau le souhait que la conférence de Hong-Kong puisse déboucher sur un accord, je vous remercie par avance, madame la ministre, des précisions que vous pourrez nous apporter sur l'ensemble de ces questions.

(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Ries

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quel avenir pour la régulation mondiale du commerce et, partant, quel avenir pour l'OMC ? L'enjeu fondamental des débats d'aujourd'hui et des positions de négociations élaborées à Bruxelles réside dans ces questions. C'est sur cet enjeu que je souhaiterais, chers collègues, vous soumettre quelques réflexions, dans le laps de temps très faible, anormalement faible au regard de l'enjeu, qui m'est imparti.

Incontestablement, certains postulats sont admis et certaines préoccupations sont partagées par l'ensemble des membres de notre Haute assemblée.

Nous sommes tous d'accord pour rappeler l'utilité d'une régulation du commerce au niveau mondial. Elaborer des règles communes pour offrir à chaque pays les moyens d'échanger et de se développer, en évitant le bilatéralisme, est une nécessité reconnue par tous.

Nous partageons aussi le même pessimisme sur la situation actuelle d'inertie, d'enlisement de l'OMC et les perspectives bien minces de déblocage des négociations à Hong-Kong.

Sur le fond, et en particulier sur le dossier agricole, nous partageons aussi une vision assez semblable : celle de la défense d'une agriculture multifonctionnelle, jouant un rôle en matière de préservation des paysages, de protection de l'environnement, de sécurité alimentaire. Nous partageons aussi les mêmes soucis, notamment en ce qui concerne la définition d'une liste des produits dits sensibles, ou, d'une manière plus générale, pour l'instauration d'un principe de précaution au niveau mondial.

Mais dresser ces constats et affirmer ces préoccupations ne suffit pas : cela implique d'en tirer un certain nombre de conséquences concrètes.

L'enlisement des négociations porte en lui un risque majeur, celui de décrédibiliser ce système multilatéral auquel nous sommes attachés, car les pays membres finiront par rechercher ailleurs des solutions pour s'intégrer à l'économie internationale, et l'on constate déjà aujourd'hui la multiplication des négociations d'accords bilatéraux ou régionaux.

Si nous sommes tous d'accord pour défendre le principe d'une organisation mondiale du commerce, il faut tout faire pour sauver la conférence ministérielle de Hong-Kong.

Or, aujourd'hui, quel est le constat ?

Nous avons, d'un côté, le commissaire européen Peter Mandelson, dont la stratégie est en quelque sorte de se servir de la PAC comme d'une monnaie d'échange, en cédant sur l'agriculture pour avancer sur l'industrie et les services, en utilisant le dossier agricole comme variable d'ajustement. Ce n'est, à l'évidence, pas la bonne méthode : l'agriculture est bien sûr un dossier à part entière, à traiter en parallèle avec tous les autres.

Cependant, d'un autre côté, nous avons un gouvernement français dont la démarche consiste fondamentalement à critiquer sévèrement la Commission européenne, à mettre en accusation le commissaire Mandelson, sans stratégie précise, sinon celle de faire de l'affichage, à l'adresse de l'opinion publique, pour démontrer, bien maladroitement à mon avis, que la France est présente s'agissant des dossiers européens.

Cette attitude réactive et quelque peu théâtrale est-elle à la hauteur de l'enjeu ? Je ne le crois pas. C'est à la mi-novembre que la Commission européenne présentera la position qu'elle compte défendre à Hong-Kong : nous devons rester vigilants, mais éviter la diabolisation.

Entre ces deux méthodes, je crois possible de trouver une autre voie.

Pour aborder de façon positive la conférence de Hong-Kong, et surtout les négociations qui devraient suivre, je pense qu'il convient, aux échelons français et européen, de se positionner selon quelques constats et orientations simples.

Il faut tout d'abord souligner, madame la ministre déléguée, que, au sein de l'OMC, le rapport de force entre les 148 pays a beaucoup évolué en quelques années : au groupe de Cairns et au G 10 sont venus s'adjoindre le groupe des 20 et le groupe des 90, chacun de ces groupes ayant des intérêts spécifiques à défendre et des stratégies particulières à promouvoir.

Les lignes ont donc bougé. Désormais, le rapport de force ne s'exerce plus seulement entre l'Union européenne et les Etats-Unis. D'autres interlocuteurs sont apparus, qui vont peser dans les négociations et qui devraient permettre de sortir du face-à-face stérile entre les Etats-Unis et l'Union européenne. L'Europe, dans cette perspective, peut avoir un rôle clé à jouer, pour peu qu'elle arrive à surmonter ses propres divisions.

C'est ce qui me fait penser que l'OMC est à un tournant de son histoire et que nous ne devons pas, de notre côté, continuer notre route en ligne droite, en fondant nos stratégies et nos positions de négociations sur des schémas désormais caducs. Ces nouveaux interlocuteurs que j'évoquais à l'instant, nous devons en faire des partenaires. Ce sera la première étape d'une relance des négociations et d'une évolution souhaitable du fonctionnement même de l'OMC.

Le Premier ministre a encore rappelé, la semaine dernière, que la France participait au cycle de Doha notamment pour aider les pays en voie de développement. Mais, concrètement, le décalage est énorme entre les attentes de ces pays et les propositions que les pays industrialisés vont formuler à Hong-Kong. Une véritable crise de confiance était apparue à Cancún, elle risque de s'accentuer encore d'ici au mois de décembre.

Or, à chaque rendez-vous, le mouvement dit altermondialiste se nourrit de ces échecs et a tendance à faire de l'OMC le bouc émissaire pour toutes les difficultés, alors qu'elle n'en est que le révélateur. De mon point de vue, c'est l'absence de gouvernance à l'échelon mondial qui pose problème, et non l'embryon de régulation instauré par l'OMC, malgré tous les déséquilibres et les insuffisances que l'on constate depuis sa naissance.

Il s'agit donc, pour l'Europe, de nouer un dialogue politique sérieux avec les nouveaux groupes constitués ; nous devons et nous pouvons être « proactifs », formuler des propositions.

En effet, les pistes à explorer sont nombreuses. La promotion d'un traitement différencié pour les pays les plus pauvres est bien sûr la réponse principale et immédiate, celle qui vient tout de suite à l'esprit, mais d'autres pistes existent. J'aimerais, à titre d'illustration, en évoquer deux qui me semblent particulièrement dignes d'intérêt.

La première concerne les biens publics environnementaux. On sait que le thème du développement durable, même s'il figure dans le préambule de l'accord instituant l'OMC, reste encore très marginal pour la grande majorité des Etats membres de l'organisation, qui ont bien d'autres préoccupations, plus urgentes à leurs yeux.

En tout état de cause, si les pays développés ne renforcent pas leur aide technique et financière aux pays les plus pauvres, ces derniers ne pourront intégrer la dimension environnementale dans leurs choix. Or si l'on veut éviter les atteintes irréparables à l'environnement à l'échelle planétaire et favoriser les procédés de production respectueux de l'environnement partout dans le monde, la coopération sur ces questions à l'intérieur de l'OMC est indispensable. Elle est d'ailleurs aussi un moyen de pression à l'égard des pays émergents, qui concurrencent férocement nos productions par le biais d'un dumping social et environnemental.

De ce point de vue, l'élaboration à Hong-Kong d'une liste des biens environnementaux fondamentaux serait déjà une avancée.

La seconde piste concerne la reconnaissance à l'échelon mondial d'un registre des indications géographiques, thème qui a déjà été abordé par les précédents orateurs. Nous sommes d'accord pour affirmer que l'aide aux pays en développement passe par la valorisation de leurs ressources locales et traditionnelles : il s'agit bien souvent de régions périphériques où subsistent de petits producteurs dans un équilibre économique très fragile. La mise en place d'un registre international des indications géographiques permettrait de mieux protéger les productions locales, qui font vivre de petits producteurs et constituent, en même temps, une digue contre la déferlante de la production de masse.

A cet égard, comment, mes chers collègues, ne pas être inquiets de voir des multinationales faire breveter et vendre du riz « basmati » ou du thé « Ceylan » ? Aujourd'hui, un quart seulement de la production mondiale du thé appelé Darjeeling provient effectivement de l'Inde. C'est pourquoi des pays comme l'Inde, le Pakistan, la Thaïlande, la Jamaïque, qui d'ailleurs font partie des nouveaux groupes que j'ai cités, notamment du G 20, réclament une meilleure protection des indications géographiques.

Toutefois, comme vous le savez, les indications géographiques sont aussi d'une importance capitale pour nous Européens.

Savez-vous par exemple, mes chers collègues, que la commercialisation du fameux jambon de Parme est actuellement interdite sous ce nom au Canada, parce que cette appellation a été déposée unilatéralement pour un jambon dit « de Parme » canadien ! De telles situations sont aberrantes, mais leur incidence économique peut être considérable. Cela ne peut plus durer, il faut absolument que les indications géographiques soient protégées à l'échelle internationale : nous pourrons ainsi renforcer notre compétitivité agricole par la qualité plus que par la quantité.

Nous avons là un bel exemple d'intérêts convergents entre les pays en développement et l'Union européenne. Ce thème s'élargit même à d'autres problématiques d'importance, auxquelles nous sommes très attachés : celles, par exemple, du droit des consommateurs et de la sécurité alimentaire.

Ces dossiers ont déjà été mis sur la table, ils sont bloqués, et pour longtemps, diront certains. Mais qui peut en être sûr ?

En fait, des évolutions sont aujourd'hui à mon avis possibles, sur des questions considérées par beaucoup comme sans issue à cause d'intérêts nationaux trop éloignés les uns des autres. L'exemple le plus marquant, à cet égard, est l'approbation, par la Conférence générale de l'UNESCO, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Il s'agit là d'une contribution essentielle au combat visant à ce que la culture ne soit pas considérée comme une marchandise comme les autres. Cela démontre que des avancées sont possibles et permet d'être optimiste s'agissant d'autres dossiers.

Sachons, dès lors, adapter notre vision et notre attitude aux nouvelles configurations qui se dessinent au sein de l'OMC. Sachons élargir nos thèmes de négociations et prendre en compte les idées nouvelles. L'avenir de la régulation mondiale du commerce et, partant, de l'OMC tient à cette perspective selon laquelle l'essor d'un commerce plus équitable à l'échelle mondiale pourrait être le moyen le plus efficace de lutter contre le sous-développement et les énormes inégalités qu'il engendre.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Paul Girod

Madame la présidente, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la conférence de Hong-Kong, qu'elle réussisse ou qu'elle échoue, sera probablement un moment déterminant pour la vie du monde, au moins pour les vingt ans à venir, et ce pour des raisons simples.

Tout d'abord, tous les grands pays industrialisés ont intérêt à ce que les règles commerciales soient convenablement établies.

Ensuite, les pays en voie d'émerger et qui atteignent au même degré de richesse et d'influence au sein des échanges internationaux que ceux que je viens d'évoquer ont besoin de règles stabilisées afin de pouvoir continuer à s'intégrer dans le développement général du monde.

Enfin, et c'est probablement encore plus important, les pays dits en développement, c'est-à-dire ceux qui se trouvent tout à fait au bas de l'échelle économique, ont besoin, plus que d'autres, de pouvoir entrer dans le système. Cela est vrai à tous points de vue : sur le plan culturel, car ils ont aussi des spécificités à préserver, mais aussi au regard, ce qui est plus essentiel encore, de l'espoir minimal à donner à leur population. Notre débat actuel rejoint d'ailleurs celui qui s'est tenu auparavant sur l'immigration.

En effet, il est évident que la pression migratoire sur les pays riches se trouvera d'autant plus allégée, et c'est ce qu'a parfaitement compris le Président de la République, que la pression économique supportée par les pays en développement aura été soulagée.

En conséquence, tous les pays ont intérêt, y compris ceux d'entre eux qui, pour l'heure, n'en ont pas encore conscience, à ce que l'organisation générale du commerce mondial puisse progresser dans le sens que nous souhaitons.

Malheureusement, nous sentons bien que la question alimentaire est en voie d'émerger comme étant le problème majeur, la clé de tous les autres. Sur ce point, plusieurs réflexions peuvent, à mon sens, être faites.

Tout d'abord, il faut souligner que la sécurité alimentaire ne va pas de soi, et que s'en remettre aux flux tendus des échanges internationaux pour la sécurité alimentaire de continents entiers relève de la plus incroyable imprudence. Ceux d'entre nous qui ont un certain âge se rappelleront les années 1945-1955. A cette époque, l'Europe continentale a pu lever les restrictions alimentaires plus rapidement que le Royaume-Uni, qui avait pourtant derrière lui tout le Commonwealth mais qui, ne disposant pas d'une agriculture nationale suffisamment puissante, est resté au moins quatre années de plus que le continent en situation de dépendance alimentaire.

La sécurité alimentaire fait partie, à mon avis, d'un certain nombre de notions que les grands négociateurs internationaux ont quelquefois tendance à oublier, se disant que, après tout, il va de soi que ce qui est vrai pour les échanges de marchandises manufacturées l'est également s'agissant de ce qui constitue la base même de l'existence humaine sur le globe. Je crois néanmoins qu'il faut garder certaines notions élémentaires à l'esprit pour ne pas aborder le volet agricole - ce sera celui, nous le sentons, qui posera le plus problème - exclusivement par le biais de raisonnements intellectuels.

Cela étant, il y a plusieurs façons d'évoquer ce volet agricole. Pour ma part, je voudrais le faire en décrivant devant le Sénat ce que je crois savoir être l'angle d'approche de nos amis et adversaires américains dans cette affaire. Tout à l'heure, M. Bizet en a dit un mot, mais je voudrais insister un peu sur ce point.

Nous sommes devant une situation que vous connaissez certainement, madame la ministre déléguée, et que M. Mandelson devrait connaître, ou du moins un peu mieux intégrer dans ses raisonnements qu'il ne le fait actuellement.

Dans l'état actuel des choses, les Etats-Unis n'abordent pas du tout le volet agricole avec une volonté de contribuer à l'instauration d'un équilibre mondial au sein duquel même les pays les plus pauvres se trouveraient en situation de participer aux échanges internationaux dans des conditions améliorées. Ils adoptent au contraire une attitude résolument offensive, il faut le savoir.

Tout d'abord, à leurs yeux, le problème est d'élargir l'ouverture des marchés aux produits agricoles américains.

Ensuite, les références de discussion qu'ils mettent en avant sont inspirées par la loi agricole américaine, dite Farm bill.

En aucun cas, pour eux, la discussion du futur Farm bill ne doit dépendre des négociations de l'OMC. Le Congrès américain se réserve toute latitude d'adapter comme il l'entendra la politique agricole américaine aux résultats de Hong-Kong, et non l'inverse.

Pour se donner la marge de manoeuvre dont ils ont besoin, ils ont utilisé une méthode qu'ils reprochent aux pays en développement consistant à faire les calculs sur leurs concessions éventuelles non pas en fonction des aides réellement dépensées à l'intérieur de leur système de protection agricole mais par rapport aux plafonds auxquels ils auraient pu recourir s'ils avaient été jusqu'au bout du raisonnement. Comme le Farm bill actuel a été mis en oeuvre dans les années 2001-2002, à une époque où les versements ont atteint des niveaux inenvisageables auparavant, le point de référence auquel s'attachent les Américains ne correspond pas du tout à la situation présente, mais à ce qui s'est passé voilà trois ou quatre ans, dans des conditions économiques et de récolte tout à fait inattendues par rapport aux échanges courants internationaux. Telle est la première constatation.

Si vous considérez ensuite - je tire ces éléments de déclarations de M. Mike Johanns, secrétaire à l'agriculture américain, et de M. Saxby Chambliss, président de la commission agricole au Sénat américain - le joyeux mélange opéré entre la boîte orange, la boîte bleue et la boîte verte, vous vous apercevez que ce que nous proposent les Américains ne leur coûtera probablement pas grand-chose. Le résultat est extraordinaire ! Président du groupe d'amitié France-Etats-Unis du Sénat, je suis un ami des Américains et je rends hommage à leur capacité de négociateurs, à leur rouerie en la matière. Ils défendent leurs intérêts, c'est bien normal, mais ils le font avec des méthodes qui, de mon point de vue, sont parfois un peu excessives.

Nous sommes avertis que, pour autant, le Congrès ne se sentira pas lié pour la future loi agricole et, cerise sur le gâteau, si nous allons jusqu'au bout de certains raisonnements que j'entends ici ou là dans les négociations, l'Union européenne risque de devoir payer trois fois.

Nous savons qu'il n'est pas question, pour les Etats-Unis, de toucher à l'aide alimentaire, laquelle constitue un soutien détourné à l'économie agricole qui n'entre pas dans les calculs des fameuses boîtes. Nous savons également que les Américains ne veulent en aucun cas entendre parler des indicateurs géographiques comme facteurs limitant éventuellement leur capacité d'action sur le marché international - je m'associe, sur ce point, aux propos de M. Ries.

Cependant, la position américaine nous est présentée comme comportant une proposition d'abaissement - que, pour ma part, je crois très largement vide de sens - en contrepartie de laquelle l'Europe doit prendre immédiatement des engagements fermes, par exemple en réformant sa PAC. C'est dit moins brutalement, mais pas très différemment, par M. Blair. Or la politique agricole commune a déjà fait les pas que l'agriculture américaine a faits en sens inverse avec le Farm bill actuel, ce dernier ayant procédé au recouplage des aides alors que nous avons procédé à leur découplage voilà déjà quelques années.

Je suis désolé de voir qu'une négociation aussi importante sur le plan même de l'existence de l'humanité, de conflits de pauvreté, de révoltes, de pressions migratoires que nous voyons se dessiner pour le siècle qui commence, est suspendue à un malentendu - savamment préparé, allais-je dire - sur le volet agricole, alors que tout cela me semble dépasser de très loin le problème de l'éventuelle réforme de la PAC et de ses incidences pour la France.

Si le raisonnement est mené à son terme, c'est tout le système qui s'écroulera, car, en définitive, les pays les plus pauvres - ceux vers lesquels va à juste titre l'attention du Président de la République - se trouveront confrontés à une agriculture européenne qui ne pourra plus leur réserver un traitement particulier et à une agriculture mondiale dans laquelle ils seront directement exposés à la concurrence des pays grands producteurs. Dans cette affaire, d'ailleurs, le groupe de Cairns joue à mon avis sur les deux tableaux. Les pays les plus pauvres seront confrontés aux produits américains pour lesquels les farmers ont pratiquement expliqué au Congrès qu'il était impératif de leur ouvrir des débouchés et d'augmenter la part des exportations américaines.

On peut certes nourrir des espoirs dans d'autres domaines, mais une fois tous ces éléments rassemblés, on s'aperçoit que c'est sur la compréhension de la réalité du dossier agricole que tout va se jouer dans quelques jours, et pas seulement pour nos intérêts mais pour ceux du monde entier.

Madame la ministre, tout en vous assurant du soutien du groupe UMP dans les difficultés que vous devez rencontrer en ce moment, et nous imaginons qu'elles ne sont pas simples, nous souhaitons que M. Mandelson prenne conscience que, derrière cette affaire agricole, qui est sérieuse, les enjeux sont bien plus importants encore. Je souhaite que vous arriviez à l'en convaincre. Même si je ne crois pas à la réussite de la négociation de Hong-Kong, il faut tout faire pour ne pas aboutir à un échec sanglant, car le monde s'en remettrait très difficilement ; nous paierions de plus de vingt ans de désordres un échec majeur.

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'enjeu de la prochaine conférence ministérielle est décisif. Il s'agit de relancer les négociations du vaste programme de Doha, lequel prévoit la prééminence du droit du commerce sur les droits humains, sociaux, culturels et environnementaux.

En effet, à l'occasion de la quatrième conférence ministérielle de l'OMC, un accord sur l'ouverture d'un cycle de négociations commerciales internationales a été conclu, grâce aux pressions économiques exercées par les pays industrialisés sur les pays en développement.

Si ce programme de négociations évoque à de multiples reprises l'importance de la promotion du développement, il répond en fait surtout aux attentes des pays riches et il contribue à donner davantage de pouvoirs à l'organisation tout en restreignant le droit pour chaque pays de promouvoir son propre modèle de développement. Les effets calamiteux de cette mondialisation des échanges, pour la majorité des pays, sont ressentis dans tous les secteurs d'activité.

Les conséquences négatives de la libéralisation agricole pour les pays en développement et les exploitations les plus vulnérables sont indéniables, madame la ministre.

La concurrence globale toujours plus forte entre marchés agricoles conduit à l'exclusion massive des plus petits exploitants et à une concentration des richesses. Libéraliser à tout crin l'agriculture aboutit à faire reposer la sécurité alimentaire sur la production des pays les plus compétitifs, lesquels imposent, par leurs pratiques, des prix de revient inférieurs aux coûts de production. De telles pratiques ne peuvent conduire qu'à l'écrasement de l'agriculture des pays les plus pauvres, remettant ainsi en cause la souveraineté alimentaire de ces derniers.

Aujourd'hui, force est de constater que les résultats obtenus par les pays en développement en matière de sécurité alimentaire sont des plus alarmants.

L'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, estime que le déficit commercial agricole des pays en développement atteindra 31 milliards de dollars d'ici à 2030, contre 18 milliards de dollars en 2015. Celui des pays les moins avancés, dont les importations à la fin des années quatre-vingt-dix étaient, en valeur, deux fois supérieures à leurs exportations, sera multiplié par quatre d'ici là.

Face à cette situation, madame la ministre, les signataires des accords OMC doivent respecter leurs engagements concernant l'aide alimentaire aux pays les plus vulnérables. En outre, ils doivent reconnaître le droit à l'autosuffisance alimentaire et garantir des prix minima pour les agricultures paysannes.

Concernant l'accès au marché des produits d'exportation, cette question est primordiale pour les pays en développement, car elle conditionne la mise en valeur de leur potentiel agricole. Si l'accord sur l'agriculture a entraîné des réductions tarifaires à l'entrée des marchés des pays développés, elles se sont révélées, dans la réalité, beaucoup moins généreuses que ce qui était promis aux pays en développement.

D'une part, les réductions des droits pour les produits de base et les produits transformés ont été relativement faibles. D'autre part, la progressivité des droits, qui fait augmenter les tarifs douaniers en fonction du niveau de transformation des produits, continue d'entraver l'accès au marché des pays développés et cantonne les pays en développement à l'exportation de produits primaires alors que les échanges annuels de produits agricoles transformés représentent plus de 60 % de l'ensemble des échanges mondiaux de produits agricoles.

A cela s'ajoute la complexité de la structure tarifaire qui finit de décourager le développement d'une activité de transformation dans les pays d'où proviennent les matières premières. En effet, la structure tarifaire appliquée aux produits agricoles par certains pays développés prévoit de multiples aménagements, comme les droits spécifiques, ainsi que des disparités et un manque de transparence dans la gestion des droits appliqués aux contingents tarifaires.

S'agissant des aides internes, les pays en développement, en raison des programmes d'ajustement structurel, soutiennent très peu leur agriculture. En outre, le fait d'avoir notifié des soutiens nuls à l'OMC les empêche, en raison des périodes de référence utilisées par les règles multilatérales, de mettre en oeuvre aujourd'hui des soutiens aux prix et les mécanismes de régulation des cours.

Or, pour ces pays, ce sont les soutiens les moins coûteux, car ils pèsent moins sur le budget limité de l'Etat que les aides directes au revenu. La seule possibilité actuellement pour un pays en développement est d'utiliser les aides classées en boîte verte, c'est-à-dire entièrement découplées de la production. Etant directement financées par le budget de l'Etat, le faible niveau de ce dernier, conjugué au poids de la dette, les rend en fait inaccessibles à la plupart des pays en développement.

Les pays développés, quant à eux, ont négocié un accord protégeant leurs politiques agricoles. En 2002, le soutien total à l'agriculture dans les pays riches était estimé, dans l'ensemble de la zone OCDE, à 318 milliards de dollars.

Enfin, l'accord agricole impose de diminuer le montant des subventions à l'exportation, mais celles-ci restent importantes et les règles ne couvrent pas les formes de soutien aux exportations, tels les crédits commerciaux, l'aide alimentaire utilisée à des fins commerciales et les entreprises commerciales d'Etat.

Ainsi, le libre-échange mène à l'injustice, car il fait gagner les pays les plus richement dotés et remet en cause le droit à la sécurité alimentaire des plus faibles, en déstabilisant les agricultures locales et en augmentant le coût de la facture alimentaire.

Il convient de mesurer la diversité des situations agricoles des membres de l'OMC. Une réponse politique, économique et technique adaptée doit être apportée par la communauté internationale. Or celle-ci n'a engagé et ne propose encore que des aménagements au système en vigueur, qui n'apportent aucune solution sérieuse pour remédier à la pauvreté et au sous-développement.

L'impératif d'autosuffisance et de sécurité alimentaire exige une exception au libre-échange. Il faut instituer une exception alimentaire, qui garantirait le droit de vivre de tous les hommes. La France, avec ses partenaires européens, doit défendre cette ambition pour le cycle de Doha, qui doit effectivement devenir le cycle du développement.

Un autre exemple des conséquences engendrées par la libéralisation des échéances est « l'affaire du coton ». Le coton d'Afrique de l'Ouest est mis à mal par les aides versées par les Etats-Unis à leurs producteurs. Le coût de production de la livre de coton aux Etats-Unis est de 0, 7 dollar, mais les subventions versées permettent de réduire ce dernier à 0, 4 dollar, contre 0, 5 dollar en Afrique.

Cette concurrence déloyale a des effets dévastateurs sur les pays qui sont dépendants des recettes d'exportation tirées du coton. Cette affaire du coton, portée à l'OMC par quatre pays africains producteurs faisant l'objet d'une concurrence déloyale de la part d'un pays développé, aurait dû marquer un début de prise de conscience de la nécessité de créer les conditions d'un marché agricole régulé qui protège les productions vivrières des pays pauvres. Il faudrait adopter le principe de l'élimination de toutes les subventions à la production et à l'exportation de coton.

Concernant la négociation sur l'Accès au marché des produits non agricoles, le NAMA, la formule proposée est celle de la réduction des tarifs douaniers. La solution que veulent imposer les pays industrialisés s'appliquerait à tous les produits. Les tarifs douaniers seraient soumis à une réduction proportionnelle à leur montant. Plus ils sont élevés et plus la réduction serait importante. Les pays en développement qui ont maintenu des tarifs plus élevés que les pays industrialisés seraient désavantagés, alors même qu'ils en tirent des ressources importantes.

Par ailleurs, la libéralisation des services au profit des seules entreprises multinationales des pays riches se poursuit. L'Accord général sur le commerce des services, l'AGCS, ne prévoit aucune restriction à cette libéralisation s'agissant des services publics, comme la santé ou l'éducation, mais aussi des services mis en place par les collectivités.

L'AGCS symbolise parfaitement cette vision de la société qui place les marchés avant les hommes. Il faudrait exiger une renégociation de l'AGCS incluant la définition des services publics et leur exclusion de tout accord commercial. En tout état de cause, l'Union européenne doit exiger l'exclusion explicite de la santé, de l'éducation, de l'environnement et de la culture de la nomenclature des services soumis à l'AGCS.

Il appartient à l'Europe de veiller à faire respecter et à protéger la notion de service public, ainsi que la diversité culturelle.

Sur ce dernier point, le danger est réel. La libéralisation à tout-va des biens et services culturels entraînerait une uniformisation culturelle portant une atteinte inéluctable à la diversité culturelle, notamment dans les pays les moins développés.

A cet égard, il faut se réjouir que l'UNESCO ait adopté, le 20 octobre dernier, à une écrasante majorité, une convention sur la diversité culturelle : sur 154 pays représentés lors du scrutin, 148 ont voté en faveur du texte, deux s'y sont opposés - les Etats-Unis et Israël - et quatre se sont abstenus.

La convention de l'Unesco marque une réelle avancée en ayant une autre approche de la culture que la seule approche commerciale, comme le prouvent la proclamation de la spécificité des biens culturels et la reconnaissance de la souveraineté culturelle des Etats.

Cependant, la convention n'a pas de contenu normatif. Elle ne crée donc pas d'obligations, elle n'est pas contraignante. Son article 20, notamment, précise que rien dans la convention ne modifie les droits et obligations des parties au titre d'autres traités, tel l'OMC.

Si la diversité culturelle a maintenant un point d'appui important, elle n'est pas gagnée pour autant. Une rapide ratification de la convention, une volonté, une vigilance politique rigoureuse sont donc nécessaires, notamment en Europe : bien qu'elle ait signé la convention, cette dernière prépare une modification de la directive « Télévision sans frontières » allant dans le sens inverse de cette convention.

Afin de respecter le vote des citoyens du 29 mai dernier, la France au sein de l'Union européenne, qui négocie en son nom, doit s'opposer à ces projets destructeurs.

Plus fondamentalement, une discussion doit se développer pour déterminer le statut et le contenu des politiques de l'OMC. L'Organisation mondiale du commerce doit profondément changer, tout simplement en faisant le choix de la politique, et non celui de la soumission au marché.

Après les échecs de Seattle et de Cancún, après les objections argumentées et réitérées depuis des années par les pays en développement aux propositions européennes, il est indispensable que l'Union européenne cesse de dicter aux pays du Sud ce qu'elle estime bon pour leur développement et qui, en fait, ne sert que les intérêts des capitalistes européens.

Il est nécessaire que l'Union européenne accepte enfin que ces pays décident eux-mêmes des critères sur lesquels doit se fonder leur développement.

Plus généralement, il est grand temps que l'OMC mette ses actes en faveur du développement en concordance avec ses discours. La réforme de l'OMC se pose donc avec acuité. Ainsi, les parlementaires du groupe communiste républicain et citoyen considèrent qu'il est impérieux d'organiser la coopération, en élevant le niveau des droits plutôt que la concurrence. Pourquoi ne pas réfléchir à une taxe sur le dumping social, par exemple, dont le produit servirait à financer le développement, basée sur un indice mondial de protection sociale ?

Quoi qu'il en soit, madame la ministre, la première chose à obtenir de l'OMC est qu'elle respecte les objectifs du millénaire : permettre à tous les Etats de tirer également profit du commerce mondial pour favoriser la croissance et le plein-emploi, objectifs signés en 1999 par 185 pays et oubliés aussitôt, madame la ministre.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel Deneux

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat de cet après-midi s'inscrit à la bonne date dans le calendrier des négociations de ce que nous appelons le « cycle de Doha ». Il est intéressant, en effet, à six semaines de la réunion importante qui se tiendra à Hong-Kong, de faire le point, de voir où sont les enjeux et d'essayer de comprendre ce qui peut arriver.

Vous êtes, madame la ministre, parmi les personnalités françaises les plus aptes à nous apporter un éclairage objectif, car vous êtes au coeur de la négociation, vous avez une bonne connaissance des problèmes économiques internationaux et de la culture anglo-saxonne, ce qui vous permet de mieux apprécier les arguments de nos partenaires à l'OMC.

Il faut comprendre qu'au coeur de ces négociations se joue, finalement, notre vision du monde : d'abord, celles-ci devraient concerner le développement, donc se concentrer sur les intérêts des pays les plus pauvres ; ensuite, elles devraient permettre à l'Europe d'obtenir de nouveaux marchés pour nos produits, nos services, donc favoriser nos emplois ; enfin, elles devraient valoriser les efforts considérables accomplis par l'Union européenne en matière de politique agricole commune.

La Commission européenne a donc aujourd'hui pour mandat de ne pas accepter de concessions qui iraient au-delà. On ne doit pas sacrifier la PAC ! Il faut se rappeler, en effet, qu'au cours de ces négociations seule l'Union européenne a déjà effectué des concessions importantes. Elle a ainsi réformé fondamentalement sa politique agricole en 2003. Elle a aussi accepté, en 2004, le principe des restitutions à l'exportation.

Il faut avoir à l'esprit que les négociations actuelles ont pour objectif de favoriser le développement des pays les plus pauvres. Or l'Europe est le premier importateur mondial, elle importe plus des pays en développement que l'ensemble des autres pays industrialisés et elle représente à elle seule plus de 85 % de la destination des exportations des pays d'Afrique.

Loin de créditer l'Europe de ses efforts, loin de lui reconnaître sa contribution essentielle au commerce et au développement, les Etats-Unis et le Brésil demandent désormais une ouverture plus grande du marché agricole européen. Et, dans ce contexte, les négociateurs européens se disent prêts à de nouvelles concessions.

La Commission européenne doit refuser toute nouvelle demande qui ne profiterait en rien aux pays les plus pauvres et qui remettrait en cause ce que l'agriculture peut apporter à la société : la sécurité alimentaire tant en qualité qu'en quantité, l'équilibre économique et social des territoires ruraux, la création d'emplois, la préservation des cultures, des patrimoines et de paysages auxquels les citoyens européens sont profondément attachés.

A la suite du Conseil des ministres des affaires étrangères du 18 octobre dernier, où la France a fait preuve d'une grande fermeté, il est urgent que la Commission se ressaisisse et que le commissaire au commerce et la commissaire à l'agriculture et au développement rural comprennent et s'en tiennent au mandat de négociation que leur ont donné les vingt-cinq Etats membres.

Dans cette affaire, la France défend non pas des intérêts particuliers, mais l'intérêt général, et des principes.

Lorsqu'elle défend la PAC, la France défend une vision européenne. L'actualité ne cesse de nous démontrer qu'être indépendant sur le plan agricole et autosuffisant en matière alimentaire, ainsi qu'avoir la sécurité sanitaire la plus complète du monde, à l'heure actuelle, cela n'a pas de prix.

Aujourd'hui, le mandat des commissaires est donc clair : toute la réforme de la PAC, mais rien que la réforme de la PAC !

Plus tard, sans doute, il nous faudra « revisiter » la notion de préférence communautaire. Ce n'est pas dans le mandat de 2001. Mais je pense que sur un sujet aussi sensible que l'alimentation des hommes la question mérite d'être posée.

Dans la chronologie des différentes étapes de la négociation, un accord sur l'agriculture à Hong-Kong est annoncé comme la condition nécessaire pour avancer sur les autres points et aboutir à la fin de l'année 2006.

Notre fermeté, celle des négociateurs, ne doit pas se relâcher pour autant. L'agriculture ne peut en aucun cas être une variable d'ajustement.

Avons-nous les assurances nécessaires pour ne pas douter de la sincérité des Etats-Unis lorsqu'ils nous font des offres de démobilisation de leurs subventions agricoles ?

Nous connaissons notre difficulté permanente pour classer dans les différentes catégories d'aides, les trois boîtes, les pratiques américaines en vigueur entre l'aide alimentaire aux plus pauvres, les subventions à l'assurance récolte proche d'une assurance revenu, différentes suivant les Etats, le contexte général d'application du Farm Bill ; nous avons toujours des raisons d'être sceptiques sur cette proposition du 10 octobre, qui reste vague.

Je pense qu'il ne faut pas baisser la garde. Il importe de rester vigilant, par exemple sur la liste des produits dits « sensibles ».

La pression du G20 des pays en développement doit être prise en compte, bien sûr, mais il faut trouver le bon dosage de l'effort de libéralisation : entre les 54 % demandés par les uns et les 75 % avancés par les autres.

Nous connaissons bien les quatre volets des négociations agricoles : les soutiens internes, la concurrence à l'exportation, l'accès au marché, les indications géographiques.

Sur les autres sujets, il faut que les pays émergents, principalement le Brésil, la Chine et l'Inde, comprennent que, s'agissant de l'accès au marché des produits non agricoles, les progrès de la négociation sont aujourd'hui insuffisants.

C'est vrai aussi en ce qui concerne l'environnement. Pour ce qui est des services, il en est de même. Cela intéresse particulièrement les pays développés : 60 % à 70 % de nos économies. C'est un secteur « sensible », car il inclut le « modèle 4 » relatif à la mobilité des travailleurs.

Il faut souhaiter que les gains économiques que nos entreprises doivent normalement retirer de la négociation finale équilibreront les concessions que l'Union européenne est prête à faire, dans le cadre du mandat, bien sûr. Mais, pour qu'il en soit ainsi, il faudra un rééquilibrage substantiel de la négociation

Nous serons un certain nombre de parlementaires à Hong-Kong ; nous jugerons avec vous, madame la ministre. Mais, au point où nous en sommes, il vous appartiendra d'apprécier d'ici au prochain Conseil de l'OMC et lors de celui-ci quelle est la limite d'acceptation des pressions sur l'agriculture, en ayant présent à l'esprit que nous ne pouvons pas prendre le risque de faire « capoter » la négociation uniquement sur les problèmes agricoles. A condition que nos partenaires comprennent que nous avons déjà beaucoup donné ! Mais, en définitive, ce sont les intérêts majeurs de la France qui doivent être sauvegardés.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord vous remercier de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de pouvoir répondre à l'ensemble des questions que vous avez posées sur un sujet aussi important que l'organisation mondiale du commerce.

L'un d'entre vous a indiqué que le calendrier était parfait. Je crois qu'effectivement nous nous souviendrons de cette semaine où les négociations de l'OMC sont probablement entrées - l'histoire le dira ! - dans une phase déterminante ; vous l'avez tous souligné.

Je rends hommage à la qualité de vos observations et à la connaissance précise que vous avez de questions aussi techniques que celle de l'OMC. J'y ai consacré une partie des premiers mois de l'exercice de mes fonctions.

Comme vous le savez, la négociation a connu une accélération déterminante depuis le 10 octobre dernier, avec une multiplication de propositions, des Etats-Unis d'abord, proposition à laquelle l'Union européenne a jugé bon de répondre, ce qui a entraîné ensuite des propositions du G20 et du G10.

Malheureusement, cette accélération s'est limitée à l'agriculture, vous l'avez tous constaté, et cela suscite les plus vives inquiétudes du Gouvernement et du Président de la République. Nous considérons en effet que notre politique agricole commune, telle qu'elle a été réformée en 2003, est menacée.

Compte tenu de cette évolution, le Premier ministre a confirmé deux objectifs prioritaires pour la France dans le cadre de ces négociations : tout d'abord, opérer un rééquilibrage des négociations au profit, d'une part, de nos intérêts et, d'autre part, des intérêts des pays en voie de développement ; ensuite, faire en sorte que les négociations menées par le commissaire européen ne sortent pas du cadre du mandat qui a été fixé, vous l'avez rappelé tout à l'heure, selon des règles très précises, avec une référence spécifique à la politique agricole commune.

Je suis personnellement très sensible à l'attention que la Haute Assemblée porte aux questions de l'OMC et au rôle que le Sénat doit jouer dans le dialogue qui se déroule entre cent quarante-huit Etats membres.

Certains d'entre vous le savent pour avoir participé à nos réflexions, j'ai tenu à associer les parlementaires à la préparation de ces négociations. Je leur ai offert à tous de participer à une réunion qui a été organisée le 14 septembre dernier. J'ai de même participé à une audition organisée par le Sénat le 19 octobre 2005 qui fut pour moi l'occasion de répondre à toutes les questions que vous souhaitiez me poser.

Je suis également très heureuse de pouvoir compter sur la présence de certains d'entre vous à Hong-Kong, du 13 au 18 décembre prochain.

En reprenant les différents points soulevés par M. Bizet dans sa question et les commentaires des uns et des autres, je me propose de vous répondre en suivant trois axes principaux : après un état des lieux d'une négociation qui, je dois le dire, évolue au fil des heures ces jours-ci, je ferai le point successivement sur le mandat de négociation de la Commission, notamment en matière agricole, puis sur les dossiers relatifs au développement.

Je commencerai donc par l'état des lieux de la négociation du cycle de Doha.

Comme vous le savez, l'accord-cadre de Genève du 1er août 2004 avait relancé le cycle de Doha après des échecs magistraux - en particulier à Cancún -, mais au prix de concessions de l'Union européenne : affirmation du principe de la suppression conditionnelle des restitutions à l'exportation, rétrogradation des questions de régulation et éviction pure et simple de trois des quatre sujets de Singapour.

Que s'est-il passé après le 1er août 2004 ? Pas grand-chose, jusqu'au 10 octobre, date à partir de laquelle les Etats-Unis et l'Union européenne ont présenté leurs propositions respectives pour la négociation agricole.

Cela a suscité, en réplique, des prises de position des groupes du G20, du G33 et du G10.

Par ailleurs, M. Lamy, le nouveau directeur général de l'OMC qui a succédé à ce poste, le 1er septembre, à M. Supachai, a accéléré le rythme de travail. Il adopte une attitude très volontariste et veut aboutir aux deux tiers du chemin du cycle de Doha à Hong-Kong, ce qui rendrait possible - compte tenu du calendrier des nécessaires négociations complémentaires - la réalisation complète des accords avant la fin de 2006 ou le début de 2007, date d'expiration des pouvoirs de négociation de l'administration américaine, le Trade Promotion Authority.

C'est compte tenu de cette date que nous nous « calons » sur celle de la conférence de Hong-Kong, dont nous faisons une étape déterminante.

Les pays du G20, pays émergents emmenés traditionnellement par le Brésil et l'Inde, et les pays du groupe de Cairns - Australie, Canada, Nouvelle-Zélande - continuent, à ce jour, de faire des engagements agricoles le préalable indispensable au déblocage et à l'avancée des négociations sur les produits industriels, les services et les questions liées au développement.

Quant au changement de rapport de force que vous avez évoqué tout à l'heure, je mentionne simplement qu'ils sont régulièrement changeants. A mon sens, au sein du G20, notamment, où l'on trouvait traditionnellement liés par les accords complémentaires des pays comme l'Inde et le Brésil, ces rapports de force sont en train d'évoluer.

A cet égard, je ne serais pas surprise que l'Inde, en particulier, se dissocie un peu du G20 et que la Chine adopte une attitude très discrète. Certains Etats ont intérêt à jouer du G20 tout en faisant valoir leurs intérêts dans des domaines tels que l'industrie et les services.

Aujourd'hui, la négociation agricole, point fondamental sur lequel se constate le plus d'avancées, se concentre sur l'accès au marché, avec comme principale difficulté les droits de douane.

La proposition conditionnelle de l'Union européenne, en août 2004, d'éliminer les restitutions aux exportations - sous réserve, donc, que l'autre partie fasse le même effort - n'a pas été suivie, à ce jour, d'engagements parallèles de la part de nos autres partenaires.

Or la priorité, en l'espèce, est bien d'arriver à un parallélisme des engagements, c'est-à-dire en particulier de faire en sorte que les Etats-Unis acceptent de mettre sur la table leurs programmes d'aide alimentaire qui servent certainement de variable d'ajustement !

Le débat sur une « date d'élimination » est à cet égard emblématique. Vous le savez, nous avons ouvert les négociations sur les restitutions aux exportations en indiquant qu'elles seraient éliminées « dans un délai raisonnable », sans qu'il soit pour autant fait mention d'un délai plus précis.

Or, aujourd'hui, tant les Etats-Unis que quelques-uns de nos partenaires parlent de l'année 2010 comme d'une date butoir réaliste pour l'élimination de ces restitutions. Pourtant, cette date n'a pas été proposée, et ce d'autant moins qu'elle ne nous semble pas acceptable.

Après des mois de blocage sur la question des soutiens internes, les Américains - extrêmement malins, au point d'invoquer un certain nombre de restrictions internes, notamment sur l'accord de libre-échange qu'ils négociaient avec les pays d'Amérique centrale - ont enfin formulé, le 10 octobre, des propositions de réductions chiffrées.

Cette annonce américaine était très habile : il semblait tout à fait ambitieux de proposer une réduction de 60 % du plafond autorisé sur la boîte orange - c'est-à-dire les soutiens les plus distorsifs - ainsi que des réductions de plafond appliquées à la boîte bleue - des soutiens un peu moins distorsifs - et aux aides non soumises à discipline, celles que l'on appelle traditionnellement les de minimis.

Cependant, après analyse, et vous imaginez combien nos services ont été minutieux, cette offre est beaucoup moins ambitieuse. Pour reprendre le mot du ministre du commerce de l'Inde, les Etats-Unis proposent de ne pas dépenser des sommes qu'en définitive ils n'avaient pas l'intention de dépenser !

M. Paul Girod approuve.

Debut de section - Permalien
Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur

L'Union européenne a réagi en faisant une contre-proposition. Sous réserve de la démonstration contraire, bien sûr, on peut dire que l'Union européenne a épuisé ses marges de manoeuvre en matière de soutiens internes en proposant une baisse de 70 % du plafond de la boîte orange, c'est-à-dire des soutiens les plus distorsifs.

Les discussions, aujourd'hui, se concentrent - c'est tout l'objet de la polémique dont la presse internationale se fait actuellement l'écho - sur l'accès au marché. Les Etats-Unis, le groupe de Cairns et le G20 - tous intérêts confondus, quoique différents ! - font pression sur l'Europe et réclament des réductions tarifaires très ambitieuses, ainsi qu'une limitation à 1 % des produits sensibles, c'est-à-dire les cent soixante produits auxquels M. Bizet a fait référence.

La Commission s'est mal engagée dans ces discussions. En proposant une formule de réduction linéaire, c'est-à-dire sans le mécanisme de pivot qui permet une certaine flexibilité, comportant seulement 8 % de produits sensibles, elle se prive dès le départ, nous semble-t-il, de toute marge de manoeuvre. Elle risque même, selon l'identification de ces produits sensibles, de déstabiliser des marchés agricoles de la PAC réformée.

La France est d'autant plus concernée que nos produits sensibles sont répartis sur une foultitude de lignes, contrairement à d'autres pays, notamment du Sud.

Avec l'appui de treize autres Etats membres qui ont accepté de signer un mémorandum, la France a demandé à la Commission de rester dans le cadre de son mandat. A la suite du conseil Affaires générales, la France a demandé à la Commission de prouver qu'elle restait dans le cadre de son mandat et qu'elle n'était pas en train de fragiliser la PAC.

Aujourd'hui, en dépit des réunions d'expertise qui ont eu lieu, la Commission ne nous a certainement pas convaincus du fait qu'elle était bien restée à l'intérieur de son mandat. Dans ces conditions, toute offre complémentaire de sa part me paraîtrait tout à fait inopportune, car elle ne pourrait aller qu'au-delà des propositions faites.

Vous avez mentionné les indications géographiques, notamment pour les vins et spiritueux, qui nous intéressent au premier chef.

La plupart de nos partenaires, hélas ! restent à ce jour très réticents sur les indications géographiques. Ce dossier n'avance donc pas particulièrement, et M. Bizet l'a souligné à juste titre.

Or il est essentiel d'obtenir des résultats sur ce sujet à Hong-Kong. Il serait en particulier opportun de pouvoir adopter le registre national qui, seul, serait garant de la protection d'un certain nombre de productions, notamment dans le domaine des vins et spiritueux. Une telle mesure répondrait aux interrogations de M. Emorine et de M. Girod.

En ce qui concerne les négociations sur les produits industriels, très clairement, aujourd'hui, les débats s'enlisent au détriment des pays développés, donc au détriment des intérêts des productions françaises.

Je note au passage qu'il est tout de même un peu étonnant, compte tenu de la place qu'ils occupent dans nos économies, de définir les produits industriels comme des produits non agricoles. Mais c'est la règle retenue pour les négociations NAMA, ou Non Agricultural Market Access.

Or la France a beaucoup à attendre des négociations NAMA. Les secteurs qui bénéficieraient d'une ouverture pour les produits industriels représentent aujourd'hui à peu près 55 % de l'emploi industriel total, soit 1, 7 million d'emplois et 181 milliards d'exportations, c'est-à-dire 68 % des exportations de nos produits industriels.

Or quel est notre objectif en la matière ? Il est clair que les pays en développement, en particulier les pays largement avancés dans leur développement tels que la Chine, le Brésil ou l'Inde, doivent accepter de diminuer significativement les barrières douanières - et les barrières non douanières, d'ailleurs ! - qu'ils érigent pour protéger leur marché.

Ces barrières douanières empêchent aujourd'hui nos industriels d'exporter leur production.

Dans le domaine de l'acier, si nos industriels souhaitent exporter vers l'Argentine, les droits de douane sont aujourd'hui de 35 %. Si nos industriels souhaitent exporter des 4 x 4 aux Etats-Unis, les droits de douane sont de 25 %. S'ils souhaitent exporter des véhicules automobiles ou des vins et spiritueux à destination de la Malaisie, les droits de douane y sont de 50 %. S'ils souhaitent exporter des vins et spiritueux à destination de l'Indonésie - certes, pays musulman où probablement nos exportations seraient assez minimes -, les droits de douane sont de 100 %.

Vous le voyez, il s'agit de droits de douane pour des pays émergents, mais aussi, dans un certain nombre de domaines très spécifiques, de pics tarifaires, comme au Etats-Unis, sur certains véhicules automobiles ou sur la céramique et le verre.

Malheureusement, l'Union européenne et les Etats-Unis, qui sont les principaux intéressés par une progression importante de la libéralisation dans ce domaine, ont du mal à présenter un front uni. Les stratégies adoptées ne sont pas les mêmes : les Etats-Unis favorisent une négociation ciblée sur certains secteurs, alors que l'Union européenne favorise une négociation générale.

La discussion, actuellement, porte sur la structure de la formule de réduction, laissant le degré d'ambition pour un stade ultérieur.

La France et l'Union européenne militent aujourd'hui en faveur d'une « formule suisse » que l'un d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, a fort bien décrite : réduire plus fortement les tarifs les plus élevés et plus faiblement les tarifs les moins élevés.

Le commissaire a présenté une proposition très intéressante qui conduirait à des droits de douane inférieurs à 10 % pour les pays développés et à 15 % pour les pays émergents, qui pourraient ainsi voir monter doucement en puissance leurs industries sans être totalement envahis par nos productions industrielles, comme ils peuvent le craindre.

D'après les dernières réunions NAMA qui se sont tenues à Genève, les principaux partenaires de l'Union européenne - les Etats-Unis, l'Inde, le Brésil et l'Australie - subordonnent tout progrès dans le domaine des produits industriels à l'avancement et la réalisation d'un accord dans le domaine agricole.

Je suis assez inquiète, je dois le dire, car le directeur responsable des négociations concernant les produits industriels a récemment indiqué que, à supposer qu'un accord aboutisse dans le domaine agricole, il serait probablement difficile de parvenir à un accord sur les produits industriels avant la conférence de Hong-Kong.

Concernant maintenant la négociation sur les services, elle n'a malheureusement que très peu progressé depuis 2003.

Comme l'ont souligné MM Haenel, Emorine et Deneux, les bénéfices à attendre d'une libéralisation du commerce sont considérables. Nous escomptons des engagements clairs de la part des pays développés et émergents, notamment pour ce qui concerne le secteur des télécommunications au Brésil et les services informatiques au Brésil, en Inde et en Chine.

Nos intérêts, aujourd'hui, sont concentrés sur ce que, dans le jargon, on appelle le « mode 3 », c'est-à-dire sur la possibilité d'établir et de développer des activités de services dans les autres pays.

Le mode 3 représente à peu près 50 % du commerce des services, et nous avons tout intérêt à nous engager très avant dans cette négociation. Songez que, aujourd'hui encore, le groupe Carrefour n'a pas le droit d'ouvrir une grande surface en Inde ; et des petits détaillants qui souhaiteraient, à titre individuel, ouvrir un magasin dans ce pays se heurteraient aux mêmes difficultés.

En ce qui concerne les activités qui relèvent, elles, du mode 4, nous devons à l'évidence rester très vigilants. Tout ce qui concerne la durée ou le contrôle des déplacements des salariés qui effectuent une prestation de service pour un prestataire situé à l'étranger doit relever du droit du pays d'accueil. En d'autres termes, si un travailleur étranger assure en France, pour une durée indéterminée, une prestation de service dans le cadre du quota prévu par le mode 4, c'est le droit français qui sera applicable. J'insiste sur ce point, car il convient de ne faire aucune confusion entre le mode 4 et le régime prévu par la directive Bolkestein.

Sept secteurs des services sont très importants pour la France : les services financiers et les télécommunications, les transports maritimes, les services environnementaux, la construction, la distribution et le transport aérien. Dans tous ces secteurs, nous avons des intérêts offensifs à faire valoir.

Certains orateurs ont évoqué la diversité culturelle et les services publics. Dans l'offre de services qu'elle a déposée, l'Union européenne n'a pas inclus - ce qui revient à dire qu'elle a exclu - ce qui correspondait aux services publics et à la diversité culturelle, donc notamment toutes les activités liées à l'audiovisuel. A cet égard, je me réjouis à mon tour de l'adhésion et du support massif qu'a reçus une proposition relative à la diversité culturelle qui a été largement soutenue par la France. Quel que soit le débat sur la validité juridique de cet accord, pour entrer en vigueur, il devra être ratifié par trente pays. J'espère que la France sera l'un des premiers Etats à procéder à cette ratification.

S'agissant des autres sujets, du quatrième pilier de la négociation en quelque sorte, il faut savoir que, si les négociations sur les règles restent en retrait, la facilitation des échanges a un peu progressé. Néanmoins, les questions relatives au développement, sur lesquelles je reviendrai, n'ont guère avancé, bien que le développement soit au coeur du cycle de Doha.

Monsieur Bizet, vous avez mentionné la vigilance et la confiance. Vous m'avez aussi attribué sans doute plus de vertus que je n'en ai. Je n'ai pas, par exemple, la faculté de négocier directement. En effet, les vues des vingt-cinq pays membres sont représentées par la Commission, en la personne du commissaire Mendelson.

Je crois beaucoup aux bienfaits de la vigilance et de la confiance. Il est sans doute temps d'encourager vivement et fermement à une réorientation de la négociation. Que M. Mendelson nous entende ou pas, il est de notre devoir de le lui rappeler.

En effet, aujourd'hui, l'Europe est vertueuse et ouverte ; elle n'a aucune raison d'adopter une position défensive.

Elle est vertueuse puisqu'elle a mis en oeuvre la réforme du régime des subventions et d'aides à l'agriculture. Parallèlement, nous instituons le découplage. Les Etats-Unis, pour leur part, et vous l'avez rappelé à juste titre, monsieur le sénateur, ont plus « recouplé » que « découplé ». Quant à leurs propositions, elles n'ont que la valeur de promesses et, comme toutes les promesses, elles n'engagent que ceux qui y croient !

L'Europe est également ouverte. L'Union européenne absorbe en effet 85 % des exportations de produits agricoles en provenance des pays d'Afrique et 65 % des exportations des pays les moins avancés. Le taux moyen des produits industriels y est de 4 %. Que ceux qui affirment que l'Europe est protectrice, fermée et égoïste s'appliquent à regarder les chiffres !

J'en viens à la question du mandat de négociation qui, sans être fondamentale, est aujourd'hui au coeur du débat.

Le mandat de négociation de la Commission européenne en matière agricole est la somme de diverses conclusions des conseils agricoles et des affaires générales. Je remercie M. Haenel d'avoir rappelé les fondements juridiques sur lesquels s'appuie la définition de ce mandat.

Le Conseil en l'espèce a fixé une limite très claire au mandat de la Commission à l'OMC : préserver la politique agricole commune telle qu'elle a été réformée en 2003.

Le conseil Affaires générales du 21 juillet 2003, confirmé par celui du 18 octobre dernier, au cours duquel la France a demandé que l'examen du mandat soit mis à l'ordre du jour, indique que la réforme de la PAC de 2003 fixe les limites du mandat de la négociation. Il prévoit également que la marge de manoeuvre qu'offre la réforme de la PAC ne pourra être exploitée qu'à la condition que les partenaires de l'OMC fassent des concessions équivalentes dans le domaine agricole. C'est le principe du parallélisme que j'évoquais tout à l'heure.

Dans un souci d'exhaustivité, j'ajoute que le mandat de négociation comporte également des éléments plus spécifiques.

S'agissant d'abord de l'accès au marché, l'objectif qui a été fixé dans la déclaration de Doha et dans l'accord-cadre d'août 2004 reste celui d'une « amélioration substantielle pour tous les produits ». Toutefois, le Conseil a demandé que la réduction tarifaire soit similaire à celle qui a été négociée dans le cycle de l'Uruguay. Vous pouvez donc constater que des paramètres très précis ont été fixés.

S'agissant ensuite des subventions aux exportations, le Conseil a demandé un parallélisme des engagements pour toutes les formes de soutien. En d'autres termes, les pays partenaires qui subventionnent leurs exportations doivent faire le même effort que ceux qui ont été consentis, sous forme de propositions, lors des réunions d'août 2004.

S'agissant enfin des soutiens internes, le conseil du 26 octobre 1999 et le conseil agricole du 21 novembre 2000 ont posé certaines conditions, notamment le maintien des notions de « boîte bleue » et de « boîte verte ».

Les plus anciennes conclusions du Conseil insistaient sur la reconnaissance des considérations non commerciales et sur le rôle de l'agriculture en tant que fournisseur de biens publics. Ces considérations ont progressivement disparu des conclusions du Conseil, sauf en ce qui concerne les indications géographiques.

Enfin, un traitement spécial et différencié, dit TSD, a été évoqué en faveur des pays les moins avancés. Les conseils de 1999, de 2001 et de 2003 prévoient de promouvoir les TSD, en particulier pour les pays les moins avancés. Ils proposent de réfléchir à la stabilité et à la prévisibilité des préférences commerciales et d'inciter les pays développés et les grands émergents à accorder des préférences commerciales aux pays les moins avancés.

J'en viens au troisième et dernier volet de mon propos, le développement. Il convient de remettre le développement au coeur du cycle de Doha.

Je ne remonterai pas jusqu'en 1945. Je rappellerai simplement que, lors du lancement du cycle de Doha, en 2001, certains d'entre vous s'en souviennent pour y avoir participé, les Etats - ils n'étaient d'ailleurs pas cent quarante-huit à l'époque - s'étaient engagés à placer le développement au coeur du cycle. Pourtant, les négociations sur le développement, donc le coeur du cycle, ne progressent pas. A sept semaines de la conférence de Hong-Kong, au cours de laquelle les grands principes devraient être définis, nous avons de sérieux motifs d'inquiétude.

Tout d'abord, de nombreux pays en développement sont inquiets, car ils n'ont pas la certitude de retirer des bénéfices du cycle en cours de négociation. En effet, les analyses les plus récentes montrent que les bénéfices de la libéralisation ne sont ni automatiques ni assurés à court terme et que certains pays en développement seront perdants.

La Banque mondiale, qui n'a pas toujours eu toutes les vertus, a accepté d'infléchir son discours s'agissant des bienfaits de la libéralisation. Elle a identifié des pays perdants à court terme : le Bangladesh, le Vietnam, le Mexique, les pays du Moyen-Orient - zone géographique un peu vaste qui mériterait d'être précisée -, ceux de l'Afrique du Nord et tous les pays d'Afrique sub-saharienne, c'est-à-dire les plus pauvres des plus pauvres.

De la même manière, le Fonds monétaire international, qui, lui non plus, n'a pas toujours eu toutes les vertus, a identifié six pays à revenus intermédiaires menacés par l'érosion des préférences, érosion consécutive à la réduction générale des droits de douanes. Il s'agit de l'île Maurice, pour le sucre, de Sainte-Lucie, pour la banane, de Belize, de Saint-Kitts-et-Nevis, du Guyana et des îles Fidji. On cite aussi parfois les Seychelles, pour la pêche, la Tanzanie, l'Ouganda, Madagascar et le Maroc.

En effet, les bénéfices attendus de la libéralisation prévue ne sont pas aussi clairs que l'on veut bien le dire, et ce en raison de la combinaison de quatre facteurs : premièrement, l'érosion des préférences tarifaires ; deuxièmement, la hausse des prix alimentaires, inéluctable puisque l'ouverture d'un certain nombre de marchés affectera les pays en développement qui sont des importateurs nets de produits alimentaires ; troisièmement, la faible capacité des pays les plus pauvres à adapter leur offre ; quatrièmement, enfin, les pertes de recettes douanières qui résulteront de l'abaissement des barrières douanières que nous évoquions tout à l'heure.

Les dossiers qui ont de l'intérêt pour les pays en développement ne progressent pas et restent bloqués dans la négociation. Tout se passe comme si les questions liées au développement étaient périphériques et auxiliaires.

Les débats sur les traitements spéciaux et différenciés n'ont pas progressé. Les négociations actuelles se concentrent sur les formules de réduction, renvoyant à plus tard le traitement des TSD.

En matière agricole, nous n'avons pas encore commencé à traiter les demandes des pays en développement relatives à un mécanisme de sauvegarde spéciale, au nom de la sécurité alimentaire et du développement rural.

Dans le même temps, l'examen des quatre-vingt-huit propositions visant à améliorer les mesures de TSD déjà existantes est aujourd'hui bloqué, en raison du refus des grands pays émergents - le Brésil, l'Inde, la Chine - d'accepter une distinction en fonction de leur niveau de développement entre eux et les pays les moins avancés. Pourquoi le feraient-ils ? Ils profitent d'avoir dans leur groupe les pays les moins avancés pour « tirer les marrons du feu », si je puis m'exprimer ainsi.

Certains pays, notamment parmi les plus développés, ont toujours autant de réticences à s'ouvrir davantage aux produits des pays les moins avancés.

La déclaration de Doha et l'accord-cadre du 1er août 2004 demandent pourtant aux pays développés et aux pays en développement qui sont « en mesure de le faire » d'adopter des mesures analogues à celles que l'Union européenne a décidées, connues sous la dénomination : « Tout sauf les armes ». Or on constate que pratiquement aucun de ces pays n'a accepté d'appliquer une mesure de ce type.

Les pays ACP insistent en vain sur l'érosion des préférences. Ce sujet ne progresse pas en raison de l'opposition des pays latino-américains.

Comme l'a souligné M. Emorine, la situation du marché du coton reste inquiétante. La perspective d'un règlement spécifique de ce problème à Hong-Kong est bien peu réaliste. Bien que condamnés à l'OMC, les Etats-Unis ne se sont pas engagés à discipliner leurs subventions. Cette situation, inquiétante au plus haut point, a conduit mon homologue malien à brandir, la semaine dernière, la menace d'un échec de la conférence de Hong-Kong, à défaut du règlement de la question du coton.

Enfin, la France regrette que la question de l'accès aux médicaments, à laquelle le Président de la République est très attaché, ne figure pas à l'ordre du jour de la conférence de Hong-Kong.

En effet, l'accord du 30 août 2003 n'est toujours pas transcrit dans l'accord sur l'accès des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce, connu sous le nom d'accord ADPIC.

L'Union européenne, sur l'initiative de la France, va, je l'espère, transposer rapidement l'accord de 2003 en droit communautaire - ce sujet sera évoqué au Parlement européen le 17 novembre prochain -, ce qui permettra aux membres de l'Union européenne de répondre aux demandes des pays en développement pour la fourniture de médicaments dans les situations d'urgence et justifiées qui sont décrites dans l'accord de 2003.

Mes services sont mobilisés pour que la France soit en mesure de répondre à ces demandes dès que la réglementation européenne sera applicable. Nous souhaitons être à la pointe du mouvement qui vise à améliorer l'accès aux médicaments des pays les moins avancés.

Pour concrétiser les promesses du cycle de Doha pour le développement, nous devons réagir maintenant, avant la conférence de Hong-Kong. C'est pourquoi, comme je vous le disais, cette semaine sera probablement cruciale.

J'ai décidé - peut-être pour les raisons que vous avez évoquées, monsieur le sénateur - de m'engager personnellement sur le terrain. J'irai donc moi-même aux Etats-Unis et en Afrique au début du mois de novembre pour faire entendre la voix de la France sur ces questions liées au développement. Je le ferai dans des termes non ambigus, afin de clarifier la position de notre pays, notamment sur les questions agricoles, après la confusion alimentée, probablement à dessein, par tel ou tel organe.

J'aimerais croire que le débat ne se cantonnera plus à l'échelon européen et qu'il aura lieu en relation avec nos partenaires américains et d'autres. Toutefois, je crains que l'une des manoeuvres envisagées pour aboutir, de manière peut-être hâtive, ne consiste à diviser pour mieux régner. A cet égard, M. Dominique Bussereau et moi-même engageons tous nos efforts afin que le soutien que nous avions acquis, notamment sur le mémorandum agricole, et qui nous avait permis de rassembler les signatures de treize autres pays membres, ne soit pas défaillant. C'est un combat de tous les jours !

Pour conclure, je souhaite rappeler l'engagement de la France en faveur d'un accord équilibré et ambitieux, dans l'esprit de Doha. Il s'agit, en l'espèce, de promouvoir la libéralisation des marchés, d'encadrer la mondialisation par des règles équitables et loyales, de préserver une agriculture multifonctionnelle et, surtout, de veiller à l'intégration des pays en développement dans le commerce mondial. En aidant ces pays, nous nous aidons nous-mêmes ! Les problèmes d'immigration que vous avez évoqués sont aussi au coeur du débat sur le développement.

Dans ce combat - j'allais dire dans cette bataille, mais il est vrai que, là où il y a du commerce, les moeurs sont plus douces ! -, la France n'est pas seule. Elle est soutenue par un certain nombre de pays européens et même de pays situés au-delà de l'Europe avec lesquels nous devons continuer, sans défaillir, à multiplier les échanges, bâtir des alliances, pour, ensemble, être plus forts. Tel est le combat que nous menons et que nous continuerons à mener.

Tous les pays européens sont aujourd'hui conscients de l'importance des enjeux du cycle de Doha, des négociations de Hong-Kong. J'espère qu'ils sauront de même reconnaître l'impérieuse nécessité de respecter les termes d'un mandat et de revenir devant les membres du Conseil s'il devait y avoir une modification quelconque des paramètres sur lesquels s'engage la négociation.

Un succès des négociations de l'OMC à Hong-Kong, avant l'expiration du cycle de Doha, ne sera pas seulement d'ordre commercial. Il donnera aussi raison à ceux qui croient en un système multilatéral plus juste, à ceux qui pensent que cent quarante-huit pays peuvent encore s'accorder pour régler ensemble les problèmes nés de la mondialisation des échanges, pour répondre ensemble aux défis d'un monde inéluctablement globalisé, sans pour autant renoncer à leurs valeurs et à leur identité, et, enfin, à ceux qui s'insurgent contre la fatalité d'un monde replié sur lui-même - c'est effectivement le risque - ou qui refusent de céder à la tentation de conclure des accords bilatéraux, dans lesquels, par hypothèse, le plus faible subit la loi du plus fort.

Ces risques de repli sur soi et de bilatéralisation, nous souhaitons les éviter. « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère » : c'est inspirés de cette belle citation du dominicain Lacordaire que nous continuerons à mener la bataille du multilatéral, la bataille de l'OMC !

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

En application de l'article 83 ter du règlement, je constate que le débat est clos.

(Ordre du jour réservé)

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (28) de M. Jean-Claude Carle, fait au nom de la commission des affaires culturelles, sur :

- la proposition de loi (483, 2004-2005) de Mme Annie David, MM. Ivan Renar, Jack Ralite, Jean-François Voguet, François Autain, Mmes Eliane Assassi, Marie-France Beaufils, MM. Pierre Biarnès, Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Robert Bret, Yves Coquelle, Mmes Michelle Demessine, Evelyne Didier, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mme Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon et M. Bernard Vera tendant à modifier l'article 40 de la loi d'orientation pour l'avenir de l'école relatif au lieu d'exercice des délégués départementaux de l'éducation nationale ;

- la proposition de loi (511, 2004-2005) de MM. Jean-Claude Carle, Jacques Valade, Christian Demuynck, Alain Dufaut, Louis Duvernois, Jean-Paul Emin, Hubert Falco, Bernard Fournier, Hubert Haenel, Jean-François Humbert, Mmes Christiane Hummel, Lucienne Malovry, M. Pierre Martin, Mme Colette Melot, M.M Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Philippe Richert, Pierre Bordier, Denis Detcheverry, Ambroise Dupont, Soibahaddine Ibrahim et Jacques Legendre relative aux délégués départementaux de l'éducation nationale.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que la commission des affaires culturelles vous demande aujourd'hui d'adopter fait l'objet d'un large consensus.

Elle émane de deux initiatives de deux groupes politiques du Sénat : d'une part, la proposition de loi n° 483 de notre collègue Annie David - que je veux associer à ce débat et à qui je transmets tous nos voeux de prompt rétablissement - et plusieurs membres du groupe CRC tendant à modifier l'article 40 de la loi d'orientation pour l'avenir de l'école relatif au lieu d'exercice des délégués départementaux de l'éducation nationale ; d'autre part, la proposition de loi n° 511, que j'ai moi-même déposée avec le président Jacques Valade et plusieurs membres de la commission des affaires culturelles et du groupe UMP.

Il est en effet de notre responsabilité, et d'abord de la mienne en tant que rapporteur, au nom de la commission des affaires culturelles, du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, de rectifier une disposition adoptée par le Sénat à l'occasion des débats sur ce texte, dès lors qu'elle s'est révélée très nettement difficile à appliquer.

Lors de votre première audition devant la commission des affaires culturelles, au mois de juillet dernier, vous avez vous-même, monsieur le ministre, exprimé votre soutien à toute initiative du Parlement visant à apporter cette modification utile et de bon sens.

Mes chers collègues, je vous rappelle que la disposition qu'il est aujourd'hui proposé de modifier a été introduite par amendement dans la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école lors des débats en séance publique au Sénat. Confirmée ensuite par la commission mixte paritaire et figurant à l'article 40 de la loi, la disposition introduite par cet amendement prévoit que les délégués départementaux de l'éducation nationale chargés de l'inspection des écoles publiques et privées « ne peuvent exercer leur mission que dans des établissements autres que ceux de leur commune, ou, à Paris, Lyon et Marseille, de leur arrondissement de résidence. »

Cette disposition était guidée par le souci fort légitime de renforcer la neutralité de ces fonctions, condition, bien sûr, de leur bon exercice. Toutefois, les représentants de ces personnels ont attiré notre attention sur les problèmes d'application que soulève ce texte.

En effet, les délégués départementaux de l'éducation nationale sont très attachés à la dimension de proximité sur laquelle repose, en grande partie, l'efficacité de leur mission.

Nommés par l'inspecteur d'académie, ils sont notamment chargés de faire rapport aux municipalités et aux autorités académiques de l'état et des besoins des établissements préélémentaires et élémentaires de leur circonscription. Dans les écoles, leur visite porte sur l'état des locaux, la sécurité, le chauffage, le mobilier scolaire et le matériel d'enseignement, l'hygiène et la fréquentation scolaire. La fonction s'étend également aux aspects touchant à la vie scolaire, c'est-à-dire aux centres de loisirs, aux transports scolaires, à la cantine, aux bibliothèques et aux caisses des écoles.

Les délégués départementaux de l'éducation nationale sont également membres de droit du conseil d'école.

Interface entre l'école, ses usagers et la municipalité, ils exercent ainsi une mission d'incitation et de coordination, et veillent à faciliter les relations entre les différents membres de la communauté éducative.

A ce titre, la première circulaire ministérielle encadrant la fonction de « délégué cantonal » régie par la loi du 30 octobre 1886, dite « loi Goblet », précise qu'il convient de « rechercher avec soin le concours de véritables amis de l'école ». Et, s'agissant du délégué, le texte poursuit : « Qu'il se souvienne seulement que, s'il doit s'efforcer de tout voir, de tout entendre, de tout observer, ce n'est pas au point de vue technique de l'homme du métier, mais à un point de vue plus général, celui de la famille et de la société. »

Aussi, en raison de la nature même de ces fonctions, qui s'appuient sur une bonne connaissance de l'environnement scolaire local, l'interdiction pour tout délégué d'inspecter les écoles situées dans sa commune de résidence n'apparaît pas tout à fait pertinente.

De surcroît, les quelque 25 000 délégués départementaux de l'éducation nationale actuellement en fonction exercent ces missions à titre bénévole. Ce sont, en grande majorité, des retraités de l'enseignement : 56 % d'entre eux ont plus de soixante ans.

En leur imposant des contraintes et des frais de transport, cette disposition pourrait conduire un grand nombre de ces personnes à renoncer à leurs fonctions. A la veille d'un renouvellement, la Fédération nationale évalue la perte à près de la moitié du corps. C'est pourquoi la commission des affaires culturelles a estimé opportun d'apporter une clarification à la disposition introduite dans la loi pour l'avenir de l'école : il s'agit de restreindre l'interdiction aux seuls délégués exerçant un mandat municipal.

Cet ajustement permet de préciser la portée de ce texte pour lui redonner tout son sens et, bien sûr, toute son efficacité. Sa nécessité et son bien-fondé font consensus.

Les deux propositions de loi sur lesquelles s'est prononcée la commission des affaires culturelles avaient ce même objet général, mais dans des rédactions quelque peu différentes.

Le texte retenu reprend celui de l'article unique de la proposition de loi que j'ai déposée avec le président Jacques Valade et d'autres membres de la commission et du groupe UMP, dans la mesure où sa rédaction est, d'une part, plus précise sur le plan formel et, d'autre part, de plus large portée.

Le texte vise à préciser que, « lorsqu'ils exercent un mandat municipal, les délégués départementaux de l'éducation nationale ne peuvent intervenir dans les écoles situées sur le territoire de la commune dans laquelle ils sont élus, ni dans les écoles au fonctionnement desquelles cette commune participe. »

Ce texte est de portée plus large, car il permet de prendre en compte le cas où deux ou plusieurs communes se sont réunies pour l'établissement et l'entretien d'une école, en application de l'article L. 212-2 du code de l'éducation, et les cas - de plus en plus fréquents - dans lesquels les communes membres d'une structure intercommunale, notamment d'un établissement public de coopération intercommunale, EPCI, ont décidé de lui transférer les compétences en matière scolaire et périscolaire.

Dès lors, un délégué ne pourra visiter les écoles dont la commune où il est un élu contribue au fonctionnement, quand bien même ces écoles seraient situées sur le territoire d'autres communes.

Quant aux délégués des villes de Paris, Lyon et Marseille, si le critère de résidence justifiait une adaptation à leur égard, il ne semble plus souhaitable, pour des raisons de neutralité, qu'ils dérogent au principe fixé dès lors qu'ils sont élus dans l'un des arrondissements de ces municipalités. Mais ces cas sont si peu fréquents que cela ne pose aucun problème.

Cette proposition de loi répond donc au souci d'améliorer l'efficacité du dispositif qui avait été adopté par notre assemblée. Elle le conforte dans l'intention initiale qui avait été la nôtre au moment de l'adoption du texte, à savoir de garantir et de renforcer la neutralité et l'indépendance des délégués départementaux de l'éducation nationale dans l'exercice de leur mission, afin qu'ils ne soient pas « juge et partie ». Cette mission au service de l'intérêt général de l'école ne saurait en effet se confondre avec d'autres intérêts.

Mes chers collègues, au nom de la commission des affaires culturelles, je vous demande d'adopter cette proposition de loi, qui conjugue neutralité et efficacité.

Monsieur le ministre, je souhaite que ce texte, après une large approbation par le Sénat, puisse être présenté à l'Assemblée nationale dans les meilleurs délais.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

La question que nous traitons aujourd'hui n'est pas nouvelle, mais l'éminent rapporteur de la commission des affaires culturelles que vous êtes, monsieur Carle, vient de l'aborder excellemment.

Si je voulais faire un rappel historique, je pourrais presque remonter à la Convention de 1793, qui créa les « magistrats aux moeurs », ou, plus près de nous, à la IIe République, qui institua les délégués cantonaux. Rassurez-vous, je n'irai pas jusque-là ; je me contenterai de dire que la situation des délégués départementaux de l'éducation nationale, les DDEN, fait depuis très longtemps, vous le savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, l'objet de réflexions.

Dans leur forme actuelle, les DDEN, dont le statut a été fixé par le décret du 10 janvier 1986, remplissent des missions d'inspection, que l'éducation nationale apprécie, sachez-le, à leur juste valeur : visite des écoles publiques, comptes rendus sur la salubrité des locaux, l'éclairage, le chauffage, le mobilier, l'équipement, la fréquentation scolaire, la restauration, les transports ou la caisse des écoles, entre autres.

Siégeant dans les conseils d'école, les DDEN y ont voix délibérative, ce qui est parfaitement légitime puisqu'ils sont, du fait de leurs missions, de bons connaisseurs de la situation matérielle des établissements. Cependant, pour leur permettre d'exercer leur mission non seulement en toute neutralité - c'est le terme important qu'il faut retenir -, mais également en toute indépendance, un amendement que vous aviez déposé, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, avait proscrit leur désignation dans leur commune ou arrondissement de résidence.

La présente proposition de loi, qui part de l'idée que l'indépendance du DDEN ne risque d'être atteinte que dans le cas où ce dernier est élu au conseil municipal de la ville dans laquelle il exerce, vient donc restreindre le champ de l'exclusion, en précisant que l'interdiction d'exercer dans sa commune ne s'applique qu'au DDEN élu au conseil municipal de cette même commune ou de l'arrondissement.

Je n'ai pas d'objection de principe à formuler sur le fond, et je considère, mesdames, messieurs les sénateurs, que votre lien organique avec les collectivités locales vous permet d'être les mieux placés pour juger de l'opportunité particulière d'une telle disposition.

Dans ces conditions, j'émets un avis favorable sur cette proposition de loi. Je souhaite vraiment que la collaboration des DDEN avec l'éducation nationale puisse continuer à être fructueuse et à satisfaire pleinement les écoles, leurs usagers et les collectivités territoriales.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 19 minutes ;

Groupe socialiste, 14 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 8 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 7 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Goujon.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Goujon

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 40 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école qui est aujourd'hui en cause a été introduit par le Sénat dans le souci d'assurer l'exigence de neutralité qui sied à la fonction exercée par les délégués départementaux de l'éducation nationale, encore que nous ne saurions, bien sûr, porter des soupçons infondés sur un corps dont la neutralité conditionne à la fois l'indépendance et la crédibilité.

Justifiée sur le plan des principes, cette disposition, comme cela a été excellemment rappelé, s'est révélée, sur un plan strictement pratique, peu conforme à la réalité concrète de l'exercice de leur mission. C'est ce que craignait d'ailleurs notre collègue Yves Pozzo di Borgo, en présentant l'amendement n° 176 rectifié ter, puisqu'il redoutait qu'il « ne pose des problèmes dans les zones urbaines ». Le ministre de l'éducation nationale lui-même observait alors que cet amendement, pour lequel il s'en remettait à la sagesse du Sénat, poserait un problème d'application pour la ville de Paris, notamment.

En effet, il y a, à Paris, comme à Lyon et à Marseille, une délégation par arrondissement, chacune étant sous la responsabilité d'un président de délégation d'arrondissement. Le bon fonctionnement de ces délégations qui a prévalu jusqu'à présent n'est possible que si leurs présidents sont connus dans les mairies et y trouvent une bonne écoute - cette observation vaut d'ailleurs pour toutes les autres villes. Ce n'est qu'au prix de longues années d'efforts qu'ils y parviennent.

L'article D. 241-34 du code de l'éducation dispose que le DDEN « veille à faciliter les relations entre l'école et la municipalité ». Ce rôle d'interface entre l'école, les usagers, la municipalité et les autorités académiques exige une connaissance globale de l'environnement des écoles dont le délégué a la charge.

D'une façon générale, l'article 40 de loi précitée pose deux types de difficultés.

Tout d'abord, que ce soit en zone urbaine ou rurale, il implique un éloignement qui ne correspond pas à la très forte dimension de proximité qui est attachée à la fonction même du DDEN. Comme je viens de le souligner, son action est très utile, justement du fait de sa bonne connaissance de la situation locale et des besoins de la population scolaire.

Dissocier le lieu d'exercice de la fonction du lieu de résidence revient à vider de son sens le rôle de médiation et de personne-ressource qui est unanimement reconnu au DDEN.

Ensuite, en imposant aux délégués d'intervenir en dehors de leur commune de résidence, on leur fait subir des contraintes de déplacement qu'ils n'avaient pas à supporter auparavant ; c'est un point essentiel pour eux. Les trajets nécessaires risquent d'occasionner des frais, alors que ces délégués sont des bénévoles, comme M. le ministre et M. le rapporteur l'ont rappelé. Il serait donc infiniment regrettable que des candidats se détournent de ce mandat, alors qu'ils remplissent leur fonction avec dévouement et disponibilité, chacun le sait, et qu'ils sont très appréciés par l'ensemble de la communauté scolaire, parmi laquelle ils jouissent d'une réputation non usurpée, pour leur disponibilité, leur compétence, leur respect de chacun, leur impartialité et l'engagement total dans l'exercice de leur tâche.

En outre, alors que le rôle des DDEN est reconnu de tous et que les directeurs d'école sont demandeurs, le recrutement des délégués est déjà particulièrement difficile à Paris : on compte 320 délégués pour visiter 657 écoles publiques et 111 écoles privées !

Je salue les efforts de M. le rapporteur pour rechercher une solution équitable. Ses rencontres avec les représentants des DDEN et ses contacts avec l'administration ont abouti à la rédaction de cette proposition de loi, dont nous ne pouvons que louer l'esprit et la forme.

Je note également que le souci de neutralité, tout à fait légitime, qui avait guidé la rédaction du texte en cause, est préservé pour les délégués exerçant un mandat municipal. Il est, en effet, souhaitable que le délégué ne soit pas partie prenante aux affaires de la commune dont il inspecte lui-même les écoles.

Ainsi, nous parvenons à une solution aussi bien équilibrée que pratique.

Toutefois, monsieur le ministre, il vous faut désormais réfréner votre administration.

J'appelle notamment votre attention sur une circulaire émanant de l'académie de Paris à propos du renouvellement partiel des DDEN pour la période 2006-2009, qui a été récemment envoyée aux présidents de délégations départementales de l'éducation nationale. Celle-ci précise que les délégués « ne peuvent exercer leur mission que dans des établissements autres que ceux de leur arrondissement de résidence », reprenant pour partie la formulation de l'article L. 241-44 du code de l'éducation.

Vous le savez, monsieur le ministre, les représentants des délégués se sont émus de ces courriers, qui ont peut-être été envoyés un peu hâtivement - même si je me félicite de ce que les services d'une administration réagissent aussi rapidement ! -, en l'absence de décret d'application. Le vote qui interviendra tout à l'heure sur cette proposition de loi - je ne doute pas de l'issue de nos débats - sera, je l'espère, de nature à rassurer pleinement les délégués. Vous voudrez bien alors, monsieur le ministre, relayer l'information, afin que le prochain renouvellement puisse être pleinement assuré.

La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise permet d'introduire dans le droit applicable aux délégués départementaux de l'éducation nationale une disposition équilibrée. Elle permet également, je tiens à le dire, de souligner l'estime que nous portons à ces délégués.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Voguet

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés que je me félicite de l'examen de cette proposition de loi par notre assemblée.

En effet, le groupe CRC a pris part à cette initiative parlementaire. Je pense notamment à mon amie Annie David qui, saisie comme nous tous par les représentants des DDEN, a aussitôt réagi en déposant, dès le mois de juillet dernier, une proposition de loi, afin que l'exil absurde des DDEN ne provoque ni leur démission ni leur extinction.

Je ne reprendrai pas ici l'historique de la fonction de délégué départemental de l'éducation nationale, car vous l'avez fait avec brio, monsieur le ministre. L'article de la loi Fillon que nous proposons de modifier en faisait pourtant fi, alors que ces « amis de l'école publique » sont étroitement liés à l'histoire de notre République et de l'éducation nationale et qu'ils ont contribué à l'enracinement de celle-ci dans notre pays.

Le rôle du délégué départemental de l'éducation nationale est, nous le savons bien, primordial au sein de nos collectivités locales. L'adoption, par le Sénat, de l'amendement n° 176 ter rectifié était donc d'autant plus incompréhensible que notre assemblée se vante de représenter les territoires, les collectivités territoriales.

Dès l'adoption de cette loi, la Fédération des délégués départementaux de l'éducation nationale nous faisait remarquer qu'une telle disposition, comme bien d'autres dans cette loi, d'ailleurs, relevait du cadre réglementaire et non du cadre législatif. Elle rappelait aussi que le fait de dissocier le lieu d'exercice de la fonction du lieu de résidence revenait à vider de son sens le rôle de médiation et de personne-ressource qui est unanimement reconnu aux DDEN par l'ensemble de la communauté éducative. De surcroît, cet amendement faisait porter sur l'ensemble de ce corps un soupçon injustifié.

En fait, cette modification était sans doute de simple opportunité. La démocratie locale semble poser encore quelques problèmes à certains élus, qui tentent ainsi d'empêcher un citoyen, surtout s'il est un opposant à la majorité municipale, d'être nommé à cette fonction visible, responsable, utile et reconnue.

De plus, je crains que les auteurs de l'amendement en question n'aient été emportés par l'ambiance qui régnait lors de l'examen de ce projet de loi, mais peut-être n'est-ce pas le cas.

Rappelons-nous : ce débat fut mené à la hussarde, dans des conditions anormales, puisque nous n'avions disposé que de très peu de temps pour examiner ce texte. Après avoir déclaré l'urgence, le Gouvernement n'avait pas hésité à nous faire travailler en séances de nuit et même à convoquer notre assemblée, du jour au lendemain, un samedi, qui plus est un jour de commémoration officielle !

Aucune écoute, aucune attention n'avait été portée aux propositions de l'opposition. De même, le ministre de l'époque avait refusé d'entendre l'ensemble des critiques provenant de la communauté éducative et de notre jeunesse scolarisée en particulier. Nous avons même parfois eu le sentiment - mais je me trompe peut-être - que certains membres de la majorité voulaient en découdre.

C'est dans ces conditions que cet amendement a été adopté, au cours d'une séance de nuit, sans qu'un réel débat ait eu lieu et sans la moindre concertation. Mais, à la vérité, il en a été de même pour l'ensemble de cette loi, qu'il nous faudra bien réformer un jour, tant elle est néfaste, me semble-t-il, pour notre système éducatif.

En attendant, à cause de cet amendement, l'activité des DDEN aura été, pour le moins, perturbée pendant un an ; nous ne pouvons que le regretter.

Avec la proposition de loi que nous examinons, la situation devrait être rapidement rétablie, si le Gouvernement crée les conditions pour que celle-ci soit déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale ; c'est en tout cas ce que nous souhaitons et nous nous en félicitons à l'avance.

Cependant, s'il est vrai que, comparée à l'actuel article 40 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, cette proposition de loi marque une avancée, il sera sans doute plus difficile à l'avenir de trouver des citoyens disponibles, en particulier en zone rurale. En effet, les regroupements scolaires touchent plusieurs communes, ce qui risque peut-être d'exclure de ces missions un bon nombre de citoyens actifs.

Par ailleurs, nous regrettons de ne pas être parvenus à retenir une application spécifique de la loi pour ce qui concerne les trois plus grandes villes de notre pays, structurées en arrondissements.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tous ici, nous estimons que les ordres du jour de notre assemblée sont parfois chargés. Il est alors dommage de devoir, de notre fait, légiférer à nouveau sur un texte qui a été adopté récemment. La réflexion et la retenue qui siéent à notre assemblée devraient, je crois, nous garder d'une telle obligation.

Cela dit, le groupe CRC votera évidemment cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Nogrix

Madame la présidente, je ne parle pas au nom du groupe UC-UDF ; j'interviens en lieu et place de mon collègue Yves Détraigne, malheureusement retenu par des obsèques. Croyez bien, mes chers collègues, qu'il le regrette sincèrement. Il le regrette d'autant que notre collègue est à l'origine du débat qui nous réunit cet après-midi puisqu'il a été l'auteur de l'amendement relatif aux délégués départementaux de l'éducation nationale, devenu l'article 40 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, dont l'adoption le 18 mars dernier, a suscité beaucoup d'émoi chez lesdits délégués et à propos duquel nombre de parlementaires ont été interpellés.

Ayant moi-même cosigné à l'époque cet amendement, je peux vous exposer le point de vue d'Yves Détraigne.

A l'origine, cet amendement avait pour objet d'appeler notre assemblée à s'interroger sur l'utilité réelle de la fonction de DDEN dans l'école du XXIe siècle. Comment imaginer, à l'époque, que cet amendement subirait - après un certain temps - les foudres d'une grande partie de nos collègues ?

Du haut de cette tribune, Yves Détraigne vous aurait dit qu'il ne s'agissait pas pour lui d'en découdre avec tel ou tel DDEN en poste dans sa commune, même si son amendement tirait son origine du constat fait quelques années auparavant de la nomination, dans les quatre écoles de sa commune, de représentants de l'opposition au conseil municipal, nous sommes bien dans un débat concernant les collectivités locales. Cela semble difficilement admissible et pose la question de la neutralité de certains des titulaires de la fonction- nous sommes bien en démocratie.

Surtout, n'ayant toujours pas compris, après un mandat de maire long de seize années et après avoir été durant dix ans membre du conseil départemental de l'éducation nationale, quel était l'apport des DDEN au bon fonctionnement de l'école d'aujourd'hui, notre collègue souhaitait profiter de ce débat pour amener notre assemblée à s'interroger sur l'utilité même de la fonction.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Nogrix

Notre rapporteur Jean-Claude Carle rappelle que la fonction de DDEN trouve son origine dans la loi Goblet du 30 octobre 1886 sur l'enseignement primaire, laquelle faisait du délégué un observateur se plaçant du point de vue de la famille et de la société. Cent ans plus tard, le décret du 10 janvier 1986 relatif aux DDEN, en actualisant cette fonction, lui a confié un certain nombre d'attributions telles que le contrôle de l'état des locaux, celui de l'hygiène ou de la fréquentation scolaire ou la facilitation des relations entre l'école et la municipalité.

Dans le même rapport, Jean-Claude Carle indique que « le délégué joue ainsi un rôle d'interface et de liaison entre tous les membres de la communauté éducative : l'école, ses usagers, la municipalité, les autorités académiques. »

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Vous voilà éclairé sur le rôle des délégués !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Nogrix

M. Philippe Nogrix. Le rapporteur, de surcroît quand il s'agit de Jean-Claude Carle, a parfois pour fonction d'éclairer certains points !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Nogrix

Pourtant, force est de constater qu'il n'est nul besoin de DDEN pour qu'une municipalité s'inquiète de l'état des locaux scolaires ou périscolaires dont elle a la charge, pour qu'un maire et un directeur d'école communiquent ou pour que les familles soient représentées au conseil d'école - elles le sont de droit. Au reste, les élections des représentants des parents d'élèves pour la présente année scolaire viennent d'avoir lieu dans toutes les écoles de France.

Lorsque notre collègue Yves Détraigne a expliqué tout cela aux représentants des DDEN venus le rencontrer en juin dernier, ils ne l'ont pas démenti et ont indiqué que leur rôle actuel s'inscrivait plutôt dans une fonction de médiation en cas de conflits persistants entre des parents et des enseignants ou entre un maire et un directeur d'école. Ces situations, heureusement rares, nécessitent-elles réellement le maintien de 25 226 DDEN ? C'est la question que notre collègue nous pose. Franchement, a-t-on vraiment encore besoin, aujourd'hui, de cette fonction ?

Mes chers collègues, tel est le message que le sénateur Yves Détraigne souhaitait faire passer aujourd'hui à cette tribune. En conclusion, il aurait rappelé que, si toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, la fonction de DDEN aurait pour le moins besoin d'être dépoussiérée. Il se demanderait qui en aurait donc un jour le courage. S'il avait été présent, il se serait abstenu.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Lagauche

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui afin de corriger un dispositif qui a été adopté lors de l'examen de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, en mars dernier.

Cette disposition concerne les DDEN. Leur dévouement à l'école publique ne fait aucun doute : ils contribuent, par leur action, à l'amélioration de l'environnement scolaire et à la défense de la laïcité et du service public d'éducation.

Rappelons que nous célébrons cette année le centenaire de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat, laquelle a enraciné dans la société française le principe qui nous est cher de laïcité. Et ce sont des citoyens comme ces délégués qui font vivre ce principe au quotidien.

Cette fonction si spécifique et si nécessaire a existé de tout temps. Souvenons-nous que les ancêtres des DDEN, les « magistrats aux moeurs », remontent à la Révolution française !

Depuis la création de ces délégués, leurs domaines d'intervention ont considérablement évolué dans l'école et autour d'elle : outre leur rôle traditionnel de surveillance des locaux scolaires, qu'ils détiennent de longue date, ils ont acquis de nouvelles compétences. Ils interviennent désormais sur toutes les questions relatives à l'environnement scolaire et sur tout ce qui touche à la vie scolaire, notamment les centres de loisirs, les transports, les restaurants et les caisses des écoles.

Le délégué joue par ailleurs un rôle d'incitation à la création et au développement d'oeuvres complémentaires de l'école publique, un rôle de coordination, en veillant à faciliter les relations entre l'école et la municipalité, et un rôle de médiation, puisque sa place stratégique, à la charnière entre l'école, la commune et les parents d'élèves, lui permet de résoudre les éventuelles situations conflictuelles.

Pourtant, ce dévouement à l'éducation nationale n'est pas toujours reconnu à sa juste valeur.

Dans la nuit du 28 mars dernier, lors de l'examen de la loi Fillon, un amendement de M. Détraigne a été adopté. A l'article L. 241-4 du code de l'éducation, il a introduit un alinéa portant interdiction aux DDEN d'exercer leur mission dans un établissement situé dans leur commune de résidence.

En proposant et en faisant adopter cet amendement, les auteurs ont assurément porté atteinte à la mission des DDEN et en ont compromis l'efficacité. Cette disposition méconnaît à la fois le mode de désignation et les conditions d'exercice de la fonction du délégué départemental de l'éducation nationale. En effet, l'article D. 241-24 du code de l'éducation précise clairement que « les délégués départementaux de l'éducation nationale sont désignés par circonscription d'inspection départementale pour visiter les écoles publiques et privées qui y sont installées. » La fonction de délégué nécessite donc la proximité, une dimension indispensable au bon exercice de leur activité. En effet, comment pourraient-ils mener à bien leurs missions de coordination et de médiation s'ils n'ont pas une vision globale de l'environnement scolaire ?

Cet amendement a été justifié au nom de la neutralité devant régir la fonction. Qu'on veuille la faire respecter scrupuleusement, pour des raisons de déontologie, en restreignant l'exercice de la fonction aux élus municipaux : très bien ! Tous ici, et les délégués eux-mêmes, comprennent que l'on ne peut pas être à la fois juge et partie.

En revanche, avant de jeter l'opprobre sur tous les DDEN, n'aurait-on pas pu, au préalable, interroger leurs représentants sur le bien-fondé de cette disposition ? Si le problème s'est effectivement posé localement, c'est à ce niveau qu'il fallait le régler, sans vouloir à tout prix passer par le cadre législatif.

Il est très regrettable que les DDEN subissent cet affront. Ils jouent un rôle citoyen et sont soucieux de l'avenir de l'école républicaine, qu'ils ont toujours connue et portée, beaucoup d'entre eux étant des enseignants à la retraite. Pourquoi devrions-nous porter un regard suspicieux sur ces personnes, alors qu'elles ne souhaitent finalement qu'une chose, à savoir améliorer les conditions de vie de nos enfants ?

Si cette disposition devait être appliquée, elle aurait des conséquences dramatiques. Prémices d'un avenir sombre pour ces bénévoles, un grand nombre de délégués, contraints de renoncer à l'exercice de leur fonction en raison des frais et des contraintes de déplacements, ont projeté de démissionner. D'après une enquête menée auprès des unions départementales en avril dernier, près de la moitié des délégués envisagent d'ores et déjà de démissionner. Cela signifie, à court terme, la disparition de la fonction.

L'amendement en cause a été adopté en pleine nuit, à la hâte. La raison en est simple, procédant de la volonté du Gouvernement de passer en force sur un sujet aussi sensible et important que l'éducation. Le texte n'a pu bénéficier que d'une seule lecture, dans la mesure où l'urgence avait été déclarée.

Cette méthode est d'autant plus contestable que cette déclaration d'urgence n'a eu aucune incidence sur les délais de publication des décrets. Ainsi, aucun de ces décrets prévus par la loi n'a été pris. En revanche, le Gouvernement n'a pas tardé à prendre de nouveaux décrets, non prévus, après que le Conseil constitutionnel eut censuré la loi en raison du rapport annexé au projet de loi et de l'article qui l'approuvait.

A la suite des demandes des DDEN formulées auprès de l'ensemble des groupes politiques, le rapporteur de la loi Fillon, Jean-Claude Carle, a rédigé la proposition de loi qui est examinée aujourd'hui et qui fait l'unanimité au sein de la commission des affaires culturelles. Elle mettra fin au flou juridique qui règne depuis l'adoption de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école et permettra aux DDEN d'assurer leurs missions dans la sérénité.

Une erreur d'appréciation a été commise, et nous nous réjouissons que, finalement, vous soyez conscients, mes chers collègues, des conséquences fâcheuses engendrées par cette disposition. Nous espérons par ailleurs, monsieur le ministre, que ce texte sera très rapidement inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Aussi, pour toutes les raisons évoquées plus haut, nous voterons ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, attendue par toute la communauté éducative, la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école a malheureusement abouti à certaines incohérences, dont l'une pouvait, à terme, conduire à la disparition des DDEN.

L'amendement portant sur les DDEN s'inscrivait dans une logique louable, mais tendait à répondre à une situation purement locale. On le sait, ces personnes, bénévoles et volontaires, contribuent pour beaucoup à la bonne marche des établissements scolaires.

Apparus au début des années quatre-vingt comme les derniers hussards de la Troisième République, les DDEN ont repris toute leur importance avec leur entrée dans les conseils d'école.

En effet, non contents de s'assurer de l'état des locaux et de la bonne marche de l'établissement, ils assurent désormais un véritable rôle de modération et de médiation.

Souvent retraités, les délégués ont une expérience, et une « sagesse » qui leur permet d'aplanir les difficultés qui peuvent surgir entre enseignants et parents d'élèves, entre parents d'élèves et municipalité, entre municipalité et enseignants.

Nous pouvons en particulier compter sur eux pour être très attentifs au respect de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port par les élèves de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

Leur capacité de médiation et de soutien peut ainsi être requise par les enseignants, les municipalités ou les parents d'élèves.

Ils ont donc su s'adapter aux enjeux actuels en maintenant l'esprit et les traditions laïques qu'ils représentent.

Aujourd'hui, il nous est proposé de circonscrire les lieux d'intervention des DDEN exerçant un mandat électif municipal.

Déjà, le décret du 10 janvier 1986 prévoit que les délégués ne peuvent être chargés de l'inspection des écoles où sont scolarisés leurs enfants.

Il est souhaitable, également, que le délégué ne soit pas partie prenante dans les affaires de la commune dont il inspecte les écoles, car il ne serait pas sain que d'autres intérêts que ceux de l'école et de l'ensemble de la communauté éducative puissent entrer en jeu.

Ainsi, l'interdiction faite aux élus municipaux d'occuper un poste de délégué départemental dans les communes ou dans les établissements publics de coopération intercommunale qu'ils représentent apporte une plus grande garantie de neutralité, au service de l'intérêt de l'école, compte tenu de l'exigence qui pèse sur eux dans l'exercice de leur mission.

Pour ces raisons, j'adhère totalement à la version proposée par notre rapporteur. Elle ouvre la voie à une meilleure prise en compte des considérations politiques tout en préservant une nécessaire proximité des DDEN avec les écoles dont ils ont la charge. C'est pourquoi je voterai ce texte.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Je souhaite répondre à notre collègue Jean-François Voguet, qui nous disait que l'adoption de cet amendement s'expliquait par « l'ambiance » qui régnait alors.

Je ne crois pas que ce soit exact. L'objet de cet amendement était louable, qui visait à garantir la neutralité des DDEN. Toutefois, il est vrai que nous étions sous-informés et moi-même je l'étais - des conséquences de cet amendement. Nous ignorions notamment qu'il serait peu efficace car inapplicable.

C'est l'honneur du politique de savoir corriger ses erreurs quand il en commet, en ayant pour guide l'éthique - c'est-à-dire la neutralité - et le principe de réalité - c'est-à-dire l'efficacité. Le texte d'aujourd'hui conjuguant ces deux principes, nous pouvons l'adopter.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Je remercie tout d'abord M. Goujon d'avoir salué le travail des DDEN. Je souhaiterais lui répondre sur la fameuse circulaire.

Comme l'article L. 241-4 du code de l'éducation a précisément été modifié par l'article 40 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, l'académie a appelé par circulaire l'attention des présidents des délégués. Je ne peux pas reprocher à l'académie de Paris d'avoir veillé à l'application d'un article qui n'avait pas besoin de décret d'application.

Mais je vous rassure, monsieur le sénateur, la circulaire de l'académie sera évidemment retirée dès que le Parlement aura définitivement adopté le nouvel article 40. Comme vous, je souhaite que ce texte soit adopté par l'Assemblée nationale dans les meilleurs délais.

Je retiendrai de l'intervention de M. Voguet un point essentiel : il existe effectivement un consensus sur la nécessité d'une coopération active entre l'école, ses usagers et la commune.

Les délégués départementaux servent l'école, je l'ai affirmé et je le confirme après votre intervention. Le texte proposé les y aide en garantissant au mieux leur neutralité et leur indépendance, donc leur crédit et leur influence bénéfique.

Je voudrais répondre à M. Nogrix, qui est intervenu à la place de M. Détraigne, que l'application de l'article 40 risquait de décourager les DDEN de continuer à servir l'école. Ils sont bénévoles - on ne le rappellera jamais assez - et retraités pour la moitié d'entre eux.

A-t-on besoin de ces délégués ? Telle est la question qu'a posée M. Détraigne, par la voix de M. Nogrix. Je réponds par l'affirmative.

Donc, cette nouvelle écriture de l'article 40 va permettre aux DDEN d'exercer leurs fonctions à proximité de leur domicile, à l'exception bien sûr de ceux qui détiennent un mandat électif.

Je répondrai maintenant à M. Lagauche. Comme lui, je rends hommage aux DDEN - je l'ai dit au moins quatre fois ce soir et ce n'est pas une vaine formule - et je me réjouis que la disposition envisagée conforte leur rôle.

Cela étant, la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école est bien entrée en vigueur. Une dizaine de décrets ont été publiés. Une dizaine d'autres textes les ont complétés. Cette loi, vous pouvez en penser ce que vous voulez, monsieur le sénateur, c'est une loi de la République ! Elle s'impose à tous, et, lorsqu'il semble judicieux d'en rectifier telle ou telle disposition, c'est l'honneur de la représentation nationale que d'assumer pleinement cette fonction d'ajustement.

Je souhaiterais, en dernier lieu, remercier Mme Dini. Elle a trouvé les mots justes pour saluer le travail des DDEN sur le terrain. Elle a tenu à souligner la tradition laïque dont leur rôle se nourrit. C'est exactement ce que nous attendons. Je veux reprendre en mon nom cet hommage, madame le sénateur, et je vous remercie d'avoir annoncé que le groupe que vous représentez voterait ce texte.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.

La seconde phrase du dernier alinéa () du I de l'article L. 241-4 du code de l'éducation est ainsi rédigée :

« Toutefois, lorsqu'ils exercent un mandat municipal, les délégués départementaux de l'éducation nationale ne peuvent intervenir dans les écoles situées sur le territoire de la commune dans laquelle ils sont élus, ni dans les écoles au fonctionnement desquelles cette commune participe. »

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Avant de mettre aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Cette explication de vote sera plutôt destinée à attirer l'attention de M. le ministre.

Lorsque le décret du 10 janvier 1986 a précisé le rôle des DDEN en leur confiant plusieurs missions d'hygiène et de sécurité, il n'était pas dans la culture de l'administration, notamment de l'éducation nationale, de se préoccuper autant que maintenant de ces questions.

Or, monsieur le ministre, mes chers collègues, le décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail dans la fonction publique, modifié par le décret du 9 mai 1995, a énormément développé, sous la pression des syndicats, l'importance de ces missions d'hygiène et de sécurité dans les ministères, notamment celui de l'éducation nationale.

Une circulaire du 11 septembre 1997 a créé les inspecteurs d'hygiène et de sécurité, les IHS. Le rôle très important qui leur est dévolu exige une formation approfondie. Ces inspecteurs- un par académie -visitent en effet l'ensemble des établissements et des services, y compris les universités et les centres de recherche : on ne peut pas y faire n'importe quoi ! Ils sont relayés dans leur action par le réseau des agents chargés d'assurer la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité, les ACMO.

Monsieur le ministre, il serait important que vous demandiez à l'Inspection générale de l'administration, qui est compétente, de faire en sorte que les DDEN, les IHS et les ACMO communiquent entre eux. A défaut, et si, par exemple, un DDEN ne signale pas un problème de sécurité qui se pose dans une école ou s'il avertit une personne qui n'est pas compétente, sa responsabilité pénale peut être engagée un jour ou l'autre.

Monsieur le ministre, il serait également important de revoir le décret de 1986 puisque le rôle des DDEN évolue en fonction du développement, au sein de l'éducation nationale et dans d'autres ministères, de la culture « hygiène et sécurité ».

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Je compte faire le meilleur usage de la remarque de l'éminent sénateur Pozzo di Borgo !

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.

La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi portant engagement national pour le logement.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 57, distribué et renvoyé à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et la République de Corée. Proposition de règlement du Conseil concernant la mise en oeuvre de l'accord conclu par la CE à l'issue des négociations menées dans le cadre du paragraphe 6 de l'article XXIV du GATT de 1994, et modifiant l'annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2984 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'accords sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et le Japon et entre la Communauté européenne et la Nouvelle-Zélande ; Proposition de règlement du Conseil concernant la mise en oeuvre des accords conclus par la CE à l'issue des négociations menées dans le cadre du paragraphe 6 de l'article XXIV du GATT de 1994, et modifiant l'annexe I du règlement (CE) n° 2658/87 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2985 et distribué.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

J'informe le Sénat que le projet de loi portant engagement national pour le logement (57 2005-2006), dont la commission des affaires économiques et du Plan est saisie au fond est renvoyé pour avis, à leur demande et sur décision de la conférence des présidents, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale et à la commission des affaires sociales.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

J'ai reçu de Mme Marie-Thérèse Hermange un rapport d'information fait au nom de la délégation pour l'Union européenne sur les agences européennes.

Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 58 et distribué.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 2 novembre 2005, à quinze heures trente et le soir :

Discussion du projet de loi (26, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation agricole.

Rapport (45, 2005-2006) de M. Gérard César, fait au nom de la commission des affaires économiques.

Avis (50, 2005-2006) présenté par M. Joël Bourdin, au nom de la commission des finances.

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 31 octobre 2005 avant dix-sept heures.

Délai limite pour le dépôt des amendements : vendredi 28 octobre 2005 à douze heures.

Question orale avec débat n° 6 de M. Nicolas About sur l'état de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 9 novembre 2005, à dix-sept heures.

Conclusions de la commission des affaires culturelles (n° 27, 2005 2006) sur la proposition de loi de M. Philippe Marini complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (n° 59, 2004-2005) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 9 novembre 2005, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 8 novembre 2005, à dix-sept heures.

Débat de contrôle budgétaire sur le rapport d'information établi par M. Roland du Luart au nom de la commission des finances sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire (478, 2004-2005) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 9 novembre 2005, à dix-sept heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

La séance est levée à dix-neuf heures cinq.