Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 7 mars 2006 à 16h10
Transparence et sécurité en matière nucléaire — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec 80 % de sa production électrique d'origine nucléaire, la France est une exception dans le monde. Nul autre pays n'a privilégié à une telle échelle l'industrie du nucléaire civil. La France s'est ainsi engagée dans un programme industriel de grande ampleur, porté par les pouvoirs publics, politique qui a limité sa dépendance énergétique vis-à-vis du pétrole.

Cette industrie est aujourd'hui l'un des fleurons de notre économie ; elle est reconnue dans le monde comme étant la plus performante et la plus sûre.

Notre pays tient une position technologique dominante dans la filière nucléaire et la première place sur le marché international. De plus, il convient de souligner que près de 40 000 emplois directs dépendent, en France, du nucléaire.

Il faut souligner que la dépendance de la France et de l'Union européenne vis-à-vis des hydrocarbures s'accroît considérablement. Ainsi, à l'horizon 2030, l'Union européenne importera 90 % de son pétrole et 70 % de son gaz. L'énergie nucléaire est donc présentement la seule véritable alternative pour la production d'électricité.

La discussion en première lecture au Sénat du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire vient enfin donner un véritable cadre législatif à cette activité stratégique.

J'évoquerai les principales dispositions de ce texte avant de placer ce débat dans une perspective européenne.

Le cadre juridique actuel de l'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins civiles est bien fragile. Il ne repose que sur le décret du 11 décembre 1963 modifié, pris en application de la loi du 2 août 1961 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs, totalement dépassée et ne répondant plus aux préoccupations actuelles. En d'autres termes, le programme civil reste soumis au régime du contentieux administratif ; il est susceptible de se voir priver de sa base réglementaire par une annulation en excès de pouvoir devant le juge. Des enjeux aussi vitaux ne peuvent dépendre que de la loi.

Le présent projet de loi procède donc enfin à la définition de cette base juridique, tout en spécifiant et en consolidant les grands principes qui président depuis longtemps à cette industrie, à savoir la responsabilité de l'exploitant, la limitation de l'exposition aux radiations, la justification systématique de l'implantation de nouvelles installations et le principe de précaution.

Le coût croissant des énergies fossiles et les insuffisances des énergies alternatives, en l'état actuel de la recherche, contribuent à faire de l'énergie nucléaire une chance majeure pour notre pays.

Pour cela, les normes de sécurité applicables doivent être portées au niveau le plus élevé. Lors de l'incident survenu à la centrale de Three Mile Island en 1979, les autorités américaines ont pu démontrer que des normes de sécurité élevées étaient déterminantes pour confiner toute catastrophe radiologique.

Ce renforcement des normes de sécurité, mis en oeuvre par le projet de loi que nous examinons, ne peut que rassurer nos concitoyens quant à la vigilance extrême indispensable dont font preuve l'État et les exploitants dans une matière aussi sensible, qui ne peut dépendre d'un quelconque aléa. La définition de la sécurité nucléaire, contenue dans l'article 1er, répond à l'exigence de rigueur requise.

Le projet de loi couvre tous les niveaux de l'exploitation, notamment pour les installations nucléaires de base, les IBN, à savoir l'autorisation d'installation et d'exploitation, la surveillance permanente des activités et la gestion du démantèlement d'une installation et du stockage des déchets.

Combinés aux dispositions de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, ces nouveaux principes législatifs garantiront un fonctionnement rigoureux des IBN, en particulier des quatre-vingts réacteurs nucléaires actuellement en activité.

La création de la Haute autorité de sûreté nucléaire est une avancée qu'il faut souligner. Elle contribuera à développer la nécessaire transparence des activités nucléaires. Cette nouvelle autorité administrative indépendante possédera les moyens matériels et juridiques d'assurer un contrôle efficace de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, en coordination avec l'État.

Il n'aurait pas été souhaitable de faire de cette Haute autorité une autorité administrative indépendante de droit commun strictement détachée de l'État. Le nucléaire est une activité spécifique trop sensible dont on ne peut déléguer la responsabilité. Elle doit dépendre uniquement d'une autorité ad hoc. L'État restera donc le seul garant de la sécurité nucléaire et sera seul compétent pour prendre les mesures qui s'imposent en cas de crise grave.

La création de ladite autorité adapte le cadre d'action français suivant les recommandations de l'AIEA en la matière, à l'instar d'autres États comme le Canada ou les États-Unis.

Je soutiendrai les amendements déposés par la commission qui visent à asseoir la constitutionnalité du pouvoir réglementaire de cette instance, tout en précisant que celui-ci n'aura vocation qu'à compléter l'application des arrêtés et décrets pris en matière de sûreté nucléaire.

Le titre III du projet de loi concerne le développement de la transparence et de l'accès aux informations détenues par les exploitants nucléaires. Il illustre au mieux l'objectif des auteurs de ce texte.

La peur liée au risque nucléaire ainsi que la conviction que les décisions ont été prises de façon opaque et unilatérale ont longtemps perduré dans l'opinion publique. Cependant, la prise en considération de ce souci de transparence connaît une amélioration constante depuis vingt-cinq ans. Aujourd'hui, les citoyens exigent d'être pleinement informés et réclament un débat démocratique pour participer pleinement à une prise de décision aussi importante. Cette volonté de responsabilité ne peut qu'être encouragée.

Le présent projet de loi améliore encore cette culture de la transparence mise en place par l'article 7 de la Charte de l'environnement de 2004. La Commission nationale du débat public a ainsi mené un débat sur le projet d'implantation de la centrale électronucléaire EPR à Flamanville. Il est essentiel de dialoguer, de comprendre, de contrôler afin d'établir la confiance.

Les enjeux relatifs à l'environnement et à la santé publique induits par le nucléaire sont pris en compte par l'instauration ou le développement de plusieurs dispositifs, tels le droit d'accès spécifique des citoyens aux informations, l'obligation de constituer des commissions locales d'information, la création d'un Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire. L'ensemble de ces mesures constitue un progrès très important, mais il pourra sans doute être amélioré. La commission a souligné, par exemple, qu'il serait souhaitable de confier à la Commission d'accès aux documents administratifs, la CADA, les litiges relatifs à la communication des informations.

S'agissant des règles applicables aux installations, le droit français a su construire, au fil du temps, un corps normatif directement adapté aux spécificités des contraintes et des risques des activités nucléaires. Les exploitants d'IBN ont, eux aussi, besoin de disposer de règles lisibles et durables, compte tenu de la complexité et de la longueur des procédures d'obtention d'une autorisation d'implantation et d'exploitation.

Le contrôle de l'ensemble des installations, spécialement les IBN et les installations classées pour la protection de l'environnement, sera encore plus performant avec la création d'un corps d'inspecteurs de la sûreté nucléaire, dont les pouvoirs de police administrative et judiciaire assureront l'efficacité de leur délicate mission.

Je voudrais enfin apporter un éclairage européen à notre débat d'aujourd'hui. En effet, je crois que le projet de loi que nous examinons est de nature à conforter le regain d'intérêt pour l'énergie nucléaire qui se fait jour actuellement en Europe, en particulier dans l'optique de la conformité au protocole de Kyoto et d'une meilleure garantie de notre indépendance énergétique.

Dans le cadre de la politique de lutte contre le changement climatique, l'Europe s'est engagée à réduire de manière exemplaire ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2010. Or il est aujourd'hui certain que le développement des énergies renouvelables et les économies d'énergie ne suffiront pas à faire en sorte que ce but soit atteint.

L'énergie nucléaire, sans être la panacée, constitue une réponse incontournable : elle permet aujourd'hui de faire l'économie, en Union européenne, de l'émission de 800 millions de tonnes de carbone chaque année.

Les opinions publiques européennes ne devraient pas tarder à revenir à la réalité : les prémisses du changement climatique commencent à se faire sentir à travers les dérèglements de la nature ; l'envol du cours des hydrocarbures, depuis l'an dernier, frappe directement les entreprises et les particuliers ; la crise gazière entre la Russie et l'Ukraine, en ce début d'année, est venue rappeler la dimension géostratégique de l'indépendance énergétique.

Cela explique que le débat sur l'énergie nucléaire connaisse aujourd'hui en Europe un frémissement. Certains pays qui avaient renoncé à cette forme d'énergie s'interrogent sur la pertinence de leur choix. Ainsi, les Finlandais ont décidé de lancer une nouvelle tranche et les Polonais songent à se doter d'une filière électronucléaire.

Dans ces conditions, la France peut jouer un rôle moteur en Europe.

Le présent projet de loi participe de ce renouveau possible de l'énergie nucléaire en Europe.

Afin de répondre aux légitimes préoccupations de l'opinion publique européenne, notre pays se doit d'être exemplaire en matière de transparence et de sûreté nucléaires. Le message adressé par le biais de ce texte à nos voisins est que la France, loin de maintenir une situation figée, veille constamment à améliorer le dispositif institutionnel et technique qui garantit la sûreté de ses installations nucléaires.

C'est à ce prix seulement que la filière électronucléaire pourra, enfin forte de la confiance pleine et entière de la population, prendre toute sa place dans l'indépendance énergétique de l'Europe.

En conclusion, je soulignerai l'équilibre très positif de ce projet de loi. Plus qu'à une simple mise à jour des règles applicables aux activités nucléaires civiles il vise à l'institution d'une solide assise législative pour un secteur très stratégique. Notre pays devra relever, dans les années qui viennent, des défis énergétiques et économiques majeurs, mais pourra, dans le même temps, s'enorgueillir des performances de son industrie électronucléaire dans le domaine de la sécurité.

Votre projet de loi, madame la ministre, contribue à faire de cette industrie un secteur de pointe dans lequel nos compatriotes ont confiance. Le groupe du RDSE vous accordera, lui aussi, sa confiance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion