La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures dix, sous la présidence de M. Christian Poncelet.
La séance est reprise.
J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement a trait à la réunion de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l'égalité des chances.
Une nouvelle fois, le Gouvernement et sa majorité affichent leur fébrilité au sujet du contrat première embauche, le CPE.
Vous précipitez en effet la réunion de la commission mixte paritaire en la convoquant ce soir à vingt et une heures trente. Ses conclusions devraient même être présentées à l'Assemblée nationale dès demain à dix-neuf heures.
Le Gouvernement et la droite cherchent, par cette précipitation du débat concernant le CPE, à échapper au rejet populaire croissant.
Les sondages d'opinion sont accablants et ce sont des centaines de milliers de personnes, des centaines de milliers de jeunes qui manifestent aujourd'hui. Cela vous fait peur.
Avec les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, je demande solennellement le retrait du CPE, retrait auquel il peut être procédé par la CMP.
La démocratie, c'est tout d'abord le respect du peuple. Respectez-le aujourd'hui !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur Billout, acte vous est donné de votre rappel au règlement.
La parole est à M. Gérard Le Cam, pour un rappel au règlement.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l'article 36 de notre règlement et a trait à l'organisation de nos travaux.
Préalablement à la discussion du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, je voudrais évoquer le contexte dans lequel va se tenir le débat, à savoir la privatisation des entreprises énergétiques EDF et GDF.
En effet, comment garantir la sécurité nucléaire, ou même simplement la sécurité énergétique, dans le cadre d'une libéralisation à tout crin ?
M de Villepin déclarait voilà quelques jours : « EDF, la SNCF ou AREVA sont des atouts majeurs pour notre pays. Les Français sont attachés à leur statut public, pour de bonnes raisons : ils garantissent l'égalité entre territoire et les citoyens. Il est donc exclu de nous engager dans la voie de la privatisation de ces grands services publics. »
Pourtant, selon La Lettre de l'Expansion, le Premier ministre serait également favorable à un rapprochement entre le groupe de services à l'environnement, Veolia, et le fournisseur d'électricité EDF. La Lettre affirme d'ailleurs, en citant des sources proches de Jacques Chirac, que l'entourage du Président de la République est déjà acquis à cette cause et que le Premier ministre s'y serait lui aussi rallié.
Dans cette hypothèse, Henri Proglio, le patron de Veolia Environnement, pourrait prendre la tête du nouvel ensemble. Il y aurait là de quoi le consoler de l'échec de son projet de se partager Suez avec Enel !
Ainsi, après l'annonce la fusion de Gaz de France et de Suez, la rumeur court maintenant d'un même type de construction concernant EDF et Veolia.
Dans ce cadre, le capital détenu par l'État dans les entreprises publiques énergétiques françaises passerait en dessous du seuil fixé par la loi du 9 août 2004, soit en dessous de 70 %.
Dans ces conditions, avec l'entrée de capitaux privés majoritaires, les règles de gestion ainsi que les objectifs de ces entreprises vont être largement modifiés pour s'adapter au mode concurrentiel, selon lequel les coûts sociaux, les sommes consacrées à la recherche ainsi que les investissements sont considérés comme des freins à la compétitivité.
À la satisfaction de l'intérêt général va se substituer la satisfaction des intérêts privés. Autrement dit, la politique industrielle de ces entreprises va se réduire à l'augmentation des dividendes des actionnaires.
L'objectif sera la réduction des coûts, et cela par des économies sur la maintenance, par la diminution des garanties sociales et par le recours accru à la sous-traitance.
Parce que la sécurité a un coût, les actionnaires vont chercher à le ramener au minimum. Nous ne pouvons donc parler de sécurité en matière nucléaire sans aborder ces questions.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen réitèrent leur franche opposition à toute ouverture du capital d'EDF et de GDF, et appellent à un grand débat public sur l'avenir de ces entreprises et sur la constitution d'un pôle public de l'énergie.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
M. le président. Monsieur Le Cam, acte vous est donné de votre rappel au règlement, mais je vous mets en garde : de nombreuses sources sont polluées...
Sourires
L'ordre du jour appelle la nomination d'un membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, en remplacement de M. François-Noël Buffet.
Le groupe Union pour un Mouvement Populaire a fait connaître qu'il propose la candidature de M. Marcel-Pierre Cléach pour siéger au sein de cette délégation.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, s'il n'y a pas d'opposition, à l'expiration du délai d'une heure.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, que j'ai l'honneur de présenter devant vous au nom du Gouvernement, est un texte de première importance.
Il rénove en profondeur le cadre législatif applicable aux activités nucléaires et à leur contrôle.
Il marque des avancées importantes concernant la transparence en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Il crée, conformément au voeu du Président de la République, une Haute autorité de sûreté nucléaire chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que de l'information du public dans ces domaines.
Cette loi est particulièrement nécessaire au moment où la France opère des choix importants concernant le nucléaire civil. En effet, le maintien d'un haut niveau de sûreté, la poursuite des progrès en matière de transparence et la définition de solutions pérennes pour la gestion des déchets radioactifs sont les conditions d'un nucléaire au service des générations présentes et respectueux des générations futures.
Particulièrement attentif au respect de ces conditions compte tenu de la place qu'occupe le nucléaire dans notre politique énergétique, aux cotés des économies d'énergie et du développement des énergies renouvelables, le Gouvernement estime indispensable que les décisions à venir soient prises dans le cadre d'une nouvelle organisation institutionnelle du contrôle et sur la base d'une législation rénovée, aptes à renforcer la confiance des Français.
Vous savez, par ailleurs, que le Gouvernement a préparé avec soin l'échéance de 2006 pour les déchets radioactifs. Il a, en particulier, souhaité lancer un débat public, mené sous l'égide de la Commission nationale du débat public de septembre à décembre dernier. Un projet de loi sur la gestion des déchets radioactifs vous sera soumis dans les prochaines semaines.
J'ajoute que je suis particulièrement heureuse qu'il revienne à la ministre chargée de l'écologie de présenter le projet de loi dont nous allons débattre. Le Gouvernement met ainsi l'accent sur le fait que le ministère de l'écologie et du développement durable est un ministère majeur, qui occupe une place centrale dans le contrôle des activités pouvant présenter des risques pour les personnes et pour l'environnement.
Avant de vous présenter les quatre grands objectifs de la loi, je voudrais revenir d'abord sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à souhaiter l'examen de ce projet de loi, qui, rappelons-le, a été présenté par un gouvernement précédent.
Tout d'abord, un constat : la base législative du contrôle de la sûreté des grandes installations nucléaires est aujourd'hui ancienne et incomplète. Elle est constituée de quelques articles de la loi sur l'air de 1961.
À côté de cela, la sûreté nucléaire et la radioprotection sont en France à un niveau qui n'a rien à envier aux meilleures pratiques étrangères. Leur contrôle est efficace et sa qualité est internationalement reconnue. La transparence a fait d'importants progrès au fil des années.
Notre législation n'est donc pas ou plus à la hauteur de notre pratique et de nos résultats. Nous nous devons d'y remédier.
Ce constat avait été fait de façon extrêmement claire dès 1998 par Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle et, à l'époque, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, dans son rapport au Gouvernement intitulé : « Le système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité nucléaire », au sous-titre prémonitoire : « La longue marche vers l'indépendance et la transparence ».
Ce rapport avait déjà débouché en 2002 sur une première réforme de l'organisation du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
Le Gouvernement de Lionel Jospin avait, à l'époque, également envisagé la création d'une autorité administrative indépendante chargée du contrôle de la sûreté nucléaire, préconisée par le rapport de M. Le Déaut, mais y avait renoncé. A la place, il avait déposé le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire à l'Assemblée nationale en 2001.
Sans esprit partisan, le Gouvernement qui lui a succédé l'a transféré au Sénat en 2002, pour ne pas perdre le bénéfice du travail accompli, tout en estimant que le dispositif proposé manquait d'ambition et qu'il pouvait, et devait, être considérablement amélioré.
C'est pourquoi il l'a modifié au moyen d'une lettre rectificative, qui introduit deux nouveautés majeures : d'abord, la création d'une Haute autorité de sûreté nucléaire, chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, et de l'information du public dans ces domaines ; ensuite, le renforcement significatif des outils de contrôle de la sûreté des grandes installations nucléaires et des transports de matières radioactives.
Un travail approfondi a été mené avec MM. les rapporteurs Bruno Sido et Henri Revol afin d'améliorer le projet initial sur d'autres points importants, comme les principes applicables, les commissions locales d'information ou le Haut comité de transparence. Je tiens à saluer la très grande qualité de leur travail, réalisé dans un temps compté, et l'intérêt des amendements qu'ils proposent. J'en évoquerai plusieurs dans la suite de mon intervention.
J'en viens maintenant aux quatre grands objectifs du projet de loi.
Premier objectif : poser les grands principes applicables aux activités nucléaires.
Le projet de loi confirme que les principes maintenant classiques en matière de protection de l'environnement s'appliquent aux activités nucléaires : principe de prévention, principe de précaution, principe pollueur-payeur, principe d'information du public.
Il décline à cet égard parfaitement les grands principes de la Charte de l'environnement, texte majeur qui fait partie de notre acquis constitutionnel depuis un an.
Le Gouvernement estime utile d'y ajouter un principe fondamental en matière de sûreté nucléaire, inscrit dans le droit international : le principe de la responsabilité première de l'exploitant de l'installation, d'application quotidienne et absolument essentielle pour que chacun, exploitant et autorité de contrôle, ait une claire conscience de ses devoirs.
Le Gouvernement estime également indispensable que la loi énonce le rôle et les responsabilités de l'État en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Sur ces deux points, vos rapporteurs proposent des amendements tout à fait pertinents.
Deuxième objectif : créer une Haute autorité de sûreté nucléaire, chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que de l'information du public dans ces domaines.
Cette réforme institutionnelle majeure a été voulue par le Président de la République. Pourquoi ?
L'acceptation des activités nucléaires par le public repose notamment sur la confiance qu'il accorde au dispositif mis en place pour le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
La situation actuelle dans laquelle les services chargés de ce contrôle sont intégralement placés sous l'autorité du Gouvernement peut susciter des interrogations. En effet, le Gouvernement doit assumer d'autres responsabilités, toutes aussi importantes pour la collectivité, par exemple, veiller à l'approvisionnement énergétique ou jouer son rôle d'actionnaire principal des grands opérateurs du secteur nucléaire.
Le Gouvernement a donc considéré qu'il fallait apporter à de telles interrogations une réponse dénuée d'ambiguïté. C'est pourquoi il a inséré dans le projet de loi, au moyen d'une lettre rectificative, un nouveau titre qui donne le statut d'autorité administrative indépendante à la structure chargée, au sein de l'État, du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Il a également veillé à conserver les pouvoirs nécessaires à l'exercice de ses missions essentielles.
La Haute autorité comportera un collège de cinq membres nommés pour six ans par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat. Ces membres seront inamovibles et astreints à un devoir d'impartialité.
Le Gouvernement continuera à définir la réglementation s'appliquant aux activités nucléaires. Il continuera à prendre les décisions individuelles majeures présentant une forte dimension d'opportunité politique, à savoir les autorisations de création et de démantèlement des grandes installations nucléaires. En cas de risque grave, il pourra suspendre le fonctionnement d'une installation. Il conservera toutes ses responsabilités en matière de protection civile en cas d'accident, notamment en ce qui concerne les mesures de protection de la population ou les mesures sanitaires.
La Haute autorité de sûreté nucléaire sera consultée sur les projets de textes réglementaires. Elle sera chargée du contrôle des activités nucléaires, à la fois des grandes installations nucléaires et des installations nucléaires dites « de proximité », laboratoires de recherche ou installations industrielles mettant en oeuvre des sources radioactives ou installations médicales. Elle pourra définir des prescriptions techniques individuelles s'appliquant à ces activités.
Elle aura également la responsabilité de contribuer à l'information du public sur la sûreté nucléaire et la radioprotection.
La Haute autorité disposera des services relevant aujourd'hui de la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et de ses onze divisions territoriales.
Le Gouvernement estime qu'au travers de ce dispositif un point d'équilibre satisfaisant est atteint. Le Gouvernement n'a pas de doute sur sa conformité avec la Constitution. Je sais que c'est là une question que certains d'entre vous se sont posée. Le Conseil d'État a été consulté comme il se doit sur le projet de lettre rectificative et n'a pas soulevé d'objection.
Troisième objectif : garantir les conditions effectives de la transparence en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
La transparence est une notion qui paraît évidente à tout un chacun. Cette évidence est trompeuse. L'ambition du projet de loi est de dépasser les incantations trop souvent entendues et de donner un contenu concret à cette notion.
La transparence, c'est d'abord la mise à la disposition du public d'une information complète sur la sûreté nucléaire et la radioprotection.
Des efforts importants en la matière sont faits depuis de nombreuses années par l'administration, sous l'impulsion du Gouvernement : information donnée quotidiennement sur Internet, telles que les lettres de suite des inspections ou les évènements significatifs avec leur classement sur l'échelle INES, échelle internationale des évènements nucléaire ; revue mensuelle et rapport annuel sur la sûreté et la radioprotection. Des progrès notables ont également été réalisés par les exploitants, il est juste de le reconnaître.
Le projet de loi donne un cadre et une légitimité nouvelle à ces efforts.
La transparence, c'est aussi l'existence des conditions effectives du droit d'accès à l'information.
Le droit d'accès à l'information concernant la sûreté nucléaire et la radioprotection détenue par les autorités publiques existe déjà en vertu du code de l'environnement.
Le projet de loi porte l'exigence bien au-delà en instituant un droit d'accès du public à l'information détenue par les exploitants d'installations nucléaires et les responsables de transports de matières radioactives. Cette innovation majeure distinguera les activités nucléaires des autres activités industrielles, qui ne sont pas soumises à une telle obligation de transparence.
La transparence, c'est enfin l'existence de lieux spécifiquement consacrés à l'information et au débat pluriel sur la sûreté nucléaire et la radioprotection.
Le premier de ces lieux de débat est constitué par les commissions locales d'information, les CLI.
Les CLI ont été créées au fil des années autour des grandes installations nucléaires en application d'une circulaire du Premier ministre de 1981.
Le projet de loi leur donne un statut législatif. Il consacre l'implication des collectivités territoriales, notamment des conseils généraux, dans leur fonctionnement ; il pérennise leur financement.
Le projet de loi prévoit la création d'une fédération des CLI pour donner une assise à l'Association nationale des commissions locales d'information, qui existe aujourd'hui.
Vos rapporteurs ont proposé des amendements pour améliorer encore le dispositif, mieux ancrer les CLI dans la société civile et leur donner la souplesse nécessaire pour s'adapter à la diversité des réalités locales.
Le deuxième lieu de débat est constitué par le Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire, qui est destiné à prendre la relève du Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaires.
Vos rapporteurs ont également proposé une modification de l'orientation donnée à ce Haut comité, afin qu'il puisse constituer pleinement un lieu de débat sur la sûreté nucléaire et la radioprotection, et contribuer à la diffusion de l'information.
Sa composition serait ainsi plus ouverte, puisqu'il compterait parmi ses membres des parlementaires, des représentants des CLI et des associations, des représentants de l'administration, ainsi que des personnalités qualifiées.
Le Gouvernement est favorable à une telle évolution.
Je tiens à préciser que, selon le Gouvernement, aucune confusion n'est possible entre le rôle du Haut comité et celui de la Haute autorité. Celle-ci est, en effet, chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, et participe à l'information du public dans ces domaines. Il s'agit d'un organisme dont le caractère opérationnel est tout à fait clair.
Quant à la mission du Haut comité, elle est, elle, centrée sur le débat et l'information, grâce à une composition permettant l'expression d'une pluralité de points de vue ; c'est en quelque sorte le pendant des CLI au niveau national.
En matière d'information, en particulier, il convient d'éviter de créer un monopole, le pluralisme étant la clef de la transparence.
En effet, il revient à chaque acteur, pour ce qui le concerne, d'informer.
Le Haut comité pourra mener des actions d'information cohérentes avec sa nature d'instance de débat sur les sujets faisant l'objet d'un large consensus et pourra diffuser l'état de ce consensus ; quant aux sujets faisant l'objet de positions diverses des parties prenantes, il pourra également faire état de celles-ci.
Quatrième objectif : rénover la législation relative à la sûreté des grandes installations nucléaires - les « installations nucléaires de base » -, ainsi qu'au transport de matières radioactives.
À cet égard, le projet de loi met en place une inspection de la sûreté nucléaire, dotée de pouvoirs importants.
Il met à niveau la panoplie des sanctions administratives pouvant être prises à l'encontre des exploitants en cas de manquement de ces derniers.
Il vise, en outre, à réactualiser les sanctions pénales en cas d'infraction, et ce afin de corriger une situation paradoxale. En effet, il faut noter que les sanctions pénales aujourd'hui prévues pour les installations nucléaires de base sont, pour des infractions de gravité équivalente, d'un niveau plus faible que celui d'autres secteurs d'activité.
Le Gouvernement a considéré que le projet de loi initial manquait d'ambition. C'est la raison pour laquelle il a tenu, au travers de la lettre rectificative, à le renforcer considérablement, notamment sur les points suivants.
Ce texte définit ainsi plus clairement les intérêts à protéger en prenant acte de la conception élargie de la sûreté nucléaire existante aujourd'hui concernant non seulement la prévention des accidents, mais aussi la protection de la santé des personnes et celle de l'environnement.
Il précise, en outre, les conditions nécessaires à la délivrance de l'autorisation de création, en faisant toute leur place aux mesures de prévention et de limitation, conformément à la Charte de l'environnement.
Par ailleurs, il affiche clairement que le risque zéro n'existe pas et que les mesures prises ont pour objet de prévenir et de limiter les risques dans le cadre des connaissances scientifiques et techniques du moment.
Le Gouvernement estime que de telles dispositions font partie intégrante de la transparence et du respect que nous devons à nos concitoyens.
Enfin, ce projet de loi donne à la Haute autorité de sûreté nucléaire le pouvoir d'imposer à l'exploitant des prescriptions techniques complémentaires tout au long de la vie de l'installation, y compris lors de son démantèlement, par exemple pour demander la correction d'une anomalie ou pour prévenir un risque particulier identifié.
En conclusion, je voudrais insister sur le fait que le projet de loi qui est soumis à votre examen, mesdames, messieurs les sénateurs, est un texte important, puisque c'est le premier à être soumis au Parlement en vue de donner un cadre législatif général aux activités nucléaires et à leur contrôle.
Hormis le fait qu'il crée une Haute autorité de sûreté nucléaire, il prend acte des aspirations de notre société en matière de transparence et met la législation en cohérence avec la pratique, en portant le secteur nucléaire à la pointe de ce domaine.
Ce texte est indispensable pour fonder le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection sur des bases solides, au moment même où notre pays est appelé à prendre des décisions importantes en matière de nucléaire civil.
Le Gouvernement entend aujourd'hui faire aboutir ce texte très attendu depuis de nombreuses années, souvent annoncé, mais toujours reporté.
Telles sont, monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que souhaitait vous apporter le Gouvernement.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France peut être fière de ses réalisations dans le domaine nucléaire !
Celles-ci constituent, en effet, une véritable réussite, non seulement technique et économique, mais également environnementale eu égard à l'enjeu majeur du réchauffement climatique.
Elles représentent également une réussite en matière de sécurité et, de plus en plus, en termes de transparence.
S'agissant de la sécurité, il convient de rappeler qu'elle recouvre tout à la fois la sécurité civile en cas d'accident, la protection des installations contre les actes de malveillance, ainsi que, et surtout, la sûreté nucléaire, autrement dit le fonctionnement sécurisé des installations, sans oublier la radioprotection, autrement dit la protection maximale des personnes et de l'environnement contre les effets des rayonnements ionisants.
Dans tous ces domaines, la France fait figure de pays de référence, et ce grâce à une administration très compétente quant au suivi des installations et le contrôle de la sûreté.
Il convient de noter que, si le principal point faible a longtemps été l'insuffisance des effectifs des services de l'État chargés de la radioprotection, la situation s'est fortement améliorée, puisque ces effectifs sont passés de cinq inspecteurs en 1999 à plus d'une centaine aujourd'hui.
S'agissant de la transparence, il est vrai que les malentendus de Tchernobyl sont encore présents ; nous avons d'ailleurs tenu à en dresser le constat dans notre rapport écrit.
Néanmoins, dans ce domaine également, la situation a grandement évolué depuis le début des années quatre-vingts, notamment grâce à la création des commissions locales d'information, les fameuses CLI, qu'a évoquées Mme la ministre, et qui associent la population vivant autour de chaque installation nucléaire de base, ainsi que par le biais de procédures de débat public.
C'est ainsi que deux débats publics ont eu lieu depuis quelque mois : l'un au sujet de la centrale EPR de Flamanville, ...
et l'autre concernant la question des déchets nucléaires.
Je le répète : nous n'avons pas à rougir de ce qui a été réalisé depuis un demi-siècle d'excellence française.
En revanche, il est une chose que l'on sait beaucoup moins, c'est que tout ce qui a été mis en place pendant quarante ans en matière de sûreté nucléaire et de transparence l'a été quasiment sans base législative !
En fait, la seule base légale actuelle se résume à deux petites lignes de la loi de 1961 portant sur la pollution de l'air et les odeurs, et permettant aux installations nucléaires de disposer de règles spécifiques, distinctes de celles qui sont applicables aux installations classées.
Certes, en août 2004 - assez récemment donc - un régime de la radioprotection a été adopté dans le cadre de la loi relative à la politique de santé publique, mais, pour le reste, nous ne disposons toujours pas de texte législatif.
En fait, le régime de sûreté des installations repose essentiellement sur un décret de 1963, ainsi que - disons-le - sur les bonnes pratiques de l'administration et des exploitants qui se sont progressivement érigées en doctrine.
En matière de transparence également, beaucoup a reposé sur les circulaires et les bonnes pratiques.
Quant à la loi, que nous connaissons tous, sur l'accès aux documents administratifs en général, avec la commission d'accès aux documents administratifs, la CADA, elle ne s'applique exclusivement qu'aux services publics.
Dès lors, le constat est clair : si le nucléaire français répond aux meilleurs standards de sécurité technique, il lui manque, toutefois, une réelle sécurité juridique.
En effet, il n'est pas normal que la partie législative du code de l'environnement consacre un titre entier aux installations classées, alors que rien n'est prévu pour les installations nucléaires !
D'ailleurs, mes chers collègues, nous pouvons nous féliciter qu'un certain consensus se soit fait jour sur le cadre légal dont a tant besoin le secteur nucléaire français.
J'en veux pour preuve que, jusqu'au 22 février dernier, le projet de loi qui nous était soumis ne différait en rien de celui qu'avait déposé Mme Bachelot en 2002, et qui reprenait lui-même les termes du projet de loi présenté en 2001 par Mme Dominique Voynet, au nom du gouvernement Jospin.
Le texte que nous examinons aujourd'hui reprend d'ailleurs très largement le projet de loi initial.
Cela étant dit, sans remettre en cause la base qui a été léguée par les gouvernements successifs, le texte dont nous discutons va plus loin dans la recherche d'un cadre au sein duquel les missions de chacun sont clairement définies.
À ce titre, il transforme les actuels services interministériels de l'Autorité de sûreté nucléaire en une autorité administrative dénommée « Haute autorité de sûreté nucléaire », qui sera également compétente en matière de radioprotection.
Je laisserai à mon collègue Bruno Sido le soin de revenir plus avant sur la création de cette Haute autorité.
En effet, conformément à la répartition des tâches entre les deux rapporteurs de la commission des affaires économiques, Bruno Sido vous présentera plus particulièrement les résultats de son travail sur les titres I, II et III.
Pour ma part, je traiterai des titres IV et V du projet de loi, qui regroupent respectivement les articles 12 à 29 et 31 à 38.
Le titre IV, qui comprend donc les articles 12 à 29 , constitue une avancée essentielle, après environ un demi-siècle de réalisations nucléaires françaises en ce qu'il institue le premier régime légal complet en matière d'installations nucléaires de base et de transport de matières radioactives.
Sont ainsi désormais définis dans la loi l'ensemble des actes, allant des autorisations de création jusqu'au démantèlement des installations, en passant par les contrôles réalisés par les inspecteurs, ainsi que les sanctions pénales applicables en cas de manquement aux dispositions prévues.
Le point de départ de ce régime a été celui qui est aujourd'hui applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement.
Les règles des installations classées ont été adaptées, en tant que de besoin, au secteur nucléaire, afin de tenir compte de ses spécificités. C'est ainsi, par exemple, que les prérogatives des inspecteurs sont plus importantes en matière nucléaire s'agissant de l'accès aux installations.
De la même façon, le régime des installations nucléaires de base est adapté à l'intervention possible de deux autorités de l'État, à savoir les services des ministères, d'une part, et la Haute autorité de sûreté, d'autre part.
Les décisions les plus importantes, telles que la création d'une installation ou sa mise à l'arrêt définitif, continuent de relever de la seule compétence gouvernementale.
J'ajoute que le travail de mise en cohérence avec la création de la Haute autorité ne se limite d'ailleurs pas au nouveau régime des installations nucléaires de base.
Quant au titre V, il tend à rendre cohérentes les innovations du présent projet de loi avec le droit existant, qu'il s'agisse du code de la santé publique, du code du travail ou des règles applicable en matière de police des transports.
Sur ces titres IV et V, la commission des affaires économiques présentera plusieurs amendements, dont je vous livre ici l'essentiel, mes chers collègues.
Je commence par le titre IV.
À l'article 13, la commission propose de mieux préciser les compétences du Gouvernement et de la Haute autorité, en donnant à cette dernière le pouvoir d'autoriser la mise en service des installations nucléaires de base, les INB, en prévoyant que celles qui présentent des risques graves peuvent voir leur fonctionnement suspendu par arrêté du ministre, en rétablissant le parallélisme des formes pour les décisions relatives aux INB qui n'auront pas été mises en service dans le délai fixé par le décret d'autorisation.
À l'article 14, votre commission souhaite aligner les dispositions relatives aux permis de construire des INB sur celles qui régissent les installations classées pour la protection de l'environnement.
À l'article 17, elle vous soumettra des amendements qui visent à rendre plus efficaces les consignations financières imposées aux exploitants, à clarifier la portée des mesures transitoires décidées par la Haute autorité de sûreté nucléaire et à encadrer très strictement le droit laissé au ministre de s'opposer à une décision individuelle prise par cette instance.
À l'article 20, nous proposons de préciser les pouvoirs du juge en matière de consignations financières.
À l'article 23, un amendement vous sera soumis afin que soient mieux définies les conditions dans lesquelles les prélèvements d'échantillons seront réalisés.
Nous souhaitons aussi modifier l'article 24 du projet de loi, afin de mieux proportionner les sanctions pénales à la gravité des infractions, et encadrer, à l'article 30, les obligations de déclaration des incidents ou accidents.
S'agissant du titre V, les amendements de votre commission des affaires économiques visent à rétablir, à l'article 31, le parallélisme des procédures en matière de retrait d'autorisation des activités nucléaires de faible importance.
Enfin, par un article additionnel après l'article 33, nous prévoyons de mettre le code de la défense en cohérence avec les dispositions du projet de loi.
À tous ces amendements s'ajouteront, bien sûr, ceux qui seront présentés par mon collègue Bruno Sido.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'appellerai une fois de plus votre attention sur l'importance de ce texte pour notre démocratie. Il ne faudra pas attendre longtemps pour en apprécier tout le bénéfice.
En effet, lorsque nous reviendrons dans cet hémicycle, dans quelques mois, pour traiter de la question des déchets nucléaires, le cadre légal que nous créons aujourd'hui nous procurera, me semble-t-il, la sérénité et les garanties de transparence indispensables pour faire les choix que nos concitoyens attendent.
Le débat qui s'ouvre aujourd'hui au Sénat marque le début d'une nouvelle ère dans la manière dont la Nation et ses représentants abordent les questions nucléaires. Votre commission des affaires économiques s'en félicite.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vient de le rappeler notre collègue Henri Revol, le projet de loi qui nous est soumis vise à combler de réelles lacunes.
Lacunes du cadre juridique des installations nucléaires de base, c'est-à-dire des installations les plus importantes. Le projet de loi institue - enfin ! - un régime légal pour ces installations, régime que les amendements présentés par Henri Revol au nom de la commission améliorent substantiellement.
Lacunes encore dans la chaîne de confiance qui doit relier nos concitoyens à des activités si essentielles pour notre pays.
Vingt ans après l'accident de Tchernobyl, les interrogations qui portent sur les activités nucléaires ont changé. L'intérêt du nucléaire est largement reconnu, dans un contexte de crise énergétique et, surtout, pour faire face aux enjeux du réchauffement climatique.
Néanmoins, des questions subsistent, fondées ou non, sur la transparence des activités nucléaires, sur ce qui se passe réellement dans les centrales et sur la gestion des déchets.
C'est d'ailleurs sur le problème de la transparence, au sens large, que j'ai été mandaté par la commission des affaires économiques, puisque, comme vous l'a indiqué Henri Revol, j'ai eu pour mission d'être le rapporteur des titres Ier, II et III du projet de loi.
Le titre Ier regroupe les articles 1 et 2, qui soumettent toutes les activités nucléaires - y compris celles relatives à la défense, ce qui constitue une garantie démocratique importante - à plusieurs principes fondamentaux, telles que les principes de précaution ou d'information.
Le titre II comprend les articles 2 bis à 2 duodecies, qui ont été introduits par lettre rectificative. Ils instituent la Haute autorité de sûreté nucléaire, une autorité administrative indépendante compétente pour le contrôle de la sûreté et de la radioprotection. La création de cette instance procède du souhait formulé par le Président de la République et permet de répondre à une double attente.
D'une part, en effet, en matière d'énergie nucléaire, le Gouvernement, à la fois initiateur, promoteur, financeur, exploitant, actionnaire et contrôleur, a longtemps été juge et partie. Les standards internationaux, issus de l'expérience d'autres grands pays nucléaires, amènent aujourd'hui à chercher une répartition des rôles plus claire, sans mélange des genres entre les acteurs de la filière nucléaire.
D'autre part, une plus grande transparence dans les fonctions des différents intervenants, constitutive d'un pacte de confiance avec les Français, permettra d'accompagner, dans un climat serein et apaisé, les grands projets du nucléaire français, qu'il s'agisse du lancement effectif de l'EPR, de la préparation des réacteurs de quatrième génération ou de la recherche sur la fusion nucléaire, à travers le projet ITER.
S'il est un domaine où une autorité administrative indépendante pouvait se justifier, c'est bien celui du contrôle de la sûreté nucléaire ! Toutefois, mes chers collègues, compte tenu des enjeux qui s'attachent à ce secteur, cette instance ne peut bien évidemment pas être une autorité administrative indépendante comme les autres.
Vous ne serez donc pas surpris de voir à quel point la répartition des compétences entre les ministres et la Haute autorité a été précisée, ciselée, à la fois par le projet de loi et par les amendements que vous proposera votre commission. Le but recherché a toujours été le même : être « gagnant-gagnant ».
Il s'agit pour nous, en effet, d'être gagnants à la fois en accroissant l'indépendance et la transparence, afin d'augmenter la confiance dans la sûreté nucléaire, et en préservant l'essentiel des attributions du pouvoir politique dans ce domaine stratégique. Je crois sincèrement que nous y sommes parvenus, puisque la répartition des rôles est claire.
Le Gouvernement est seul compétent pour définir les règles du jeu, c'est-à-dire la réglementation de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ; quant à la Haute autorité, elle a pour mission de contrôler le respect de ces règles, c'est-à-dire de réaliser les inspections sur le terrain et de prendre les sanctions qui s'imposent en cas de manquement.
La politique nucléaire, c'est-à-dire la décision de créer ou de fermer définitivement une installation nucléaire, demeure bien évidemment une compétence exclusive du pouvoir politique, c'est-à-dire du Premier ministre, et non de la Haute autorité. Celle-ci, je le rappelle, est chargée seulement de veiller au respect de la réglementation gouvernementale. Nous reviendrons plus précisément sur ce partage des rôles lors de la discussion du texte.
J'en viens à l'organisation de la Haute autorité. Cette instance sera dirigée par un collège de cinq membres nommés par le Président de la République, pour trois d'entre eux, et par les présidents des assemblées, pour les deux autres.
Le titre II du projet de loi entoure la nomination, l'entrée en fonction et les obligations des membres de la Haute autorité de nombreuses garanties d'indépendance, que je vous proposerai de renforcer encore.
Les contrôles sur le terrain seront réalisés par les services de la Haute autorité. Ceux-ci seront constitués essentiellement grâce au transfert des services de l'autorité de sûreté nucléaire actuelle, qui se trouve placée sous la tutelle conjointe des ministres de l'environnement et de l'industrie.
Pour les fonctionnaires et les agents contractuels concernés, ce transfert sera bien sûr entouré de toutes les garanties de continuité de carrière. Il n'y a, de toute façon, aucune difficulté de principe puisque, nous ne le répéterons jamais assez, la Haute autorité de sûreté nucléaire, c'est l'État !
Comme la quasi-totalité des trente-deux autorités administratives indépendantes françaises, cette structure ne disposera pas de la personnalité morale ; elle ne sera qu'un service de l'État. C'est donc toujours ce dernier, grâce à ses fonctionnaires, qui contrôlera le respect des règles de sûreté nucléaire en France ; la Haute autorité remplira seulement ses missions indépendamment des services qui définissent ces règles. C'est cela l'indépendance, ni plus ni moins !
J'achèverai mon propos relatif aux services de la Haute autorité en faisant part de la préoccupation de la commission, qui s'inquiète de voir les services ministériels conserver auprès d'eux les experts dont le Gouvernement a besoin pour exercer les attributions très importantes qui demeureront les siennes. Madame la ministre, nous vous demanderons des assurances sur ce point.
J'en viens au titre III, qui comprend les articles 3 à 11. Ceux-ci traitent de la transparence et de l'information, et constituent donc l'un des acquis fondamentaux de ce projet de loi qui nous a été légué par la majorité politique précédente.
Ce titre renforce le droit à l'information, en étendant à l'ensemble des exploitants d'installations nucléaires l'obligation de communiquer les informations relatives à la sûreté et à la radioprotection. Il procure aussi un véritable cadre légal aux commissions locales d'information, les CLI, mises en place avec succès depuis vingt-cinq ans, sur la base d'une simple circulaire signée en 1981 par M. Pierre Mauroy, alors Premier ministre.
Enfin, il institue un Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, qui doit permettre de faire vivre le débat au niveau national, comme il existe au niveau local autour d'une installation, grâce aux CLI.
Les dispositifs existants se trouvent donc fortement renforcés, d'autant qu'ils s'ajoutent à d'autres, qui ne sont pas repris ici, tels que les débats publics menés avec les citoyens. De tels débats ont été particulièrement réussis ces derniers mois, qu'il s'agisse du projet de centrale EPR à Flamanville ou de la gestion des déchets nucléaires.
Sur ce titre également, votre commission vous proposera de nombreux amendements, car la transparence constitue bien l'élément central du pacte de confiance que j'évoquais voilà quelques instants.
J'aborde maintenant les principaux amendements que votre commission vous proposera sur les titres Ier, II et III.
S'agissant du titre Ier, votre commission vous propose essentiellement de soumettre les activités nucléaires aux principes d'action préventive et de responsabilité des exploitants.
En ce qui concerne le titre II, relatif à la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire, votre commission souhaite sécuriser encore davantage le fonctionnement de cette structure, en dissipant les zones d'ombres qui subsisteraient dans la définition des compétences respectives du Gouvernement et de la Haute autorité, mais aussi en renforçant les garanties d'indépendance et les obligations des cinq membres du collège de la Haute autorité.
Enfin, au titre III, votre commission souhaite renforcer et mieux définir les obligations d'information qui sont imposées aux exploitants et à l'État.
S'agissant des commissions locales d'information, votre commission vous proposera une nouvelle rédaction globale de l'article 6 du projet de loi, qui vise essentiellement à permettre la création de CLI chaque fois que cela est nécessaire, et à mieux garantir leur efficacité, leur indépendance et leur représentativité.
Quant au « Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire », il est prévu d'en réformer l'intitulé et la composition et d'en préciser substantiellement les missions.
Enfin, nous proposerons un amendement qui améliorerait très sensiblement les garanties en cas d'accident nucléaire.
Telle est donc l'économie générale des amendements qui, associés à ceux que vous a présentés Henri Revol, constituent la contribution de votre commission des affaires économiques à ce texte majeur et innovant.
Nous pouvons être réellement fiers des performances de notre pays en matière nucléaire. Espérons que, demain, les Français seront fiers également des garanties juridiques exemplaires que le législateur aura su donner à ce secteur essentiel pour le présent comme pour l'avenir.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
M. le président du Sénat a reçu de M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement, la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« En application de l'article 48 de la Constitution et de l'article 29 du règlement du Sénat, le Gouvernement modifie comme suit l'ordre du jour prioritaire du Sénat :
« Jeudi 9 mars, le matin :
« - lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour l'égalité des chances ;
« - suite du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
« Jeudi 9 mars, l'après-midi après les questions d'actualité au Gouvernement et, éventuellement, le soir :
« - lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi tendant à lutter contre les violences à l'égard des femmes et notamment au sein des couples ;
« - suite du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments fidèles et dévoués.
« Signé : HENRI CUQ »
Acte est donné de cette communication.
Nous reprenons la discussion du projet de loi pour la transparence et la sécurité en matière nucléaire.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 75 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Piras.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n'étant pas coutume, je ne vous cacherai pas ma satisfaction ni celle des collègues de mon groupe de voir le projet de loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire venir en débat au Sénat.
Cette satisfaction est d'autant plus compréhensible si l'on tient compte de l'historique de ce texte, qu'il me semble important de rappeler brièvement.
En 1998, Lionel Jospin, alors Premier ministre, rappelait « l'importance qu'il - le gouvernement de l'époque - attachait au respect des règles démocratiques et de transparence, ainsi que la nécessité de séparer clairement les fonctions de contrôleur et d'exploitant ». À cette fin, il annonçait qu'il présenterait des dispositions législatives sur ce sujet, reposant notamment sur la création d'une autorité indépendante.
Le 6 mars 1998, il confiait à Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, une mission ayant pour objet « d'évaluer le système actuel de contrôle et d'expertise, pour les deux grandes fonctions qui le composent : sûreté et protection de l'environnement, radioprotection pour les travailleurs de l'industrie nucléaire et pour la population ».
Il en ressortit un projet de loi sur la transparence, le contrôle et la sécurité en matière nucléaire. Le rapporteur faisait observer : « Le nucléaire brille par son absence du domaine de la loi et du contrôle parlementaire. Je me suis donc également efforcé de dessiner le contour d'une loi sur la transparence, le contrôle et la sécurité nucléaire ».
L'absence effarante de base législative relative au contrôle de la sûreté nucléaire des grandes installations nucléaires signifie que le Parlement n'a jamais eu à intervenir directement sur cette question, ô combien cruciale, pour la santé des citoyens qu'il représente. Cela explique en grande partie la suspicion actuelle de l'opinion publique à l'égard du nucléaire.
Ce projet de loi a été déposé pour la première fois sur le bureau de l'Assemblée nationale le 4 juillet 2001 par Mme Dominique Voynet, désormais sénatrice, qui était à l'époque ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Il a été intégralement repris, sous le gouvernement Raffarin, par Mme Roselyne Bachelot, alors ministre de l'écologie et du développement durable, et il a été enregistré au Sénat le 18 juin 2002.
À plusieurs reprises - notamment lors des débats sur les questions énergétiques, sur le projet de loi portant modification du statut EDF et GDF, et sur la loi d'orientation sur l'énergie -, le groupe socialiste du Sénat a déposé des amendements reprenant des articles de ce projet de loi originel. À plusieurs occasions, il a réclamé son inscription à l'ordre du jour. Il aura donc fallu attendre près de cinq ans pour que le projet de loi soit finalement examiné.
Vous comprendrez notre joie de constater que le Gouvernement a enfin entendu raison. Il devenait en effet urgent que le Parlement examine ce projet de loi visant à accroître la transparence en matière nucléaire, dans le contexte actuel de restructuration du secteur énergétique et de transformation de l'un des principaux exploitants de la filière électronucléaire en société anonyme.
Malheureusement, cette satisfaction a été de courte durée eu égard à la procédure suivie pour l'examen de ce texte, le postulat étant de clarifier le débat sur le nucléaire, préalable indispensable à un changement radical de l'approche du nucléaire visant à rassurer la population.
Je ne souhaite pas m'attarder sur les atermoiements successifs, avec une inscription à l'ordre du jour du projet de loi, puis son ajournement à la suite de l'annonce du Président de la République de la création d'une autorité indépendante chargée du contrôle de la sécurité nucléaire, de la radioprotection et de l'information, enfin, l'adoption d'une lettre rectificative venant notablement modifier le texte originel.
Avouez, madame la ministre, que, sur la forme, ces décisions contradictoires sont symptomatiques d'un dysfonctionnement majeur au sein de l'exécutif ! De surcroît, ce cheminement chaotique a fortement perturbé le travail préparatoire des sénateurs.
Pour achever ce parcours allant à l'encontre de l'objectif fixé, la déclaration d'urgence pour ce projet de loi constitue une faute politique grave. Pourquoi abréger ce débat tant attendu et si nécessaire ? Vous ne pouvez pas justifier cette décision par une volonté présupposée de l'opposition de vouloir tronquer ou retarder le débat.
Comme le démontre l'historique du projet de loi, notre volonté de participer à l'élaboration d'un texte de qualité ne peut être mise en doute. Cette décision d'abréger est source de suspicion, alors que notre objectif - commun je l'espère - est de bannir ce sentiment du débat sur le nucléaire.
Cette transparence, dont nous débattons, est cruellement absente de la procédure suivie.
Si au moins le temps passé à attendre que le Parlement se prononce avait permis l'élaboration d'un texte mûri... En fait, l'improvisation est manifeste et risque de se révéler préjudiciable. Comme cela est rappelé à juste titre dans l'exposé des motifs, « l'acceptation des activités nucléaires par le public repose notamment sur la confiance ». Ce cafouillage malvenu risque d'avoir une nouvelle fois entamé cette confiance qu'il nous revient pourtant de favoriser.
Les quatorze nouveaux articles composant le titre II et créant la nouvelle Haute autorité de sûreté nucléaire sont particulièrement indigestes. Compte tenu des nombreux amendements que les rapporteurs ont préparés sur ce titre, ceux-ci seront sans doute d'accord avec moi pour reconnaître que le texte proposé devait être amélioré. Sur le fond, il pose un certain nombre de problèmes sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir lors de la discussion des articles. Quoi qu'il en soit, toutes ces démarches s'accommodent difficilement avec la volonté affichée d'améliorer la confiance des Français dans le nucléaire.
Les raisons qui ont soudainement poussé la majorité à l'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Parlement sont sans doute multiples. L'approche du vingtième anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, à savoir le 26 avril 2006, n'est sans doute pas anodine, d'où l'importance, à titre liminaire, de rappeler l'historique de ce texte et de rétablir sa paternité.
Dans la conscience et la mémoire collectives, ce dramatique évènement est présent et influe fortement sur la position suspicieuse et craintive de nombreux citoyens face au nucléaire. Je ne m'attarderai pas sur la gestion par les autorités françaises de cet évènement, mais le flou et l'incertitude persistants, notamment quant aux répercussions sur la santé publique, n'ont fait et ne font qu'entretenir le sentiment de méfiance.
Sans doute, la situation actuelle et future du marché de l'énergie légitime de manière plus objective, s'il en était encore besoin, le débat que nous avons aujourd'hui. Ce marché est soumis à de nombreuses contraintes : une contrainte démographique, l'accroissement de la population engendrant un besoin énergétique accru ; une contrainte environnementale, liée au réchauffement climatique et l'épuisement progressif des énergies fossiles ; une contrainte géopolitique, compte tenu de la localisation des ressources dans des zones politiquement peu stables ; enfin, une contrainte politique, l'indépendance énergétique étant une préoccupation majeure.
L'énergie nucléaire répond à ces contraintes. Cependant, cela ne doit pas conduire au « tout nucléaire » et il faut absolument tout mettre en oeuvre pour favoriser le développement des énergies renouvelables, qui présentent également de réels et indiscutables avantages.
Le rôle important que le nucléaire sera donc amené à jouer dans les décennies futures justifie pleinement un texte visant à en garantir la transparence et la sécurité. Au regard de l'avenir qui se dessine, ce texte fondateur s'avère même un préalable indispensable.
Il est d'autant plus indispensable qu'il s'inscrit dans un contexte nouveau, sur fond de dérégulation et de privatisation de la filière électronucléaire avec l'ouverture du capital d'EDF, ou de celle, éventuelle, du capital d'AREVA. Mes collègues de l'Assemblée nationale ont, à juste titre, demandé la création d'une commission d'enquête sur les risques engendrés par l'évolution du statut de la filière nucléaire. Je partage pleinement l'idée que « la privatisation de la filière nucléaire est source d'un foisonnement de risques et que des efforts de transparence et d'information sur ce sujet hautement sensible pour nos concitoyens doivent être faits ».
Un tel contexte exige que soient formalisées dans une loi les contraintes et obligations auxquelles seront soumis les exploitants en matière de transparence et de contrôles.
La répétition étant pédagogique, rappelons encore une fois que, au-delà des mesures techniques qui découleront de ce texte, il s'agit avant tout d'adresser aux Français un signal de confiance.
Or le mariage surprise de Gaz de France et de Suez a brouillé le message. Nul besoin de s'attarder sur l'improvisation et la précipitation avec lesquelles cette opération a été conduite. En revanche, je tiens à rappeler que j'étais présent lorsque le Gouvernement avait donné sa parole que la limite des 70 % de capital détenu par l'Etat ne serait pas remise en cause. La valeur de vos engagements est ainsi bien relative, alors que, selon les propos tenus par le Président de la République lors de son allocution du 5 janvier 2006, l'action du Gouvernement doit « faire progresser encore la confiance ».
Avec le nucléaire, le danger encouru est d'une autre ampleur et l'instauration de garde-fous est primordiale. Comme le titrait récemment un quotidien, le secteur énergétique est en ébullition, et ce qui se passe actuellement entre le groupe allemand EON et l'espagnol ENDESA ne peut que nous inquiéter.
Qui peut garantir que nos centrales nucléaires ne seront pas un jour entre les mains de personnes dont la sécurité sera loin d'être la priorité, s'il s'agit d'abord de servir des dividendes élevés aux actionnaires comme c'est la règle aujourd'hui ? Vous, madame la ministre ?...
La filière électronucléaire pourrait-elle échapper à cette logique alors que l'un de ses exploitants principaux vient d'ouvrir son capital ? Une dilution de son capital public sera si vite arrivée dans le cadre d'une OPA ou tout simplement d'une fusion-acquisition avec un autre opérateur européen ou non !
Un regroupement d'EDF et de GDF, comme nous l'avions réclamé lors de l'examen du projet de loi sur le statut d'EDF et de GDF, aurait seul permis d'éviter que nous prenions le risque de verser dans de telles logiques en plaçant ces entreprises sous la coupe des marchés financiers.
Les exemples d'ENRON et de Parmalat n'auront donc pas suffi à nous rendre plus sages...
Je me souviens encore des propos tenus par Patrick Devedjian en juin 2004 : « Il n'y aura pas de privatisation parce qu'EDF c'est le nucléaire, et qu'une centrale nucléaire, ce n'est pas une centrale téléphonique ! Un gouvernement ne prendra jamais le risque de privatiser l'opérateur des centrales nucléaires. »
Nous y arrivons pourtant, à petits pas, mais sûrement... d'abord en cassant les synergies qui existaient entre EDF et GDF et en empêchant d'en faire un grand groupe énergétique de service public ; ensuite, en mettant en concurrence ces deux grandes entreprises.
Le rapprochement d'EDF et de GDF pouvait aussi s'analyser en termes de projet industriel et de culture de service public à préserver à l'heure où l'on se soumet désormais plus volontiers aux ordres des marchés financiers ou à la satisfaction des actionnaires.
Sous l'angle de l'accès à l'information et du contrôle des installations nucléaires de base, c'est la question de la régulation et de la place du politique dans le domaine nucléaire qui est ici posée face à l'emprise de plus en plus importante d'une régulation marchande et actionnariale. Une telle régulation fait peser de fortes contraintes en termes d'exigence de rentabilité sur le court terme.
Est-ce compatible avec les exigences de sûreté, dans un secteur comme le nucléaire, où les risques sont plus importants qu'ailleurs ?
Vous comprendrez aussi, madame la ministre, l'importance que revêt, dans ce contexte, le partage des rôles entre la Haute autorité de sûreté nucléaire, le politique - et le pouvoir réglementaire dont il dispose - et enfin le Haut comité à la transparence créé par l'article 7 du projet de loi.
Enfin, toujours sur cette question de la régulation, on remarquera par exemple que le faible coût de notre énergie nucléaire n'aura pas permis d'éviter que nos tarifs soient alignés sur les prix mondiaux, contribuant à la hausse du prix de l'électricité. Cette hausse des tarifs est préjudiciable à tous les usagers ; elle remet en cause in fine le service public de l'électricité.
Cette hausse des prix est également préjudiciable aux gros consommateurs d'électricité, pour lesquels la facture énergétique constitue un élément de compétitivité, sans compter le risque de délocalisation que cela crée.
Ce qui légitime l'action législative, c'est la recherche du progrès et, en la circonstance, l'amélioration des conditions de vie de la population. Ce n'est pas l'augmentation des dividendes versés aux actionnaires.
Ainsi, il faut absolument prendre conscience qu'une loi sur la transparence et la sécurité est non seulement justifiée, mais aussi rendue vitale et urgente par le contexte actuel.
Avant d'aborder directement le contenu du texte qui nous est proposé, il fallait donc bien rappeler l'historique et le contexte dans lequel il est présenté, ainsi que les raisons pour lesquelles nous sommes finalement satisfaits de le voir inscrit à l'ordre du jour. Il n'en demeure pas moins que certaines des nouvelles dispositions du projet de loi rectifié ne nous conviennent guère et nous aurons l'occasion d'y revenir. Ainsi, je tiens à le souligner, sur de nombreux aspects, la nouvelle Haute autorité est loin d'être satisfaisante ; mon collègue et ami Daniel Raoul ne manquera pas d'y revenir.
Indépendamment des aspects parfois techniques de ce projet de loi, quelle est sa véritable ambition, puisque les mesures techniques sont là pour la mettre en oeuvre et non pour la masquer ? C'est de donner, ou plutôt redonner confiance au public dans le nucléaire. Une telle transparence passe forcément par une clarification, une dissociation et une identification des compétences.
La transparence et la sécurité doivent être garanties pour l'ensemble du processus nucléaire : extraction, production, utilisation, recyclage et stockage. De même, si les grandes options nucléaires doivent rester de la compétence du pouvoir politique en tant que représentant du peuple souverain, les décisions visant à la sûreté et à la transparence des installations nucléaires peuvent ainsi relever d'une autorité indépendante des exploitants et du Gouvernement. Or une Haute autorité ne peut pas bénéficier de pouvoirs exorbitants en lieu et place du politique, et son activité doit être contrôlée par le Parlement.
La question de la confiance dans le nucléaire va de pair avec celle de la transparence et du droit à l'information du public sur les risques nucléaires. Certes, dans ce domaine, des progrès ont été réalisés : mise en place de la Commission nationale du débat public, organisation de débats publics sur l'EPR ou sur les déchets, rôle des commissions locales d'information, les CLI, et de l'Association nationale des commissions locales d'information, l'ANCLI. Mais beaucoup reste à faire.
À ce titre, ce projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire doit notamment être l'occasion d'affirmer clairement la mission d'information, de suivi et d'expertise des commissions locales, cette reconnaissance devant déboucher sur la mise à disposition de moyens et de compétences pour en assurer la mise en oeuvre effective. Or, les mesures proposées étant notoirement insuffisantes, voire dangereuses, nous proposerons plusieurs amendements en ce sens, et ceux-ci sont aussi pertinents que ceux de la commission, madame la ministre !
Mme Nelly Olin, ministre, et M. Bruno Sido, rapporteur. Nous n'en doutons pas !
Sourires
Les débats publics actuels autour de l'EPR ou des déchets se sont parfois déroulés dans un contexte très houleux. À ce titre, l'annonce, le 5 janvier dernier, par le Président de la République du lancement de l'EPR à Flamanville, alors que le débat public n'était pas encore terminé, a constitué un mauvais signal donné à tous.
En effet, comment, d'un côté, vouloir restaurer la confiance autour du nucléaire, notamment à travers ce projet de loi, et, de l'autre, court-circuiter le débat public et les tentatives de démocratie de proximité ?
D'ailleurs, dans une lettre adressée au Président de la République, le président de l'ANCLI a lui-même soulevé ce problème : « Votre intention politique ne peut, en l'espèce, se substituer à la décision juridique et à l'autorisation administrative. Celles-ci ne peuvent être prises avant la publication du bilan du débat public. Dès lors, où est le respect de la participation des citoyens au débat public ? »
Ce faisant, vous aurez du mal à redonner la confiance aux Français, madame la ministre !
Disons-le autrement, pourquoi mettre la charrue avant les boeufs et court-circuiter le bon déroulement et la transparence du débat ? Tout cela n'est pas crédible et dessert l'objectif visé par ce projet de loi tel qu'il a été envisagé.
Faut-il encore souligner que la question de la transparence renvoie avant tout à celle de l'accessibilité à l'information, y compris à certaines données techniques ? Or c'est aussi là que le bât blesse, puisqu'il s'agit de délimiter des frontières afin que la protection des données industrielles puisse être aussi assurée. C'est ce que souligne Jean-Yves Le Déaut dans son rapport : « Il y a un délicat compromis à trouver entre devoir d'information du public et devoir de protection des industriels ». Comme nous le verrons, c'est aussi l'un des enjeux de ce projet de loi.
En ce qui concerne l'expert public, à savoir l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, son indépendance doit être mieux garantie.
Monsieur le président, l'intérêt du Sénat est d'écouter M. Piras, car ce qu'il dit est très intéressant !
L'IRSN ne doit pas tomber sous la coupe de la Haute autorité, au risque de mélanger les rôles de prescripteur et de contrôleur, qui doivent être bien séparés. En outre, les CLI doivent voir leur mission d'information renforcée et leur composition élargie. Quant à l'ANCLI, elle doit être reconnue par ce projet de loi. Tels sont quelques exemples de nos propositions d'amendements.
J'en reviens maintenant au dispositif consacré à la Haute autorité indépendante. Au regard de son importance, nous regrettons vivement d'avoir eu si peu de temps pour l'analyser. Malgré tout, il nous a paru comporter de réels et graves défauts, pour ne pas dire anomalies.
En effet, être indépendant ne veut pas dire ne pas rendre des comptes. Or cette autorité apparaît comme un démembrement de l'administration donnant tous les moyens humains, financiers et techniques à un collège de cinq personnes. Elle dispose de pouvoirs juridiques très importants pour édicter des règlements et effectuer des contrôles. Elle échappe donc à tout contrôle hiérarchique et politique, que ce soit du Parlement ou du Gouvernement. Sur ce point, il est très regrettable que vous n'ayez pas retenu la proposition de Jean-Yves Le Déaut de créer une « commission parlementaire spécifique chargée du contrôle de l'autorité administrative indépendante ». Cet aspect est primordial : la représentation nationale ne peut, une nouvelle fois, être écartée, cette mission de surveillance relevant clairement de sa compétence.
Ainsi, l'autorité indépendante posséderait, selon le texte, un pouvoir de règlement, de contrôle et d'information. La concentration de ces trois pouvoirs dans les mains d'une autorité indépendante est dangereuse et ne peut, en aucune manière, garantir la transparence en faveur de laquelle nous débattons ici. L'idée, comme certains l'ont souligné, n'est pas de créer « une dictature technocratique indépendante de l'État, mais dépendante du pouvoir nucléaire ».
Le champ de compétence de cette Haute autorité doit donc être repensé. Il semble d'ailleurs, madame la ministre, que cet avis soit partagé par les rapporteurs de la commission des affaires économiques.
La Haute autorité étant pourvue de tels pouvoirs, sa composition devient cruciale. Or, sur ce point également, ce que vous proposez est loin d'être satisfaisant. Tout est réuni pour que les personnes désignées soient issues du pouvoir nucléaire. À la lumière de ces critiques, vous comprendrez, mes chers collègues, que le dispositif consacré à cette Haute autorité, tel qu'il est proposé, est fort éloigné du projet originel.
Dans le cadre de cette discussion générale, je n'entrerai pas plus dans le détail de nos propositions, car nous le ferons lors de l'examen des articles. Globalement, il doit ressortir de ce texte de loi une clarification des rôles et des compétences de chacun des acteurs du nucléaire : à la Haute autorité indépendante, la mission de contrôle et de gendarme ; au Haut comité de transparence, la mission de l'accès à l'information ; à l'IRSN, la mission d'expertise ; enfin, à l'État, la mission d'assumer la responsabilité en dernier ressort.
Or, c'est à un accroissement de la confusion que nous assistons dans la distribution des rôles de ces trois principaux acteurs de notre système de sûreté et de sécurité en matière nucléaire. Tous les acteurs de la filière nucléaire risquent de pâtir de ce manque de clarté, alors qu'ils ont besoin de pouvoir identifier clairement leurs interlocuteurs en fonction des compétences précises qui leur sont attribuées.
Comme vous l'aurez sans doute compris, madame la ministre, l'intervention de notre groupe se veut constructive, avec comme objectif affirmé le renforcement de la transparence et de la sécurité dans le domaine nucléaire. Les amendements que nous présenterons seront logiquement guidés par cette ambition, qui est, en la matière, l'aspiration légitime de nos concitoyens.
Dans son rapport, Jean-Yves Le Déaut le rappelle : « Il n'empêche que les Français n'auront confiance dans le nucléaire que s'ils acquièrent l'intime conviction qu'on leur dit la vérité ». Lors des débats, ne perdons jamais de vue cet aspect psychologique du sujet. Malheureusement, jusqu'à présent, le parcours et le contenu de ce projet de loi sont loin de nous avoir rassurés sur ce point. J'espère vivement que, de nos débats, émergera la clarté.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur Piras, vous avez parlé pendant vingt et une minutes et demie !
Le groupe socialiste a droit à quarante-neuf minutes, monsieur le président !
Certes, mais cela signifie que le temps de parole disponible pour vos collègues, M. Daniel Raoul et Mme Dominique Voynet, sera éventuellement réduit, puisqu'ils ne disposeront plus que de vingt-sept minutes et demie.
M. Guy Fischer remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, le nucléaire est entré dans l'histoire des hommes par la mauvaise porte, depuis la tragédie d'Hiroshima jusqu'aux accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl, et nos concitoyens ont évidemment à l'égard de cette énergie une attitude empreinte à la fois de prudence, d'interrogations et de craintes. Il est donc tout à fait normal que le législateur puisse, à un moment ou à un autre, faire en sorte que ces méfiances, ces craintes, ces peurs puissent être, sinon supprimées, du moins apaisées et rationalisées.
Pour autant, même si le nucléaire est entré dans l'histoire des hommes par la mauvaise porte, d'une façon dramatique, il représente en même temps l'une des rares chances qui s'offrent à nous pour les siècles à venir.
Malgré tous les discours tenus actuellement sur la multiplicité des énergies alternatives et renouvelables, chacun d'entre nous doit bien avoir conscience que notre civilisation repose, telle une pyramide sur la pointe, sur la simple caractéristique d'une énergie abondante et bon marché, sans laquelle rien de ce que nous avons construit depuis deux siècles n'aurait été possible. Or, pour les prochains siècles, rien ne saurait être préservé sans un large recours à l'exploitation raisonnée, raisonnable et encadrée de l'énergie nucléaire. Cela permettra aux pays développés de maintenir leurs avances technologiques et aux pays du tiers-monde de sortir des situations effroyables dans lesquelles ils se trouvent.
En la matière, il faut saluer tous ceux qui, à la suite du président Giscard d'Estaing, se sont succédé pour faire en sorte que la France acquière et conserve l'avance technologique et l'expérience dont nous bénéficions actuellement par rapport aux autres pays. Moi qui ai eu l'occasion de discuter souvent avec des hommes politiques américains, je ne peux pas ne pas me rappeler que, depuis deux ou trois ans, ceux-ci expriment tous, les uns après les autres, sur des modes différents, leurs regrets de voir que leur grand pays n'ait pas suivi les pistes ouvertes par la France en matière d'exploitation de l'énergie nucléaire civile.
À l'évidence, compte tenu des deux aspects du sujet que je viens d'évoquer, nos concitoyens sont tout à fait en droit d'être particulièrement exigeants sur l'encadrement de cette activité et la manière dont elle est contrôlée, comme sur les modalités prévues pour sanctionner éventuellement les dérapages de tel ou tel exploitant ou utilisateur. À cet égard, il est heureux que nous puissions, enfin, légiférer.
Madame la ministre, voilà plus de vingt ans que je siège dans cette assemblée et que je peux apprécier l'excellence des rapports qu'elle publie, même si j'accorderai une mention toute particulière à celui de nos collègues Henri Revol et Bruno Sido, compte tenu de leurs grandes compétences en la matière. Cela étant, c'est la première fois, me semble-t-il, que la colonne « textes en vigueur » du tableau comparatif figurant dans le rapport de la commission est totalement vide et que, s'agissant d'un sujet aussi grave, il nous appartient de légiférer à partir de rien.
Ce point est d'autant plus important à souligner que, je le répète, nous avons énormément avancé en matière de nucléaire dans les réalisations, les investissements et les utilisations. Par conséquent, peut-être plus encore que d'autres pays, nous sommes très exposés aux réactions de notre population et nous avons un devoir de clarté à son égard.
Madame la ministre, nous avons également un devoir de clarté par rapport à la tutelle ministérielle. Dans un tel domaine, tous ceux qui, de près ou de loin, sont concernés par l'activité nucléaire, qu'ils soient exploitants, transporteurs ou « retraiteurs », ont besoin de savoir exactement à qui ils doivent rendre compte et quel est celui qui a l'autorité pour, éventuellement, entrer chez eux et les protéger contre leur gré. Ainsi, tout cela se rapporte à des problèmes de sécurité et, notamment, de terrorisme, ce qui rend la clarification sur la tutelle d'autant plus nécessaire. Dans ce projet de loi, mais aussi dans les prochains textes, nous devrons nous en souvenir et avoir présent à l'esprit cet aspect particulier.
L'ensemble de ceux - dont je fais partie - qui s'intéressent aux questions de protection et de défense civiles de notre population ressentent la nécessité d'une législation sur le sujet. Même si je ne suis pas, loin s'en faut, le plus grand spécialiste en la matière, j'assiste à beaucoup de colloques, pour connaître les nouvelles réflexions et les avancées intellectuelles.
Dans ce domaine, comme dans d'autres, la première des actions à mener est d'informer clairement la population des risques encourus, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique, en précisant ce qu'il convient de faire, ponctuellement, au niveau local. Même si cela n'a rien à voir avec la sécurité nucléaire, je suis de ceux qui déplorent que, dans notre pays, par crainte d'affoler la population, aucun exercice public d'évacuation des tours n'ait été organisé. Or, le 11 septembre 2001, les Américains ont pu sauver nombre de leurs concitoyens parce que, justement, ils avaient l'habitude de ces exercices d'évacuation.
Par conséquent, l'information du public doit être la plus claire, la plus large, la plus précise et la plus près du terrain possible.
Madame la ministre, si vous me le permettez, je vais prendre le texte un peu à l'envers. Vous mettez en place un Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire et vous voulez développer le rôle des commissions locales d'information, ce qui me paraît absolument indispensable. Sur ce sujet particulier, les amendements de la commission sont spécialement bienvenus, car il faut effectivement, sur ce point également, que la population et nos médias soient éclairés. En effet, ces derniers, sans le vouloir, divulguent tellement de sottises sur des sujets aussi graves qu'une telle information me semble nécessaire.
Le Gouvernement met aussi en place une Haute autorité de sûreté nucléaire. Voilà quelque temps, lors d'un tout autre débat, nous avons assisté dans cet hémicycle à une diatribe enflammée de l'un de nos collègues au grand talent oratoire, M. Mélenchon, sur la notion des hautes autorités administratives. Il indiquait qu'il était peu favorable à la création de ce genre d'organismes, démembrements de l'État, de l'autorité. Sur nombre de sujets, je partage totalement son analyse. Mais, sur ce point particulier, tel n'est pas le cas. En l'espèce, madame la ministre, vous avez raison de créer une telle instance.
Je regrette quelque peu que la désignation des membres de cet organisme incombe exclusivement à des autorités politiques, non que je me méfie d'elles, mais le fait que lesdits membres soient nommés par le Président de la République et par les présidents des deux assemblées peut rendre cette instance un peu plus « douteuse » vis-à-vis du public. C'est une des raisons pour laquelle j'ai déposé un amendement relatif au secret de ses délibérations, de telle manière qu'elle ne puisse pas être accusée d'agir de façon partisane.
Par ailleurs, son rôle et sa nature exacts doivent être parfaitement définis. Les fonctions de conseil, le pouvoir normatif et les sanctions doivent être davantage clarifiés. La commission des affaires économiques a proposé des avancées, mais il faudra, à l'avenir, poursuivre en ce sens. Il faudra exactement clarifier les domaines d'intervention de la Haute autorité, les domaines dans lesquels elle peut conseiller, réglementer et les sujets sur lesquels elle peut sanctionner. À mon avis, son champ d'intervention ne peut être que très limité, en raison de sa qualité d'autorité politique, le ou les ministres concernés devant garder la totalité de leurs attributions.
Aux termes du projet de loi, la haute autorité doit participer à l'information. Cette prérogative a retenu mon attention. En effet, on ne peut pas avoir simultanément un Haut conseil de l'information et une Haute autorité qui participent à l'information. Sur ce point également, des clarifications doivent être apportées afin de connaître avec exactitude la compétence de chacun.
Madame la ministre, malgré le soutien, qui vous est acquis, des membres du groupe UMP à ce projet de loi, je veux formuler quelques réflexions sur un point particulier.
Faites attention au blocage ! Le mieux est souvent l'ennemi du bien ! Je comprends aisément que les publications relatives à la sûreté doivent être nombreuses. Mais bien souvent, les domaines de la sûreté, de la sécurité, des processus industriels ou des brevets sont ambigus. Pour ma part, je souhaite que, sous prétexte d'agir au mieux, le bien ne soit pas oublié et que soit conservée l'avance, tellement remarquable et tant essentielle, que possède la France sur ce sujet. Les textes d'application devront être certes clairs mais extrêmement prudents quant aux renseignements qui seront mis à la disposition du public et à ceux qui doivent relever du secret industriel, voire du « secret défense », dans un certain nombre de cas.
J'en viens aux voies de recours.
Je comprends bien que le contentieux de pleine juridiction soit envisagé en la matière par rapport à d'autres installations classées. Mais les investissements sont tellement lourds et les difficultés d'application tellement grandes que je ne suis pas certain qu'abandonner la voie de l'abus de pouvoir au bénéfice du plein contentieux - notons les quatre ans de délai avant la saisine - soit la meilleure façon de procéder, eu égard au dynamisme que doit garder la filière nucléaire française. Sur ce point précis, madame le ministre, je me permets de vous faire part à la tribune d'une certaine crainte.
L'IRSN vient d'être évoqué, sujet dont j'ai traité lors de précédents débats dans cet hémicycle. Madame la ministre, je sais que vous avez récemment visité cet institut. Vous avez notamment dit qu'il permettait, entre autres, « d'être immédiatement opérationnel pour conseiller les autorités publiques et si nécessaire intervenir en cas d'accident ». À l'issue de votre visite, vous avez estimé que cette mission était bien remplie.
Mais, dans l'application de la LOLF, j'ai constaté que l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire était rattaché au ministère de l'industrie et à la direction de la recherche, et que l'indice de performance retenu était le nombre de publications annuelles. Je suis navré, mais, sur ce point également, par le biais du projet de loi que nous examinons, s'agissant de la LOLF et des indicateurs de performance, ainsi que de l'organisation générale de la hiérarchisation de l'action de l'IRSN, les choses doivent être rendues un peu plus cohérentes. En effet, juger un organisme d'intervention sur ses publications scientifiques, si essentielles soient-elles, ne peut pas être, me semble-t-il, la meilleure des solutions.
Madame la ministre, vous avez compris que les membres du groupe UMP vous apporteront leur soutien lors de l'examen de ce projet de loi, comme à leur habitude. Nous souhaitons que la clarification de notre législation relative au nucléaire fasse partie de la réhabilitation vis-à-vis de nos concitoyens de l'un des grands atouts que la France possède par rapport au reste du monde, dans le siècle qui s'annonce.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec 80 % de sa production électrique d'origine nucléaire, la France est une exception dans le monde. Nul autre pays n'a privilégié à une telle échelle l'industrie du nucléaire civil. La France s'est ainsi engagée dans un programme industriel de grande ampleur, porté par les pouvoirs publics, politique qui a limité sa dépendance énergétique vis-à-vis du pétrole.
Cette industrie est aujourd'hui l'un des fleurons de notre économie ; elle est reconnue dans le monde comme étant la plus performante et la plus sûre.
Notre pays tient une position technologique dominante dans la filière nucléaire et la première place sur le marché international. De plus, il convient de souligner que près de 40 000 emplois directs dépendent, en France, du nucléaire.
Il faut souligner que la dépendance de la France et de l'Union européenne vis-à-vis des hydrocarbures s'accroît considérablement. Ainsi, à l'horizon 2030, l'Union européenne importera 90 % de son pétrole et 70 % de son gaz. L'énergie nucléaire est donc présentement la seule véritable alternative pour la production d'électricité.
La discussion en première lecture au Sénat du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire vient enfin donner un véritable cadre législatif à cette activité stratégique.
J'évoquerai les principales dispositions de ce texte avant de placer ce débat dans une perspective européenne.
Le cadre juridique actuel de l'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins civiles est bien fragile. Il ne repose que sur le décret du 11 décembre 1963 modifié, pris en application de la loi du 2 août 1961 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs, totalement dépassée et ne répondant plus aux préoccupations actuelles. En d'autres termes, le programme civil reste soumis au régime du contentieux administratif ; il est susceptible de se voir priver de sa base réglementaire par une annulation en excès de pouvoir devant le juge. Des enjeux aussi vitaux ne peuvent dépendre que de la loi.
Le présent projet de loi procède donc enfin à la définition de cette base juridique, tout en spécifiant et en consolidant les grands principes qui président depuis longtemps à cette industrie, à savoir la responsabilité de l'exploitant, la limitation de l'exposition aux radiations, la justification systématique de l'implantation de nouvelles installations et le principe de précaution.
Le coût croissant des énergies fossiles et les insuffisances des énergies alternatives, en l'état actuel de la recherche, contribuent à faire de l'énergie nucléaire une chance majeure pour notre pays.
Pour cela, les normes de sécurité applicables doivent être portées au niveau le plus élevé. Lors de l'incident survenu à la centrale de Three Mile Island en 1979, les autorités américaines ont pu démontrer que des normes de sécurité élevées étaient déterminantes pour confiner toute catastrophe radiologique.
Ce renforcement des normes de sécurité, mis en oeuvre par le projet de loi que nous examinons, ne peut que rassurer nos concitoyens quant à la vigilance extrême indispensable dont font preuve l'État et les exploitants dans une matière aussi sensible, qui ne peut dépendre d'un quelconque aléa. La définition de la sécurité nucléaire, contenue dans l'article 1er, répond à l'exigence de rigueur requise.
Le projet de loi couvre tous les niveaux de l'exploitation, notamment pour les installations nucléaires de base, les IBN, à savoir l'autorisation d'installation et d'exploitation, la surveillance permanente des activités et la gestion du démantèlement d'une installation et du stockage des déchets.
Combinés aux dispositions de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, ces nouveaux principes législatifs garantiront un fonctionnement rigoureux des IBN, en particulier des quatre-vingts réacteurs nucléaires actuellement en activité.
La création de la Haute autorité de sûreté nucléaire est une avancée qu'il faut souligner. Elle contribuera à développer la nécessaire transparence des activités nucléaires. Cette nouvelle autorité administrative indépendante possédera les moyens matériels et juridiques d'assurer un contrôle efficace de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, en coordination avec l'État.
Il n'aurait pas été souhaitable de faire de cette Haute autorité une autorité administrative indépendante de droit commun strictement détachée de l'État. Le nucléaire est une activité spécifique trop sensible dont on ne peut déléguer la responsabilité. Elle doit dépendre uniquement d'une autorité ad hoc. L'État restera donc le seul garant de la sécurité nucléaire et sera seul compétent pour prendre les mesures qui s'imposent en cas de crise grave.
La création de ladite autorité adapte le cadre d'action français suivant les recommandations de l'AIEA en la matière, à l'instar d'autres États comme le Canada ou les États-Unis.
Je soutiendrai les amendements déposés par la commission qui visent à asseoir la constitutionnalité du pouvoir réglementaire de cette instance, tout en précisant que celui-ci n'aura vocation qu'à compléter l'application des arrêtés et décrets pris en matière de sûreté nucléaire.
Le titre III du projet de loi concerne le développement de la transparence et de l'accès aux informations détenues par les exploitants nucléaires. Il illustre au mieux l'objectif des auteurs de ce texte.
La peur liée au risque nucléaire ainsi que la conviction que les décisions ont été prises de façon opaque et unilatérale ont longtemps perduré dans l'opinion publique. Cependant, la prise en considération de ce souci de transparence connaît une amélioration constante depuis vingt-cinq ans. Aujourd'hui, les citoyens exigent d'être pleinement informés et réclament un débat démocratique pour participer pleinement à une prise de décision aussi importante. Cette volonté de responsabilité ne peut qu'être encouragée.
Le présent projet de loi améliore encore cette culture de la transparence mise en place par l'article 7 de la Charte de l'environnement de 2004. La Commission nationale du débat public a ainsi mené un débat sur le projet d'implantation de la centrale électronucléaire EPR à Flamanville. Il est essentiel de dialoguer, de comprendre, de contrôler afin d'établir la confiance.
Les enjeux relatifs à l'environnement et à la santé publique induits par le nucléaire sont pris en compte par l'instauration ou le développement de plusieurs dispositifs, tels le droit d'accès spécifique des citoyens aux informations, l'obligation de constituer des commissions locales d'information, la création d'un Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire. L'ensemble de ces mesures constitue un progrès très important, mais il pourra sans doute être amélioré. La commission a souligné, par exemple, qu'il serait souhaitable de confier à la Commission d'accès aux documents administratifs, la CADA, les litiges relatifs à la communication des informations.
S'agissant des règles applicables aux installations, le droit français a su construire, au fil du temps, un corps normatif directement adapté aux spécificités des contraintes et des risques des activités nucléaires. Les exploitants d'IBN ont, eux aussi, besoin de disposer de règles lisibles et durables, compte tenu de la complexité et de la longueur des procédures d'obtention d'une autorisation d'implantation et d'exploitation.
Le contrôle de l'ensemble des installations, spécialement les IBN et les installations classées pour la protection de l'environnement, sera encore plus performant avec la création d'un corps d'inspecteurs de la sûreté nucléaire, dont les pouvoirs de police administrative et judiciaire assureront l'efficacité de leur délicate mission.
Je voudrais enfin apporter un éclairage européen à notre débat d'aujourd'hui. En effet, je crois que le projet de loi que nous examinons est de nature à conforter le regain d'intérêt pour l'énergie nucléaire qui se fait jour actuellement en Europe, en particulier dans l'optique de la conformité au protocole de Kyoto et d'une meilleure garantie de notre indépendance énergétique.
Dans le cadre de la politique de lutte contre le changement climatique, l'Europe s'est engagée à réduire de manière exemplaire ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2010. Or il est aujourd'hui certain que le développement des énergies renouvelables et les économies d'énergie ne suffiront pas à faire en sorte que ce but soit atteint.
L'énergie nucléaire, sans être la panacée, constitue une réponse incontournable : elle permet aujourd'hui de faire l'économie, en Union européenne, de l'émission de 800 millions de tonnes de carbone chaque année.
Les opinions publiques européennes ne devraient pas tarder à revenir à la réalité : les prémisses du changement climatique commencent à se faire sentir à travers les dérèglements de la nature ; l'envol du cours des hydrocarbures, depuis l'an dernier, frappe directement les entreprises et les particuliers ; la crise gazière entre la Russie et l'Ukraine, en ce début d'année, est venue rappeler la dimension géostratégique de l'indépendance énergétique.
Cela explique que le débat sur l'énergie nucléaire connaisse aujourd'hui en Europe un frémissement. Certains pays qui avaient renoncé à cette forme d'énergie s'interrogent sur la pertinence de leur choix. Ainsi, les Finlandais ont décidé de lancer une nouvelle tranche et les Polonais songent à se doter d'une filière électronucléaire.
Dans ces conditions, la France peut jouer un rôle moteur en Europe.
Le présent projet de loi participe de ce renouveau possible de l'énergie nucléaire en Europe.
Afin de répondre aux légitimes préoccupations de l'opinion publique européenne, notre pays se doit d'être exemplaire en matière de transparence et de sûreté nucléaires. Le message adressé par le biais de ce texte à nos voisins est que la France, loin de maintenir une situation figée, veille constamment à améliorer le dispositif institutionnel et technique qui garantit la sûreté de ses installations nucléaires.
C'est à ce prix seulement que la filière électronucléaire pourra, enfin forte de la confiance pleine et entière de la population, prendre toute sa place dans l'indépendance énergétique de l'Europe.
En conclusion, je soulignerai l'équilibre très positif de ce projet de loi. Plus qu'à une simple mise à jour des règles applicables aux activités nucléaires civiles il vise à l'institution d'une solide assise législative pour un secteur très stratégique. Notre pays devra relever, dans les années qui viennent, des défis énergétiques et économiques majeurs, mais pourra, dans le même temps, s'enorgueillir des performances de son industrie électronucléaire dans le domaine de la sécurité.
Votre projet de loi, madame la ministre, contribue à faire de cette industrie un secteur de pointe dans lequel nos compatriotes ont confiance. Le groupe du RDSE vous accordera, lui aussi, sa confiance.
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après des années d'attente, nous voici enfin réunis afin de doter le nucléaire d'une loi spécifique. Il s'agit là d'une avancée importante.
Nous sommes pleinement satisfaits, notamment, de l'intégration dans le domaine législatif de la réglementation et des procédures de contrôle relatives aux installations nucléaires de base.
Pourtant, en ce qui concerne, plus particulièrement, les questions de sécurité nucléaire, nous restons extrêmement réservés sur les dispositions du présent projet de loi.
Ainsi, nous estimons qu'il ne répond pas aux véritables sources d'insécurité en matière nucléaire qui résident, à notre avis, principalement dans la mise en oeuvre de la libéralisation du secteur énergétique.
En effet, les politiques européennes et nationales d'ouverture à la concurrence, de désengagement de l'État et de démantèlement des entreprises publiques comportent des risques importants en termes de sécurité.
Je tiens, à cette occasion, à mentionner le rapport qu'a remis en 2002 l'inspecteur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, rapport dans lequel il étudiait la situation aux États-Unis, où la libéralisation est très avancée.
Ainsi, concernant la centrale de Davis Besse, il remarquait que « le bon équilibre sûreté-sécurité n'était plus correctement assuré, cette situation ayant conduit progressivement à une implication minimale pour respecter les contraintes réglementaires et à considérer comme normales des situations dégradées ».
En effet, pour rester compétitives dans un marché ouvert, les entreprises s'orientent vers la recherche systématique d'un abaissement des coûts de production. Le risque devient alors une dimension naturelle.
En France, le changement de statut d'EDF, rendu possible par la loi de 2004, et l'ouverture du capital à des investisseurs privés, appellent une transformation des règles de gestion de l'entreprise.
Cette déréglementation s'est traduite par une dégradation effective du niveau de sûreté, qui tire son origine d'une gestion et d'un management tournés essentiellement vers la recherche de gains financiers.
Je rappelle que, depuis maintenant cinq années, les rapports annuels de l'inspecteur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ainsi que celui des autorités de sûreté nucléaire alertent sur les incidences de la recherche de la compétitivité associée à la libéralisation du secteur. Ils soulignent, notamment, l'évolution des conditions d'exploitation pour tenir compte des aléas du marché et garantir l'augmentation des marges financières.
Par ailleurs, cette recherche de rationalisation des coûts se traduit par une politique de recherche en régression : les effectifs de recherche et développement à EDF ont baissé d'un tiers depuis 1999 et le budget consacré à cette activité est en baisse de 37 %.
De plus, la libéralisation du secteur de l'énergie, associée à la privatisation d'EDF, se traduit également par une place grandissante de la sous-traitance, ainsi que par la dégradation à la fois des conditions de travail et des garanties sociales des salariés : 80 % des doses d'irradiation reçues dans le nucléaire et 70 % des accidents du travail sont subis par les salariés de la sous-traitance.
L'émergence de la concurrence dans ce secteur tend à faire disparaître la professionnalisation des gestes requis.
L'Autorité de sûreté nucléaire souligne à ce sujet : « Lorsque des prestataires d'EDF sous-traitent à des entreprises qui, à leur tour, font appel à la sous-traitance, il devient difficile de contrôler effectivement la qualification de l'intervenant et la qualité des travaux. »
Le recours à l'emploi précaire dans les centrales nucléaires ou électriques est le double de celui qui est observé dans l'industrie, atteignant parfois 70 % dans les activités les plus exposées aux risques professionnels.
Ainsi, nous apprenons de source syndicale que, depuis septembre 2005, « quatre plans d'urgence internes ont été déclenchés suite à des incidents importants » dans des centrales nucléaires françaises.
Cependant, quoi de plus normal dans une société où l'unique objectif des entreprises est la réalisation de bénéfices ?
EDF donne un bon exemple de ces dérives puisque le bénéfice record réalisé en 2005 sert à offrir 1, 441 milliard d'euros de dividendes aux actionnaires, somme qui ne servira donc ni à financer le projet industriel de l'entreprise énergétique ni à augmenter les garanties sociales des salariés.
Il est évident que, dans ces conditions, la sécurité des installations, des personnels et des usagers n'est plus garantie.
Ainsi, non seulement la sécurité nucléaire s'accommode mal du statut privé, mais, de plus, elle exige les caractéristiques du secteur public.
Ces caractéristiques sont, d'une part, une véritable transparence, qui permet aux autorités de sûreté de jouer leur rôle, et, d'autre part, cette « part de régalien », déjà évoquée, qui permet de protéger l'activité des tranches nucléaires des aléas du quotidien.
La maîtrise publique se justifie également parce que la production nucléaire nécessite une vision sur le long terme, intégrant la prise en compte de coûts externes importants : le traitement et la gestion des déchets - dont nous parlerons dans quelques mois -, le démantèlement des installations, la prise en compte des risques nucléaires au travers de contrats que les sociétés privées d'assurance ne sont pas prêtes à couvrir.
Dans ce sens, nous souhaitons, notamment, le retour au statut d'établissement public à caractère industriel et commercial - EPIC - d'EDF, seul capable de garantir la sécurité des personnes et des installations.
Nous souhaitons également qu'il soit confirmé que, dans le secteur du nucléaire, seule une entreprise publique est autorisée à exploiter des centrales de production d'électricité.
Pour cela, il est important de reconnaître qu'en France la confiance dans la filière nucléaire a reposé sur sa mise en oeuvre par une entreprise publique ayant fait ses preuves en matière de compétences techniques et de sécurité industrielle, ainsi que sur la maîtrise de l'activité par des personnels compétents.
Par ailleurs, la sécurité nucléaire dépend de la sûreté des installations. C'est pourquoi nous souhaiterions que des études soient menées sur le vieillissement des centrales, de façon à mettre en perspective les objectifs de renouvellement du parc nucléaire.
Cette démarche est urgente, sachant qu'il faut environ huit années pour construire une centrale.
Il s'agit également d'une question importante pour garantir la sécurité d'approvisionnement énergétique.
Deux conditions doivent donc être remplies pour que soit certifiée la sûreté nucléaire : d'une part, il faut assurer un niveau de sécurité élevé des installations - cela se fait par une maintenance de qualité et la réalisation des investissements nécessaires - et, d'autre part, offrir des garanties sociales et des conditions de travail satisfaisantes aux salariés du secteur.
Bref, la sécurité nucléaire implique nécessairement la maîtrise publique de la politique énergétique.
Pourtant, à l'encontre de ces considérations, la lettre rectificative au présent projet de loi porte création d'une haute autorité de sûreté nucléaire, annoncée par M. Jacques Chirac, le 5 janvier 2006, lors de ses voeux.
Cette nouvelle autorité administrative indépendante serait, selon le Président de la République, chargée du contrôle de la sécurité nucléaire, de la radioprotection et de l'information, afin de renforcer la confiance des citoyens dans le nucléaire.
Nous estimons pourtant que, dans ce domaine, une externalisation de ces services par l'État, loin de garantir une indépendance renforcée, laisse présager, au contraire, une pression accrue des grands groupes industriels sur cette autorité.
Ainsi, nous considérons que l'actuelle direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection est une direction efficace et compétente, qui dispose de l'indéniable avantage, étant sous la tutelle du Gouvernement, de permettre concrètement à l'État d'exercer ses missions régaliennes en toute responsabilité.
L'avis rendu par le Conseil d'État en 1999 sur la première mouture de ce projet de loi allait dans le même sens, en affirmant que la sûreté nucléaire est un sujet trop important pour être externalisé par le pouvoir politique.
L'État doit disposer d'une appréciation d'ensemble de la politique de sécurité nucléaire, qui comprend, outre la sécurité civile, la sûreté et les radioprotections.
Dans ce sens, on ne peut que regretter que le Gouvernement se dessaisisse de tout rôle pratique dans l'élaboration de la réglementation relative aux installations nucléaires de base.
De surcroît, ce partage des rôles entre l'autorité nouvellement créée et le Gouvernement, loin de tendre à une clarification des responsabilités, qui est le corollaire d'une garantie de la sécurité nucléaire, est, au contraire, source d'insécurité juridique, et donc, potentiellement, de contentieux.
Nous comprenons également mal que cette autorité, qui ne dispose pas de la personnalité morale, se voie offrir le droit d'ester en justice.
De plus, cette nouvelle autorité va disposer des moyens de la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Nous aurions souhaité que, dans ce projet de loi, soient explicités les moyens humains qui seront maintenus dans les services de l'État pour procéder à l'instruction des demandes visant à la création de grandes installations nucléaires.
Quel sera le nouveau statut des inspecteurs de sûreté nucléaires qui seront mis à disposition de l'autorité ainsi créée ? Nous souhaitons des garanties sur ce point.
À l'inverse de ce que vous proposez, madame la ministre, il nous semble au contraire essentiel de renforcer la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Cela passe, notamment, par une augmentation des moyens humains et matériels qui lui sont accordés. Il s'agit là d'un moyen efficace de garantir une meilleure sécurité nucléaire.
Je tiens également à souligner qu'aucune obligation européenne ou internationale n'imposait la création d'une autorité administrative indépendante. En effet, les conventions sur la sûreté radiologique de 1994 et de 1997 pointent l'objectif de l'indépendance de l'autorité dans l'exercice de ses fonctions, mais pas celle de l'organisme lui-même.
Plus globalement, la création de cette nouvelle autorité administrative indépendante se fait avec, en toile de fond, la libéralisation du secteur énergétique et la privatisation des entreprises publiques.
L'article 13 du projet de loi est, en ce sens, particulièrement emblématique : en réglementant la procédure relative aux demandes de changement d'exploitation des installations nucléaires de base, il ne distingue pas ce qui relève des installations nucléaires de base productrices d'électricité et ce qui relève des autres installations.
Plus clairement, comment ne pas analyser ce manque de précision comme la porte ouverte à l'ouverture à la concurrence de l'exploitation de l'installation nucléaire civile ? Souhaitez-vous donc permettre à Suez, déjà exploitant en Belgique, de s'installer en France ? La coïncidence de son rachat par GDF est assez significative et laisse présager le pire.
Je citerai, à ce titre, un passage que je trouve particulièrement éclairant du livre du professeur Claude Champaud sur la définition de ces autorités : « Bien qu'administratifs, ces organismes n'ont pas pour seule fonction de veiller au respect du bien public, mais de préserver des intérêts privés dont la sauvegarde est d'intérêt général ». Comment ne pas voir dans cette nouvelle autorité administrative indépendante l'instrument de l'ouverture du marché nucléaire civil ?
Les exemples dont nous disposons dans la mise en oeuvre de ce type de structure nous incitent à nous montrer critiques. Traditionnellement, leur rôle est de garantir la concurrence libre et non faussée en organisant le déclin de l'opérateur historique.
Dès lors, nous ne pouvons accréditer la création de cette nouvelle haute autorité de sûreté nucléaire.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui était en gestation depuis plus de sept ans. Quatre ministres l'ont porté et il nous revient considérablement modifié par rapport à sa version initiale, notamment par la lettre rectificative que lui a intégrée le Premier ministre, le 22 février dernier.
C'est donc après un début de parcours législatif plus que laborieux qu'il arrive aujourd'hui devant le Sénat.
Sans être expert des questions nucléaires, j'ai estimé important, comme membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, de porter une attention toute particulière à ce projet de loi qui, en d'autres temps, pas si lointains, aurait entraîné des débats passionnés.
Les questions de transparence et de sécurité en matière nucléaire bénéficient, enfin, d'un encadrement législatif.
Le projet de loi qui nous est présenté est, en effet, le premier texte donnant un cadre général à ces questions primordiales, qui restaient définies par des textes épars, rares et souvent incomplets.
De plus, il s'inscrit dans un mouvement de fond, celui d'une exigence croissante de transparence quant aux questions de sécurité, non seulement en matière nucléaire, mais aussi dans d'autres domaines, comme l'illustre l'actuelle crise avicole.
La prise en compte de ces attentes sera effective grâce à la mise en place d'une autorité administrative indépendante, longtemps promise, mais annoncée très récemment, lors du conseil des ministres du 22 février dernier : la Haute autorité de sûreté nucléaire.
Jusqu'à présent, le contrôle de la sûreté nucléaire était assuré par la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, sous la tutelle juridique de trois ministères, mais dépendant surtout, en pratique, de celui de l'industrie. Ce système étant entaché d'un certain manque de transparence, la création de cette nouvelle autorité va dans le sens d'un contrôle renforcé et d'une meilleure information du public.
La Haute autorité est, par sa composition et ses prérogatives, à la fois indépendante et politique. En effet, la procédure de nomination de ses cinq membres en fait une instance éminemment politique, mais les garanties d'indépendance offertes par le texte devraient lui permettre d'accomplir ses missions dans de bonnes conditions.
Je veux saluer ici le travail important qui a été accompli par la commission des affaires économiques et qui permettra de rééquilibrer les pouvoirs de la Haute autorité et du Gouvernement.
La commission a réussi à renforcer le respect des trois principes fondamentaux suivants : l'État reste l'unique garant de la sécurité nucléaire ; le Gouvernement dispose toujours de l'ensemble des moyens pour faire face aux crises ;...
... enfin, le cadre et les choix de la nation en matière nucléaire seront toujours fixés par les autorités politiques.
En se référant à trois principes fondamentaux déjà reconnus en matière d'environnement - le principe de précaution, celui du « pollueur-payeur » et celui de l'information du public -, ce texte s'inscrit parfaitement au centre des préoccupations actuelles, à une époque où le besoin de transparence et l'exigence de sécurité par rapport à des activités dangereuses dépassent le cercle des riverains des installations nucléaires.
Sans doute, en donnant un cadre légal aux activités nucléaires, le présent texte vise à se conformer au droit international. Mais, en pratique, il structure et consolide essentiellement une expérience qui s'est peu à peu élaborée dans notre pays, au fil du temps, en matière de sécurité et de transparence. L'absence d'accident majeur constitue d'ailleurs une preuve de la qualité des pratiques suivies jusqu'à présent tant par les exploitants que par l'administration.
Le choix du nucléaire en France est, en effet, déjà ancien. Il faut reconnaître qu'il n'allait pas de soi et qu'il a longtemps suscité des débats passionnés.
Ce fut, au lendemain de la guerre, un choix politique, à la fois courageux et clairvoyant. Le nucléaire français est une réussite, à la fois technique et économique, puisqu'il constitue, avec l'aéronautique, un secteur d'excellence pour la France.
Nous avons ainsi acquis, au fil des ans, une maîtrise complète de la production, alors que de nombreux pays ont hésité à développer ce secteur et à progresser dans cette voie.
Aujourd'hui, il en est tout autrement.
Récemment, nombre de pays - comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Italie - ont annoncé leurs intentions de développer et de relancer des programmes nucléaires importants.
L'objectif, pour la France, est à présent de rester à l'avant-garde de la technologie nucléaire, notamment avec le projet de réacteur de quatrième génération.
La relance de ces nouveaux projets ainsi que le renouvellement du parc nucléaire actuel sont de réelles nécessités, malgré le coût du démantèlement des plus anciennes centrales et la question délicate du traitement des déchets nucléaires.
Cependant, pour conforter ce choix, il est nécessaire d'obtenir l'adhésion d'une large majorité de la population. C'est dans ce but que dorénavant « la transparence et la rigueur des contrôles vont de pair avec le développement de notre programme nucléaire », comme l'a souligné le Président de la République, le 22 février dernier.
Cette adhésion repose essentiellement sur la confiance. Le développement du nucléaire sera d'autant mieux accepté que le pays accordera sa confiance à cette technologie.
La France a tiré depuis longtemps - et c'est heureux - des leçons de sa gestion et, surtout, de sa mauvaise communication au sujet de l'accident de Tchernobyl.
D'ailleurs, alors qu'ils accordent de plus en plus d'intérêt aux problèmes de santé publique et d'environnement, les Français semblent porter un autre regard sur le nucléaire. Bien sûr, il y aura toujours des « antinucléaires », mais l'opinion dans sa majorité a pris conscience du fait que le nucléaire était, en définitive, une énergie non polluante, sans rejet de CO2, ce qui, au regard des menaces du changement climatique, est un argument qui compte. J'en veux pour preuve que la France, aujourd'hui, est un des pays d'Europe qui émet le moins de gaz à effet de serre.
Il faut le souligner, le nucléaire a également acquis une nouvelle légitimité face à l'enjeu majeur du réchauffement climatique.
La publication, aujourd'hui même, dans un grand quotidien, des résultats d'une étude récente sur l'accélération de la fonte des glaces en Antarctique, nous rappelle, s'il en était besoin, combien cette préoccupation est majeure.
Comme je vous l'ai indiqué, madame la ministre, j'ai participé, en fin d'année dernière, à une mission scientifique sur ce continent soumis aux conditions les plus extrêmes. Trois membres du Congrès américain s'y sont également rendus trois semaines plus tard : c'est dire toute l'importance que les pays accordent aujourd'hui à ce continent, eu égard non seulement aux ressources qu'il recèle, mais aussi à la mémoire climatique qu'il contient. Je serai amené à les rencontrer en mai prochain à Washington dans le cadre d'une étude que je conduis pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Le réchauffement climatique a replacé la question du nucléaire au centre des débats. Malgré le protocole de Kyoto, la hausse annuelle des émissions de gaz à effet de serre n'est pas près de s'inverser, notamment à cause des pays émergents.
Ainsi, la croissance de la Chine entraîne une pollution qui représente plusieurs années d'efforts de réduction de ces gaz en Europe. Toutefois, l'annonce récente de son intention de produire 20 % de sa consommation d'énergie à partir du nucléaire en 2045 - ce qui équivaut à la production de 500 centrales nucléaires -, est déjà une avancée.
Comme toujours, les craintes proviennent souvent de l'ignorance. L'information, la pédagogie et, surtout, une plus large diffusion de la culture scientifique - que le Sénat a appelée de ses voeux à plusieurs reprises -, doivent participer davantage à l'information de l'opinion.
Jamais la relation science-société n'avait atteint un tel degré d'importance.
Certes, des interrogations demeurent : des imperfections, des imprécisions subsistent dans le texte, même si le travail remarquable des rapporteurs, que je tiens à saluer, a permis de recadrer les objectifs et les compétences des divers organismes.
Des décrets devront apporter les précisions nécessaires. Ainsi, pour répondre à l'inquiétude des exploitants quant aux informations qu'ils seront dans l'obligation de présenter au nom de cette transparence, il est important de prévoir très précisément ce qui relève du secret industriel et ce qui doit légitimement contribuer à une information claire de nos citoyens.
Madame la ministre, le groupe de l'Union centriste-UDF votera ce texte, qui conforte et légitime un choix stratégique qui fut clairvoyant.
Toutefois, il convient de rappeler que la raréfaction des ressources naturelles, l'instabilité géopolitique des pays fournisseurs de pétrole, la crise du gaz russe intervenue voilà quelques semaines et, enfin, l'explosion du prix de l'électricité ont mis la question de l'énergie au centre des préoccupations de nombreux pays.
L'expérience et l'avance de la France en matière nucléaire devraient être mieux prises en considération au sein de l'Europe, et cette dernière doit affirmer davantage sa politique énergétique. Mais l'indépendance énergétique ne peut se passer de l'adhésion des populations aux choix qui sont opérés. Par son contenu, ce texte apporte aussi toute sa contribution au sujet européen.
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Monsieur le Président, madame la ministre, mes chers collègues, ma satisfaction est entière de voir la Haute Assemblée enfin saisie des questions relatives à la transparence et à la sécurité nucléaire.
Toutefois, madame la ministre, il s'agit non pas de rénover le cadre juridique et législatif, mais de le créer.
Les raisons sont multiples et rejoignent bon nombre de celles que je viens d'entendre, mais la principale porte sur la confiance, évoquée par tous les intervenants, celle que nos concitoyens devraient éprouver sur ce type de sujet.
Pourtant, par ces temps de grippe aviaire, force est de constater de nouveau que la population française, confortée par quelques irresponsables politiques, n'a plus cette confiance sûre et solide envers les scientifiques et les politiques.
Mais doit-on vraiment s'en étonner ? Après les discours se voulant rassurants quant à l'amiante, après le nuage de Tchernobyl et les déclarations du célèbre professeur selon lesquelles ce nuage s'était arrêté à nos frontières, chaque sujet qui touche à la sécurité sanitaire et/ou alimentaire inquiète, plus que de mesure sans doute. Pourquoi ? Parce que cette confiance a été mise à rude épreuve.
Nous sommes tous convaincus, dans cette enceinte, que notre société doit retrouver cette confiance, mais elle n'est plus de droit ni légitime. Elle se doit d'être le partage dans la transparence. Voilà un des enjeux essentiels du texte dont nous débattons.
Cette confiance ne s'instaurera que si chacun de nos concitoyens est convaincu d'avoir compris l'ensemble des paramètres en jeu : avantages et inconvénients, gain et risques.
C'est l'un des sujets que nous retrouvons régulièrement avec mes collègues de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : le degré d'acceptation par nos concitoyens - ou, dans le langage des experts en sciences sociales, « d'acceptabilité sociale » - des progrès scientifiques, au regard des améliorations qu'ils apportent à leur quotidien et de l'inquiétude qu'ils introduisent.
Je pense, par exemple, aux antennes relais de téléphonie mobile. Toutes les études scientifiques démontrent que les problèmes éventuels sont liés aux téléphones mobiles et non aux relais.
Je songe également au débat, qui a déjà fait couler beaucoup d'encre, sur les organismes génétiquement modifiés. Je préférerais d'ailleurs que l'on parle de « plantes génétiquement modifiées », ou PGM, parce que les vaccins qui sont actuellement inoculés à tous les volatiles de la sphère avicole ne sont rien d'autre que des OGM, et chacun s'en félicite !
De la même façon, la production nucléaire constitue une source d'inquiétude.
Ce sont pourtant là des exemples d'avancées technologiques importantes qui changent ou pourraient, demain, changer le quotidien de chaque Français.
Dans cette période où nombreux sont ceux qui manquent de repères, où certains politiques veulent écrire les livres d'histoire, où l'on demande aux juges de se prononcer sur la science, il nous appartient bien, à nous politiques, représentants de la nation, d'instaurer par la loi les garanties de la transparence et de la sécurité, et tout particulièrement dans le domaine du nucléaire, afin de dénoncer et de mettre fin à l'hypocrisie de pays qui importent notre électricité d'origine nucléaire tout en prétendant sortir du nucléaire !
Au demeurant, certains politiques continuent de « surfer » sur les peurs !
Au-delà du problème de la confiance, il s'agit de traiter de notre industrie nucléaire dans le cadre d'une actualité et d'un contexte énergétique particuliers.
Nucléaire et inquiétude vont toujours de pair, en raison peut-être de la confusion fréquente entre le mot « atomique » et le mot « nucléaire ». C'est le cas lorsqu'on évoque les choix actuels de l'Iran et la menace que ce pays veut faire peser sur la communauté internationale ou que l'on célèbre - avec tristesse ! - le vingtième anniversaire de Tchernobyl.
En outre, comme l'a dit notre collègue Yves Coquelle, le nouveau statut d'EDF n'incite pas les Français à plus de sérénité. Je ne reviendrai pas sur le débat qui a animé notre hémicycle à l'occasion de son changement de statut, mais je souhaite que les mises en garde et les préconisations que mes collèges socialistes et moi-même avions alors émises soient présentes à l'esprit de chacun.
M. Piras a eu l'occasion de vous présenter avec précision la position de notre groupe s'agissant de la rédaction actuelle de ce projet de loi. Permettez-moi d'entrer un peu plus dans le détail sur certains aspects.
Dans un premier temps, je ne me référerai qu'à la lettre rectificative. Je rendrai hommage tout à l'heure au travail des rapporteurs, mais je ne le prends pas en compte pour le moment.
Réconcilier les Français avec le nucléaire, ou du moins créer la base législative le permettant, est donc l'un des objectifs que nous devons nous assigner. Et nous ne pourrons y parvenir qu'en réunissant les conditions d'une réelle transparence et en renforçant les contraintes pesant sur les exploitants. C'est encore plus vrai dans un contexte où chacun se demande avec inquiétude si les critères de rentabilité et de dividendes ne seront pas, à terme, préférés à ceux de sécurité et d'information.
L'information est bien la clé maîtresse de la transparence. Elle s'inscrit d'ailleurs totalement en cohérence avec le droit européen, en particulier avec la directive du 28 janvier 2003, concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement.
Selon les termes de cette directive, « l'accès accru du public à l'information en matière d'environnement ainsi que la diffusion de cette information favorisent une plus grande sensibilisation aux questions d'environnement, le libre échange d'idées, une participation plus efficace du public à la prise de décision en matière d'environnement et, en définitive, l'amélioration de l'environnement ».
Une telle démarche doit également être en phase avec les conventions internationales, notamment avec la convention d'Aarhus, ratifiée par la France alors que M. Hubert Védrine était ministre des affaires étrangères.
Cette convention porte sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement.
Son article 1er énonce son objet même : « Afin de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, chaque partie garantit les droits d'accès à l'information sur l'environnement, de participation du public au processus décisionnel et d'accès à la justice en matière d'environnement conformément aux dispositions de la présente convention. »
Nous avons d'ailleurs déposé plusieurs amendements tendant à intégrer certaines dispositions de cette convention. Je connais le sort que la commission leur a réservé.
C'est dans cet esprit de transparence et d'information que chacun pourra appréhender les éventuels risques encourus.
Ainsi, nous vous proposerons un certain nombre d'amendements allant dans ce sens, notamment à l'article 6. Il nous paraît indispensable de préciser que le rôle de la CLI est d'assurer auprès du public la diffusion de l'information, y compris la sienne, par une large communication des résultats de ses travaux, et ce - c'est un ancien enseignant qui vous parle - sous une forme accessible à tous.
En outre, la mission d'information des CLI ne doit pas se limiter à la sûreté et à la radioprotection relative à l'installation. Elle doit également prendre en compte les effets à moyen et à long terme sur l'environnement et sur la santé, car c'est bien sur ces aspects que portent un grand nombre d'inquiétudes.
Le code de l'environnement prévoit par ailleurs la création de commissions au statut spécifique pour les laboratoires souterrains de recherche sur la gestion des déchets radioactifs et les comités locaux d'information et de suivi, les CLIS. Or on a pu observer combien la multiplication des commissions d'information avec des statuts différents contribuait à une moindre efficacité globale. C'est pourquoi nous souhaiterions une uniformisation des instances de concertation et la création de CLI, y compris autour des laboratoires de recherche souterrains, des installations classées détenant des matières radioactives ou fissiles et des centres de stockage ou d'entreposage des déchets radioactifs.
Permettez-moi de faire une remarque à ce sujet, madame la ministre : il faut non pas faire entrer les CLI dans la société civile, mais plutôt faire entrer la société civile dans les CLI !
Si la transparence doit être assurée à chaque niveau, il en est de même pour les liens que chacun de ces niveaux entretient avec les autres. Ainsi, l'équilibre entre les différents acteurs doit être garanti. Ce n'est pas le cas dans la version du projet de loi qui nous est présentée.
Il faut particulièrement veiller à une bonne articulation et à une distribution des rôles équitable entre la Haute autorité de sûreté nucléaire et le Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire, qui s'occupe de l'information du public. De ce point de vue, la rédaction actuelle du projet de loi ne nous satisfait pas.
Comme l'ont fait remarquer certains juristes, la Haute autorité de sûreté nucléaire apparaît comme un démembrement de l'administration, tous les moyens humains, financiers et techniques étant attribués à un collège de cinq personnes désignées pour six ans et inamovibles durant cette période. Cette structure dispose, de surcroît, d'énormes pouvoirs juridiques pour édicter des règlements et effectuer des contrôles. Elle se substitue en réalité aux services du ministère délégué à l'industrie. Ne recevant aucune instruction d'un ministre ni du Gouvernement - je me réfère à l'article 2 octies -, elle échappe donc à tout contrôle hiérarchique ou politique du Parlement et du Gouvernement.
Un organe de ce type n'a aucun équivalent. En effet, les autorités administratives indépendantes existantes n'ont pas un pouvoir aussi étendu, associant pouvoirs de police spéciale - ce qui implique la faculté d'édicter des règlements -, de contrôle et d'information.
À ce propos, il ne se passe pas un mercredi sans que l'on ne nous annonce la création d'une agence ou d'une autorité qui démantèle le rôle du politique et de l'État, donc du Gouvernement et du Parlement. Il faudra bien un jour s'interroger sur le rôle et le bilan de toutes ces structures.
Il faut bien distinguer ces trois domaines d'intervention. Ils ne doivent en aucun cas être attribués à un même organisme, qui risquerait, sinon, de devenir une dictature technocratique indépendante de l'État, mais dépendante du pouvoir nucléaire. Les pouvoirs de contrôle, d'édiction des règlements et d'information du public doivent être séparés, afin, précisément, de garantir la transparence, la sécurité et la démocratie.
S'agissant d'abord du pouvoir de contrôle, la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire pourrait, en théorie, apparaître comme un progrès. Cet organe sera en effet plus indépendant que les actuels services de la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, la DGSNR, et les autres structures compétentes sur le nucléaire. Il pourra ainsi, aux termes de l'article 2 decies, contrôler les installations nucléaires de base, les INB, sans être soumis aux pressions des autres services ou ministères.
Encore faudrait-il que sa composition ne soit pas le reflet du pouvoir nucléaire ! Or on nous dit que les cinq membres seront désignés uniquement en fonction de leurs compétences nucléaires, alors que le pouvoir de contrôle ne peut, à mon sens, échapper à l'autorité politique de ministres responsables.
Ensuite, transférer le pouvoir d'édicter des règlements et le pouvoir de contrôle à une même autorité ne nous paraît pas une bonne solution. Il faut en contraire dissocier ces deux fonctions. C'est bien au ministère de préparer les décrets après les consultations d'usage, notamment celle de la Haute autorité de sûreté nucléaire, que nous avions nous-mêmes réclamée. Mais le prescripteur ne peut pas être le contrôleur.
Enfin, si la Haute autorité est chargée du contrôle, elle ne peut en aucun cas contrôler l'information divulguée. Dans une telle hypothèse, elle serait, là encore, juge et partie.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous vous doutez bien que le projet de loi, même amendé avec sagesse par notre collègue M. Sido, rapporteur, qui a vu les dangers du texte initial sur les missions de la Haute autorité, aurait du mal à recueillir notre assentiment, ne serait-ce qu'en raison de la composition de cette Haute autorité, qui n'assure en aucun cas l'indépendance. Et pourtant, comme l'a rappelé M. Piras, nos objectifs étaient communs.
Mais je ne désespère pas que nos débats nous permettent d'améliorer le texte - je fais allusion aux amendements de MM. les rapporteurs -, tant il est nécessaire de créer un cadre juridique pour les INB et le stockage des déchets.
À cet instant, je fais encore confiance à la sagesse de notre assemblée.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la crise du début de l'année entre Kiev et Moscou, la vague de froid qui s'est abattue sur l'Europe de l'Est, les prix toujours plus élevés du pétrole concourent à faire de l'énergie un sujet important tant pour la France que pour l'Europe.
La Commission européenne prépare d'ailleurs un Livre vert sur ce thème, qui devrait être rendu public très prochainement. L'un de ses volets majeurs sera la place du nucléaire.
La très forte augmentation des prix du pétrole et la raréfaction, à terme, des ressources facilement accessibles en hydrocarbures nous conduisent à poser la question de nos choix en matière énergétique. Dans ce contexte, le nucléaire civil a fait l'objet d'une attention renouvelée. En effet, cette énergie peut être considérée comme « propre » en termes d'émission de gaz à effet de serre.
Permettez-moi à ce sujet de mentionner un exemple que je connais bien. En tant qu'élu du département de la Vienne, j'ai participé à la création de la centrale nucléaire de Civaux, qui a connu moult péripéties.
D'abord annoncé alors que M. Valéry Giscard d'Estaing était Président de la République, le projet a été interrompu sous le Président Mitterrand. Il a ensuite été repris, puis de nouveau interrompu, avant d'être à nouveau relancé. La centrale a finalement été réalisée quelques années plus tard, mais tout cela a coûté fort cher.
Or les deux unités de cette centrale permettent d'éviter chaque année - c'est également vrai pour d'autres - le rejet de plus de 20 millions de tonnes de gaz carbonique, principale cause de l'effet de serre !
Garant d'une relative indépendance et illustration de la maîtrise d'une technologie de pointe, le nucléaire pourvoit déjà à près de 80 % de nos besoins nationaux en électricité.
Le secteur industriel concerné évolue. Les technologies se renouvellent. Le parc nucléaire français vieillit, en tout cas pour ce qui concerne un certain nombre de centrales. Les citoyens exigent - et c'est bien naturel - une plus grande information. La démocratie moderne s'enorgueillit de l'indépendance des contrôles dans les domaines où la santé et la sécurité sont en jeu.
De fait, la sûreté des installations nucléaires est un enjeu majeur, tout comme la divulgation des informations la concernant.
C'est la raison pour laquelle, depuis plusieurs années, les gouvernements successifs ont souhaité que le Parlement discute un projet de loi sur la transparence et la sûreté en matière nucléaire. Je vous remercie, madame la ministre, ainsi que le Gouvernement, de votre initiative.
Je concentrerai plus particulièrement mon propos sur l'information du public et sur les contrôles des installations nucléaires de base.
Tout d'abord, en dépit des polémiques suscitées par les activités nucléaires, la transparence et l'information du public sont devenues une réalité dans notre pays, tant à l'échelle nationale qu'au niveau local. Elles peuvent, certes, être améliorées. Mais les dispositifs les concernant ont été substantiellement renforcés depuis le début des années quatre-vingt. En plus de quarante ans, le secteur nucléaire français s'est progressivement doté de règles et de bonnes pratiques qui ont permis d'accompagner son développement avec un niveau satisfaisant de sécurité et de transparence.
Aussi le projet de loi qui nous est soumis vient-il à la fois consolider juridiquement l'existant, tout en l'améliorant.
Comme cela est précisé dans le rapport, « une loi est aussi en elle-même un acte de transparence vis-à-vis des exploitants, puisqu'elle garantit un cadre juridique clair où droits et obligations sont connus et affichés ».
Ce qui est valable pour les exploitants l'est également pour le public. Cette orientation se traduit notamment par la création d'un Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire, dont les avis comme le rapport annuel d'activité seront publics. De même, un droit d'accès à l'information détenue par les exploitants et les personnes responsables de transports nucléaires est institué.
L'exploitant d'une installation nucléaire de base devra établir chaque année un document d'information à l'usage du public, qui sera transmis à la CLI et à la Haute autorité et mis à la disposition des personnes qui en feront la demande.
Je ne saurais conclure sur le thème de la transparence sans témoigner du succès des commissions locales d'information. Leur composition est judicieuse, permettant l'implication des élus locaux, des associations, des représentants du monde socio-économique et du corps médical.
Leur souplesse d'organisation et de fonctionnement ainsi que leur indépendance, vis-à-vis tant de l'exploitant que des services de l'État chargés du contrôle, leur ont permis de devenir des lieux essentiels du débat et de la transparence autour des activités nucléaires.
L'absence d'un cadre rigide explique sans doute cette réussite. Il n'en demeure pas moins que les fondements juridiques de ces commissions, qui reposent tout entier sur la circulaire du Premier ministre du 15 décembre 1981, méritent d'être consolidés. C'est l'objet de l'article 6 du projet de loi, sur lequel j'ai déposé deux amendements, dans le souci d'accroître la transparence et de prévenir certains dérapages qui ne manqueraient pas de se produire.
Nous devons, me semble-t-il, éviter d'ouvrir la boîte de Pandore des analyses des émissions et des rejets des installations nucléaires dans l'environnement. Seules les commissions locales d'information doivent pouvoir demander ces analyses, qui, je le rappelle, coûtent cher aux finances publiques. Et s'il ne faut surtout pas s'en priver dès lors qu'elles sont utiles, on ne peut autoriser les demandes de toutes les personnes intéressées, sinon celles-ci se multiplieront et les refus des commissions locales d'information d'accéder à ces demandes viendront immanquablement alimenter de nouveaux contentieux.
L'innovation majeure qu'apporte ce projet de loi est sans conteste la mise en place d'une Haute autorité de sûreté nucléaire, autorité de contrôle indépendante, telle que l'avait souhaitée le Président de la République lors de la présentation de ses voeux aux forces vives de la nation, le 5 janvier dernier.
La décision de créer cette nouvelle autorité administrative indépendante - j'y insiste - s'inspire des expériences menées aux États-Unis, au Canada et en Espagne.
Je suis néanmoins amené à formuler deux interrogations, s'agissant de ses modalités de fonctionnement et de son coût. Je pense en effet qu'il faut absolument éviter d'accréditer l'idée selon laquelle nous aurions vécu dangereusement jusqu'à ce jour, car tel n'est pas le cas.
Ainsi, l'activité du site nucléaire que je connais le mieux, celui de Civaux, est soumise à différents contrôles, au rythme d'un par jour en moyenne, soit par l'autorité de sûreté, soit par des administrations compétentes ou par la commission locale d'information, auxquels le centre nucléaire de production d'électricité de Civaux rend régulièrement des comptes sur le fonctionnement de la centrale.
Les contrôles externes sont très nombreux. La direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection a remplacé la direction de la sûreté des installations nucléaires et son champ d'intervention a été étendu à la radioprotection.
Comme pour les autres centrales, un certain nombre de contrôles sont également effectués à l'échelon régional par la division de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, la DSNR, et la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, ainsi que par les directions départementale et régionale des affaires sanitaires et sociales.
Dans ces conditions, madame le ministre, je souhaiterais avoir un certain nombre d'informations complémentaires. J'aimerais ainsi savoir exactement comment vont se combiner les moyens existants avec les dispositions de l'article 16 du projet de loi relatif aux contrôles et mesures de police, et connaître le coût de l'installation et du fonctionnement de la Haute autorité, la sécurité ayant un coût.
Avant de conclure, je voudrais rendre hommage à tous les professionnels de l'industrie nucléaire, pour qui la sécurité est une préoccupation permanente.
Ce projet de loi, dont l'objectif de consolidation juridique et de transparence est primordial, mérite d'être approuvé.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à ce stade du débat, nous n'éviterons pas quelques redondances dans la présentation de certains chiffres. Il me paraît toutefois important de rappeler que la France acquitte chaque année une facture énergétique de 23 milliards d'euros et qu'elle reste dépendante du pétrole à hauteur de 40 %. Elle doit donc trouver les moyens de compenser ses faibles ressources énergétiques fossiles.
Par ailleurs, pour contenir le phénomène de réchauffement climatique, les climatologues estiment que l'humanité doit diminuer ses rejets annuels de carbone de 6 milliards à 3 milliards de tonnes. En se substituant au charbon, qui constitue la source d'électricité la plus importante à l'échelle de la planète, les 440 réacteurs nucléaires aujourd'hui en fonctionnement dans le monde permettent chaque année d'éviter le rejet d'environ 600 millions de tonnes de carbone, soit 20 % du tonnage total devant être économisé.
Dès lors, le nucléaire apparaît comme l'un des outils les plus efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique, mais également pour répondre à l'explosion des besoins. Il ne faut pas oublier non plus que le recours à l'énergie nucléaire, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, a été décidé en France dans le but, qui reste d'actualité, de garantir notre indépendance énergétique.
Rappelons que le nucléaire assure aujourd'hui près de 80 % de la production d'électricité du pays, l'hydraulique complétant cette fourniture à hauteur de 14 %.
En ce sens, la décision du Président de la République de développer le nucléaire de quatrième génération, plus économe, plus sûr, produisant moins de déchets et apte au dessalement de l'eau et à la production d'hydrogène, est un engagement conforme au protocole de Kyoto, récemment entré en vigueur. Elle nous satisfait donc pleinement.
Toutefois, le développement de l'énergie nucléaire doit avoir pour corollaire une meilleure prise en compte des problématiques propres à cette énergie.
En conséquence, et au regard des enjeux, la politique énergétique suppose une véritable maîtrise publique, dont découlera la transparence qui permettra aux citoyens de maîtriser pleinement les enjeux liés au développement du nucléaire. La population souhaite en effet mieux connaître les risques liés à cette énergie, qu'ils concernent la gestion des déchets, la protection de l'environnement ou les effets sur la santé.
Le Gouvernement s'était donné pour objectif de répondre à ces aspirations. Qu'en est-il concrètement ?
En préalable, je tiens à souligner les risques qu'entraînent les politiques de libéralisation du secteur énergétique et l'ouverture du capital d'EDF, notamment, en termes de transparence nucléaire.
Le désengagement de l'État dans la définition de la politique énergétique ne permet pas d'assurer la transparence nucléaire dans de bonnes conditions. La gestion privée des entreprises énergétiques - cela a déjà été dit, mais j'y insiste - constitue un recul démocratique important, les citoyens et les salariés n'ayant plus leur mot à dire. Ce déficit démocratique est un facteur potentiel de manque de transparence.
S'agissant plus particulièrement du texte qui nous est soumis aujourd'hui, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment qu'il comporte de nombreux points positifs concernant les objectifs de transparence en matière nucléaire, qui sont principalement issus du projet de loi tel qu'il avait été déposé par Dominique Voynet. Nous estimons en effet que la création d'un Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire va dans le bon sens.
Par ailleurs, nous voyons dans la présence au sein de cette structure d'une personnalité du Conseil supérieur de l'audiovisuel un engagement de communiquer auprès du plus grand nombre. Cependant, afin d'améliorer la représentativité de ce Haut comité, nous soutiendrons l'amendement de la commission qui vise à élargir sa composition et à intégrer la représentation syndicale des salariés des installations nucléaires de base, mais également celle des services de l'État, notamment de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. De plus, nous souhaitons que sa saisine soit élargie aux parlementaires et aux représentants des organisations syndicales.
L'article 6 du projet de loi légalise les commissions locales d'information, élargit leurs pouvoirs et assure leur financement. Ces garanties nous satisfont, même si, concrètement, ces commissions ne disposent pas de réels pouvoirs de contrainte leur permettant d'obtenir les documents nécessaires à leur travail.
Toujours dans le souci de permettre une meilleure transparence, nous vous proposerons d'améliorer les relations sur site entre les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et les CLI. Il nous semble en effet important de renforcer la discussion entre ces commissions et les salariés des installations nucléaires.
Nous sommes plus réservés sur l'article 4, qui crée le droit à l'information. Cet article prévoit en effet que les exploitants pourront refuser de communiquer certaines informations au nom de la sécurité nucléaire. Cette restriction est bien vague et ne permet pas de garantir effectivement le droit à l'information. On peut en effet refuser de transmettre un grand nombre d'informations au nom de ce principe !
De plus, cette nouvelle obligation sera source d'insécurité juridique pour les exploitants, qui ne sauront pas quels documents ils seront dans l'obligation de fournir. Nous estimons que la liste des documents transmissibles devrait être fixée dans un décret pris en Conseil d'État.
En outre, s'il est indispensable d'informer la population, il ne faut pas non plus oublier les salariés du secteur. L'exercice de la démocratie sociale est un élément important de la transparence nucléaire. De ce point de vue, le statut d'établissement public à caractère industriel ou commercial d'EDF permettait un minimum de consultation des personnels grâce aux dispositions statutaires.
Or, aujourd'hui, la situation s'est nettement dégradée : les salariés sont systématiquement écartés de toutes les questions de sécurité. À titre d'exemple, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne participe pas à l'élaboration du plan d'urgence interne.
En conclusion, nous estimons que le présent projet de loi comporte de réelles avancées en termes de transparence, dont nous sommes satisfaits.
Nous espérons donc, si nous partageons les mêmes objectifs, que vous adopterez les amendements que nous vous proposerons visant à permettre une meilleure information des citoyens, afin qu'ils soient pleinement associés aux choix énergétiques.
Cependant, nous sommes plus réservés sur les mesures du projet de loi concernant la sécurité nucléaire, notamment la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire. Le temps me manque pour aborder ce sujet, mais mon ami Yves Coquelle l'a fait. Nous y reviendrons donc au cours du débat sur les amendements.
Nous espérons que ce texte évoluera au fil de son examen, afin qu'il puisse garantir une meilleure transparence et une sécurité renforcée en matière nucléaire. Si tel n'était pas le cas, nous ne pourrions pas le voter.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Permettez-moi, en premier lieu, de vous remercier, madame la ministre, de nous donner l'occasion de nous pencher sur les sujets particulièrement importants que sont la transparence et la sécurité en matière nucléaire, même si l'on peut regretter que de longues années aient été nécessaires avant que nous puissions les aborder.
En effet, si le projet de loi que vous nous présentez a été déposé sur le bureau du Sénat dans le courant de l'année 2002, il est, en fait, en gestation depuis plus de six ans.
Ses objectifs sont pourtant parfaitement louables et croyez bien que nous les partageons : étendre le droit à l'information des citoyens ; conforter le rôle des commissions locales d'information ; garantir la qualité et la fiabilité de l'information du public sur les activités nucléaires ; préciser les conditions d'autorisation des installations nucléaires, ainsi que celles qui sont relatives au transport de substances radioactives ; enfin, renforcer le contrôle de l'application des mesures de radioprotection.
Le Président de la République avait annoncé la création d'une agence administrative indépendante chargée du contrôle de la sécurité nucléaire, de la radioprotection et de l'information. Cette annonce a été suivie d'effet puisque la lettre rectificative à l'actuel projet de loi prévoit la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire, pourvue de ces différentes missions.
Cette initiative mérite d'être saluée, car, dans le domaine nucléaire, comme dans tous les autres, il n'y a rien de pire que les instances qui sont, peu ou prou, à la fois juge et partie.
Il semblerait en effet que, par le passé, le Parlement, voire parfois certains ministres n'aient pas toujours bénéficié d'une information objective leur permettant de prendre des décisions pourtant importantes pour l'avenir énergétique de notre pays.
Cela n'est pas admissible et il faut espérer que, à l'avenir, cette autorité indépendante aura le souci de garantir aux citoyens et aux élus une information à la fois objective et d'une très grande qualité scientifique.
Même si le texte dont nous débattons ne constitue pas ce que l'on appelle communément « l'après-loi Bataille », qui fera l'objet d'un débat au cours de la présente année, vous ne serez guère étonné que l'élu de la Meuse que je suis évoque le devenir du laboratoire de Bure, au sujet duquel le Haut-Marnais Bruno Sido partage, je le sais, mes préoccupations.
J'ai déjà eu l'occasion d'aborder ce sujet au cours d'un débat organisé ici même à la suite d'une question orale du président Henri Revol. J'y avais notamment évoqué le dispositif d'accompagnement financier inhérent à la création et à l'exploitation de ce laboratoire, me faisant l'écho du souhait des élus meusiens de voir celui-ci induire un véritable développement économique et la création d'emplois durables aussi bien en Meuse qu'en Haute-Marne. J'avais en outre précisé que la création d'emplois et de richesse serait un facteur déterminant de l'acceptation locale ». C'est en effet une dimension à prendre également en compte.
Lors de ce même débat, j'avais souligné qu'un très grand effort de concertation dans la plus grande transparence devrait nécessairement être conduit, en souhaitant que les résultats, positifs ou négatifs, des recherches sur la faisabilité d'un stockage dans le laboratoire de Bure soient rendus publics et compréhensibles.
J'en reviens ainsi à l'objectif principal du texte que nous examinons, à savoir la « transparence et la sécurité en matière nucléaire ».
Même si celui-ci s'applique aux installations nucléaires de base, vous conviendrez aisément que ces deux notions essentielles ne peuvent être absentes s'agissant du stockage des déchets nucléaires.
À cet égard, je me permets de rappeler les conclusions contenues dans l'excellent rapport publié voilà quelques mois par nos collègues députés MM. Bataille et Birraux sur l'état d'avancement et les perspectives des recherches sur la gestion des déchets radioactifs, s'agissant plus particulièrement de l'amélioration de l'information à destination des élus et de la population.
Ce rapport prévoit ainsi d'améliorer l'efficacité du comité local d'information et de suivi créé auprès du laboratoire de Bure s'agissant de sa mission de diffusion des résultats des recherches.
Il est également proposé de prolonger, au-delà de 2006, la Commission nationale d'évaluation afin que celle-ci continue à jouer son rôle d'aiguillon, de conseil et d'analyse.
Ce rapport préconise aussi d'assigner au CEA et à l'ANDRA, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, des objectifs ambitieux d'information pour les visites de leurs installations et d'améliorer le dialogue avec les élus et la population, le débat public ayant, au demeurant, été très largement engagé.
Vous n'êtes pas sans savoir, madame la ministre, que la création de ce laboratoire fait l'objet d'une contestation locale émanant davantage - vous n'en serez guère surprise - des milieux se préoccupant de la protection de l'environnement que des élus. Même si ces préoccupations peuvent paraître exagérées, il n'en demeure pas moins qu'il convient d'en tenir compte.
En effet, s'il est parfaitement exact que, s'agissant des centrales électronucléaires, la France possède une très grande expertise et une expérience déjà suffisamment longue pour se rendre compte qu'aucun incident majeur n'est intervenu dans leur fonctionnement - et il convient de s'en féliciter -, nous ne disposons, malheureusement, d'aucun recul concernant le laboratoire souterrain de Bure. Qui plus est, contrairement à ce qui avait été prévu à l'origine, il s'agit d'une installation unique, sans aucune possibilité de comparaison.
On avait évoqué, en d'autres temps, certains départements, tels le Gard ou la Vienne, mais ce site reste, pour l'instant, le seul qui soit véritablement au stade de l'expérience.
Or, à bien des égards, l'avenir de ce site se dessine - à ce jour en tout cas - sans véritable concertation avec les élus locaux. Nous entendons régulièrement parler d'« enfouissement », de « réversibilité ». Ces mots, d'une certaine façon sonnent de manière un peu perturbantes à nos oreilles, car nous savons qu'il y a une différence de taille entre la durée de vie d'une centrale nucléaire, qui est d'environ quarante ou cinquante ans avant son démantèlement, et celle des déchets nucléaires, qui est presque éternelle !
Les élus et la population aspirent donc légitimement à être rassurés quant à l'innocuité d'un tel équipement.
Je souhaite, pour ma part, que toutes les dispositions du présent projet de loi qui vont dans le sens de l'amélioration de la transparence et de la sécurité en matière nucléaire s'appliquent au laboratoire et, éventuellement, au futur centre de stockage de Bure. En tout état de cause, ce site, qui nécessitera un ou plusieurs nouveaux forages, doit rallier les attentes, les ambitions et peut-être aussi les espoirs de nos deux départements de la Meuse et de la Haute-Marne.
Comme je l'indiquais voilà quelques mois, la communauté scientifique mérite notre confiance, mais le passé nous indique qu'elle peut se tromper. Quant à nous, décideurs politiques, sur un sujet aussi sensible et d'une importance capitale, nous n'avons pas le droit à l'erreur ; il y va de l'avenir des générations futures.
C'est donc ensemble que nous devrons assumer nos responsabilités, dans la perspective d'un projet industriel interdépartemental d'intérêt commun, et au service de notre pays.
L'occasion nous est donnée de dynamiser les actions industrielles de nos départements ruraux et de vous accompagner, madame le ministre, dans votre ambition de mettre en place les solutions d'avenir durables qui s'imposent.
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est à la transparence et à la sûreté ce que le projet de loi sur l'égalité des chances, examiné jusqu'à hier par notre assemblée, est en réalité à l'égalité.
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Curieux destin que celui du projet de loi dont j'ai pris l'initiative en 1998, en tant que ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
J'aurai certainement l'occasion, au cours de nos échanges, de vous exposer les diverses étapes de la réflexion du gouvernement auquel j'ai appartenu et les efforts, partiellement couronnés de succès, que j'ai déployés, pendant cette période, pour améliorer la gouvernance des activités nucléaires, en séparant ce qui relève de l'exploitation, de l'expertise - avec la création de l'IRSN, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, par fusion de l'IPSN, l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, enfin séparé du Commissariat à l'énergie atomique, et de l'OPRI, l'Office de protection contre les rayons ionisants, qui n'avait, jusque-là, jamais eu réellement les moyens de faire correctement ce qu'on attendait de lui en matière de radioprotection -, du contrôle - avec la mise en place de la DGSNR - et, enfin, de l'information.
L'opportunité de ces réformes n'a pas été réellement contestée. Nous aurions pu - et dû - aller plus loin en convenant que, si nous voulions séparer de façon incontestable exploitation et contrôle, il fallait procéder pour le nucléaire comme pour les installations classées et placer l'exploitation sous la tutelle du ministre de l'industrie et le contrôle sous la tutelle des ministres de l'environnement et de la santé.
Deux préoccupations subsistaient, qui furent traduites dans un projet de loi : l'institution - enfin ! - d'un régime juridique complet des installations nucléaires de base et la mise en place de garanties et de modalités d'accès à l'information.
Présenté et adopté en conseil des ministres le 4 juillet 2001, le texte fut enregistré à la présidence du Sénat en juin 2002, et prestement jeté aux oubliettes. C'est donc avec surprise que nous avons découvert que ce texte allait finalement, quatre ans plus tard, être examiné selon la procédure d'urgence ! Nous aurons l'occasion, au cours du débat, d'expliquer le « pourquoi du comment » de cette soudaine précipitation !
En réalité, le projet de loi n° 326 rectifié n'a plus grand-chose à voir avec le texte sur lequel nous avons commencé à travailler dès son inscription à l'ordre du jour de nos travaux. La lettre rectificative, préparée par le Gouvernement avec une discrétion qui tranche sur l'objectif affiché de transparence, et qu'il nous a présenté quelques jours seulement avant son examen, en modifie totalement l'équilibre général et la philosophie.
J'imagine votre surprise, madame la ministre, à l'écoute des voeux du Président de la République, le 5 janvier dernier. Après l'annonce stupéfiante, sans aucune concertation préalable - ne serait-ce qu'avec les membres du Gouvernement -, du lancement des études de conception d'un prototype de réacteur nucléaire de quatrième génération « qui devra entrer en service en 2020 », le Président demande au Gouvernement « de créer par la loi sur la transparence nucléaire, dès cette année, une autorité indépendante chargée du contrôle de la sécurité nucléaire, de la radioprotection et de l'information ».
Et le Gouvernement de s'exécuter avec une diligence elle aussi étonnante, qui contraste avec l'indolence caractérisant l'examen d'une autre injonction présidentielle : « diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050 ».
Comme le souligne le rapporteur, et j'y vois un hommage à la qualité du travail réalisé entre 1998 et 2001 et à l'objectivité avec lequel il a été conduit, nonobstant des convictions personnelles dont vous n'ignorez rien, ce projet de loi constitue le premier texte offrant un cadre général aux activités nucléaires, qui fonctionnent depuis plus de quarante ans sans base législative !
Il fixe les règles et principes généraux qui lui sont applicables. S'inspirant de la législation sur les installations classées, le projet met en place un régime d'autorisation des INB, confie le contrôle de ces installations à une inspection de la sûreté nucléaire et définit les mesures de police dont l'administration peut faire usage ainsi que les sanctions applicables à un exploitant indélicat.
Il affirme le droit à une information transparente et dote les commissions locales d'information de moyens budgétaires propres, permettant d'assurer leur bon fonctionnement et leur indépendance. Je regrette d'ailleurs que notre rapporteur propose de remettre en cause, par voie d'amendement, cette indépendance financière : ce n'est pas une bonne idée !
Le projet vise également à mettre en place un haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire, dont on peut penser, à la lecture du texte, qu'il ne dispose pas de prérogatives plus étendues et d'une légitimité plus forte que n'en avaient les différentes structures ad hoc mises en place au fil du temps.
Mais le point central du projet est incontestablement la création d'une autorité administrative indépendante chargée du contrôle de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de l'information. L'intention est noble, mais, nous le savons, l'enfer est pavé de bonnes intentions !
De quelle indépendance parle-t-on ici ? De l'indépendance par rapport aux exploitants ? De l'indépendance par rapport au corps des Mines, dont sont issus la plupart, sinon la totalité, des acteurs majeurs du secteur nucléaire ? Pas du tout !
Ce dont il est question, c'est de l'indépendance par rapport à ceux qui assument la responsabilité des choix énergétiques de la France, par rapport à ceux qui ont à rendre des comptes devant le peuple français et devant la communauté internationale, via les engagements pris, par exemple, dans le cadre du traité de non-prolifération, sur la façon dont les activités nucléaires, civiles et militaires sont conduites dans notre pays. C'est du dessaisissement du Gouvernement et du Parlement qu'il est question !
Vous vous êtes réjouie, madame la ministre, d'être chargée de présenter ce texte au motif que votre ministère occupe - je vous cite - « une place centrale, majeure, dans le contrôle des activités à risque ». Vous semblez prête à vous dessaisir de cette responsabilité en matière nucléaire !
Comme vous l'avez souligné tout à l'heure, le gouvernement de Lionel Jospin avait, à l'époque, également envisagé la création d'une autorité indépendante, mais y avait renoncé. À l'époque, j'avais argumenté contre cette hypothèse, sans être entendue, avant de recevoir l'aide du Conseil d'État qui, le 3 juin 1999, critiquait le texte en estimant « que le transfert de pouvoirs de décision et de contrôle dans les domaines de police spéciale que sont la sûreté nucléaire et la radioprotection n'est pas justifié, alors que les dispositions envisagées conduisent à une répartition des compétences incertaine et incohérente entre le Gouvernement et l'autorité en cause ».
C'est sur cette base, madame la ministre, que le Gouvernement au sein duquel j'ai eu l'honneur de travailler, prit la sage décision de renoncer à l'autorité « indépendante » que vous nous proposez à nouveau aujourd'hui.
Vous nous dites que le Conseil d'État n'aurait pas formulé d'observations. Serait-il moins curieux que notre rapporteur, qui a noté que le transfert d'un pouvoir règlementaire à une autorité administrative indépendante pourrait poser des problèmes d'inconstitutionnalité au titre de l'article 21 ? La publication de l'avis du Conseil d'État serait bienvenue, madame la ministre.
Ce projet de loi, madame la ministre, est réellement dangereux, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, il prévoit la création d'une Haute autorité de sûreté nucléaire indépendante du pouvoir politique, mais pas de l'industrie nucléaire !
La Haute autorité est composée de cinq membres, désignés par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale au regard « de leur compétence dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ». Par ailleurs, « les membres du collège exercent leurs fonctions en toute impartialité sans recevoir d'instruction du Gouvernement, ni d'aucune autre personne ou institution ».
Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que le collège sera donc essentiellement composé de personnes dont toute la carrière se sera déroulée dans l'industrie nucléaire ou dans les ministères de la recherche ou de l'industrie. Le sujet l'exige, me direz-vous, sa technicité, sa complexité, en un mot sa « spécificité ».
Sans tomber dans la caricature, il faut admettre que le monde du nucléaire est un monde très « endogamique », très concentré, avec peu d'acteurs, disposant de tous les attributs de la puissance, notamment de réseaux d'influence impressionnants. C'est un monde dans lequel on occupe, tour à tour, des fonctions de conseiller auprès d'un ministre, de directeur d'administration centrale, de dirigeant d'une entreprise du secteur, un monde dans lequel les décisions, dans le domaine civil comme dans le domaine militaire, sont prises de toute éternité par un tout petit nombre de personnes, à Matignon, au CEA, chez EDF, chez AREVA.
Pour dire les choses encore plus nettement, la création d'une Haute autorité, totalement indépendante du pouvoir politique, est une magnifique aubaine pour les plus influents membres de ce qu'il faut bien qualifier de « lobby nucléaire ».
Deuxièmement, ce projet de loi est dangereux en ce qu'il donne à cette Haute autorité un pouvoir exorbitant
Pour faire court, la lettre rectificative au projet de loi semble avoir été écrite par la DGSNR, et la concertation interministérielle réduite à sa plus simple expression...
La Haute autorité, et singulièrement son président, dispose de compétences très étendues en matière réglementaire, le Gouvernement étant invité à homologuer les décisions de l'autorité, en matière de contrôle et d'information.
Cette Haute autorité peut édicter des règlements, à caractère technique, nous dit-on, sans doute pour limiter le risque d'inconstitutionnalité ; disposant d'un pouvoir de police spéciale, elle contrôlera elle-même leur application. Le pouvoir d'information est lui aussi confié à cette autorité indépendante qui demande par ailleurs, si j'en crois le rapporteur, de pouvoir participer aux travaux du Haut comité de transparence sur l'information nucléaire, vidé de tout pouvoir réel.
Inamovible et irrévocable, le président de la Haute autorité est doté de pouvoirs considérables. En matière budgétaire, par exemple, il n'est pas seulement ordonnateur des recettes et des dépenses, il est également chargé de l'ordonnancement et de la liquidation, pour le compte de l'État, en lieu et place des services fiscaux, de la taxe sur les INB, instituée par l'article 43 de la loi de finances pour 2000.
Il propose non seulement les crédits nécessaires à l'accomplissement de ses missions, mais aussi ceux de la subvention de l'Etat à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, qui doit aujourd'hui, et devra toujours demain, obtenir du président de la Haute autorité l'autorisation de rendre publics ses avis et travaux ! Sans oublier le financement direct des CLI dont l'indépendance serait, de ce simple fait, largement compromise si nous devions suivre l'avis du rapporteur !
Troisièmement, cette Haute autorité est irresponsable et l'État, démuni.
La Haute autorité ne dispose pas de la personnalité morale. Elle est donc irresponsable, et inattaquable devant la justice.
J'avoue ne rien comprendre à la démonstration de notre rapporteur qui affirme à la page 28 de son rapport : « L'État reste l'unique garant de la sécurité nucléaire, puisque la HASN, non dotée de la personnalité morale, est entièrement intégrée à l'Etat. La seule réelle différence avec la situation actuelle sera son indépendance vis-à-vis des ministres, ces derniers disposant toutefois du pouvoir d'homologation de certaines décisions de la HASN. » C'est trop, madame la ministre !
Et notre rapporteur de poursuivre : « ¨Le Gouvernement dispose toujours de l'ensemble des moyens pour faire face aux crises. » Ce n'est pas ce que j'ai compris, monsieur le rapporteur, en lisant le communiqué du conseil des ministres du 22 février ! Mme la ministre pourra vous le confirmer : elle y était !
On y apprend que « la Haute autorité disposera des services relevant actuellement de la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que des onze divisions territoriales chargées de la sûreté nucléaire et de la radioprotection dans les services déconcentrés de l'État, soit environ 400 agents. »
L'article 38 du projet de loi prévoit d'ailleurs le transfert automatique des agents de l'actuelle « autorité de sûreté nucléaire » à la Haute autorité de sûreté. J'espère, madame la ministre, mes chers collègues, que vous avez entendu les guillemets dont j'ai entouré l'expression « autorité de sûreté nucléaire ». Si, depuis des années, certains l'utilisent, c'est par abus de langage, concernant une direction, certes importante, d'administration centrale et ses services en région. Cependant, aucune loi, aucun décret, ne définit l'autorité de sûreté nucléaire !
Monsieur le rapporteur, dans Le Monde daté du 8 mars, vous déclarez : « l'État [...] disposera toujours de quelque chose comme la DGSNR » ! Voilà qui n'est guère rassurant !
Pour ma part, je tiens à vous alerter, avec la plus grande fermeté : une organisation aussi déséquilibrée ne saurait fonctionner !
Nous voilà donc avec, d'un côté, une autorité administrative indépendante, dotée d'un budget important, de services efficaces, d'un président inamovible, n'ayant de comptes à rendre à personne et, de l'autre, un Etat dessaisi de ses pouvoirs régaliens, sans administration, mais responsable devant nos compatriotes et nous-mêmes.
Qu'en sera-t-il en cas d'accident ? La sûreté des installations nucléaires - centrales de production d'électricité, usines du cycle du combustible, installations expérimentales - est une question extrêmement sensible du fait de l'importance des risques encourus et de l'attention particulière qu'y porte, à juste titre, le public.
De nombreux exemples, dans un passé récent, montrent que les incidents et accidents dont les conséquences auraient pu être graves sont relativement fréquents et que le pouvoir politique est immédiatement confronté aux interrogations des médias et des citoyens : il doit leur répondre et prendre les décisions qui s'imposent à la fois sur les installations elles-mêmes et sur la protection des populations.
Il est important de savoir que le pouvoir politique a, chaque fois, été directement interpellé alors que les informations ne lui ont été fournies qu'au compte-gouttes, et souvent au dernier moment, par une administration jalouse de ses prérogatives et bien déterminée à protéger les exploitants nucléaires. Pourtant, c'est bien cette administration qui, placée directement sous l'autorité des ministres concernés et du Premier ministre, est responsable, en dernier ressort, devant la nation.
Que prévoit le projet de loi ? Le Gouvernement reprendrait la main « en cas d'urgence ». Qui décide et comment, du passage de pouvoir de la Haute autorité au Gouvernement ? Est-ce le président de l'autorité qui se démet lui-même d'une responsabilité qu'il est prêt à assumer quand ce n'est pas grave et dont il se défait lorsqu'il estime que « ça sent le roussi » ? Est-ce le Gouvernement ? Mais, comment ce dernier pourrait-il réagir intelligemment sans aucune information préalable ni personnel à sa disposition ?
La gestion d'une crise nucléaire, déjà difficile lorsque l'organisation est à peu près cohérente, devient impossible dans la situation de confusion et d'irresponsabilité que tend à créer le projet de loi.
Là où nous voulions un contrôle de la transparence nucléaire indépendant, avec des commissions locales dotées de moyens suffisants, là où nous voulions l'amélioration de la sûreté et, bien sûr, la pluralité de l'expertise en matière de nucléaire et de radioprotection, nous récoltons usurpation et abus de pouvoir, démission du politique sur l'une de ses fonctions fondamentales, opacité totale, appauvrissement technique et scientifique, désordre dans le fonctionnement et impossible gestion des crises !
La réforme proposée est dangereuse, en dépit des efforts déployés par les rapporteurs pour améliorer ce qui peut être amélioré.
J'aimerais vous convaincre, madame la ministre, de ne pas démembrer les outils dont vous disposez, et de ne pas confier tous les moyens humains, financiers et techniques de contrôle d'une industrie aussi risquée à cinq personnes désignées pour six ans ! Si vous deviez persister, les Verts voteraient contre le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Philippe Richert remplace M. Guy Fischer au fauteuil de la présidence.
Monsieur Piras, j'ai écouté votre intervention avec attention. Au-delà de certaines critiques que vous avez formulées à l'égard de la procédure, il me semble finalement que nous sommes en accord sur un certain nombre de points.
Par ailleurs, je crois avoir retracé aussi fidèlement que possible l'historique de ce texte. Effectivement, ce projet de loi a été déposé au Parlement par le gouvernement Jospin en 2001, sans qu'il soit, pour autant, discuté pendant la législature. C'est pourquoi il revient au gouvernement actuel de le faire enfin aboutir.
J'ajoute que le Gouvernement a rapidement décidé de recourir à la procédure de la lettre rectificative, qui lui a permis de bénéficier de l'avis du Conseil d'État. Je souhaite insister sur ce respect de la procédure, qui a permis à vos rapporteurs de travailler sur des bases solides.
Quant à la décision du Gouvernement de recourir à la procédure d'urgence, elle est totalement légitime. Il est aujourd'hui urgent de rénover le cadre juridique des activités nucléaires et l'organisation institutionnelle du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Monsieur le sénateur, vous l'avez vous-même reconnu en rappelant que ce texte était vital. Une fois encore, nous sommes d'accord sur ce point, me semble-t-il.
Vous avez évoqué les conséquences des évolutions actuelles du secteur énergétique, et notamment de son ouverture à la concurrence, sur la sûreté nucléaire. Je reviendrai sur ces aspects dans la réponse que je ferai à M. Coquelle, si vous le permettez, afin d'éviter la redondance dans mes propos !
Au sujet de la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire, vous avez souhaité que le Gouvernement garde la responsabilité politique du contrôle de la sûreté nucléaire. Le dispositif proposé par le Gouvernement tient compte de ce type de préoccupations.
Je le dis haut et fort, en particulier à l'attention de Mme Voynet : le Gouvernement conserve le pouvoir de décision en ce qui concerne les mesures les plus importantes, notamment les autorisations de création et de démantèlement des grandes installations nucléaires. De son côté, la Haute autorité est chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et des décisions courantes intimement liées à ce contrôle. Selon le Gouvernement, il s'agit là d'un équilibre adéquat, de nature à garantir l'efficacité du contrôle.
S'agissant enfin de la politique énergétique, je rappellerai que la loi d'orientation sur l'énergie constitue la première grande loi portant sur cette question et qu'il faut saluer cet exercice démocratique.
M. Paul Girod s'est excusé de ne pouvoir entendre mes réponses, mais il pourra en prendre connaissance dans le compte rendu des débats.
J'ai pris acte de son adhésion à la réforme du contrôle de la sûreté nucléaire proposée par le Gouvernement, avec la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire.
Il a rappelé que la répartition des pouvoirs entre le Gouvernement et la Haute autorité de sûreté nucléaire était une question sensible et structurante. Je puis lui assurer que le Gouvernement a été particulièrement attentif à cet aspect de la réforme proposée et a soigneusement pesé ses arbitrages. Je note que M. Girod adhère globalement à l'équilibre qui caractérise la proposition du Gouvernement.
Il a également évoqué l'importance des dispositions du projet de loi relatives à la transparence et à l'information du public. J'ai relevé qu'il n'avait pas eu d'hésitation en ce qui concerne le développement des pratiques et de la législation dans ce domaine.
J'ai, en revanche, retenu sa préoccupation concernant la préservation du secret industriel et commercial des industriels. Je tiens sur ce point à le rassurer : les industriels n'ont rien à redouter d'une transparence exemplaire, bien au contraire. Une telle transparence est, de toute façon, une exigence de la société actuelle, et les exploitants l'ont bien compris.
M. de Montesquiou a parfaitement rappelé l'esprit de la réforme du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection proposée par le Gouvernement.
Tout d'abord, une Haute autorité de sûreté nucléaire, dotée du statut d'autorité administrative indépendante, forte, crédible et pourvue des moyens nécessaires à l'exercice de sa mission, essentielle, est chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection au sein de l'Etat.
Ensuite, la rénovation du régime de contrôle applicable aux grandes installations nucléaires est une réforme certes technique, mais elle va permettre de porter la législation française au meilleur niveau. C'est également un facteur d'efficacité et de transparence dans le contrôle, comme il l'a fort justement indiqué.
M. de Montesquiou a également rappelé que les questions nucléaires, notamment les questions liées à la sûreté nucléaire, avaient une dimension internationale très marquée. Avec ces deux réformes - création de la Haute autorité et rénovation du régime des grandes installations nucléaire -, la France se hisse, non plus seulement en fait, mais également en droit et sur le plan de son organisation institutionnelle, au meilleur niveau dans le monde.
Enfin, je tiens à remercier M. de Montesquiou de sa confiance et de son soutien.
Monsieur Coquelle, vous avez exprimé des inquiétudes quant à l'impact de l'ouverture du secteur énergétique à la concurrence sur la sûreté nucléaire.
Selon le Gouvernement, aucune raison objective ne justifie de faire un lien entre, d'une part, le niveau de sûreté nucléaire et, d'autre part, la forme juridique, publique ou privée, de l'entreprise exploitant les installations ou le fait que cette entreprise évolue dans un environnement concurrentiel.
La sûreté nucléaire dépend avant tout du professionnalisme et de l'engagement de l'exploitant, de la rigueur du contrôle exercé par l'Autorité de sûreté nucléaire, comme l'illustrent d'ailleurs les exemples étrangers.
Je voudrais également vous confirmer que le Gouvernement n'a pas l'intention de privatiser EDF et qu'il ne faut pas voir, dans le texte proposé, une volonté cachée de privatiser le nucléaire.
Monsieur Gaudin, vous avez insisté sur le fait que le projet de loi rappelle les grands principes applicables aux activités nucléaires, et c'est là une clarification utile apportée par le projet de loi. Il convient de souligner cet aspect. Le projet de loi prend, sur ce point, la pleine mesure de la Charte de l'environnement, qui fait partie de notre acquis constitutionnel.
Vous avez également rappelé l'importance de l'information du public et de la transparence dans le domaine de la sécurité nucléaire. C'est l'un des objectifs majeurs du projet de loi, au même titre que l'inscription des commissions locales d'information dans la loi, la création du Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire et, enfin, l'institution d'un véritable droit d'accès à l'information détenue par les exploitants en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
De la même manière que M. Girod, vous vous êtes dit préoccupé par la préservation du secret industriel et commercial des industriels. Je l'ai dit, la transparence est aujourd'hui une exigence sociale ; il faut s'y engager sans état d'âme.
Monsieur Raoul, vous avez insisté sur l'importance de la transparence. Le Gouvernement est tout à fait convaincu de cette importance.
Vous avez évoqué les amendements que vous avez déposés sur divers sujets : commissions locales d'information, Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire, droit à l'information.
Autant nous partageons l'objectif global, autant nous divergeons sur les modalités !
Nous considérons, en effet, que certains de vos amendements contribuent à brouiller les responsabilités ou les frontières ; nous en expliquerons au cas par cas. Les questions relatives à la sûreté nucléaire et à son contrôle ne souffrent ni ambiguïté ni approximation.
Vous avez émis des critiques sur la création de la Haute autorité. J'ai toutefois le sentiment que le Gouvernement avait à l'esprit vos préoccupations lorsqu'il a conçu le dispositif proposé.
Je reviendrai simplement sur l'une de vos critiques : le fait de confier à une autorité administrative indépendante un pouvoir de réglementation, clairement encadré et subordonné à celui du Gouvernement, n'est absolument pas exceptionnel et ne contrevient en rien à nos règles constitutionnelles.
Monsieur Fouché, vous rappelez à juste titre que le texte proposé vise à consolider et renforcer le cadre et le dispositif existant.
Vous avez en outre interrogé le Gouvernement sur les moyens dont disposera la Haute Autorité de sûreté nucléaire.
La réponse du Gouvernement à cette question est très claire : la Haute autorité devra disposer des agents en poste à l'actuelle autorité de sûreté nucléaire, c'est-à-dire à la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, et dans ses divisions régionales, les divisions de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
Le Gouvernement réfléchit par ailleurs à l'organisation de son administration pour être à même de traiter les missions qu'il n'a pas déléguées. Cette organisation conduira naturellement à des créations d'emplois au sein des services de l'État, mais en nombre limité.
Les moyens mis à la disposition de la Haute Autorité lui permettront de faire face à ses missions, s'agissant notamment du contrôle au quotidien des activités nucléaires, de l'inspection des installations, de l'instruction de certaines autorisations. Cela représente en tout environ 400 personnes et un budget de 35 millions d'euros, rémunérations comprises. Le Gouvernement considère que cela est loin d'être excessif pour des missions aussi fondamentales que celles de la Haute Autorité.
Enfin, vous avez indiqué, monsieur Fouché, que le présent projet de loi mérite d'être approuvé. Je vous en remercie.
M. Billout a, quant à lui, rappelé les avancées du projet de loi en ce qui concerne la transparence, qu'il accueille positivement.
Vous avez évoqué, monsieur le sénateur, une série d'amendements qui porteront sur ce point, notamment des amendements visant à associer les représentants des salariés aux organes de transparence.
Je voudrais indiquer que le Gouvernement examinera ces amendements sans a priori, dans la mesure où ils peuvent permettre de mieux ancrer dans la société civile les institutions ayant un rôle à jouer en matière de transparence. Le Gouvernement considère qu'il convient toutefois de veiller, à cette occasion, à ne pas brouiller les responsabilités et à ne pas confondre les rôles. C'est à l'aune de ces deux principes qu'il étudiera vos amendements.
M. Biwer a également souligné l'importance des dispositions du projet de loi en matière de transparence. Il a notamment pris l'exemple du débat sur les déchets nucléaires. Je souhaite rappeler, à ce propos, que le Gouvernement prépare un projet de loi spécifique sur les déchets radioactifs. Il le soumettra prochainement au Parlement.
Sans anticiper sur le débat à venir, je mentionnerai trois points : le Gouvernement considère qu'il s'agit là d'un sujet en soi, d'un sujet majeur pour nos concitoyens et pour les générations futures ; le Gouvernement constate que des avancées très significatives ont été obtenues selon les axes de recherche organisés par la loi de 1991 sur les déchets radioactifs ; le Gouvernement dispose à présent d'une palette d'avis rendus par diverses instances ou acteurs concernés, et notamment des conclusions du débat public qu'il a souhaité.
En tout état de cause, le Gouvernement estime que l'ensemble de ces éléments permettront prochainement au débat parlementaire de se tenir dans les meilleures conditions.
Enfin, madame Voynet, vous avez employé des mots durs, des mots forts, qui m'ont semblé excessifs, et même caricaturaux, ...
Mme Nelly Olin, ministre. ...pour un projet de loi qui a tout de même recueilli aujourd'hui un large assentiment. Je ne vais pas allonger le débat : je crois avoir répondu à pratiquement toutes les interrogations, y compris aux vôtres, tant dans mon intervention liminaire que dans mes réponses aux membres de la Haute Assemblée.
Applaudissementssur les travées de l'UMP.
Pour la clarté de nos débats, je propose au Sénat d'examiner séparément l'amendement n° 214 du groupe CRC tendant à la suppression de l'article 2 bis. Cela permettra d'éviter la mise en discussion commune automatique des trente-cinq amendements et sous-amendements déposés sur cet article.
Le président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Émorine, a consulté tous les groupes politiques sur ce point, et je crois savoir que cette proposition fait l'objet d'un consensus.
Il en est ainsi décidé.
Par ailleurs, j'ai cru comprendre que la commission souhaitait que nous n'entamions pas immédiatement l'examen des articles.
M. le rapporteur acquiesce.
Je rappelle que le groupe Union pour un mouvement populaire a proposé une candidature pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Marcel-Pierre Cléach membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Philippe Richert.