Intervention de Jean Bizet

Réunion du 27 octobre 2005 à 15h00
Position de l'union européenne dans les négociations au sein de l'organisation mondiale du commerce avant la conférence de hong-kong — Discussion d'une question européenne avec débat.

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la conférence ministérielle de Hong-Kong aura lieu dans quelques semaines. Elle devra aboutir à un accord sur le cycle de négociations commerciales lancé lors du sommet de Doha en 2001.

Nous devons tout faire pour que cette conférence soit un succès. En effet, en 2003, l'échec retentissant de la conférence de Cancún a constitué un revers pour tout le monde, qu'il s'agisse des pays développés, des pays les plus pauvres ou, d'une manière générale, du multilatéralisme, que certains souhaiteraient voir remis en cause.

En l'absence d'accord en décembre prochain, c'est le fonctionnement même de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, qui pourra être contesté. Pourtant, c'est la seule instance, notamment son organe de règlement des différends, l'ORD, qui soit capable de réguler le commerce international, et cela au bénéfice de tous. Mais un accord lors de la prochaine conférence ministérielle ne peut évidemment être obtenu à n'importe quel prix.

Quels seront les thèmes de discussion à Hong-Kong ? Contrairement à ce que l'on entend souvent, les négociations ne se limiteront pas aux seuls sujets agricoles. Elles concerneront également les droits de douane des produits industriels, les services, la facilitation des échanges et le développement. Par conséquent, réduire la négociation aux seuls thèmes agricoles serait méconnaître les intérêts essentiels de notre pays et de l'Union européenne, qui réalise plus de 85 % de son commerce extérieur grâce aux produits industriels et de services.

S'agissant de l'agriculture, sujet évidemment essentiel, il existe trois principaux thèmes de négociation : d'abord, la suppression des subventions à l'exportation, qui ont un effet de distorsion du commerce mondial ; ensuite, l'accès au marché par le biais d'une réduction des droits de douane ; enfin, la réforme des soutiens internes.

Sur ces trois thèmes, un accord-cadre est intervenu à Genève le 1er août 2004, et ce, je le rappelle, grâce aux initiatives prises par l'Union européenne. Cette dernière a en effet consenti à faire des concessions difficiles, notamment en acceptant de laisser de côté certains sujets dits « de Singapour » et en annonçant la fin, à une date qui reste à déterminer, de toutes ses subventions à l'exportation.

A l'approche de la conférence de Hong-Kong, il reste à fixer des chiffres et des dates sur les décisions de principe. Quel sera le pourcentage de réduction des tarifs douaniers ? Quelle date sera retenue pour la fin des subventions à l'exportation ? Enfin - et c'est le sujet le plus important -, combien de produits sensibles seront protégés et lesquels ?

Nous savons tous que le commissaire européen au commerce a fait des propositions chiffrées en réponse à une première offre des Etats-Unis, qui proposaient de réduire de 60 % leurs subventions internes. La Commission européenne a en effet répondu en proposant de réduire de 70 % ses aides directes aux agriculteurs et d'abaisser parallèlement ses droits de douane dans une proportion de 20 % à 50 %.

Ces propositions, ainsi que l'idée de limiter à cent soixante le nombre de produits sensibles à protéger, sur un total d'environ deux mille produits agricoles, ont suscité l'émoi de nos agriculteurs et une réaction ferme de notre gouvernement. Un mémorandum a été signé par notre pays et cinq de nos partenaires, à savoir l'Italie, l'Espagne, la Pologne, l'Irlande et la Hongrie.

Cette action commune a montré que nous n'étions pas les seuls à souhaiter préserver les engagements pris en faveur des agriculteurs européens. Par ailleurs, un groupe ad hoc d'experts a été mis en place pour évaluer très précisément l'offre faite par la Commission européenne, ainsi que ses effets sur l'ensemble des filières.

Aujourd'hui, certains voudraient aller plus loin et exigent, par exemple, que Peter Mandelson, le commissaire européen au commerce, ait les mains liées pour l'avenir. Selon eux, la Commission européenne ne défendrait pas suffisamment les intérêts de l'Union, en particulier la préférence communautaire en matière agricole.

Or je ne pense pas que la Commission européenne oublie les intérêts de nos agriculteurs. Le rappel à l'ordre me semble avoir porté ses fruits. Il y a clairement une ligne rouge à respecter, à savoir le mandat donné par le Conseil : il ne faut pas toucher à la réforme de la PAC, négociée jusqu'en 2013. Tout est une question de transparence à l'égard des Etats membres de l'Union, et si celle-ci a sans aucun doute fait défaut ces dernières semaines, le message est, me semble-t-il désormais passé.

Aujourd'hui, la clé des négociations de Hong-Kong se trouve non pas dans les querelles internes à l'Union européenne, mais du côté des Etats-Unis.

Une véritable publicité doit être faite sur le scandale du Farm bill, qui, contrairement à la PAC, n'a pas été réformé. Il le sera au cours de l'année 2007. Le Farm bill n'est plus viable en l'état, ni d'un point de vue international ni d'un point de vue purement budgétaire. Une réforme de l'aide alimentaire américaine, qui constitue une forme de protectionnisme agricole déguisé, est également nécessaire et urgente, même si j'en mesure les difficultés. Rien de substantiel n'a été accordé sur ce point.

En tout état de cause, nos partenaires américains doivent faire des pas significatifs, dans la mesure où l'Union européenne a déjà fait sa part du chemin avec la réforme de 2003, qui a permis le découplage entre la production et les aides aux agriculteurs, et, l'an passé, sa proposition de mettre fin, à terme, aux subventions à l'exportation.

En clair, l'Union européenne ne peut payer seule le prix de l'ouverture des marchés agricoles et elle ne doit pas le payer en deux fois.

Ce n'est qu'après avoir obtenu des assurances sur une réforme des aides agricoles américaines, qui, je le rappelle, passe par une décision du Congrès - le mode de fonctionnement est différent de celui de l'Union européenne - que nous pourrons parvenir à un accord détaillé sur les concessions, y compris sur la liste des produits sensibles à protéger.

Cette liste devra être élaborée avec la plus grande attention, car elle désignera très précisément les secteurs agricoles que nous entendons protéger. Notre attitude doit être constructive, et non défensive. Nous ne devons pas faire de procès d'intention à la Commission européenne, sachant qu'elle sera amenée à rendre des comptes. Si le compte n'y est pas, il n'y aura pas d'accord à Hong-Kong.

Un autre point de la discussion est l'équilibre qui doit être trouvé entre les trois grands piliers de la négociation : l'agriculture, l'industrie et les services, et le développement. Toutefois, ne nous faisons pas d'illusions : ces négociations ne pourront pas aboutir à un résultat très avancé s'agissant de l'industrie et, surtout, des services, pour lesquels les échanges d'offres n'en sont aujourd'hui qu'à un stade préliminaire.

Pour autant, il me semble qu'un message fort doit désormais être adressé aux grands pays émergents comme la Chine, l'Inde ou le Brésil. Ces pays, qui sont encore très fermés dans le domaine industriel et dans le domaine des services, alors même que leurs marchés sont en pleine expansion, tout en réclamant toujours plus à l'Union européenne en matière agricole. Leurs tarifs industriels connaissent des pics allant de 15 % à 60 %, alors que la moyenne des tarifs industriels de l'Union européenne se situe à 4 %. Cette situation n'est pas acceptable. Il n'est plus possible d'adopter la même position à l'égard des pays les moins avancés, dont les économies - et les régimes - sont fragiles, et à l'égard de ces pays, qui deviennent extrêmement dynamiques.

En effet, ce sont d'abord ces grands pays émergents, avant les pays les plus pauvres, qui profitent d'une libéralisation croissante des échanges agricoles et industriels. Des avancées significatives devront être faites sur ces sujets à Hong-Kong, sinon, à l'évidence, l'accord ne sera pas équilibré.

Les négociations entre l'Union européenne et le Mercosur, en Amérique latine, ont échoué parce que, en contrepartie de concessions agricoles, aucune offre crédible ne nous avait été faite sur l'ouverture des marchés industriels et de services de ces pays. Sur ce sujet, les Etats membres de l'Union européenne peuvent, me semble-t-il, parvenir à un consensus. En tout état de cause, il apparaît clairement qu'un accord limité au seul volet agricole serait purement et simplement inacceptable.

L'Union européenne ne doit pas avoir peur de mettre en valeur des dossiers très importants pour l'avenir, comme le respect des indications géographiques protégées ou la protection de la propriété intellectuelle. Le commerce international, ce n'est pas seulement des échanges libéralisés et la suppression des droits de douane, c'est également une concurrence loyale entre les Etats. Pour cela, les règles de protection des origines et de fabrication des produits doivent être respectées. Or, plusieurs Etats membres de l'OMC ne respectent pas ces règles ou refusent d'en discuter : nous ne devons pas l'accepter, pour des raisons liées à l'histoire et à la formation de l'Union européenne.

En ce qui concerne les pays pauvres, il est important de souligner - on ne le dira jamais assez - qu'il n'y a pas d'opposition entre leurs intérêts et les nôtres. En effet, ces pays bénéficient de préférences spécifiques de la part de l'Union européenne, qui importe, rappelons-le, 80 % de leur production agricole. En outre, la défense d'une certaine exception agricole les avantage également. Qui pourrait dire, par exemple, que la libéralisation totale des marchés agricoles serait profitable aux économies des pays pauvres, dont la seule richesse repose parfois sur des monocultures ? Dans un monde entièrement libéralisé, ces pays n'ont que peu de chances.

L'exemple du textile a montré en effet que ces pays souffraient d'un effet de masse des grands pays émergents. Il faut donc continuer de leur offrir des avantages comparatifs par rapport au reste du monde, comme le système des préférences généralisées.

Mais il faudra aussi que la conférence de Hong-Kong permette des avancées significatives sur des sujets comme le coton, qui avait été la cause principale de l'échec de la conférence de Cancún en 2003. La création d'un sous-comité coton, au sein de l'OMC, n'est pas du tout à la hauteur de leurs attentes et des enjeux.

En conclusion, madame la ministre, je voudrais souligner combien il me semble indispensable qu'un débat parlementaire ait lieu sur ces sujets essentiels qui concernent l'ensemble de notre économie et l'avenir de l'agriculture dans notre pays et au sein de l'Union européenne.

Je regrette qu'un tel débat parlementaire ne soit pas systématique avant toute prise de position de notre gouvernement à Bruxelles, comme cela se passe par exemple au Danemark. Les parlementaires français sont trop souvent mis devant le fait accompli et amenés à devoir justifier des choix sur lesquels ils n'ont pas été consultés.

Je vous remercie donc, madame la ministre, d'être présente pour nous indiquer très précisément l'état actuel des négociations, la position du gouvernement français et les propositions faites par la Commission européenne et nos partenaires pour la conférence de Hong-Kong.

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