Intervention de Jean-Paul Emorine

Réunion du 27 octobre 2005 à 15h00
Position de l'union européenne dans les négociations au sein de l'organisation mondiale du commerce avant la conférence de hong-kong — Discussion d'une question européenne avec débat.

Photo de Jean-Paul EmorineJean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, moins de cinquante jours nous séparent du prochain sommet de l'OMC, qui se tiendra à Hong-Kong, du 13 au 18 décembre prochain.

Les négociations commerciales, qui ont commencé avec succès à Doha en 2001, et qui ont « trébuché » à Cancún en 2003, ont-elles, dans ce court délai, une chance d'aboutir à un accord global équilibré, respectueux des intérêts de l'ensemble des pays ?

Nous voulons, bien entendu, le croire, tant nous avons besoin de réguler les échanges mondiaux, de garantir aux pays les plus pauvres les conditions de leur développement, et, s'agissant de la France, de favoriser le développement de nos entreprises à l'exportation, qui constitue bien sûr un vivier d'emplois très important.

Toutefois, si l'accord de Genève, conclu en juillet 2004, nous laissait espérer une relance positive du cycle, les récents développements sur la question agricole font naître de sérieuses craintes quant à son issue.

Avant d'aborder cette question agricole, placée, depuis plusieurs années, au centre des débats, je souhaite exprimer un regret d'ordre général et une interrogation.

Le regret porte sur le sort de la déclaration adoptée à l'issue du sommet de Doha, après le 11 septembre 2001. Elle avait placé le développement au coeur du cycle de négociations. Force est de constater que, sur ce sujet, peu d'avancées réelles ont été enregistrées, qu'il s'agisse, par exemple, du coton ou de l'accès aux médicaments.

Sur le coton, malgré leur condamnation par l'OMC, les Etats-Unis n'ont toujours pas réformé leur système de soutien de manière satisfaisante, alors même que les subventions accordées à leurs producteurs atteignaient 3, 9 milliards de dollars en 2002.

Or les pays regroupés dans le G90 ont récemment laissé entendre qu'ils feraient échouer la conférence de Hong-Kong s'il n'y avait pas d'accord dans ce domaine, qui, il faut le rappeler, avait largement contribué à l'échec de Cancún. Sur ce dossier emblématique, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer où en sont les négociations ?

J'en viens à la question des médicaments.

La France, qui s'était particulièrement investie dans ce dossier, s'était réjouie de l'accord qui avait pu être trouvé en 2003 sur ce sujet. Toutefois, la mise en oeuvre concrète de l'accord se heurte aujourd'hui à des obstacles. Faute d'adoption d'un amendement à l'accord sur la propriété intellectuelle de l'OMC, les avancées dans ce domaine demeurent aujourd'hui très limitées. Pouvez-vous nous donner des précisions, madame la ministre, sur la traduction juridique des engagements pris en 2003 ?

Sur ce sujet du développement, l'Union européenne, et singulièrement la France qui, par la voix de son président, avait lancé une initiative en faveur de l'Afrique, peut et doit jouer un rôle moteur.

Pouvez-vous à cet égard, madame la ministre, nous donner votre sentiment sur la possibilité que soit étendue l'initiative européenne « Tout sauf les armes », qui consiste à laisser entrer dans l'Union, sans aucun droit de douane, les produits émanant des pays les plus pauvres ?

J'aborde à présent ce qui occupe le coeur de l'actualité.

Nous ne pouvons que déplorer, tout d'abord, qu'une fois de plus la négociation commerciale soit « prise en otage » par le volet agricole. La réforme de la PAC, en 2003, ne devait-elle pas être « pour solde de tout compte » ? Comment se fait-il que l'Union européenne, qui a réformé sa politique agricole avant de négocier, se trouve aujourd'hui, une fois de plus, en situation défensive face aux Américains qui vont aller négocier, eux, sans avoir réformé leur politique ?

Celle-ci aboutit pourtant, il faut le rappeler, à ce que les deux millions de fermiers américains soient individuellement plus soutenus que les quinze millions d'agriculteurs européens.

Nous ne pouvons également que déplorer que ne soient pas davantage prises en compte toutes les formes d'aides, notamment les systèmes américains de crédits à l'exportation, ou d'aide alimentaire, qui déstabilisent bien plus les marchés mondiaux que la politique européenne.

Il convient de rappeler, à ce point de la discussion, que le marché européen est le plus ouvert de tous les marchés mondiaux, et que l'Union, en acceptant six fois plus d'importations en provenance des pays africains que les Etats-unis, est le plus gros importateur de produits agricoles au monde.

Malgré cette situation, malgré la réforme de 2003, et malgré l'avancée sur les restitutions aux exportations en 2004, la Commission européenne paraît être entrée dans une dynamique de concessions unilatérales face aux Etats-unis et aux pays du groupe de Cairns, qui seront probablement les grands gagnants de cette dynamique.

Or nous ne pouvons accepter qu'un accord équilibré, qui sanctionne toutes les formes de soutien à l'exportation, y compris l'aide alimentaire, celle-ci devant se faire uniquement sous forme de dons et répondre à un besoin constaté internationalement.

Pouvez-vous, à cet égard, madame la ministre, nous donner des éléments précis s'agissant de l'impact qu'aurait sur la politique agricole commune la proposition de la Commission de réduire les droits de douane sur les produits agricoles de 20 à 50 % ? Pouvez-vous également nous donner des précisions sur l'expertise commandée au niveau européen afin de déterminer si le mandat de la Commission a été outrepassé ? Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur la position de nos partenaires européens ?

S'agissant ensuite de la filière viticole, qui représente tout de même 80 % de notre excédent agricole à l'exportation, l'Union européenne et les Etats-Unis ont trouvé, après des années de discussions, un accord sur le commerce viticole, qui prévoit de mieux protéger les dénominations des vins communautaires.

Toutefois, les Américains pourront continuer, sous certaines conditions et pour une période limitée, à utiliser certaines expressions traditionnelles, ce qui pose problème. Une deuxième phase de négociation va s'ouvrir : peut-on imaginer qu'à son terme les Américains renoncent totalement, pour leur production de vins, à utiliser des dénominations européennes ?

Pouvez-vous également nous indiquer, de manière plus générale, les progrès qui peuvent être espérés sur la question des indications géographiques, indispensables pour bonifier la valeur ajoutée de notre agriculture ?

Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, madame la ministre, nous souhaitons - et nous savons que le Gouvernement l'a instamment demandé à la Commission - que les négociations soient recentrées sur l'industrie et les services. L'Union, en la matière, a des intérêts offensifs majeurs à faire jouer, avec une moyenne tarifaire aux alentours de 4 %, et un secteur industriel qui représente 85 % des exportations françaises.

Sur cette question, comme sur l'agriculture, il nous faut trouver les moyens d'une plus grande différenciation entre les pays les plus pauvres et les pays émergents, qui maintiennent des barrières douanières très élevées, avec des tarifs qui varient entre 20 et 40 %. Il faut, à cet égard, rappeler que le PIB par habitant au Brésil s'élève à 3 100 dollars, quand celui du Ghana se situe à 320 dollars, soit dix fois moins. Les grands pays émergents, qui ont bénéficié de l'ouverture des échanges, doivent dorénavant ouvrir leur propre marché, notamment aux pays les moins avancés, comme l'a fait l'Union européenne.

Enfin, nous avons des interrogations sur certains facteurs susceptibles d'influencer les négociations. Il y va ainsi du comportement à attendre des groupes de pays qui avaient été en partie à l'origine de l'échec de Cancún. Les coalitions du G90 et du G20, qui affichent des intérêts commerciaux très concentrés sur un petit nombre de sujets, voire de productions, sont-elles capables de formuler des compromis sur une vision d'ensemble de la négociation ? Par ailleurs, quel pourra être le rôle du directeur général de l'OMC, qui a pris ses fonctions il y a quelques mois seulement ? Enfin, l'échec de Cancún avait mis en lumière la nécessité d'un certain nombre de réformes structurelles de l'OMC. Une réforme de cette structure est-elle envisagée ?

En formulant à nouveau le souhait que la conférence de Hong-Kong puisse déboucher sur un accord, je vous remercie par avance, madame la ministre, des précisions que vous pourrez nous apporter sur l'ensemble de ces questions.

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