Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi sur la réforme portuaire qui est aujourd’hui soumis à la Haute Assemblée, assorti, monsieur Le Cam, de l’avis du Conseil d’État, que j’ai demandé à mes collaborateurs de vous faire parvenir le plus rapidement possible, résulte d’un constat qui est malheureusement assez simple.
Les ports français ne sont pas suffisamment compétitifs par rapport aux autres ports concurrents, qu’il s’agisse de ceux de la mer du Nord ou de la Méditerranée et, quand je parle de la Méditerranée, au-delà des pays européens, je pense aussi au nouveau port Tanger-Med au Maroc.
Tous les rapports, celui de la Cour des comptes mais bien d’autres encore, soulignent la dégradation globale de leur part de marché en Europe, puisque, sur une période d’un peu plus de quinze ans, celle-ci est passée de 17, 8 % à 13, 9 %.
Sur le marché mondial des conteneurs, qui connaît une croissance de plus de 5 % par an en Europe – dans les chantiers chinois et coréens sont actuellement construits des bateaux, pour des armateurs français d’ailleurs, où pourront trouver place jusqu’à 13 000 conteneurs – et qui génère une forte valeur ajoutée, la part de marché de nos ports est passée de 11, 7 % à 6, 2 %, soit une diminution de près de la moitié au cours de la même période.
J’ajouterai, pour donner une idée plus générale de la gravité de la situation, que la totalité du trafic des ports français est inférieure au trafic du seul port de Rotterdam. M. le Président de la République rappelait ce matin, à Orléans, que plus d’un conteneur sur deux arrivant dans notre pays a transité par un autre port européen.
Il me paraît donc important d’analyser les raisons de cette dégradation avant de vous présenter les grands axes du plan de relance des ports que je souhaite soumettre à votre assemblée.
La productivité de nos ports est, à quelques exceptions près, très récentes d’ailleurs, plus faible que celle de leurs concurrents européens.
Cela tient, d’abord, à la mauvaise performance de nos terminaux. Or, aujourd’hui, les armateurs, compte tenu du coût d’immobilisation des navires, souhaitent que les opérations de chargement et de déchargement soient menées le plus rapidement possible. En conséquence, nombre d’entre eux préfèrent passer par les ports belges, néerlandais ou espagnols, où la performance et la fiabilité sont bien meilleures.
Quelles sont les raisons qui expliquent cette lenteur, cette pesanteur d’organisation ?
Cela est dû tout d’abord au fait que les entreprises privées de manutention ne détiennent pas toujours la maîtrise des outillages de chargement et de déchargement, et pratiquement jamais celle du personnel qui y opère, à savoir les grutiers et les portiqueurs.
Alors que depuis 1992, grâce au courage de Jean-Yves Le Drian et de Michel Delebarre, les entreprises de manutention emploient librement les dockers pour les activités à quai, les outils et la manutention verticale relèvent encore de la compétence du port autonome. L’absence d’unité de commandement sur les terminaux est, hélas, l’une des principales causes du manque de productivité et de fiabilité de nos ports. Vous le voyez bien, une réforme de la gestion de l’outillage est indispensable : c’est pourquoi le Gouvernement vous la propose.
Enfin, la dégradation de la compétitivité de nos ports tient à l’insuffisance et à la mauvaise organisation de nos débouchés vers l’intérieur du pays. Votre rapporteur, Charles Revet, que je remercie pour la qualité de son travail, a raison de rappeler l’adage cher aux professionnels du secteur, selon lequel « la bataille maritime se gagne à terre ». La quantité et la qualité des liaisons avec l’arrière-pays sont des facteurs déterminants de la compétitivité d’un port. À titre d’exemple, je retiendrai que 70 % des conteneurs quittant le port de Hambourg pour une destination éloignée de plus de 300 kilomètres partent par la voie ferrée ; cette proportion n’est que de 10 % à 20 % dans les meilleurs de nos ports.
Face à ce constat, nous voulons rétablir la compétitivité des ports français et créer les dizaines de milliers d’emplois – en particulier dans la logistique – que nous pourrions créer autour de nos ports en en réformant l’organisation. Naturellement, cette réforme sera accompagnée d’un plan d’investissements permettant à nos ports d’affronter la concurrence européenne à armes égales.
C’est donc un enjeu majeur pour l’emploi et pour l’économie. Nous estimons sans tricher qu’au moins 30 000 emplois sont en jeu dans les secteurs du transport et de la logistique. Cette compétitivité retrouvée améliorera également la capacité d’exportation de nos entreprises, car c’est une grande faiblesse pour notre commerce extérieur que nos entreprises soit obligées de recourir à des ports situés au-delà de nos frontières pour exporter.
Cette réforme est aussi essentielle au succès de la politique de report modal et de lutte contre les changements climatiques, l’un de nos objectifs dans le cadre du Grenelle de l’environnement. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a rappelé à plusieurs reprises – encore ce matin à Orléans – l’importance de ce plan de relance des ports français.
Le projet de loi que nous soumettons aujourd’hui à la Haute Assemblée entend donc relancer les ports français par trois grandes séries de mesures. Les premières redéfinissent les missions des ports autonomes, que nous proposons de rebaptiser « grands ports maritimes ». Les secondes concernent leur gouvernance et la coordination qui pourrait être établie entre grands ports d’une même façade maritime ou d’un même axe fluvial. Les troisièmes portent sur l’organisation de la manutention. Enfin, je l’ai déjà indiqué, ce projet de loi est également accompagné d’un ambitieux programme d’investissements.
Le premier volet du projet de loi concerne donc l’évolution des missions des ports, que nous redéfinissons dans une logique de développement durable. Le développement économique et l’amélioration de la compétitivité des ports devront aller de pair avec le respect de l’environnement et une politique de transport multimodale.
Pour cela, nous vous proposons de recentrer les ports sur leurs missions régaliennes d’aménageur et de gestionnaire du domaine : ils n’interviendront plus dans les activités de manutention, sauf cas exceptionnels. Ils pourront ainsi concentrer leurs moyens sur le développement du port et sur l’aménagement des dessertes terrestres afin de privilégier les modes ferroviaire et fluvial, conformément à l’objectif de doublement des dessertes non routières fixé à l’issue du Grenelle de l’environnement. J’insiste sur ce point car, vous l’aurez compris, ce n’est qu’en créant des terminaux performants et en perfectionnant les liaisons avec l’arrière-pays, efficaces et moins polluantes, que nous pourrons mener à bien cette politique de report modal.
Pour ce faire, les grands ports maritimes deviendront propriétaires de plein droit, au nom de l’État, de leur domaine. Ils auront à charge de développer intelligemment leur territoire et d’harmoniser ce développement avec celui des collectivités sur lesquelles ils sont implantés.
Afin de prendre en compte les spécificités locales, nous demanderons à chaque port de décliner toutes ses missions dans un projet stratégique qui définira tous les aspects du développement du port : l’aménagement, les infrastructures, l’environnement, la politique commerciale, la gestion foncière, l’intégration environnementale et la trajectoire financière. Ce projet stratégique sera un élément essentiel de notre nouvelle politique portuaire. Il faudra en effet développer une vision de moyen et de long terme afin de ne pas isoler le port dans son environnement. Naturellement, les collectivités locales pourront être partenaires, si elles le souhaitent, de ce projet stratégique.