La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.
La séance est reprise.
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir et l’honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d’une délégation du Sénat du Canada, conduite par son président, M. Noël Kinsella.
M. le secrétaire d’État chargé des transports, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.
Cette visite témoigne, quelques jours après celle de la Gouverneure générale du Canada, Mme Michaëlle Jean, des liens d’amitié qui unissent nos deux pays, souvent côte à côte lorsqu’il s’agit de défendre nos valeurs communes.
Elle s’inscrit également dans le cadre des célébrations du quatre centième anniversaire de la fondation de Québec par Samuel de Champlain, parti d’Honfleur, où M. Kinsella et sa délégation se sont rendus samedi dernier.
Je me réjouis de l’intensité des relations entre nos deux assemblées, qui entretiennent un dialogue régulier et mutuellement enrichissant.
Applaudissements
J’informe le Sénat que la question orale n° 165 de M. Adrien Gouteyron est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
Mon rappel au règlement concerne l’organisation de nos travaux.
Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, lors de votre audition en commission sur le projet de loi portant réforme portuaire, les membres du groupe communiste républicain et citoyen vous avaient demandé la transmission de l’avis du Conseil d’État.
En effet, en vertu de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État est obligatoirement saisi de tous les projets de loi avant leur adoption par le conseil des ministres et leur dépôt devant le Parlement.
Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes engagé à nous transmettre cet avis dont vous avez déclaré qu’il n’était pas « cachable ». Notons d’ailleurs qu’aucune disposition constitutionnelle ou législative ne s’oppose à la transmission des avis au Parlement.
Deux semaines plus tard, en dépit de nombreuses sollicitations auprès de vos services pour obtenir la communication de ce document, rien ne s’est produit.
Au moment de la réforme des institutions, cela montre l’état d’esprit du Gouvernement et sa crédibilité quand il affirme vouloir renforcer les droits du Parlement.
Si nous vous avons demandé ce document, c’est parce qu’il serait utile en termes d’expertise juridique à la formation du jugement de la commission des affaires économiques et de l’ensemble des sénateurs. Cela aurait été d’autant plus appréciable qu’aucune des commissions permanentes du Sénat n’a été saisie pour avis sur le projet de réforme.
Soucieux du renforcement effectif du rôle du Parlement et de sa pleine information sur les textes qui lui sont soumis, nous proposerons d’ailleurs, lors du débat sur les institutions, un amendement allant dans le sens de la communication au Parlement des avis susmentionnés.
Monsieur le secrétaire d’État, nous ne saurions raisonnablement imputer l’absence de transmission de l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi relatif à la réforme portuaire, alors même que vous vous y étiez engagé en commission, à une volonté délibérée de votre part. C’est donc avec pleine confiance que nous réitérons notre demande.
Monsieur Le Cam, le secrétariat général du Gouvernement, que nous avons interrogé, nous a rappelé qu’il n’était pas de tradition de transmettre les avis du Conseil d’État. En outre, il s’agissait en l’occurrence, non pas d’un avis à proprement parler, mais de quelques modifications rédactionnelles, donc rien qui puisse retenir l’attention du Parlement.
Toutefois, monsieur Le Cam, si vous souhaitez connaître les termes et phrases sur lesquels portent ces quelques modifications, je vous ferai bien sûr parvenir le document en question au cours de cette séance, mais je crains que vous n’y trouviez pas d’informations susceptibles de retenir votre attention.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi sur la réforme portuaire qui est aujourd’hui soumis à la Haute Assemblée, assorti, monsieur Le Cam, de l’avis du Conseil d’État, que j’ai demandé à mes collaborateurs de vous faire parvenir le plus rapidement possible, résulte d’un constat qui est malheureusement assez simple.
Les ports français ne sont pas suffisamment compétitifs par rapport aux autres ports concurrents, qu’il s’agisse de ceux de la mer du Nord ou de la Méditerranée et, quand je parle de la Méditerranée, au-delà des pays européens, je pense aussi au nouveau port Tanger-Med au Maroc.
Tous les rapports, celui de la Cour des comptes mais bien d’autres encore, soulignent la dégradation globale de leur part de marché en Europe, puisque, sur une période d’un peu plus de quinze ans, celle-ci est passée de 17, 8 % à 13, 9 %.
Sur le marché mondial des conteneurs, qui connaît une croissance de plus de 5 % par an en Europe – dans les chantiers chinois et coréens sont actuellement construits des bateaux, pour des armateurs français d’ailleurs, où pourront trouver place jusqu’à 13 000 conteneurs – et qui génère une forte valeur ajoutée, la part de marché de nos ports est passée de 11, 7 % à 6, 2 %, soit une diminution de près de la moitié au cours de la même période.
J’ajouterai, pour donner une idée plus générale de la gravité de la situation, que la totalité du trafic des ports français est inférieure au trafic du seul port de Rotterdam. M. le Président de la République rappelait ce matin, à Orléans, que plus d’un conteneur sur deux arrivant dans notre pays a transité par un autre port européen.
Il me paraît donc important d’analyser les raisons de cette dégradation avant de vous présenter les grands axes du plan de relance des ports que je souhaite soumettre à votre assemblée.
La productivité de nos ports est, à quelques exceptions près, très récentes d’ailleurs, plus faible que celle de leurs concurrents européens.
Cela tient, d’abord, à la mauvaise performance de nos terminaux. Or, aujourd’hui, les armateurs, compte tenu du coût d’immobilisation des navires, souhaitent que les opérations de chargement et de déchargement soient menées le plus rapidement possible. En conséquence, nombre d’entre eux préfèrent passer par les ports belges, néerlandais ou espagnols, où la performance et la fiabilité sont bien meilleures.
Quelles sont les raisons qui expliquent cette lenteur, cette pesanteur d’organisation ?
Cela est dû tout d’abord au fait que les entreprises privées de manutention ne détiennent pas toujours la maîtrise des outillages de chargement et de déchargement, et pratiquement jamais celle du personnel qui y opère, à savoir les grutiers et les portiqueurs.
Alors que depuis 1992, grâce au courage de Jean-Yves Le Drian et de Michel Delebarre, les entreprises de manutention emploient librement les dockers pour les activités à quai, les outils et la manutention verticale relèvent encore de la compétence du port autonome. L’absence d’unité de commandement sur les terminaux est, hélas, l’une des principales causes du manque de productivité et de fiabilité de nos ports. Vous le voyez bien, une réforme de la gestion de l’outillage est indispensable : c’est pourquoi le Gouvernement vous la propose.
Enfin, la dégradation de la compétitivité de nos ports tient à l’insuffisance et à la mauvaise organisation de nos débouchés vers l’intérieur du pays. Votre rapporteur, Charles Revet, que je remercie pour la qualité de son travail, a raison de rappeler l’adage cher aux professionnels du secteur, selon lequel « la bataille maritime se gagne à terre ». La quantité et la qualité des liaisons avec l’arrière-pays sont des facteurs déterminants de la compétitivité d’un port. À titre d’exemple, je retiendrai que 70 % des conteneurs quittant le port de Hambourg pour une destination éloignée de plus de 300 kilomètres partent par la voie ferrée ; cette proportion n’est que de 10 % à 20 % dans les meilleurs de nos ports.
Face à ce constat, nous voulons rétablir la compétitivité des ports français et créer les dizaines de milliers d’emplois – en particulier dans la logistique – que nous pourrions créer autour de nos ports en en réformant l’organisation. Naturellement, cette réforme sera accompagnée d’un plan d’investissements permettant à nos ports d’affronter la concurrence européenne à armes égales.
C’est donc un enjeu majeur pour l’emploi et pour l’économie. Nous estimons sans tricher qu’au moins 30 000 emplois sont en jeu dans les secteurs du transport et de la logistique. Cette compétitivité retrouvée améliorera également la capacité d’exportation de nos entreprises, car c’est une grande faiblesse pour notre commerce extérieur que nos entreprises soit obligées de recourir à des ports situés au-delà de nos frontières pour exporter.
Cette réforme est aussi essentielle au succès de la politique de report modal et de lutte contre les changements climatiques, l’un de nos objectifs dans le cadre du Grenelle de l’environnement. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a rappelé à plusieurs reprises – encore ce matin à Orléans – l’importance de ce plan de relance des ports français.
Le projet de loi que nous soumettons aujourd’hui à la Haute Assemblée entend donc relancer les ports français par trois grandes séries de mesures. Les premières redéfinissent les missions des ports autonomes, que nous proposons de rebaptiser « grands ports maritimes ». Les secondes concernent leur gouvernance et la coordination qui pourrait être établie entre grands ports d’une même façade maritime ou d’un même axe fluvial. Les troisièmes portent sur l’organisation de la manutention. Enfin, je l’ai déjà indiqué, ce projet de loi est également accompagné d’un ambitieux programme d’investissements.
Le premier volet du projet de loi concerne donc l’évolution des missions des ports, que nous redéfinissons dans une logique de développement durable. Le développement économique et l’amélioration de la compétitivité des ports devront aller de pair avec le respect de l’environnement et une politique de transport multimodale.
Pour cela, nous vous proposons de recentrer les ports sur leurs missions régaliennes d’aménageur et de gestionnaire du domaine : ils n’interviendront plus dans les activités de manutention, sauf cas exceptionnels. Ils pourront ainsi concentrer leurs moyens sur le développement du port et sur l’aménagement des dessertes terrestres afin de privilégier les modes ferroviaire et fluvial, conformément à l’objectif de doublement des dessertes non routières fixé à l’issue du Grenelle de l’environnement. J’insiste sur ce point car, vous l’aurez compris, ce n’est qu’en créant des terminaux performants et en perfectionnant les liaisons avec l’arrière-pays, efficaces et moins polluantes, que nous pourrons mener à bien cette politique de report modal.
Pour ce faire, les grands ports maritimes deviendront propriétaires de plein droit, au nom de l’État, de leur domaine. Ils auront à charge de développer intelligemment leur territoire et d’harmoniser ce développement avec celui des collectivités sur lesquelles ils sont implantés.
Afin de prendre en compte les spécificités locales, nous demanderons à chaque port de décliner toutes ses missions dans un projet stratégique qui définira tous les aspects du développement du port : l’aménagement, les infrastructures, l’environnement, la politique commerciale, la gestion foncière, l’intégration environnementale et la trajectoire financière. Ce projet stratégique sera un élément essentiel de notre nouvelle politique portuaire. Il faudra en effet développer une vision de moyen et de long terme afin de ne pas isoler le port dans son environnement. Naturellement, les collectivités locales pourront être partenaires, si elles le souhaitent, de ce projet stratégique.
Elles le souhaiteront ! Je n’ai jamais vu de collectivités locales se désintéresser de leur port, qu’il s’agisse d’un port d’État ou d’un port géré par elles-mêmes !
Le deuxième volet de ce projet de loi concerne la modernisation de la gouvernance des grands ports maritimes. Le système actuel est vieux de plus de quarante ans. Nous proposons de le remplacer, sur le modèle de nos entreprises, par un conseil de surveillance, un directoire et un conseil de développement. Je vais vous dire un mot de la composition de chacun, votre rapporteur ayant émis un certain nombre de propositions que nous examinerons avec tout l’intérêt qu’elles méritent.
Le projet de loi prévoit un conseil de surveillance comprenant seize membres, dont cinq représentants de l’État, quatre représentants des collectivités locales – nous souhaitons que leur place soit renforcée –, trois représentants des salariés de l’établissement et quatre personnalités qualifiées. Cette composition traduit la volonté du Gouvernement de réaffirmer le poids des collectivités locales, qui investissent dans ces ports très importants pour leur développement, ainsi que celui de l’État, qui doit exercer pleinement son rôle puisqu’il s’agit d’établissements publics nationaux.
Je me souviens à ce propos d’une remarque amusante d’Alain Juppé – mais que Jean-Marc Ayrault, Michel Delebarre, ou d’autres encore auraient pu prononcer : « Ce que je reproche à nos ports, ce n’est pas d’être des ports, c’est d’être des ports autonomes. » Ils sont en effet tellement autonomes par rapport aux collectivités sur les territoires desquelles ils travaillent qu’ils n’entendent pratiquement pas leurs voix !
Le directoire, quant à lui, comptera deux à quatre membres selon les ports. Il me paraît important que des membres de ce directoire puissent venir du monde de l’entreprise et – pourquoi pas ? – d’autres ports européens afin d’apporter leur expérience de réussite et d’enrichir nos pratiques.
Enfin, dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, ces instances s’appuieront sur les avis d’un conseil de développement associant l’ensemble des parties prenantes du territoire : les acteurs économiques, les collectivités, les représentants des salariés, les personnalités qualifiées – dont les associations de défense de l’environnement – et tous les acteurs du transport terrestre… Ce conseil permettra de prendre en compte les aspects économiques, sociaux et environnementaux du développement des ports.
Ce système de gouvernance rendra, à notre avis, les établissements portuaires plus réactifs et tracera une distinction claire entre les missions de contrôle et la gestion courante de l’établissement.
Les projets stratégiques dont j’ai parlé tout à l’heure seront adoptés par le conseil de surveillance, après avis obligatoire du conseil de développement. Ce projet donnera ensuite lieu à l’établissement d’un contrat avec l’État et les collectivités locales – commune, intercommunalité, département, région – si celles-ci le souhaitent, bien évidemment !
Je précise enfin que ce projet stratégique devra, dans certains cas, se conformer aux grandes orientations d’un document cadre établi par un conseil de coordination. En effet, le projet de loi prévoit des dispositions permettant de coordonner le développement des ports d’une même façade maritime ou d’un même axe fluvial.
Prenons l’exemple de l’ouest atlantique : Nantes, La Rochelle, Bordeaux, au lieu de se faire concurrence, monsieur le sénateur Branger, devront travailler ensemble pour avoir une politique commerciale commune et, pourquoi pas, avec les collectivités locales si celles-ci souhaitent s’y associer. Michel Delebarre a en effet émis cette idée – qui me paraît bonne – devant le groupe de développement portuaire de l’Assemblée nationale.
Il en va de même pour l’axe de la Seine : Le Havre, Rouen et le port autonome fluvial de Paris devront, d’une manière ou d’une autre, s’associer. Ou encore, selon l’idée de Michel Delebarre que je trouve excellente, le port de Dunkerque sera amené à collaborer avec le port fluvial de Lille. Il faut que nous encouragions ces coopérations, voire que nous les rendions obligatoires, pour une meilleure politique commerciale et une meilleure gestion des investissements.
Soyons clairs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne reprenons pas les lubies de certains rapports : ne voyez pas dans notre démarche une volonté de fusion des ports dictée depuis Paris ! Vous le savez mieux que quiconque, chaque port a son histoire et ses modes de développement, sur lesquels nous n’interviendrons pas – Rouen n’est pas Le Havre, et réciproquement. Nous voulons seulement mettre en cohérence l’action de nos établissements publics en faveur de la politique portuaire de l’État.
J’en viens maintenant au troisième grand volet de ce projet de loi : la réorganisation et la rationalisation de la manutention.
Nos ports pâtissent de l’absence de commandement unique et de coordination, pour la même opération de chargement ou de déchargement, entre les dockers et les portiqueurs. Aussi voulons-nous mettre en place des opérateurs de terminaux intégrés – comme cela a déjà été expérimenté à Dunkerque ou à Port 2000 – ayant autorité sur l’ensemble de la main d’œuvre et des outils, à l’exemple de tous les grands ports européens. Le développement des ports espagnols a commencé le jour où les Espagnols ont mis en œuvre cette réforme.
Les sept grands ports maritimes bénéficiant du plan de relance devront donc transférer les outillages qu’ils possèdent à des opérateurs, dans les deux ans qui suivront l’adoption de leur projet stratégique. Vous le voyez, nous accordons le temps nécessaire pour que les choses se fassent intelligemment, port par port, sans aucun esprit de système.
La mise en œuvre de ces transferts privilégiera les opérateurs économiques locaux – il ne s’agit pas de remplacer un monopole public par un grand monopole privé –…
… qui participent à l’activité et au développement du port et font appel aujourd’hui aux services du port pour la manutention. Bien évidemment, les transferts ne se feront pas selon les mêmes modalités, pour tous les terminaux et dans tous les ports. Il y faudra de la souplesse : le contour de ces transferts sera déterminé dans chaque port.
Y aura-t-il partout une demande privée ? L’initiative privée fera peut-être défaut pour reprendre l’activité de certains terminaux. Le projet de loi prévoit ce cas de figure – votre rapporteur l’a examiné – et donne aux ports la possibilité d’agir, si le projet stratégique le justifie, par l’intermédiaire de filiales. Il leur permet également de détenir des participations minoritaires dans des opérateurs intégrés de terminaux, ou encore de traiter de manière spécifique, si cela s’avérait nécessaire, les terminaux qui relèveraient de l’intérêt national. Il permet enfin de traiter le cas spécifique de la maintenance.
Dans l’esprit de concertation qui a prévalu depuis le lancement de ce plan de relance, le Gouvernement souhaite que les partenaires sociaux puissent déterminer eux-mêmes les conditions dans lesquelles les agents des ports affectés aux activités de manutention pourront intégrer les opérateurs de terminaux. C’est pourquoi le projet de loi confie aux partenaires sociaux – cette discussion est en cours, jour après jour, semaine après semaine – le soin de parvenir, d’ici au 31 octobre 2008, à un accord-cadre. Cet accord définira les conditions du transfert ainsi que les mesures d’accompagnement social de la réforme. C’est une chance supplémentaire donnée au dialogue social ; en l’absence d’accord – mais rien ne le laisse augurer – des dispositions spécifiques sont prévues dans le projet de loi pour mettre en œuvre cette intégration.
La concertation port par port a fait apparaître que, pour certains terminaux, l’ensemble des agents ne pourraient intégrer les opérateurs. Comme l’a précisé le Premier ministre, personne ne sera laissé sur le bord du quai : les agents qui ne seraient pas intégrés resteront au sein des grands ports maritimes et de leurs filiales, où leur travail évoluera vers de nouvelles missions.
Le texte du Gouvernement comporte d’autres mesures protégeant les intérêts des salariés. Par exemple, pendant cinq ans, il ménage un droit de retour au sein du grand port maritime au salarié victime d’un licenciement économique dans l’entreprise où il aurait été transféré.
Je l’ai dit en commençant, cette réforme des ports sera accompagnée d’un programme d’investissements ambitieux. En complément des contrats de projets État-région 2007-2013, qui atteignaient déjà un montant sans précédent, l’État a décidé de doubler sa participation pour la période 2009-2013. Au total, les investissements prévus pour la période allant de 2007 à 2013 atteindront 2, 7 milliards d’euros, parmi lesquels 445 millions d’euros seront à la charge de l’État, soit le double de ce qui était prévu. Ces financements porteront sur l’ensemble des grands ports maritimes. Ce plan de relance n’a pas été conçu pour tel ou tel port particulier : il s’emploie à développer les sept grands ports français.
Parallèlement, l’État renforcera sa participation à l’entretien des accès maritimes des ports – pour parler clair, au dragage. D’ici à cinq ans, il assurera même la totalité du financement, ce qui est aujourd’hui bien loin d’être le cas. Voilà, monsieur le président, quels sont les grands axes de cette réforme portuaire.
Avant de terminer, je dirai un mot sur la méthode et sur le calendrier.
Pour ce qui est de la méthode, nous avons choisi la voie de la concertation, et le projet de loi lui-même, ce qui est assez original, laisse une large place au dialogue social parallèlement au travail législatif et réglementaire.
Depuis l’annonce du plan, le 14 janvier dernier, consécutivement à deux déclarations du Président de la République, nous avons tenu plus de cent réunions, au niveau tant local que national. J’ai rencontré les acteurs locaux de chacun des ports concernés. Deux tables rondes ont été organisées, l’une le 21 février et l’autre le 8 avril, avec l’ensemble des organisations professionnelles et syndicales. Des négociations paritaires ont été engagées sur la mise en œuvre de la réforme. Nous avons confié à l’ancien président de La Poste et d’Aéroports de Paris, M. Yves Cousquer, que beaucoup d’entre vous connaissent et dont les qualités sont appréciées, la mission d’animer ce dialogue.
Le projet de loi entérine cet esprit de concertation et laisse une large place au dialogue social. Le Gouvernement respecte ses engagements sur la question de la manutention et donne aux partenaires sociaux une très grande latitude pour définir la manière dont ils seront mis en œuvre.
J’en viens au calendrier. Si le Parlement adopte ce texte avant la fin de la session, ce qui est notre souhait, la création des sept grands ports maritimes devrait avoir lieu avant la fin de l’année, dès que la loi sera signée et promulguée et que les textes réglementaires auront été publiés. Les ports élaboreront ensuite, dans un délai de trois mois, leur projet stratégique. C’est dans les deux années qui suivront l’adoption du projet de loi que se mettra en œuvre port après port la réforme de la manutention.
Je voudrais maintenant m’adresser tout particulièrement à M. le rapporteur, qui est un grand spécialiste des questions portuaires. C’est certainement le seul membre de la Haute Assemblée qui, un jour – non pas certes à titre personnel, mais au nom de la collectivité qu’il présidait –, a acheté un port ! §L’engagement personnel qu’il a manifesté dans l’examen de ce projet de loi et les nombreuses auditions auxquelles il a procédé ont permis d’enrichir ce texte, comme nous aurons l’occasion de le voir lors de la discussion des amendements. Je tiens à l’en remercier du fond du cœur. Je voudrais également saluer la grande qualité du travail qui a été accompli par l’ensemble des membres de la commission des affaires économiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons commettre l’erreur de ne pas réformer nos ports ! Il est invraisemblable que leur situation soit si médiocre alors que notre pays dispose de trois façades maritimes – la mer du Nord et la Manche, l’Atlantique, la Méditerranée. Et je ne parle pas de nos territoires ultra-marins ! Nous pourrions être les premiers de la classe et créer des dizaines de milliers d’emplois que nous laissons, pour l’instant, partir à l’étranger.
M. Jean-Guy Branger acquiesce.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est très déterminé à faire adopter ce projet de loi, dont le Président de la République a rappelé solennellement l’importance ce matin.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons à examiner aujourd’hui le projet de loi portant réforme portuaire qui nous est soumis par le Gouvernement.
Chacun d’entre nous est convaincu de l’importance des décisions que nous allons prendre et de l’urgence qu’il y a à légiférer sur ce dossier.
M. le secrétaire d’État vient de nous retracer les grandes lignes de ce texte sur lesquelles nous reviendrons au fil de l’examen des treize articles qu’il comporte. Je voudrais, dans cette intervention, évoquer la problématique et les enjeux de la réforme qui nous est proposée. Je procéderai en trois temps : d’abord le constat, puis l’analyse des problèmes à résoudre, enfin les pistes d’actions envisagées pour redonner à nos ports une impulsion nouvelle, porteuse de développement économique et donc d’emplois directs ou induits.
J’énoncerai d’emblée deux affirmations.
Premièrement, nous ne pourrons accomplir de véritables avancées que si nous traitons la réforme portuaire dans sa globalité. Un port, s’il est une entité en soi, ne peut avoir un véritable développement que si l’on traite en même temps l’amont et l’aval. Comme c’est un lieu de passage des marchandises, son développement et, par conséquent, les emplois existants et à créer, mais plus encore les emplois induits, dépendent de sa fiabilité, de son efficacité, de sa compétitivité et des dessertes existant en amont et en aval. Selon les statistiques qui m’ont été données, 100 containers équivalent à un emploi annuel dans le transport et la logistique.
Deuxièmement, nous ne réussirons cette entreprise que si nous traitons de manière approfondie les différents aspects de fonctionnement de nos ports. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez eu raison de souligner qu’il n’y a pas une seule cause au retard extrêmement important du développement de nos ports par rapport à leurs concurrents du Nord ou du Sud : c’est l’ensemble de la filière qu’il faut revoir en profondeur. À cet égard, les très nombreuses auditions que j’ai menées dans le laps de temps trop court dont j’ai disposé et les visites que j’ai effectuées ont été très révélatrices.
Le contexte et le constat tiennent en quelques lignes. Le commerce international transite à 80 % par la mer, et cette proportion ne pourra qu’augmenter avec l’arrivée des pays émergents et des pays en voie de développement.
M. Jean-Guy Branger acquiesce.
J’en viens aux causes. Elles sont de différents ordres. J’en retiendrai quatre principalement : un retard d’investissement, qui est incontestable ; un fonctionnement mal coordonné ; des problèmes manifestes de gouvernance ; des dessertes en amont et en aval insuffisantes et souvent inadaptées. À partir de ce constat, je voudrais proposer des pistes de solutions qui découlent presque toujours de l’analyse des causes.
Le projet de loi propose de clarifier les compétences de nos ports : j’y souscris d’autant que nous devons respecter les directives européennes et les principes de fonctionnement qui en découlent.
Nos ports sont des établissements publics et ont, à ce titre, des prérogatives particulières en termes de responsabilités : tout d’abord, des responsabilités régaliennes pour assurer la sûreté et la sécurité par délégation de l’État, ensuite, des responsabilités d’aménagement nécessaires afin de permettre aux différents intervenants de développer leurs activités. Il appartient aux responsables du port d’en assurer la maîtrise d’œuvre et ils doivent y veiller dans la plus grande transparence.
Deux types d’activités sont développés : les vracs liquides ou solides, qui sont souvent des marchés captifs en raison de la proximité des entreprises de transformation, et les activités liées au développement de la conteneurisation qui, elle, peut passer d’un port à l’autre en fonction de l’attractivité du site portuaire. Dans les deux cas, les responsables du port doivent veiller à l’exercice d’une vraie concurrence, la susciter, voire l’organiser s’il n’y a pas assez d’opérateurs. Vous proposez de dissocier ce qui peut relever d’activités concurrentielles comme cela s’est fait ailleurs : nous ne pouvons que nous engager dans cette voie.
Le détournement de nombreux trafics s’explique, bien évidemment, par les incertitudes des armateurs quant à la fiabilité et l’efficacité de nos ports, c’est-à-dire quant aux délais qui leur seront imposés en matière de chargement ou de déchargement. Il est urgent de mettre en place l’unicité de commandement qui est un gage d’efficacité, comme cela se pratique dans tous les autres ports concurrents, afin de retrouver une crédibilité, et par conséquent la confiance des opérateurs. On peut comprendre que ce changement profond proposé aux différents personnels concernés suscite des inquiétudes, mais nous devons l’accomplir si nous voulons que nos ports reprennent leur développement. Certains de nos amendements ont pour objet de sécuriser ces personnels au-delà de ce que le texte prévoit déjà.
Un port ne peut être pleinement opérationnel que s’il a une grande autonomie de décision. C’est là aussi un impératif d’efficacité et de réactivité. Nos grands ports restent des ports d’État, mais de leur fonctionnement dépend le développement économique de chacun des hinterlands.
Les investissements qui sont engagés requièrent l’intervention des collectivités locales sous forme soit de concours financiers, soit de garanties : il est normal de mieux et plus impliquer les acteurs locaux dans les décisions, ce qui signifie qu’il faut déconcentrer la responsabilité. Un port doit pouvoir engager des dépenses dès lors qu’elles ont été approuvées par le conseil de surveillance, sans attendre l’aval de l’autorité de tutelle lorsque l’État n’est pas impliqué financièrement.
La gouvernance reposant sur un binôme composé du conseil de surveillance et de la direction générale, il est indispensable qu’il y ait une symbiose entre les deux parties. À cet égard, il paraîtrait normal que le futur directeur général expose, avant d’être nommé, son projet stratégique au conseil de surveillance et que sa nomination soit soumise à l’avis conforme de ce dernier.
En revanche, le directeur général doit disposer d’une grande marge de manœuvre tout à la fois dans la constitution de son équipe de direction et dans l’exercice de sa mission au quotidien. Cela implique qu’il puisse être remis en cause en cas de désaccord avec le conseil de surveillance, auquel il doit rendre des comptes.
Pour qu’il y ait une bonne cohérence de l’ensemble de l’activité portuaire, il est nécessaire – et c’est la responsabilité de l’État – que soit élaboré un schéma national, et ce sans tarder. Il me semble que, en aval, l’ensemble des partenaires locaux devraient s’engager dans la mise en place de structures de coordination pour assurer une bonne cohérence en matière de réalisation de dessertes, des investissements induits par le développement de l’activité portuaire, notamment en ce qui concerne l’implantation de zones d’activités liées à la logistique.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, les réflexions que je souhaitais faire devant vous avant l’examen de ce projet de loi qui peut être déterminant pour l’avenir de nos ports.
Bref, c’est sur l’ensemble de la chaîne des activités maritimes qu’il nous faut agir, c’est-à-dire sur le programme d’orientation en matière de dessertes intermodales des ports – préfiguration d’un futur schéma national –, sur le recentrage des ports sur leurs missions de représentants de l’État et d’aménageurs, sur la mise en place de l’unicité de commandement, sur la gouvernance, sur une véritable autonomie de décision et d’engagement des investissements, sur le développement des dessertes et sur la mise en place de structures d’accompagnement des différents acteurs locaux.
Je souhaite que ce texte, enrichi par nos discussions et par nos propositions, permette de donner à nos ports une nouvelle dynamique génératrice de développement économique et donc d’emplois directs et induits, et qu’ainsi la France redevienne la grande puissance maritime qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, afin de rendre nos débats plus clairs, la commission des affaires économiques souhaiterait que l’amendement n° 37 tendant à la suppression de l’article 1er soit disjoint de l’examen des autres amendements à l’article 1er.
En effet, comme il s’agit d’un amendement de suppression, il convient d’éviter de mettre quarante-quatre amendements en discussion commune, ce qui ne permettrait pas de les examiner avec la clarté nécessaire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Charles Josselin.
M. Charles Josselin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque, au printemps de l’année 1992, Pierre Bérégovoy remplace Édith Cresson à l’hôtel Matignon, la question de la poursuite de la réforme de la manutention, initiée par Jean-Yves Le Drian et qui rencontre de sérieuses résistances, y compris de la part de certains grands élus socialistes, se pose. Néanmoins, c’est bien le mandat que Pierre Bérégovoy me confie explicitement.
M. le secrétaire d’État acquiesce.
En moins de six semaines, nous avons alors rediscuté du projet de loi, nous l’avons réécrit. J’ai eu l’honneur de le présenter et de le faire adopter par l’Assemblée nationale au mois de mai 1992, puis par le Sénat quelques semaines plus tard.
Une raison avait prévalu pour poursuivre une telle démarche. La réforme de la manutention était une condition nécessaire de la relance des ports français. Nécessaire, elle l’était en effet, mais pas suffisante. La suite devait – hélas ! – le démontrer.
Les mêmes causes ont la fâcheuse habitude de produire les mêmes effets et d’entraîner les mêmes conséquences… électorales en l’occurrence. Je ne saurais trop vous inciter à vous en souvenir, monsieur le secrétaire d’État.
M. le secrétaire d’État sourit.
N’en déplaise aux nostalgiques du statut de 1947, qui était justifié lors de son adoption – à cette époque, dans nos ports en reconstruction, le portage des marchandises se faisait encore très largement à dos d’homme –, la réforme de 1992 était nécessaire. Même si sa mise en œuvre n’a été achevée qu’en 1996, ses effets sur la productivité de la manutention, donc sur la compétitivité de nos ports, ont été bénéfiques, …
… comme en témoigne l’accroissement de notre trafic portuaire depuis une dizaine d’années.
Toutefois, il est vrai que la croissance du trafic de nos concurrents européens a été beaucoup plus soutenue, singulièrement en matière de conteneurs, dont la part dans le trafic international a explosé. Actuellement, – nous avons retrouvé ce chiffre dans de nombreux rapports ou documents en préparant le débat d’aujourd’hui –, 7, 5 millions de conteneurs accèdent à notre territoire national, dont seulement 2 millions depuis les ports de notre façade maritime.
À qui la faute ? Pas à la géographie, qui a doté la France de trois, voire quatre façades maritimes. Cela dit, la longueur de nos côtes est un argument réversible ; il contredit le besoin de concentration que nos voisins – je pense aux Hollandais, moins richement dotés en kilomètres de côtes – ont su exploiter. Au demeurant, la mer du Nord est plus près du cœur de l’Europe industrielle et, surtout, on y a valorisé l’intermodalité, en particulier pour le transport massifié, avec la liaison fluviale pour Rotterdam et le fret ferroviaire pour Hambourg.
À propos de concentration, monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé que sept ports autonomes deviendraient des « grands ports maritimes ». Peut-être s’agira-t-il d’ailleurs, à l’issue de ce débat, de sept « grands ports autonomes », puisque M. le rapporteur a déposé un amendement, que nous soutenons, en ce sens. Or, d’après ce que j’avais cru comprendre, dans les hypothèses de départ, il était seulement question de quatre « grands ports maritimes ». Certes, je suis heureux que ce statut puisse s’appliquer à trois ports supplémentaires. Mais, vous en conviendrez, le discours est contradictoire : d’un côté, on prône la concentration sur quelques grandes plateformes et, de l’autre, on retient finalement sept ports !
Peut-être est-ce la faute à l’histoire ? Notre histoire coloniale nous a trop longtemps entretenus dans l’idée que l’Empire français assurait pour longtemps une part confortable du trafic maritime et de ses retombées économiques. Car c’est là l’essentiel, l’économie. La mondialisation tire le commerce international, qui tire lui-même les économies, c’est-à-dire le commerce, les services, mais également les industries.
Non ! La faute en revient d’abord à l’absence de volonté politique, qui n’a pas permis de mobiliser les moyens à la hauteur de l’enjeu.
Monsieur le secrétaire d’État, et je m’adresse également à M. le rapporteur, qui a insisté à juste titre sur ce point tout à l’heure, le diagnostic est connu et partagé depuis longtemps. Je me permets de vous renvoyer à mon intervention devant l’Assemblée nationale du 13 mai 1992.
Comme vous aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, je rappelais alors notre objectif formel, c’est-à-dire la compétitivité de l’ensemble de la filière portuaire dans tous ses maillons. J’annonçais le développement et la modernisation de la voie ferrée, permettant notamment la circulation de trains hyper-lourds, et la mise en service des gabarits B puis B + pour les conteneurs hors normes. J’insistais sur la desserte fluviale assignée à Voies navigables de France. Je ciblais les ambitions du schéma directeur autoroutier. Surtout, j’exprimais notre volonté d’accroître les capacités financières des ports maritimes. C’était au mois de mai 1992. Onze mois plus tard, nous passions la main…
Et aujourd’hui, dans le fil du Grenelle de l’environnement, vous nous présentez un plan de relance qui, outre la présente réforme portuaire, comporterait un important programme d’investissements visant à accroître les capacités de nos ports, en particulier pour les conteneurs, mais également à améliorer leurs dessertes terrestres ferroviaires et fluviales.
J’ai employé le conditionnel, monsieur le secrétaire d’État, …
M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État. Je l’ai bien noté !
Sourires
… car c’est là le cœur du débat.
Ainsi, 30 000 nouveaux emplois seraient attendus à l’horizon 2015. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, l’État serait prêt à doubler la contribution promise dans les contrats de plan État-région pour la période 2009-2013.
Déjà au cours de la campagne présidentielle, le candidat Nicolas Sarkozy évoquait le chiffre de 367 millions d’euros pour cette même période. Certes, ce n’est pas rien. Mais est-ce suffisant, quand on sait que le port de Hambourg a investi 1 milliard d’euros pour les seules superstructures liées au trafic des conteneurs ?
Monsieur le secrétaire d’État, les promesses que vous venez à l’instant de réitérer valent-elles engagement ? Sont-elles contresignées par Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi ?
Que vaut la première ligne budgétaire concernée dans le projet de loi de finances pour 2009 ?
C’est là la faiblesse principale de la démarche : les véritables engagements financiers n’y sont pas !
Monsieur le secrétaire d’État, selon le document établi par Transport développement intermodalité environnement, ou TDIE – organisation que vous connaissez bien, qui est coprésidée par nos collègues Philippe Duron et Michel Bouvard, et pour laquelle vous éprouvez sans doute comme moi beaucoup de sympathie –, les dimensions prospective et financière « font presque totalement défaut » dans ce projet de loi.
Il manque une loi programme qui comporterait un volet « prospective » à moyen et à long termes, avec des objectifs à l’horizon 2025 et non pas à l’horizon 2013. En effet, s’agissant d’investissements aussi lourds, nous visons trop court en prenant l’horizon 2013 pour objectif. D’ailleurs, l’engagement sur une seule législature ne suffira pas pour nous permettre de sortir de la situation que vous-même et M. le rapporteur avez parfaitement décrite, monsieur le secrétaire d’État. Nous avons besoin d’une loi programme capable de servir de base aux projets stratégiques et aux contrats négociés entre l’État et les collectivités locales ou territoriales.
D’aucuns évoquent tantôt les « autoroutes de la mer », tantôt les « autoroutes ferroviaires ». À mon sens, il est temps de sortir de concepts encore presque évanescents.
Oui, il manque un véritable volet financier permettant de financer, à l’horizon 2025, les infrastructures tant routières que ferroviaires et fluviales correspondant aux objectifs affichés dans l’exposé des motifs de cette réforme ! Il manque un volet financier appuyant un programme de travaux d’infrastructures portuaires ! Sans loi programme – peut-être nous donnerez-vous quelques indications encourageantes à cet égard –, la volonté politique ne sera toujours pas démontrée.
Quant aux dispositions du projet de loi, l’examen des articles permettra d’en débattre et de justifier les amendements que le groupe socialiste a déposés après avoir entendu quelques-unes des parties concernées, même si le choix de la procédure d’urgence a eu pour effet de limiter le temps de l’échange et le nombre d’interlocuteurs.
Toutefois, je vous indique d’ores et déjà que, sous réserve de l’adoption de certains de nos amendements, nous approuverons le titre Ier du projet de loi.
En effet, il s’agit de consolider le statut, l’organisation et l’implication des collectivités locales, mais également des représentants des salariés – nous espérons bien, et c’est l’objet de l’un de nos amendements, que les dockers y seront associés –, d’élargir les missions et les compétences, y compris en matière d’environnement, de donner les moyens dans le cadre d’un projet stratégique et de conclure des accords, même financiers, avec des partenaires publics ou privés en France ou dans l’Union européenne. De notre point de vue, de telles dispositions semblent effectivement de nature à donner aux grands ports maritimes – ou aux grands ports autonomes – l’autorité et la liberté nécessaires à une action plus volontaire et plus globale.
Le titre II traite pour l’essentiel de questions fiscales, comme son intitulé « Dispositions diverses » ne l’indique pas. J’observe d’ailleurs que l’inspiration a manqué aux auteurs d’intitulés.
Sourires
S’agissant du titre II, la première question porte sur la limite jusqu’où aller en matière de générosité fiscale à l’égard des entreprises manutentionnaires. En effet, si les investissements ne sont pas au rendez-vous, une telle mesure créerait un effet d’aubaine injustifié. La seconde question concerne la capacité des collectivités locales à se priver de ressources fiscales qui sont pourtant censées les aider à financer leur part dans les investissements publics. Là encore, nous aurons l’occasion d’en reparler au cours du débat.
J’en viens au titre III, dont l’intitulé « Dispositions transitoires et finales » suscite des interrogations.
D’abord, il est pour le moins audacieux d’associer ce qui est provisoire à ce qui est définitif.
Surtout, le contenu des articles 4 à 13 aurait mérité un meilleur éclairage. Pourquoi ne pas l’intituler « Dispositions affectant le personnel et la propriété des outillages » ? En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit. Vous admettrez que ce ne sont pas des questions subalternes, même si elles ne sont pas de même nature. Je le rappelle, le projet de loi concerne la cessation des activités d’opérateur jusqu’alors exercées par les ports autonomes au moyen d’outillages spécifiques, c’est-à-dire de personnels qui leur étaient propres.
Observons d’abord qu’il s’agit le plus souvent d’équipements lourds, notamment de grues ou de portiques, dont le rôle est considérable, surtout pour le chargement ou le déchargement des conteneurs.
Une telle mesure serait justifiée par le besoin d’unifier la chaîne de la manutention. Il y faudrait une unité de commandement.
Monsieur le secrétaire d’État, sur le terrain, le pragmatisme a souvent prévalu et la coordination entre autorités portuaires et manutentionnaires donne des résultats globalement satisfaisants. N’oublions pas la solution de mise à disposition des machines et des hommes, qui permet aux unes et aux autres de conserver leur statut. Dans les rares cas où elle a été appliquée, elle a également donné de bons résultats.
S’agissant des outillages et de leur cession, la question de la transparence et de la publicité de leur évaluation méritera évidemment d’être posée. Un amendement du groupe socialiste est prévu à cet effet.
C’est évidemment le devenir des personnels concernés par ce transfert qui constitue le point le plus sensible de votre réforme, monsieur le secrétaire d’État, c’est celui qui pose la question sociale. C’est elle qui occupe prioritairement le champ médiatique, et ce n’est pas nouveau. Si, par malheur, votre plan de relance échouait, les dockers et leurs syndicats auraient beau jeu de vous reprocher d’avoir utilisé l’ambitieux concept de « relance portuaire » pour masquer un acharnement idéologique guidé par la seule volonté de privatiser le segment encore public de la manutention.
Quoi qu’il en soit et puisque vous avez probablement les moyens parlementaires pour aller au bout de votre réforme, vous comprendrez que le groupe socialiste se batte pour obtenir, au bénéfice des personnels transférés, les meilleures garanties.
C’est ainsi qu’un amendement à l’article 10 prévoit de ne pas limiter la période pendant laquelle ces personnels qui se verraient licenciés par leur nouvel employeur pourraient réintégrer les effectifs du grand port autonome.
Auparavant, nous aurons examiné l’article 9. Nous saisirons cette occasion pour demander la négociation et l’adoption d’une convention commune à l’ensemble des travailleurs du secteur portuaire, qui devra notamment tenir compte de la pénibilité de certains emplois.
Un paragraphe du même article 9 fait courir le risque que le décret rendant obligatoires les dispositions de l’accord-cadre puisse exclure certaines clauses pourtant déjà négociées. Cette disposition nous paraît contraire aux règles du dialogue social. Nous en demanderons la suppression ; nous souhaitons en tout cas en débattre.
Enfin, un article additionnel nous a paru nécessaire pour parer au risque de monopole qu’exercerait une seule entreprise sur l’ensemble du territoire français – et le risque est réel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme de 1992 a été, pour le secrétaire d’État à la mer que j’étais, une tâche difficile - surtout, oserai-je dire, pour un socialiste.
J’espère qu’au terme de ce débat les opérateurs maritimes, y compris les représentants syndicaux des personnels concernés, auront pu vérifier la continuité de mon engagement en faveur de la filière portuaire française, mais aussi ma volonté de faire en sorte que la loi donne aux grands ports autonomes les moyens d’une meilleure compétitivité sans porter atteinte aux droits légitimes des personnels concernés par le transfert d’activité, qu’il s’agisse des garanties d’emploi ou de salaires.
Le Parlement a le droit, mieux le devoir, d’être informé de la mise en œuvre de cette réforme et de ses conséquences sur le plan économique mais aussi social.
Le rapport annuel d’information prévu par la loi de 1992 n’a jamais été produit. Il demeure plus que jamais nécessaire que le Parlement soit informé. À cet égard, nous souhaitons qu’un amendement présenté par nos collègues communistes soit adopté, mais je suis sûr que M. le rapporteur n’y fera pas opposition.
Le vote final du groupe socialiste dépendra bien évidemment du sort réservé à ses amendements, mais aussi des engagements crédibles que vous prendrez peut-être, monsieur le secrétaire d’État, à l’occasion de ce débat.
Nous partageons votre ambition : assurer la relance de la filière portuaire française en concentrant l’effort sur quelques grandes plates-formes susceptibles de participer à la nécessaire dynamisation de notre économie et de contribuer à l’aménagement structuré de notre territoire. Nous jugeons positive la réforme du statut des missions de la gouvernance du fonctionnement des futurs grands ports autonomes.
Nous croyons la question sociale soluble dans une application intelligente des dispositions du texte, surtout si nous les améliorons au cours de ce débat. Cependant, nous savons tous, monsieur le secrétaire d’État, que les performances des ports français dépendent d’abord d’un effort considérable en matière d’infrastructures terrestres et fluviales, effort qui aurait appelé d’autres formes d’engagement, et singulièrement cette loi programme à laquelle je faisais allusion précédemment.
En l’absence de ces garanties, mais ne voulant pas empêcher la nécessaire modernisation du fonctionnement des grands ports autonomes, le groupe socialiste s’abstiendra.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC.
M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord féliciter le Gouvernement du texte qu’il nous propose aujourd’hui, mais aussi du plan d’investissement qui l’accompagne, et saluer la méthode utilisée, permettant la mise en place d’une véritable réforme des grands ports maritimes français. Nous ne pouvons que nous en réjouir et chercher à conforter cette initiative en tant que législateurs.
Néanmoins, qu’il me soit permis à mon tour de faire le constat suivant : la France, pays très maritime par son littoral, s’est délibérément, depuis trois siècles, détournée de sa façade maritime. Le dernier grand marin fut Colbert, et nous attendons toujours son successeur… Quand on songe que les ports français Le Havre et Marseille ne sont en réalité que le cinquième ou le sixième port de la France, derrière Anvers, Rotterdam, Gênes, Barcelone et, demain, derrière Hambourg et Tanger, c’est dramatique !
Lorsque l’on constate également les difficultés rencontrées par la SNCF et par Réseau ferré de France pour doter la France des infrastructures de fret nécessaires, on comprend, comme l’a souligné M. Josselin, que nous ne disposions pas des infrastructures qui permettraient le développement de nos ports. Il en est de même en matière fluviale : la priorité est donnée à la liaison Seine-Nord et non à la liaison Seine-Est, ce qui favorise une meilleure desserte d’Anvers, et non pas de Dunkerque, du Havre, de Bordeaux ou de Nantes.
La situation de nos ports maritimes autonomes s’est dégradée inexorablement depuis plus de dix ans, alors même que les échanges maritimes se mondialisent et connaissent un fort dynamisme.
Les chiffres sont formels ; notre excellent rapporteur, Charles Revet, les a rappelés dans le détail. Pour ma part, je n’en retiendrai qu’un seul : la part de marché des ports français en Europe est passée, entre 1989 et 2006, de 17, 8 % à 13, 9 %. Espérons que la dégradation s’arrêtera là et que la situation s’améliorera après l’adoption de ce projet de loi.
Or, la France, par la longueur de ses côtes et sa situation centrale en Europe, a vocation à être un très haut lieu de transit. En outre, ses ports pourraient être mieux reliés à leur hinterland. À l’heure du Grenelle de l’environnement, nous devons non seulement favoriser les moyens de transport les moins polluants et le multimodal, mais aussi prévoir les interconnexions pour un maillage efficace et cohérent du territoire. C’est à un véritable aménagement du territoire que vous êtes amené à participer, monsieur le secrétaire d’État.
Si tel n’est pas le cas à ce jour, c’est essentiellement à cause de la pesanteur de l’organisation de nos ports et de la longueur des opérations de chargement et de déchargement. De nombreux rapports, dont celui de la Cour des comptes, en ont clairement fait l’analyse.
Grâce au présent texte porteur d’une réforme stratégique et grâce à l’autonomie et aux moyens financiers que nous allons leur donner, les infrastructures portuaires devraient retrouver le chemin du dynamisme économique et la place qui leur correspond.
La disposition phare est le transfert à des entreprises privées des outillages et des personnels d’exploitation et de manutention – les grutiers, les portiqueurs et autres - actuellement employés par les ports. Les grutiers et les portiqueurs devraient changer de statut, comme cela a été le cas pour les dockers en 1992. Je tiens d’ailleurs à saluer la courageuse réforme de 1992 à laquelle M. Josselin a fait allusion tout à l’heure.
Nous pouvons comprendre que ce changement de statut soulève des inquiétudes. Cependant, le transfert vers le privé ne devrait donner lieu à aucune diminution de salaire et, en cas de difficulté, les salariés pourront retrouver leur statut au sein du port autonome.
Je tiens à souligner l’intérêt des dispositions qui mettent en place un partenariat public-privé absolument indispensable pour le développement de nos ports. N’oublions pas que la plupart des ports européens concurrents sont gérés non par l’État mais par les länder, les collectivités locales, les chambres de commerce, et ils font preuve de dynamisme.
Parallèlement, les activités de nos sept ports autonomes maritimes vont être recentrées sur leurs missions régaliennes d’aménageur et de gestionnaire du domaine du port ; ils devront élaborer un projet stratégique qui pourra faire l’objet de contrats d’investissements non seulement avec l’État mais aussi avec les collectivités locales.
Monsieur le secrétaire d’État, je souscris à l’idée que soit élaborée, dans un avenir proche, une loi d’orientation portuaire qui permettrait de cadrer l’ensemble de ces projets stratégiques.
La gouvernance sera modernisée avec la constitution d’un conseil de surveillance et d’un directoire afin, nous dit l’exposé des motifs, d’assurer une meilleure réactivité et une distinction entre les missions de contrôle et de gestion courante de l’établissement.
Qu’il me soit permis de présenter, à ce titre, quelques remarques personnelles. Je ne suis pas forcément convaincu que le système du conseil de surveillance et du directoire soit le mieux adapté à l’avenir des ports. Il faudra sans doute revoir un jour ce mode de gouvernance.
Qu’il me soit permis d’ajouter que je ne souhaite pas que le directoire soit exclusivement composé de X-Ponts. Nos ingénieurs, quelle que soit leurs qualités remarquables, qui ont été capables de construire dans le monde entier, notamment au Moyen-Orient et en Extrême-Orient, des ports exceptionnels, ce qu’ils n’ont pas eu l’occasion de faire en France, mis à part Port 2000, ne sont pas forcément de bons spécialistes du marketing et de la promotion. Il faudrait donc qu’au sein du directoire certains assurent le marketing et développent cette dimension commerciale que les Hollandais ou les Belges savent si bien utiliser.
Certaines catégories de personnels vont disparaître du conseil de surveillance, même si nous les retrouverons dans le conseil de développement. Pour avoir siégé pendant sept ans au conseil d’administration du port autonome du Havre – je viens tout juste de cesser mes fonctions et, quoi qu’il en soit, je n’aurais pu être réélu avec le nouveau système – j’ai pu constater que les conseils d’administration des ports autonomes n’étaient pas seulement des lieux de décision, mais également des lieux de dialogue, où se retrouvaient côte à côte les représentants du personnel, des usagers et autres. Nous perdrons quelque peu cette dimension du fait de la disparition de certaines catégories, même si, je le répète, nous les retrouverons dans le conseil de développement.
C’est la raison pour laquelle je soutiendrai l’idée de M. le rapporteur en ce qui concerne la présence de personnalités qualifiées choisies par le Gouvernement. Je pense à cet égard aux différents présidents du port autonome du Havre, qui, depuis une trentaine d’années, ont toujours été des membres de la chambre de commerce, et dont je tiens à saluer l’action.
En tout cas, il me semble indispensable que les industries portuaires qui gèrent l’économie du port soient représentées soit au sein du conseil de développement, soit parmi les personnalités qualifiées.
Les collectivités locales voient une fois de plus leur place affirmée aux côtés de l’État, et je m’en félicite. Le conseil de développement devra associer l’ensemble des acteurs du port pour épauler les instances de direction.
Surtout, je tiens à saluer la méthode que le Gouvernement, et particulièrement vous-même, monsieur le secrétaire d’État, avez employée, fondée sur le dialogue et sur une progression négociée.
En amont du texte qui nous est présenté, la concertation sur cette réforme aura duré trois mois, pendant lesquels se sont tenues une centaine de réunions, clôturées par une table ronde.
En aval du texte que nous allons voter, la négociation va se poursuivre dans les mois qui viennent ; c’est le sens des articles 8 à 11 du projet de loi. Les partenaires sociaux disposeront, de par la loi, de plusieurs mois pour définir ensemble, au plus près des réalités locales, les modalités de cette réforme.
Enfin, un plan de financement ambitieux doit accompagner ce projet de loi. Vous nous avez annoncé, monsieur le secrétaire d’État, que l’État, en complément des contrats de projet 2007-2013, doublerait sa participation sur la période 2009-2013. Un tel engagement ne peut que conforter les dispositions législatives que nous allons adopter.
Pour conclure, je dirai que cette réforme portuaire, qui s’inspire de ce qui se fait dans les pays européens du Nord, est un vaste plan de relance, dont la réalisation, progressive et négociée, devrait permettre la création de plusieurs milliers d’emplois, notamment dans les activités de transport et de logistique. Elle s’inscrit dans les perspectives du Grenelle de l’environnement en promouvant une politique de transport multimodal.
Nous souhaitons que l’application de cette réforme, notamment les modalités de gouvernance, fasse, au bout d’un certain temps, l’objet d’un rapport tout comme nous souhaitons l’adoption de certains amendements présentés par la commission.
Sous réserve de ces considérations, le groupe UMP vous apportera, monsieur le secrétaire d’État, son entier soutien pour l’adoption de ce projet de loi.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi portant réforme portuaire. Ce projet de loi, qui est présenté comme une réforme économique, constitue en réalité une réforme idéologique.
En transformant les sept ports autonomes métropolitains en « grands ports maritimes », ce texte s’inscrit dans la continuité des politiques de privatisation menées par le Gouvernement et sa majorité, politiques de destruction des services publics, de démantèlement du domaine public maritime, de déficit démocratique et de fragilisation du statut des personnels.
Fondé sur une analyse largement erronée des causes des difficultés économiques des ports, le projet de loi n’apporte pas une réponse adéquate et présente, en outre, des dangers sociaux, économiques et environnementaux réels.
Comme en 2004, vous confirmez la volonté du Gouvernement de mettre en concurrence ports français, territoires et salariés et de désengager l’État de la promotion de ces ports. Cette situation, déjà ancienne, a conduit la Cour des comptes, dans un rapport de 1999, à douter que l’État ait une politique en matière portuaire.
Monsieur le secrétaire d’État, la vérité est là, dans ce constat alarmant ! L’État est pleinement responsable du retard de la compétitivité des ports français. L’alibi de la fiabilité sociale n’est qu’un prétexte pour diminuer les droits des salariés et des syndicats.
En effet, contrairement à ce qui s’est passé en France, les grands ports européens, que vous citez à juste titre en exemple, ont bénéficié de solides soutiens publics, qui leur ont permis de se lancer dans des opérations d’investissements visant à développer leurs infrastructures de grande ampleur.
Alors que le montant des crédits d’intervention directe et de concours financiers aux ports belges sur la période 1997-2005 s’est élevé à 360 millions d’euros en moyenne par an, il n’a été que de 120 millions d’euros, soit trois fois moins, pour les ports français. Les subventions aux ports belges ont atteint 156 millions d’euros, contre 70 millions d’euros, soit moins de la moitié, pour leurs homologues français sur la même période.
Pourtant, on le sait, si des investissements lourds sont réalisés, si on s’en donne les moyens, les résultats sont positifs, comme en témoigne le cas de Port 2000, leader en matière de croissance du trafic des conteneurs en Europe, puisqu’il enregistre une augmentation de 26 % dans ce domaine. Vous pouvez le constater, monsieur le secrétaire d’État, les motivations qui sous-tendent votre réforme ne résistent pas à l’analyse des faits !
Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de développer nos ports. La mise en valeur des atouts du transport maritime, en raison de sa pertinence environnementale et énergétique, est nécessaire aux échanges européens. Nous devons moderniser les sites portuaires, organiser de manière stable, durable et fiable le transport terrestre qui les prolonge, particulièrement dans les secteurs ferroviaire et fluvial.
Les ports français, alors qu’ils bénéficient d’avantages géographiques importants, restent très fragilisés par la faiblesse de leur hinterland. La croissance du trafic des conteneurs exige un développement ferroviaire et fluvial important.
Pour justifier la réforme, vous n’avez de cesse, monsieur le secrétaire d’État, de mettre en avant les propositions du Grenelle de l’environnement. Permettez-nous, cependant, de douter de votre bonne foi sur cette question !
Premièrement, aucun atelier du Grenelle ne s’est prononcé sur cette réforme ; aucune des propositions du groupe de travail « transport » n’a encore été mise en œuvre.
Deuxièmement, quelle crédibilité accorder à un gouvernement qui diminue de manière chronique les crédits destinés au transport ferroviaire, et plus particulièrement au fret, qui abandonne des projets de tunnels ferroviaires au profit de tunnels routiers ou qui n’a pas su mener à bien les projets d’autoroute des mers ?
Le désengagement de l’État s’explique largement par l’absence de volonté politique d’œuvrer dans le sens du développement durable. Pour répondre aux objectifs de développement de nos ports, dans le respect du développement durable, l’implication des personnes publiques et donc une maîtrise publique du secteur sont indispensables à la prise de décisions cohérentes, dans le respect de l’intérêt général, en matière d’aménagement de l’espace et des territoires, de planification des investissements, d’approvisionnement via la distribution au grand public.
Le secteur portuaire doit répondre aux exigences d’un véritable service public, afin de garantir une cohésion sociale et territoriale. Des milliers d’emplois induits sont en cause. Le développement durable ne saurait être limité, comme le propose la commission, par le respect de la concurrence libre et non faussée, qui vous est si chère, chers collègues de la majorité.
Cette concurrence, nous y reviendrons, est largement mise à mal par le projet de loi, qui crée toutes les conditions nécessaires à la constitution de monopoles privés, au profit de quelques grands groupes qui auront les moyens de dicter leur loi. En témoignent d’ailleurs certains amendements même s’ils tendent à limiter une telle possibilité.
La privatisation des outillages et les transferts des personnels de manutention organisés au profit de ces grands groupes sont largement inspirés du rapport Gressier. Ce document présente la réforme – et ce n’est pas pour nous rassurer ! – comme la suite logique de la loi du 9 juin 1992 modifiant le régime du travail dans les ports maritimes, texte auquel seul le groupe communiste s’était fermement opposé.
Le Gouvernement avait alors annoncé la création de 50 000 emplois ; or l’effectif des dockers a été divisé par deux ! Par conséquent, quand vous nous promettez, monsieur le secrétaire d’État, 30 000 emplois supplémentaires, nous nous permettons d’exprimer quelques doutes sur le sérieux de vos prévisions !
En réalité, le bilan de la réforme de 1992 et l’expérience du port de Dunkerque, laboratoire des mesures proposées, sont socialement catastrophiques et économiquement coûteux. Ils ont montré leur inefficacité en termes de développement de l’activité économique des ports !
Tout cela, vous le savez déjà, et c’est peut-être la raison pour laquelle, depuis plusieurs années, vous n’avez pas déposé devant le Parlement, méconnaissant ainsi allègrement vos obligations légales, le rapport relatif aux activités de manutention portuaire ! C’est donc sciemment que vous vous engagez aujourd’hui dans un processus de généralisation des erreurs d’hier !
Eu égard au peu de temps dont je dispose, je voudrais maintenant aborder le contenu du projet de loi à partir de trois points : le transfert des outillages, celui des personnels et, enfin, la nouvelle gouvernance des ports.
Il est proposé, pour aider les ports et relancer l’activité portuaire, de privatiser les services rentables de l’État et de faire des personnels la variable d’ajustement pour garantir les profits des opérateurs privés.
Le transfert des outillages fait l’objet de mesures qui posent plusieurs problèmes, comme vient de le dire Charles Josselin.
Aujourd’hui, dans les ports, l’ensemble des dépenses est équilibré avec l’ensemble des recettes. En transférant les opérations commerciales au secteur privé, le Gouvernement prive les établissements des recettes engendrées par les redevances d’outillage et reporte tout sur les droits de port et les redevances domaniales. Rien n’est prévu pour évaluer les conséquences de telles pertes.
De plus, il n’est question à aucun moment d’évaluer les biens qui sont la propriété de personnes publiques et donc susceptibles d’être cédés. On s’expose par conséquent à un risque de cession à une valeur inférieure à la valeur réelle.
Cette crainte est d’ailleurs confortée par le fait qu’il n’est jamais question de faire peser sur les opérateurs privés le coût de l’investissement de l’État ou des collectivités territoriales nécessaire à l’acquisition de ces matériels. Rien n’est prévu non plus pour garantir que l’opérateur privé exploitera durablement ces matériels sur le site qui les lui a cédés.
Se pose ensuite la question de savoir quelles entreprises pourront réellement assumer les transferts d’outillage et de personnels. Seuls quelques grands groupes déjà en place en auront les moyens. Les petites entreprises ne pourront plus louer au port, pour quelques jours, les matériels nécessaires à l’exercice de leur activité. C’est une différence importante avec la situation actuelle.
Si les ports ne conservent pas les activités jugées rentables, comment valoriseront-ils l’emploi industriel, notamment quand celui-ci dépend d’activités portuaires peu rentables, en raison de la faiblesse des volumes et des cadences ? Pour les trafics à faible valeur ajoutée, les ports diminuent les coûts pour les usagers, mais permettent aux entreprises concernées de faire vivre une économie locale, voire régionale.
Enfin, le projet de loi, en contradiction avec le droit communautaire, tend à instaurer de vrais monopoles privés : la procédure de cession des biens prévue à l’article 7 procède clairement de cette volonté.
Quant aux transferts de personnels, dont les conditions sont précisées à l’article 8, notons d’emblée qu’ils ne sont pas nécessaires à l’instauration d’un commandement unique, comme en témoigne l’exemple du Havre. Une mise à disposition des personnels par le port permettrait d’atteindre cet objectif, tout en présentant des garanties pour les salariés.
De plus, avec les articles 9 et 10 du projet de loi, le Gouvernement nous demande de préjuger d’un dispositif qui sera négocié après l’adoption par le Parlement du projet de loi. Connaissant les politiques du Gouvernement en matière de droit du travail, nous nous opposons fermement à signer ce chèque en blanc.
Dans le projet de loi, aucune garantie qui ne soit vidée de son sens à la ligne suivante n’est prévue. Certes, l’article 10 prévoit que le nouvel employeur est tenu à l’égard des salariés à des obligations qui incombaient au grand port maritime à la date de la signature de la convention de transfert, mais l’article 11 vise à remettre en cause cette garantie, par un renvoi au code du travail qui prévoit, en cas de cession, une nouvelle négociation des conventions collectives.
L’article 1er du projet de loi fait également largement référence à la filialisation des activités de l’établissement public. Là encore, aucune garantie n’existe, notamment en termes de statut et de conditions de travail des salariés, puisque ces filiales ne seront pas majoritairement publiques.
Les sénateurs du groupe CRC s’opposent au dumping social organisé par le texte et à la fragilisation des personnels transférés et des personnels des filiales de l’établissement public.
S’agissant de la gouvernance des ports et de leur conseil d’administration, les modifications proposées constituent une remise en cause des faibles garanties apportées par la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public. Il est prévu que le grand port maritime soit dirigé par un directoire, sous le contrôle de gestion du conseil de surveillance.
Dans cette nouvelle organisation, le rôle décisionnaire de l’État est largement restreint. Surtout, la représentation des salariés n’est pas assurée de manière satisfaisante. Non seulement le nombre des représentants du personnel est réduit, mais aussi les personnels de manutention et les dockers risquent – c’est même certain pour ces derniers – de ne plus être représentés. Pourtant, ils sont des acteurs importants des ports.
On peut également s’étonner que les chambres de commerce et d’industrie, qui jouent un rôle très important dans le développement de l’activité économique de certains ports, ne soient plus représentées. Certains amendements visent cependant à corriger une telle situation.
Vous instituez également, monsieur le secrétaire d’État, « dans l’esprit du Grenelle » – c’est vous qui le précisez ! –, un conseil de développement. Si « l’esprit du Grenelle », c’est l’affirmation de principes dénués de pouvoirs réels pour les mettre en œuvre, l’objectif est alors pleinement atteint avec la création de ce conseil. Il est intéressant de noter – et cela en dit long sur votre conception de la gouvernance des ports ! – que c’est au sein de l’instance qui a le moins de pouvoirs que les salariés sont le mieux représentés !
Le projet de loi portant réforme portuaire constitue une réponse inappropriée pour relancer l’activité des ports. Elle ne saurait remplacer un investissement fort de l’État. Loin de régler les problèmes, ce texte, qui ne vise en réalité que la satisfaction des intérêts privés de quelques patrons, est une véritable atteinte au service public portuaire, au domaine public maritime, aux personnels et à une gouvernance démocratique des ports. En outre, il risque d’avoir des conséquences néfastes indirectes sur d’autres bassins d’emplois.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre ce texte, ce qui ne signifie en aucun cas qu’il ne faut rien faire, bien au contraire ! Simplement, nous n’approuvons pas les solutions préconisées dans ce projet de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces dernières années, l’évolution du transport maritime international, et plus particulièrement la forte expansion du trafic par conteneurs, a substantiellement modifié le paysage portuaire européen. Par ailleurs, l’élargissement de l’Union européenne déplace les flux de marchandises vers le centre de l’Europe.
Par sa position géographique et son histoire, la France dispose dans le domaine portuaire d’atouts non négligeables, sur ses façades occidentale comme méridionale. Pourtant, les principaux ports français ont continué de perdre des parts de marché, plus particulièrement dans le trafic de conteneurs.
De fait, si la France veut occuper une place significative dans les trafics de conteneurs au niveau européen, voire maintenir une économie portuaire riche directement ou indirectement en emplois, elle doit surmonter des handicaps qui lui sont propres et remplir un certain nombre de conditions, toutes nécessaires, aucune n’étant suffisante par elle-même. Il s’agit, en particulier : de la répartition nette entre ce qui est de la responsabilité de l’État et ce qui relève de la compétence des établissements portuaires ; de l’existence de grands terminaux capables de « traiter » une masse croissante de trafic dans un temps de plus en plus court ; de l’organisation de ces terminaux visant à conférer aux ports autonomes la charge des infrastructures et de la régulation de la place et à confier l’exploitation de ces dernières aux entreprises, comme c’est le cas des autres grands ports européens ; enfin, des dessertes performantes, notamment en matière ferroviaire et fluviale.
C’est dire s’il est urgent de réformer notre organisation portuaire, en particulier celle de nos ports autonomes. Depuis la loi de 1992, qui a constitué une première étape, comme l’ont rappelé les intervenants précédents, les avant-projets de loi de modernisation élaborés en 2001, puis en 2003, n’ont pas abouti. Nous sommes actuellement dans la situation paradoxale où, avec des atouts géographiques considérables, les ports français n’occupent plus une place maîtresse dans les flux commerciaux à destination de notre territoire national.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en urgence apporte des réponses structurelles, qui me paraissent aptes à restaurer la compétitivité des ports français.
Tout d’abord, le projet de loi recentre les ports sur leurs missions de nature régalienne, ainsi que sur les missions d’aménageur et de gestionnaire de leur domaine, dont ils seront désormais propriétaires de plein droit. Ils pourront ainsi assurer une meilleure gestion de ce domaine et pourront mieux planifier le développement des infrastructures portuaires.
En outre, chaque grand port maritime s’inscrira plus clairement dans le développement de son territoire et pourra harmoniser son développement avec celui de la collectivité sur le territoire de laquelle il est implanté. À titre d’exemple, citons l’agglomération rouennaise, où l’activité portuaire représente plus de 22 000 emplois directs, indirects et induits, 30 000 en comptant les sites de Port-Jérôme et de Honfleur. Le chiffre d’affaires lié aux opérations commerciales des entreprises portuaires sur le fret chargé et déchargé atteint près de 1 milliard d’euros par an, ce qui offre une illustration du fort impact de l’activité portuaire sur l’ensemble de cette agglomération.
À l’avenir, avec le projet stratégique que chaque port devra adopter, les spécificités locales seront mieux prises en compte et les externalités positives du port se multiplieront.
En vue du recentrage des compétences, ce projet de loi vise à instaurer sur les terminaux un commandement unique pour les activités de manutention. À l’heure actuelle, la coordination des équipes est source de problèmes, car les entreprises de manutention n’ont pas la pleine maîtrise de leur cœur de métiers : la manutention verticale est l’apanage des portiqueurs et grutiers, qui sont salariés de droit privé du port autonome, tandis que la manutention horizontale est confiée aux dockers, salariés des entreprises de manutention.
Le commandement unique améliorera l’organisation des équipes et leur efficacité. Il devrait en résulter, notamment, des progrès en termes de productivité et de développement de l’investissement privé dans les ports français.
Toutefois, il faudra faire preuve d’une grande pédagogie pour bien expliquer les enjeux de la réforme, tout comme les garde-fous qui l’accompagnent. Les personnels concernés ont le souci légitime d’obtenir des garanties quant à leur avenir ; ils doivent être rassurés sur leurs perspectives de carrière, ainsi que sur les possibilités de retour qui leur sont offertes. C’est notamment le rôle du groupe de travail sur le dialogue social, présidé par M. Cousquer. Nous constatons, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez souhaité donner toute sa place à la concertation avec les professionnels concernés.
Le projet de loi prévoit que les partenaires sociaux doivent parvenir à un accord-cadre pour le transfert de ces professionnels aux opérateurs de terminaux avant le 31 octobre 2008.
Dans l’hypothèse où ces négociations échoueraient, le projet de loi fixe également un cadre législatif qui permettrait de sortir de la crise actuelle et de restaurer la crédibilité des ports français par rapport à leurs concurrents européens. Il est nécessaire d’avancer, dans la concertation certes, mais rapidement, car le conflit social actuel a grandement fragilisé nombre d’opérateurs.
Le projet de loi vise, en outre, à réformer le mode de gouvernance des grands ports maritimes. À l’heure actuelle, les ports autonomes sont gérés par des conseils d’administration aux effectifs pléthoriques, ce qui dilue des responsabilités entre, d’une part, les représentants des professionnels et, d’autre part, les financeurs des ports, c’est-à-dire l’État et les collectivités territoriales, qui disposent de moins du tiers des voix au sein de ces instances.
Le texte prévoit de substituer à ces conseils une structure duale, comprenant un conseil de surveillance et un directoire, où l’État et les collectivités locales auront voix prépondérante, afin d’obtenir une meilleure réactivité des établissements portuaires et une distinction plus claire entre les missions stratégiques et de contrôle, d’une part, et la gestion courante de l’établissement, d’autre part.
Par ailleurs, dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, le présent projet de loi prévoit également l’instauration d’un conseil de développement, afin de prendre en compte des aspects économiques, sociaux et environnementaux du développement des ports. C’est là un point important.
Autre mesure primordiale du projet de loi, la possibilité de créer un conseil de coordination entre certains ports. Depuis 2005, une expérimentation de coopération a été lancée entre certains ports autonomes.
Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples, que je connais particulièrement bien, puisqu’ils sont situés dans mon département, ceux des ports de Rouen et du Havre.
Les résultats de cette coopération restent encore limités, même si un code « de bonne conduite » vise à prévenir la redondance des investissements, une guerre tarifaire et les détournements de trafic entre ces établissements. Il a en outre permis la mise en commun des informations et l’élaboration de stratégies communes relatives à différents sujets techniques, tels que le dragage, les services de trafic maritime ou la logistique.
De nouvelles synergies peuvent apparaître avec la mise en service de Port 2000, sur le modèle des complémentarités développées entre Anvers et Rotterdam.
Ainsi, le port de Rouen ambitionne, avec un armateur, de compléter ses trafics Nord-Sud par le développement d’un trafic fluvial conteneurisé des flux Est-Ouest déchargés au Havre, en se positionnant comme une plate-forme logistique avancée du Havre et en offrant une desserte alternative à la voie routière, dans l’attente de la fiabilisation de la desserte fluviale de Port 2000.
Alors que le port du Havre investit de son côté dans des plates-formes logistiques, cet axe de développement devra s’inscrire dans le cadre d’une coopération renforcée entre les deux ports normands, comme le permet le projet de loi.
Toutefois, si cette réforme importante doit aboutir rapidement pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, il est indispensable de ne pas nous limiter à une réflexion sur la seule façade maritime.
Des ports modernes et compétitifs ne constituent qu’un des instruments d’une politique portuaire réussie. Il importe également de moderniser la desserte des ports. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, « la bataille maritime se gagne à terre ».
La concurrence s’exerce, en effet, entre chaînes de transport, dont les ports ne sont qu’un élément.
La compétitivité d’un port dépend non pas seulement de ses qualités nautiques, de ses installations et de l’efficacité de son exploitation, mais aussi de l’étendue de son arrière-pays, du coût et de la fiabilité de ses dessertes terrestres.
La part des transports terrestres dans le coût d’acheminement des marchandises de « bout en bout » est considérable. Ainsi, pour l’acheminement d’un conteneur entre Lyon et l’Asie, le préacheminement et le postacheminement par voie terrestre représentent le tiers du coût du transport.
Actuellement, le transport routier demeure largement prédominant dans la desserte des ports français. Il est cependant nécessaire d’adapter ces infrastructures aux besoins spécifiques des ports. Ainsi, à Rouen, 36 000 poids lourds, dont un grand nombre transportent des matières dangereuses, empruntent quotidiennement les voies de circulation de l’agglomération.
Monsieur le secrétaire d’État, en mars 2006, votre prédécesseur, M. Perben, avait annoncé un projet de contournement par l’Est de Rouen, le grand chantier devant débuter en 2008-2009. Ce contournement devrait contribuer, d’une part, au développement économique de Rouen et de son agglomération en favorisant la croissance et la création d’emplois résultant des activités industrielles et portuaires et, d’autre part, à l’amélioration de la qualité de vie grâce à la diminution des pollutions sonore et atmosphérique dues au trafic, des risques liés à l’insécurité routière et au transport de matières dangereuses en milieu urbain ou encore à la limitation de l’étalement urbain.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelle est la position actuelle du Gouvernement sur ce dossier et nous dire si le calendrier précédemment annoncé est maintenu ?
Toutefois, si les dessertes routières permettent de répondre de façon flexible aux besoins des ports autonomes, il est indéniable que les transports terrestres doivent intégrer les caractéristiques de massification pour desservir efficacement les conteneurs sur un hinterland de plus en plus vaste au fur et à mesure que les frontières s’ouvrent.
Or les modes ferroviaire et fluvial dans le préacheminement et le postacheminement des ports français n’ont pas pu, à ce jour, remettre en cause la suprématie du transport routier. Au contraire, ces deux modes, dont la pertinence économique repose sur les flux massifiés, se sont montrés plus concurrents que complémentaires.
J’espère que le Grenelle de l’environnement et le projet de loi relatif à sa mise en œuvre conduiront à intensifier les investissements dans ces modes de transports.
Vous avez annoncé, parallèlement au présent projet de loi, un ambitieux plan d’investissement en faveur des ports. Pouvez-vous nous éclairer sur les actions que l’État entend mener pour développer le fret ferroviaire et, notamment, pour concrétiser le projet de diagonale Ecofret, qui permettrait de desservir Port 2000 au Havre ?
En conclusion, je tiens à féliciter notre collègue Charles Revet pour la qualité de son travail.
Mme Catherine Morin-Desailly. Il a contribué à éclairer nos réflexions sur ce sujet, ô combien important, de la réforme portuaire, que nous soutenons.
Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP.
l’heure de la mondialisation des échanges.
Il nous appartient d’établir une stratégiepersonnels concernés par cette réforme.
Personne, je le crois, ne nie sa nécessité.ces dernières années.
Alors que l’on enregistre une augmentation globalecommerce maritime européen.
Ce pourcentage n’est pas rassurant et lesl’Amérique du Nord.
Tout comme moi, vous connaissez les effets decette évolution.
Ainsi, dans le classement mondial, Le Havrepointe au trente-sixième rang et Marseille ne se situe qu’à la soixante-dixième position.
Ce recul est d’autant plus dramatique qu’ilportuaire s’effectue par conteneurs.
En citant ces chiffres, mes chers collègues, je tiens à apporterévident manque de compétitivité.
Voilà cinq ans, le nombre de tonnesaméliorée, loin de là !
Certains l’expliquent par les’agit – du nord de l’Europe.
Je referme cette parenthèse sur le port deMarseille, pour en revenir au cœur du texte et à l’avenir de nos ports, qui nécessitent bien une réforme.
Mais peut-on dire, monsieur le secrétaire d’État, que le texte que nous avons entre les mains esquisse des solutions appropriées ? À l’évidence, non ! Et je le regrette !
Pour faire accepter politiquement, économiquement et socialement son projet, le Gouvernement a, dans un premier temps, semblé vouloir substituer, au moins dans les mots, la notion de relance à celle de réforme portuaire.
Cette problématique, qui n’a pas dépassé le stade des bonnes intentions, est tragiquement absente des propositions qui nous sont soumises. Bien sûr, quelques lignes rapidement écrites en préambule à l’exposé des motifs font encore référence à la nécessité, pour les ports français, de regagner les parts de marché perdues. Mais il s’agit là d’un simple constat de situation, rapidement dressé, alors que c’est une part essentielle du problème.
Ce projet de loi n’a ni souffle, ni ambition, ni dessein. Alors que l’on aurait souhaité du concret, du courage et des innovations, il se borne à organiser le transfert au secteur privé de l’outillage et des personnels des ports autonomes. Pour donner le change, on rebaptise ces derniers « grands ports maritimes », avec l’espoir que la réalité suivra le verbe.
Belle manœuvre de langage ! Mais quelle chance gaspillée !
En effet, la définition d’une stratégie globale et audacieuse aurait dû être l’occasion de déterminer les nécessaires investissements pour relancer nos ports et de traiter de façon digne et humaine la question du statut des personnels.
Comme tous les observateurs le soulignent, la situation des ports français traduit d’abord une regrettable absence d’anticipation et de stratégie lisible de l’État en matière de politique maritime et portuaire. Néanmoins, je vous concède bien volontiers que cette situation perdure depuis plusieurs années.
La réussite des ports du Benelux tient sans doute à l’efficacité de leur organisation technique, mais aussi commerciale. Cependant, la clef de leur succès a résidé d’abord dans leur capacité à faire face à la taille croissante des navires, en particulier des porte-conteneurs, et dans leur adaptation rapide et efficace aux nouveaux modes d’échanges que ces derniers imposent. Cette adaptation s’est faite en associant intelligemment investissement privé et investissement public.
C’est un fait que la compétitivité des ports ne dépend pas uniquement de leur positionnement géographique, de leurs qualités nautiques, du niveau de leurs équipements ou, même, de l’efficacité de leur exploitation ; elle tient aussi et surtout à la performance de leurs dessertes terrestres, qui détermine l’étendue réelle de leur hinterland.
En l’espèce, mes chers collègues, nous avons, si j’ose dire, plusieurs porte-conteneurs de retard ! En effet, les transports terrestres occupent une place très importante dans le coût de l’acheminement de la marchandise, et cette part sera de plus en plus déterminante. Sur ce terrain, le retard des ports français est considérable. Deux chiffres permettent de le mesurer : 50 % de la desserte terrestre des ports du Benelux est assurée par voie fluviale ou ferroviaire ; 85 % de la desserte du port de Marseille est assurée par la route, et ce alors que les bassins de Fos ne disposent toujours pas d’accès autoroutiers.
Cette situation inacceptable tient largement à la faiblesse du soutien financier apporté par l’État au développement des infrastructures des ports français et à l’absence d’investissements permettant d’améliorer leur desserte.
Par ailleurs, l’insuffisance des investissements est criante si l’on s’intéresse au seul trafic des conteneurs. Fos 2XL, le premier investissement significatif décidé pour le port de Marseille depuis plus de quinze ans, investissement très important et auquel nous sommes attachés, représente une enveloppe de 206 millions d’euros en termes d’infrastructures. Cette somme est dérisoire quand on la compare à celles qui ont été débloquées pour les terminaux à conteneurs d’autres ports européens : 600 millions d’euros à Anvers, 2, 9 milliards d’euros à Rotterdam, 1, 1 milliard d’euros à Hambourg. Nous faisons aussi bien pâle figure face aux ports du sud de l’Europe : 300 millions d’euros ont été investis à Gênes et à La Spezia, 520 millions d’euros à Barcelone et 450 millions d’euros à Algesiras.
Les montants importants qu’ont accepté d’investir dans ces ports européens les opérateurs privés, qu’il s’agisse d’équipements, d’outillages ou de moyens de stockage, ne se sont pas substitués aux investissements publics auxquels je viens de faire référence. Le secteur public intervient notamment sur les infrastructures, les digues et les quais, sur les dessertes terrestres ou les accès maritimes, qui, ici comme ailleurs, restent publics.
Je comprends que l’on cherche à encourager les investissements privés dans nos ports. Je n’y suis pas opposé, car l’investissement privé crée la richesse et, par conséquent, l’emploi. Je comprends aussi que l’on s’efforce de sécuriser les conditions dans lesquelles ils peuvent être réalisés. En revanche, je ne comprends pas pourquoi ce texte, depuis si longtemps annoncé et, finalement, depuis si longtemps espéré, n’est pas à la hauteur des enjeux et des défis que la mondialisation nous impose de relever.
Il ne contient ni plan de relance, ni stratégie de développement, ni exposé sur les moyens de reconquête des trafics. Il n’y a rien, trois fois rien, sur les engagements de l’État en faveur des infrastructures portuaires, ferroviaires et routières. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, j’espère que vous nous fournirez des réponses précises, chiffrées et concrètes.
Ce projet de loi ne dit rien non plus de la stratégie de développement des ports, alors même qu’il est impératif de confirmer leur compétence sur l’aménagement de leur territoire et de permettre que, après une nécessaire phase de concertation, l’approbation, par exemple, d’un schéma directeur leur donne les moyens, non seulement à eux, mais aussi aux acteurs portuaires, de concrétiser leurs projets.
En revanche, ce projet de loi ne manque pas de mettre l’accent sur l’organisation du travail dans les terminaux, comme si l’objet de la réforme était de privatiser les outillages de manutention et leur exploitation.
Certes, une réforme de l’organisation du travail sur les quais peut favoriser des gains de productivité ; certes, personne ne cherche à nier la nécessité d’une adaptation ; certes, l’idée d’une unicité de commandement est admise. De même, le regroupement des grutiers et des dockers au sein d’une même unité est sans doute nécessaire, du moins lorsqu’un opérateur unique est présent dans les terminaux. Cependant, il faut prendre garde de créer de nouvelles citadelles. Il convient que chaque port puisse mettre en place les solutions adaptées à la gestion de ses trafics, en particulier lorsqu’il ne s’agit pas de conteneurs.
Souvenons-nous que, en 1992, on nous présentait déjà l’intégration des dockers au sein des entreprises de manutention comme « la » réforme à mener. À cet égard, on aurait souhaité que la nouvelle réforme de la manutention soit précédée d’une évaluation précise des effets de la précédente, de son coût, de ses apports en termes de productivité et de ses échecs en termes de trafic et, par conséquent, d’emploi.
On objectera que, la réforme de 1992 n’ayant pas été menée au terme de sa logique, celle de 2008 vise à l’achever. En réalité, je crois plutôt que la réforme de 1992, comme celle de 2008, a souffert de ne porter que sur l’un des facteurs de la productivité des ports en oubliant de s’inscrire durablement dans une stratégie de développement.
Je veux ici insister sur un point essentiel qui, pour vous, mes chers collègues, comme pour moi-même, n’est pas un point de méthode.
Une réforme qui concerne les personnels doit d’abord se préoccuper des hommes. Elle ne peut se concevoir qu’avec les intéressés et elle ne peut se bâtir et être mise en œuvre contre eux. Les agents portuaires bénéficient aujourd’hui d’un statut et de garanties qui ont une histoire et une légitimité que l’on ne peut rayer d’un trait de plume sans renier notre propre histoire.
Le Gouvernement a, sur ce point, ouvert le champ à la négociation afin de prendre en compte les évolutions que nous avons évoquées. Cette concertation ne peut pas être un théâtre d’ombres et ne doit pas être vidée de son sens par des dispositions trop précises ou des décrets prématurés. Je pense notamment à l’article 10 du projet de loi, relatif aux conditions de retour des salariés dans les établissements publics portuaires en cas de suppression d’emploi chez les opérateurs et à la durée de cette garantie. Cette disposition ne doit pas être un couperet, et un éventuel retour dans le public peut être envisagé sans mettre en péril l’édifice !
Au-delà de ces garanties individuelles, les salariés portuaires, comme ceux des entreprises de manutention, doivent avoir des perspectives d’avenir crédibles. Celles-ci reposent, je l’ai dit, sur la réaffirmation du rôle prééminent de l’État dans le développement des ports et leur desserte.
Quant à la réforme de la gouvernance, qui prévoit d’accroître l’autonomie des autorités portuaires en les dotant d’un directoire aux pouvoirs élargis, elle mérite, elle aussi, bien des éclaircissements. Je regrette le caractère évasif du texte sur la composition de ce directoire aux pouvoirs élargis. Sera-t-il, comme certains commentaires le donnent à penser, d’une coloration très proche de celle du monde de l’entreprise ? Quelle place réelle sera accordée aux collectivités ?
Le rôle du conseil de surveillance mérite, lui aussi, d’être précisé. L’État, avec cinq représentants, en restera l’acteur principal. Par conséquent, il convient que ce soit le gage d’une responsabilité assumée.
Enfin, la place des collectivités territoriales dans la gouvernance des ports reste très marginale en termes de pouvoir, alors que, ces dernières décennies, leur part dans le financement public des ports autonomes a crû de manière importante – c’était nécessaire –, dépassant parfois celle de l’État.
Dès lors, comment pourrait-on de pas craindre que, une fois de plus, l’État se libère, en la confiant aux collectivités, d’une charge financière qu’il ne peut ou veut plus assumer au motif que ses « caisses sont vides » ?
Les cessions d’actifs telles qu’elles sont envisagées et l’autonomie accordée aux grands ports maritimes, notamment en termes de propriété, avec la disparition des procédures propres au domaine public maritime, ne doivent pas être synonymes d’un désengagement que les élus locaux, mais aussi nos concitoyens, dénoncent et réprouvent.
De même, ce projet de loi ne doit pas ouvrir la porte à l’abandon des terrains portuaires à des fins spéculatives. À cet égard, il nous paraît indispensable que le texte précise les prérogatives et les obligations des ports en la matière.
Vous l’avez compris, j’appelle de mes vœux une réforme, mais je constate que le texte qui nous est proposé ne répond pas, hélas !, aux exigences de l’heure. Il fait l’impasse sur l’effort de rattrapage nécessaire de l’investissement public et il n’est pas suffisamment équilibré et équitable vis-à-vis des personnels portuaires, à qui des garanties individuelles et des perspectives d’avenir doivent être proposées. Celles-ci doivent faire l’objet d’une réelle négociation, sur les conclusions de laquelle le Parlement devra se prononcer.
L’absence de perspectives claires sur les investissements et les craintes quant au devenir des personnels justifient, comme l’a indiqué Charles Josselin, l’abstention du groupe socialiste sur ce texte, qui n’est pas à la mesure des défis que nous devons relever ensemble pour remettre les ports français sur le chemin de la croissance.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Bret applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon propos sera beaucoup plus bref que prévu puisque je fais miennes les excellentes réflexions et observations qu’a formulées tout à l’heure notre collègue Patrice Gélard. Aussi me contenterai-je de formuler quelques remarques inédites.
Monsieur le secrétaire d'État, en inscrivant ce projet de loi dans la suite du Grenelle de l’environnement, vous affichez la nécessité de « recodifier » la société sur la base, désormais incontournable, d’un développement durable qui prenne en considération la rareté des ressources de la planète et la nécessité de les respecter pour éviter que l’homme lui-même se condamne, ce qui n’exclut pas la nécessité de promouvoir, aussi et dans le même temps, le développement économique. Vaste sujet, vaste programme !
Ainsi va la chose publique, ainsi va la vie politique que, pour atteindre ces objectifs, il faudra lutter encore et encore contre l’intérêt particulier ou sectoriel érigé en intérêt général. Ce n’est pas nouveau, mais, dans un monde toujours plus égoïste, le combat sera de plus en plus rude. En tout cas, je vous félicite, monsieur le secrétaire d'État, de vous y être engagé.
Mutatis mutandis, peut-être serez-vous amené, dans le même esprit, à reconsidérer le paysage du transport aérien, même si la loi du 20 avril 2005 relative aux aéroports a d’ores permis des avancées. Toujours est-il que bien des choses méritent également d’être améliorées dans ce domaine.
La réforme portuaire s’inscrit dans cette « recodification » de la société que j’évoquais et s’attache à développer sur une grande échelle les transports alternatifs au transport routier.
Je citerai quelques chiffres pour illustrer mon propos. D’ici à 2012, la part du fret non routier, qui est de 14 % aujourd’hui, sera portée à 25 %. Cet objectif est ambitieux. À mes yeux, il ne pourra être atteint que par le doublement du fret non routier à destination ou en provenance des ports ou encore par la « massification » des dessertes maritimes par les voies ferroviaires ou fluviales.
On l’a dit tout à l’heure, mais je le répète parce que c’est important, c’est l’ensemble de la chaîne du transport qui doit être remise en perspective. Encore faut-il que des lignes budgétaires permettent de rendre cette perspective crédible.
Les collectivités consentiront des efforts, de même qu’un certain nombre d’entreprises privées. Cependant, il convient que l’effort de l’État, ou de ceux qui agiront en son nom, soit au moins égal. On ne saurait imaginer que cet objectif de porter à 25 % la part du fret non routier puisse être atteint sans un engagement important des uns et des autres.
Il est clair que le statut de « grand port maritime » concourra à accroître la compétitivité des sept ports concernés, mais l’objectif sous-jacent, c’est que la France redevienne une grande puissance maritime. Nous nous situons au 31e rang des flottes de commerce et au 28e rang en ce qui concerne les tonnages. C’est tout de même très modeste ! Notre classement était bien plus reluisant lorsque j’ai commencé à présenter des rapports sur les ports maritimes. Aujourd’hui, notre activité décline alors même que notre façade maritime, vous l’avez-vous-même rappelé, monsieur le secrétaire d’État, est tout à fait exceptionnelle et que 35 % du trafic maritime mondial transite par la Manche et la mer du Nord. On le sait, paradoxalement, Anvers est aujourd'hui le premier port français !
On ne peut fixer des chiffres dans un texte et promettre des efforts considérables sans prévoir les moyens nécessaires pour tenir de tels engagements. L’« agilisation » à laquelle vous procédez est de très bon aloi.
C’est la seule possibilité pour redresser la situation. Encore faudra-t-il, j’y insiste, que les efforts soient partagés.
Vous déclinez cet objectif autour de quatre grands thèmes. À ce sujet, je dirai simplement que le fait de recentrer les grands ports maritimes sur leurs missions régaliennes, notamment la pleine propriété du domaine public maritime, est une excellente initiative. Pour le reste, il s’agit simplement de reprendre le modèle qui a réussi aux autres ports européens. C’est la moindre des choses si nous voulons nous placer sur un pied d’égalité avec nos voisins et concurrents, et cela, bien entendu, dans le meilleur esprit possible.
En revanche, en ce qui concerne la coordination des ports d’État d’une même façade maritime, il est absolument nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, que la réforme portuaire puisse aller un peu plus loin.
À cet égard, je présenterai trois amendements pour que l’on reconsidère l’entité géographique d’une façade maritime ou d’une « sous-façade » maritime. Il ne s’agit pas de reprendre les grands espaces, mais de prendre en compte la complémentarité qui existe toujours entre les grands ports et les ports secondaires, notamment ceux que vous avez transférés aux collectivités. Je pense évidemment à ceux que nous avons pris en charge, soit directement au niveau des conseils généraux, soit encore, comme c’est le cas pour les ports de Cherbourg ou de Caen, dans un syndicat mixte associant les conseils généraux concernés et le conseil régional.
Nous devons nous aligner sur les possibilités qui sont offertes par les grands ports maritimes. Sinon, nous assisterons à une distorsion, non pas en termes de concurrence mais en termes de moyens, et cela finirait par être handicapant.
C’est la raison pour laquelle il serait bon que nous puissions procéder à ce toilettage du code des ports maritimes afin de l’adapter à la nouvelle donne issue notamment des transferts de compétences.
En ce qui concerne la prise en compte de la biodiversité, je présenterai des amendements visant à permettre la poursuite de la gestion des espaces naturels, la gestion des réserves foncières restant, quant à elle, de la compétence des grands ports. Il faut toujours associer l’économique et l’environnemental, mais je sais que tel est bien votre souci, monsieur le secrétaire d'État.
Si les nouvelles autorités portuaires doivent être recentrées sur leurs missions régaliennes d’aménagement et de gestion de leur domaine, elles doivent explicitement pouvoir agir comme de véritables acteurs économiques dans la chaîne du transport, c’est-à-dire en prenant des participations à l’extérieur et en établissant des partenariats avec des acteurs du transport et de la logistique, y compris, notamment comme opérateurs ferroviaires. C’est un ensemble que l’on ne peut dissocier, sous peine d’amputer la capacité d’action des différents acteurs.
Enfin, cela a été dit tout à l’heure par notre collègue Charles Josselin, il aurait été souhaitable de voir figurer dans ce texte un volet prospectif à moyen et à long terme, avec des objectifs à caractère général à l’horizon, non pas simplement de 2012, mais de 2025, en matière de performances, de développement du trafic, d’intermodalité.
Pourquoi ce volet prospectif est-il important ? Tout simplement parce qu’il pourrait constituer la base des projets stratégiques et des contrats avec l’État, les collectivités et les différents autres acteurs. C’est sur cette base qu’il est possible de contractualiser. À très court terme, il est trop difficile d’atteindre un objectif, et l’on sait très bien qu’il existe un temps de latence entre, d’une part, la décision et la réalisation, mais aussi, d’autre part, entre la réalisation et l’effet de la réalisation. C’est la raison pour laquelle l’échéance de 2025 – soit les dix-sept années qui sont devant nous – est satisfaisante pour pouvoir inscrire un volet prospectif.
Tels sont, monsieur le secrétaire d’État, les éléments que je souhaitais vous livrer après l’intervention de Patrice Gélard, qui a dit l’essentiel, et beaucoup mieux que je n’aurais su le faire !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Je dirai juste quelques mots pour remercier les différents orateurs ainsi que M. le rapporteur.
M. Josselin a rappelé à juste titre que la réforme de 1992 avait été courageuse et qu’il y avait pris sa part, ce dont je lui donne volontiers acte. J’ai apprécié son attitude constructive, ainsi que celle de M. Guérini, même si elle se traduit pour l’instant par une abstention de leur part. Un certain nombre d’arguments qu’ils ont avancés ont d’ailleurs été invoqués par les orateurs de la majorité.
Je remercie également MM. Patrice Gélard et Jean-François Le Grand, ainsi que Mme Catherine Morin-Desailly, de leur soutien sur ce texte. Il faudra en effet préciser les orientations financières. Par nature, elles ne peuvent pas figurer dans un texte de loi, mais il conviendra de trouver le moyen de les graver dans le marbre, puisque la volonté de l’État est d’investir, comme nous l’avons indiqué, dans ce plan de relance.
Bien évidemment, tout cela est lié aux différents textes découlant du Grenelle de l’environnement que nous vous présenterons avec Jean-Louis Borloo. Le « Grenelle 1 » sera la grande loi d’orientation et les mesures d’application seront contenues dans d’autres textes de loi qui seront présentés au fil des semaines à la représentation nationale.
Naturellement, madame Morin-Desailly, – j’évoquais précisément ce sujet ce matin avec M. Fabius –, l’affaire du contournement Est de Rouen est très importante ; chacun connaît les difficultés de la desserte ferroviaire de Rouen et du Havre et la nécessité d’ouvrir un axe qui puisse désenclaver l’agglomération. Nous aurons l’occasion d’en reparler et d’y travailler avec vous.
M. Josselin a évoqué les autoroutes de la mer. Il est vrai qu’on a parfois plus entendu de discours que constaté d’actions, mais la situation commence à changer : je pense, s’agissant de la Méditerranée, à la liaison entre Toulon et le port de Rome de Civitavecchia par l’armement Louis-Dreyfus.
Certes, mais l’équilibre est encore un peu fragile !
S’agissant d’une autoroute de la mer sur la façade atlantique, les choses avancent bien puisque nous avons un appel d’offres commun avec l’Espagne pour une telle autoroute reliant Bilbao, Santander et les ports de l’Atlantique. Cette autoroute pourrait même aller un peu plus loin que la pointe de la Bretagne.
Lors de la présidence française de l’Union européenne, nous tiendrons un conseil des ministres informel des transports à La Rochelle le 1er et le 2 septembre prochain, dès que le parti socialiste aura libéré les hôtels de cette grande cité – mais ces détails techniques ont été réglés avec le député-maire de la Rochelle !
Sourires
Nous tenons à associer les ministres marocains, algériens et tunisiens à ces travaux, à la demande du Premier ministre. En effet, nous estimons que, à l’instar des dessertes qu’évoquait M. Guérini tout à l’heure entre l’Italie, l’Espagne et la France, un ensemble d’autoroutes de la mer entre les pays européens et les pays du Maghreb pourraient être mises en place. Nous souhaitons également associer à cette réflexion M. Jean-Claude Gaudin, qui est très attaché à la création de ces dessertes.
Il est vrai que nous avons un peu attendu pour présenter ce texte puisqu’il a été annoncé à Marseille – M. Gaudin s’en souvient – à l’occasion de l’inauguration de la ligne de tramway de Marseille par le Président de la République.
C’était en effet une belle et chaude journée !
En vérité, nous avons souhaité que ce texte soit en phase avec le Grenelle de l’environnement, car la politique portuaire ne peut pas se concevoir en dehors d’une politique de transport globale et de report modal, comme l’a excellemment indiqué Jean-François Le Grand, qui a joué un grand rôle dans le déroulement du Grenelle de l’environnement.
Nous avons essayé d’insérer ce texte dans le calendrier parlementaire, pour faire en sorte que ce plan de relance s’intègre parfaitement dans le cadre de la politique de report modal, sachant que le transport maritime, en dehors de sa dimension internationale, peut aussi jouer un rôle dans le report des transports qui se font à l’intérieur de l’Union européenne par le biais des autoroutes de la mer ou par le biais d’autres types de transport.
Ce projet a, je l’espère, sa cohérence. Le Gouvernement sera ouvert à tous les amendements et sera éventuellement prêt à trouver des accords à leur sujet, puisque la Haute Assemblée, comme elle en a l’habitude, a beaucoup travaillé sur ce texte.
Ce débat est important, et nous sommes heureux qu’il puisse commencer dans cet hémicycle, avec la qualité et la sérénité qui caractérisent toujours les discussions du Sénat. Tous les groupes participent aux travaux dans un esprit constructif, même si M. Le Cam est malheureux de ne pas pouvoir s’abstenir, il nous le redira dans un instant. Je ne désespère pas de le voir changer d’avis à la faveur du débat.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
M. le président. Mes chers collègues, permettez-moi de saluer dans les tribunes d’honneur une délégation de la Grande Commission du Parlement de Finlande, qui est venue s’entretenir avec la délégation pour l’Union européenne du Sénat et son président Hubert Haenel, à la veille de la Présidence par la France de l’Union européenne.
M. le secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.
Je vous adresse, mesdames, messieurs, un cordial salut, en vous souhaitant un bon séjour à Paris et de fructueux entretiens.
Applaudissements.
Nous reprenons la discussion du projet de loi déclaré d’urgence portant réforme portuaire.
Je suis saisi, par MM. Le Cam, Bret, Billout et Danglot, Mmes Didier, Terrade, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°18 rectifié, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi portant réforme portuaire (n° 300, 2007-2008).
La parole est à M. Robert Bret, auteur de la motion.
Il y a près d’un an, au courant du mois de juin 2007, de passage à Marseille pour inaugurer le tramway, le Président de la République évoquait la nécessité de réformer les ports autonomes.
À l’évidence, à l’époque, l’annonce de la réforme était consécutive aux dix-huit jours de grève sur le bassin pétrolier de Lavera et de Fos-sur-Mer des salariés du port autonome de Marseille, qui demandaient que des agents portuaires soient employés pour le branchement et le débranchement sur le nouveau terminal méthanier de Fos.
Aujourd’hui, reprenant le leitmotiv du MEDEF, selon lequel les ports autonomes français, celui de Marseille en particulier, seraient à l’écart de la croissance mondiale au motif qu’ils sont gérés comme des établissements publics, le Gouvernement nous soumet donc, en procédure d’urgence, un projet qui implique que la compétitivité de nos ports dépendrait d’une réforme dite « économique », articulée autour de quatre axes précédemment évoqués lors de la discussion générale.
En outre, ce projet, il faut le souligner, s’appuie sur le rapport Gressier. Ce dernier part du postulat selon lequel la réforme de 1992 relative au statut des dockers et l’expérience de Dunkerque étant positives, elles devraient par conséquent faire référence.
Or aucune évaluation permettant de justifier ce postulat n’a été rendue publique. Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, la réforme de 1992 imposait que soit présenté chaque année devant le Parlement un rapport relatif aux conséquences de cette dernière. Cela n’a jamais été fait. Pourquoi. ?
De surcroît, l’exemple de Dunkerque, qui fait office de laboratoire, laisse perplexe puisque c’est le seul port présentant un bilan négatif : moins 6 % pour les conteneurs et moins 4 % pour le trafic global !
En revanche, une étude de la CGT portant sur la période allant de 1991 à 2006 conclut que les mesures prises ont conduit à un bilan socialement catastrophique – moins de 50 % des emplois promis ont été créés –, économiquement coûteux et totalement inefficace en termes de développement de l’activité commerciale puisque seulement 6 millions de tonnes de marchandises supplémentaires ont transité par Dunkerque.
Comment croire que, à partir d’un postulat aussi biaisé, les propositions contenues dans ce projet de loi puissent être fondées et pérennes ?
Si l’on souhaite que nos ports retrouvent leur place parmi les premiers grands ports internationaux, il ne faut surtout pas se tromper de diagnostic ! La France doit s’engager dans une véritable politique portuaire et de transport maritime et non se livrer à une basse manœuvre idéologique fondée sur l’idée que le privé est plus opérationnel que le public.
Car s’ils présentent des faiblesses, que nous ne contestons pas, nos ports disposent également d’atouts qui ne sont que trop rarement évoqués !
Les ports sont créateurs d’emplois directs et indirects. Ils sont de puissants outils d’aménagement du territoire. Ils assument une mission d’intérêt général en étant au service de l’économie des régions sur le territoire desquelles ils sont implantés et du pays dans son ensemble. Mais encore faut-il leur donner les moyens de fonctionner et de se développer !
Marseille-Fos, par exemple, ce sont 1 400 sociétés qui travaillent ensemble, 20 000 emplois liés au port, soit 7, 6 % de l’emploi salarié privé, 31 000 emplois indirects, 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 44 millions d’euros de taxe professionnelle.
Ce port polyvalent, unique en Méditerranée, concentre toutes les formes d’activités. Doté d’un outillage de grande qualité, d’une excellente réputation dans le domaine de la réparation navale, d’un remarquable niveau de services et de qualifications, qui sont autant d’atouts, il bénéficie en outre d’une position géographique exceptionnelle, au cœur des échanges avec l’Afrique du Nord, la Méditerranée orientale et l’Asie, via le canal de Suez.
Dans ces conditions, feindre d’ignorer les atouts et ne retenir que les faiblesses serait, à l’heure de la réforme, l’assurance d’aller à l’échec, monsieur le secrétaire d'État.
On pointe régulièrement l’absence d’unité de commandement sur les terminaux, la faible productivité et le manque de fiabilité, imputés aux seuls salariés et à leurs organisations syndicales.
Mais pourquoi ce besoin d’unité de commandement, que nous ne contestons d’ailleurs pas, serait-il contradictoire avec la maîtrise publique ? Il est tout à fait possible de réorganiser le travail autour de coopérations transversales et de conventions rigoureuses, avec un établissement portuaire commandeur de ces différentes activités, comme l’atteste, au Havre, l’expérience Port 2000, où le bilan de 2007 fait une augmentation de 26 % du trafic conteneurs.
À mon sens, seule une maîtrise publique peut permettre le renforcement des liens des ports avec leurs territoires, c’est-à-dire leur hinterland, en organisant une complémentarité intelligente, dans une politique cohérente, entre les ports décentralisés autour des grands ports autonomes Qui d’autre que l’État peut mettre en place une telle politique, assumer en toute sécurité la synergie de l’activité portuaire sur tout le littoral français ?
En outre, la maîtrise publique n’empêche nullement la présence de l’investissement privé, comme en témoigne, à Marseille, la stratégie volontariste, engagée depuis 2000, d’extension des capacités de traitement des conteneurs, stratégie qui s’appuie sur la concession des terminaux à des opérateurs privés internationaux tels que CMA-CGM ou MSC, avec des investissements privés compris, selon les estimations, entre 200 millions et 250 millions d’euros.
De la même manière, comment considérer que seuls les salariés des ports, en l’occurrence les grutiers et les portiqueurs, et leurs organisations syndicales sont responsables du problème de productivité et de rentabilité tandis qu’aucune prospective commerciale, aucune orientation stratégique, aucune programmation financière n’a été engagée ces trente dernières années pour les ports autonomes ? Ces options sont d’ailleurs également absentes du projet de loi.
C’est faire preuve de mauvaise foi que d’expliquer que ces retards accumulés sont imputables aux personnels et à leurs syndicats. Prenez garde aux lieux communs ! Les syndicats montrent leur désaccord non par plaisir, mais par souci de sauvegarde et de développement de l’emploi, de défense du statut du salarié.
Qui peut croire que les dix-huit jours de grève qui ont eu lieu à Marseille, en mars 2007, aussi fort qu’ait été le mouvement, puissent réduire à néant une politique portuaire nationale ? Le fait est que cette politique est totalement inexistante.
Des investissements de haut niveau devraient être programmés, des politiques portuaires pérennes conduites. Lorsque l’on fait appel aux travailleurs et aux salariés, ils savent démontrer leur professionnalisme, leur volonté de participer au développement des ports. Ce sont surtout les investissements qui font défaut !
Ainsi, lorsqu’on est capable d’associer investissements, volonté des salariés et qualification professionnelle, comme c’est le cas avec Port 2000, avec le projet 2 XL, bientôt 3 XL, à Fos, avec le terminal de l’anse Saint-Marc, à La Rochelle, avec la CMA-CGM, qui vient de remporter l’appel d’offres de la forme 10, à Marseille, la plus grande forme de radoub d’Europe, capable de recevoir des bateaux de plus de 400 mètres en réparation navale, on s’en rend bien compte, les résultats suivent !
Pour qui veut bien écouter autre chose que l’antienne mettant systématiquement en cause les salariés et leurs syndicats, la raison du manque de productivité est évidemment ailleurs.
Mes chers collègues, dans les ports du nord aussi, il y a des mouvements d’humeur, de contestation. Mais les gouvernements concernés, hollandais, belge ou allemand, s’efforcent, en pareille situation, de remonter à la source du conflit pour y remédier plutôt que de le monter en épingle en cherchant à ameuter l’opinion.
Cela n’a rien à voir avec la politique d’un État qui se met systématiquement en recul, voire se désolidarise des ports, alors qu’il en est l’actionnaire principal, un État qui, durant toutes ces dernières années, à chaque conflit impliquant des agents portuaires et des dockers, a stigmatisé les grévistes et leurs organisations syndicales, tout en répétant inlassablement que la solution résidait dans la libéralisation portuaire pour mieux se défausser de ses propres responsabilités.
Nous sommes tous d’accord pour reconnaître qu’une réforme est nécessaire, et même qu’elle serait salvatrice. Il nous faut néanmoins, pour la mener à bien, identifier les causes réelles de notre retard, puis les traiter politiquement et financièrement.
Les sept grands ports français – Marseille, Le Havre, Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire, Rouen, Bordeaux et La Rochelle – connaissent tous, dans le contexte d’une économie mondialisée – 80 % des échanges se font par la voie maritime – une dégradation globale, due à une insuffisance de compétitivité. C’est particulièrement vrai pour le secteur des conteneurs, où notre part est passée de 11, 7 % à 6, 2 %, alors que ce marché connaît une croissance de 5 % par an.
Cependant, les autres ports européens, dont la productivité était meilleure ces dernières années, connaissent également des difficultés, liées notamment à des phénomènes de saturation.
Si Marseille-Fos, le premier port français, est quatre fois plus petit que le premier port européen, Rotterdam, à qui la faute ?
Cet état de fait résulte, pour l’essentiel, du désengagement financier et stratégique de l’État, principal actionnaire, qui au fil des années n’a plus assumé sa part des investissements, conduisant ainsi les ports autonomes à s’autofinancer, en fait à s’endetter, et à recourir à l’apport du privé.
S’il est de bon ton de comparer la productivité des ports français à celle de nos amis européens, comparons également les financements publics. La contribution nette de l’État, sur la période 2000 à 2006, pour les sept ports français, aura été de 140 millions d’euros, soit l’équivalent de 13 % de l’effort d’investissement – à défaut des 60 % prévus –, alors qu’il est de 42 % à Anvers.
Afin de rendre plus rapide la rotation en chargement et en déchargement des conteneurs, les grands ports européens se sont lancés dans des opérations d’investissements en infrastructures d’une ampleur et d’un coût sans commune mesure avec celles qui ont été réalisées en France au cours de la période récente.
À l’évidence, il y a une relation de cause à effet entre ces investissements et la productivité du port qui en bénéficie. En 2007, Anvers a traité 181, 5 millions de tonnes, soit autant que Le Havre et Marseille. Or, sur la période 1997-2005, les crédits d’intervention directe et de concours financier aux ports belges ont été trois fois supérieurs à ceux des ports français.
Faiblesse des investissements financiers, disais-je, mais aussi absence, ces trente dernières années, d’une véritable politique maritime portuaire. Qu’ont fait l’État et le patronat pour rendre nos ports compétitifs ? Comment a été anticipée la grande « révolution » des conteneurs ?
À Marseille, pendant longtemps, le patronat s’est contenté de la rente coloniale et de celle des produits pétroliers, sans réaliser les investissements qui auraient pourtant été nécessaires à l’essor de l’activité portuaire. La fragilité de nos deux bassins résulte de la faiblesse de l’hinterland, qui ne permet pas un remplissage à 100 % des bateaux.
J’ajoute que, contrairement à une idée répandue, par rapport à nos concurrents européens, les coûts portuaires sont moindres en France. Hélas, avec moins de moyens matériels et de logistique, la qualité de l’offre est forcément plus faible.
Si l’on assiste à une baisse des parts de marché tandis que le trafic des conteneurs n’a jamais été aussi important, ce n’est pas parce que les hommes, qui travaillent avec les moyens qu’on leur fournit, ne sont pas compétents. La productivité et la fiabilité d’un terminal ne dépendent pas seulement de facteurs sociaux et humains, comme voudrait nous le faire accroire le Gouvernement. Non ! C’est parce que les infrastructures de nos ports et les dessertes françaises ne sont pas à la hauteur des enjeux internationaux !
En France, les décideurs ont montré leurs limites pour défendre et développer nos ports. L’absence d’anticipation et de politique visionnaire n’a pas permis à nos ports de se placer à la hauteur des enjeux. Alors que le développement de la fonction logistique est devenu le pendant de la mondialisation de l’économie et des délocalisations des entreprises de l’Europe vers le Sud-est asiatique, la France accueille aujourd’hui seulement 5 % du total des entrepôts de distribution de produits asiatiques en Europe, contre 56 % aux Pays-Bas, 22 % en Allemagne et 12 % en Belgique. L’argument de la fiabilité sociale ne saurait donc expliquer la baisse de la productivité des ports autonomes.
Quant à la future fiabilité de nos ports, que sera-t-elle demain, lorsque les outillages auront été cédés au secteur privé et que seule prévaudra la concurrence entre opérateurs privés ?
Aujourd’hui la maîtrise publique permet un équilibre global entre les recettes et les dépenses des ports autonomes, entre les différentes activités et les différentes professions au sein du domaine portuaire. Mais, demain, qu’en sera-t-il ? La volonté de spécialiser certains ports aux dépens des autres est très risquée pour le maintien de certaines activités.
Aujourd’hui, cette mise en cohérence relève de la responsabilité des services publics, donc des ports autonomes. Demain, qui assumera ce rôle ? La gouvernance des ports doit donc intégrer des critères de responsabilité sociale et territoriale.
Avec ce projet de loi, il est également question du transfert de la pleine et entière responsabilité des activités ferroviaires et de l’organisation des dessertes sur le domaine maritime à l’autorité portuaire. Nous y reviendrons au cours du débat.
Monsieur le secrétaire d'État, une chose est de réformer, une autre est de financer une réforme visant à développer les activités et l’emploi.
À Marseille, on évoque le transfert au privé de 230 à 270 des 1 489 agents, du transfert aux filiales de 400 à 440 personnes, quelque 830 salariés restant affiliés à l’établissement portuaire. Puisque tout semble décidé à l’avance, à quoi bon préciser dans le projet de loi que les négociations se poursuivront jusqu’au 1er novembre 2008 ?
Non, le but de la réforme est tout autre. Il s’agit de transférer les opérations commerciales au secteur privé, donc de retirer aux établissements les recettes produites par les redevances d’outillage, et de tout reporter sur les droits de port et sur les redevances domaniales. « Au public les déficits et au privé les bénéfices ». Quelle belle affaire !
Par ailleurs, si les ports autonomes sont exonérés de la taxe professionnelle, ce n’est pas le cas des entreprises privées. De fait, la privatisation des outillages entraînera leur assujettissement à la taxe professionnelle, ce qui, par répercussion, provoquera une augmentation du coût de passage : il faudra bien compenser ce prélèvement ! Or ni la Belgique, ni l’Espagne, ni les Pays-Bas, ni le Royaume-Uni ne sont assujettis à une telle taxe.
Autant dire que, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, le transfert de l’outillage n’est en aucun cas une mesure d’amélioration de notre compétitivité. D’autant qu’un aménagement fiscal ne saurait être admis eu égard au principe d’égalité devant l’impôt, principe constitutionnel qui implique que soit tout le monde le paie, soit personne ne le paie. Dans cette dernière hypothèse, qui compensera demain le manque à gagner des collectivités territoriales ? Alors qu’elles ont soutenu les établissements portuaires, financé et réalisé certains investissements en matière d’équipement et d’outillage des ports, on envisage, sans solliciter leur avis, de céder ces installations au secteur privé.
Ainsi, il est demandé aujourd’hui aux parlementaires de valider le principe de la cession au secteur privé, au profit des actionnaires, de ce qui a été financé par l’argent des contribuables.
La modernité, l’audace de la réforme résiderait dans la nouvelle gouvernance de nos grands ports maritimes, constituée d’un directoire qui concentrerait l’essentiel des pouvoirs et d’un conseil de surveillance où siégeraient les représentants des collectivités territoriales et des syndicats, sans réels moyens de contrôle ni d’action.
En outre, le projet de loi précise que seuls les personnels de l’établissement public seront représentés : quid des salariés des entreprises privées et des filiales ? Le projet de loi renvoie à des décrets…
Par ailleurs, monsieur le ministre, pourquoi exclure les chambres de commerce et d’industrie de cette réforme ?
Autant nous sommes favorables, comme les personnels portuaires, à une réforme intelligente et intelligible, autant nous ne saurions valider un texte d’où sont absents tous les fondamentaux.
J’insisterai, avant de conclure, sur le fait qu’il n’y a pas d’accord cadre garantissant les droits des salariés et leur devenir. Soit le transfert des salariés est acté, et le délai de négociation est alors arbitraire et ne sert qu’à éviter un conflit, soit les négociations sont réelles, et il convient alors de reporter la discussion de ce projet de loi.
Il n’y a pas davantage de budgétisation des transferts : il est impensable de faire cadeau aux opérateurs privés des installations portuaires existantes !
Bien évidemment, une programmation des investissements de l’État est à nos yeux indispensable puisque celui-ci s’engage à investir dans les ports 174 millions d’euros supplémentaires pour la période 2009-2013 et, ainsi, à porter le total à 367 millions d’euros. Vu que, pendant trente ans, alors qu’il en était l’actionnaire principal, l’État a sous-investi dans ses ports autonomes, permettez-nous d’éprouver aujourd’hui l’impérieux besoin de disposer de fortes garanties pour l’avenir !
A fortiori, la définition des missions économiques, sociales et environnementales de chacun des partenaires nous semble utile et nécessaire, car une véritable réforme impliquerait de développer les autoroutes des mers, le cabotage maritime, ainsi que le ferroviaire, comme cela a déjà été évoqué, de façon à élargir les hinterlands et à permettre l’utilisation du mode le mieux adapté dans la chaîne de transport entre origine et destination.
Oui, monsieur le président.
Je citerai un exemple concernant le ferroviaire, car cet aspect est important.
Pour faire de Marseille-Fos le port du Grand Sud et de l’arc méditerranéen, il conviendrait, comme le proposent le conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur et la région du Piémont, de mener à bien le projet de tunnel ferroviaire sous le Montgenèvre vers Milan et Turin, puisque plusieurs tunnels relieront l’Italie aux ports du nord, via la Suisse. Cessons de programmer les dessertes dans les contrats de plan État-région, pour, systématiquement, les reporter finalement au contrat suivant !
Mais rien de tout cela ne figure dans ce projet de réforme induisant une prétendue « révolution portuaire ».
En conclusion, monsieur le président, je soulignerai qu’il ne s’agit pas de relance : avec cette réforme, le Gouvernement vend, ou plus exactement brade son domaine public maritime. Il baisse les bras, ce que nous refusons, surtout à l’heure où tout devient possible : en effet, le retard pris dans l’aménagement de nos ports peut tourner aujourd’hui à leur avantage. Tout est possible, il suffit de le vouloir.
Alors que les ports d’Europe du Nord sont arrivés à saturation, nos ports disposent de la superficie nécessaire, d’un potentiel évident, d’un positionnement géographique avantageux, qui plus est en eau profonde et sans marée pour Marseille-Fos : bref, il n’y a plus qu’à activer les leviers nécessaires.
Nous avons cette volonté politique. Est-elle partagée, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues de la majorité parlementaire ? Non, hélas non !
Toutes ces raisons nous conduisent à vous proposer, mes chers collègues, de voter, par scrutin public, cette motion tendant à opposer la question préalable et de surseoir ainsi à l’examen de ce projet de loi en séance publique.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Sourires
Même si notre collègue Robert Bret nous a donné énormément d’explications pour justifier sa motion, j’y suis défavorable.
Nos collègues expliquent que le projet de loi obéit à des motifs idéologiques, que la protection du patrimoine de l’État n’est pas assurée, que le dialogue social a été escamoté par le Gouvernement et que les garanties quant au statut et aux conditions de travail ne sont pas apportées. Cela fait tout de même beaucoup ! Pourtant, c’est exactement le contraire qui s’est passé, et je tiens à le souligner.
Je ne souscris pas à cette analyse.
En premier lieu, il ne s’agit pas de poser en principe général et absolu la vente des outillages publics des ports. En effet, ce principe connaît quatre exceptions, exposées à l’article L. 103-2 du code des ports maritimes. Il ne saurait donc être question d’objectif « zéro outillage public ». Au cas par cas, le projet stratégique pourra, à titre exceptionnel et après accord de l’autorité administrative compétente, permettre au port d’exercer, directement ou indirectement, l’exploitation des outillages. Je crois important de le relever, car nous rencontrerons probablement des situations où il sera nécessaire qu’il en soit ainsi.
En deuxième lieu, la protection du patrimoine de l’État est assurée par le III de l’article 7 du projet de loi. En effet, ce paragraphe dispose : « Une commission composée de personnalités indépendantes veille au bon déroulement et à la transparence de la procédure fixée au I et émet un avis sur l’évaluation des biens et des droits réels avant leur cession. Sa composition et ses modalités de fonctionnement sont fixées par décret en Conseil d’État. » Il ne peut donc être question de vendre à vil prix des outillages qui ont parfois coûté à nos ports la bagatelle de plusieurs millions d’euros. Des hauts fonctionnaires, issus probablement du Conseil d’État ou de la Cour des comptes et accompagnés d’experts spécialisés selon la nature de la machine à vendre, veilleront à ce qu’un « juste prix » soit proposé par les candidats.
En troisième lieu, le projet de loi accorde, me semble-t-il, un rôle très important à la négociation sociale. En effet, en application anticipée de l’article 9 du projet de loi, un accord-cadre fait d’ores et déjà l’objet négociation à l’échelon national afin de déterminer les modalités selon lesquelles les contrats de travail des salariés des ports se poursuivent avec les entreprises de manutention. À l’échelon local, conformément à l’article 8 du texte, la détermination des critères servant à établir la liste du personnel transféré, puis la mise en œuvre de cette liste se font en étroite collaboration entre le directoire et les syndicats de salariés.
En dernier lieu, le transfert des salariés du port s’accompagnera de la poursuite de l’intégralité des clauses contractuelles. En outre, il est fait une application volontaire, à l’article 11 du projet de loi, de l’article L. 2261-14 du code du travail, qui impose des négociations dans l’entreprise d’accueil pour harmoniser, d’une part, les conventions et accords dont bénéficiaient les salariés entrants et, d’autre part, les accords et conventions concernant les salariés en place. Enfin, il convient de rappeler qu’un mouvement de convergence s’opère peu à peu entre la convention collective des ports et celle des industries de la manutention.
Par conséquent, il serait très inopportun de ne pas discuter ce projet de loi, contrairement à ce qu’affirment nos collègues du groupe CRC.
Peut-être toutes ces explications, monsieur Bret, vous convaincront-elles de retirer cette motion et de nous éviter ainsi un scrutin !
Sourires
Après la démonstration imparable du rapporteur, je me contenterai de formuler deux remarques.
Monsieur Bret, pour être tout à fait honnête intellectuellement, je dois reconnaître que vous avez raison de souligner que, quels que soient les gouvernements, on n’a pas été assez investi dans nos ports ces dernières années.
C’est la raison pour laquelle le Premier ministre et le Gouvernement ont tenu à faire en sorte que ce plan comporte une partie d’organisation, de gouvernance, de report modal, etc., mais également traduise une volonté très ferme d’investissement. Celui-ci doit bien sûr porter sur les sept ports : nous connaissons bien évidemment l’importance de Marseille et du Havre, mais c’est l’ensemble des ports autonomes, devenus « grands ports maritimes » si vous en décidez ainsi, qui sera concerné.
La nécessité d’investissement est donc réelle, et vaut également pour les collectivités. C’est pourquoi nous proposons que celles-ci soient associées au projet stratégique : c’est au fond ce qu’elles ont toujours fait, quelles qu’elles soient et quelles que soient, sur le terrain, leur orientation politique.
Ma seconde remarque concerne le dialogue.
Le dialogue est important, et il a lieu en ce moment. Je crois que, sur le plan législatif, il est très intéressant que soit proposé un projet de loi qui fixe les règles a minima et que le champ de la négociation sociale soit laissé complètement ouvert, avec une première étape à la fin du mois de juin et une seconde à la fin du mois d’octobre. C’est assurément un progrès pour la démocratie sociale que le dialogue social puisse, dans les conditions fixées par le législateur, enrichir le travail de ce dernier. D’ailleurs, il me semble que tout le monde joue le jeu et que, malgré les mouvements sociaux et le débat, qui est normal et légitime, ce dialogue social se poursuit chaque semaine et progresse. Je suis tout à fait optimiste quant à son déroulement.
Tels sont, monsieur Bret, les deux points, parmi les questions que vous avez soulevées, sur lesquels je tenais à apporter une réponse.
Naturellement, le Gouvernement se range à l’avis du rapporteur sur la nécessité de poursuivre ce débat, dont on voit bien qu’il intéresse au plus haut point la Haute Assemblée.
Je mets aux voix la motion n° 18 rectifié, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin a lieu.
Il est procédé au comptage des votes.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 92 :
Le Sénat n'a pas adopté.
Je suis saisi, par MM. Le Cam, Bret, Billout et Danglot, Mmes Didier et Terrade, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 28 rectifié, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires économiques et du Plan le projet de loi portant réforme portuaire (no 300, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la motion.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement a une nouvelle fois déclaré l’urgence sur un projet de loi qui engage une réforme d’ampleur dans un secteur clef pour l’économie et l’emploi nationaux.
Or cette réforme visant à transformer les sept ports autonomes en grands ports maritimes, menée sans concertation effective avec les représentants des personnels, aura des conséquences économiques et sociales désastreuses pour le secteur, mais également pour les activités économiques et les emplois externes qui en dépendent.
En réalité, le Gouvernement entend une nouvelle fois réduire un peu plus les missions de service public de l’État et de ses établissements publics sans laisser au Parlement et à ses commissions permanentes le temps nécessaire pour recevoir une information exhaustive et éclairée, en particulier sur les conséquences de cette nouvelle privatisation.
De plus, monsieur le secrétaire d’État, la motivation de l’urgence que vous avez invoquée le 7 mai 2008, lors de votre audition par la commission des affaires économiques, ne nous semble pas de nature à justifier la mise en œuvre d’une procédure qui restreint les droits du Parlement.
En effet – je cite le Bulletin des commissions –, « s’agissant de la procédure d’urgence, le ministre a estimé qu’il convenait que cette réforme soit adoptée rapidement compte tenu du climat social qui l’entourait ».
En d’autres termes, le Gouvernement souhaite qu’on légifère à bref délai non pas pour que soit rapidement mise en œuvre une réforme jugée utile pour nos ports, mais pour faire passer en force une réforme pensée en dépit du bon sens et étouffer les justes revendications des personnels inquiets : cette précipitation sert les intérêts privés, au détriment de l’intérêt général. Oui, monsieur le secrétaire d’État, nous savons bien de quoi il retourne !
Cela en dit long sur la conception du Gouvernement quant aux rôles respectifs du débat parlementaire et de la concertation avec les partenaires sociaux !
En ce qui concerne la consultation des partenaires sociaux, je réitère ici l’opposition des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen à préjuger un dispositif qui serait négocié avec eux après l’adoption du texte par le Parlement, comme vous venez de l’indiquer, monsieur le secrétaire d’État, en réponse à M. Bret voilà quelques instants. Cette démarche les mettrait de fait dans un rapport de force moins favorable, ce qui est déjà en soi inacceptable.
En raison de l’absence de justification valable de l’urgence, nous considérons qu’il convient de procéder à un travail plus approfondi au sein du Sénat sur le texte qui nous est proposé afin, notamment, d’alerter l’ensemble des sénateurs sur les dangers qu’il présente, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, de trop nombreuses dispositions renvoient de façon floue à des décrets d’application. Il est très louable de votre part de vous être engagé en commission à nous faire parvenir les projets de décret lors du débat en séance publique.
Cependant, même si nous cautionnions ce recours de plus en plus large aux textes réglementaires, nous ferions au moins remarquer que ces décrets, qui ne sont encore que des projets, peuvent changer et que l’information à leur sujet arrive un peu tard.
En tout état de cause, comme nous sommes farouchement opposés, au nom du respect des prérogatives du Parlement et de l’article 34 de la Constitution, à ces renvois de plus en plus fréquents au pouvoir réglementaire, nous nous contenterons de faire observer que, sur un certain nombre d’articles, en l’état actuel du texte, il est impossible de dire que le Parlement sait précisément ce qu’il vote ; j’y reviendrai.
Deuxièmement, le Président de la République a prétendu faire de l’évaluation des politiques publiques l’une de ses priorités. Il a même nommé un secrétaire d’État supplémentaire pour s’en charger, allant d’ailleurs ainsi à l’encontre de sa volonté de limiter le nombre des ministres.
Aujourd’hui, pourtant, il n’existe aucune évaluation réelle des réformes passées, notamment celle de 1992.
Vous comprendrez, monsieur le rapporteur, qu’il reste encore beaucoup de travail à faire en commission.
Si la commission des affaires économiques se contente, dans son rapport, de « constater avec stupéfaction que le Gouvernement n’a pas déposé depuis 2001 le rapport annuel devant le Parlement, relatif aux activités de manutention portuaire », nous considérons que cette carence dans l’information du Parlement justifie au moins un renvoi devant la commission des affaires économiques.
Rappelons que le Gouvernement aurait dû, en vertu de ses obligations légales et plus précisément de l’article L. 531-2 du code des ports maritimes, présenter un rapport sur l’application du livre V de ce même code, sur la répercussion sur l’ensemble des acteurs de la filière portuaire et maritime des gains de productivité tarifaires des activités de la manutention et sur l’évolution de l’ensemble de la manutention dans les ports français.
De plus, le projet de loi que vous proposez ne prévoit ni étude d’impact des dispositions sur l’emploi et sur les ressources des grands ports maritimes ni la moindre évaluation des outillages qu’il est prévu de céder.
Il serait, vous en conviendrez, inadmissible que les biens appartenant au domaine public portuaire et devant être cédés au secteur privé le fussent à un prix inférieur à leur valeur réelle. Je prendrai deux exemples : à Bordeaux, une grue a été achetée récemment pour 3, 5 millions d’euros et, à Rouen, un portique, pour 8, 6 millions d’euros. Or il est proposé que les ventes d’engins soient réalisées avec un retour pour l’État de 50 %, étant entendu que ces biens seront vendus à très bas prix.
La cession à un tel niveau méconnaîtrait fondamentalement le principe d’égalité en procurant aux acquéreurs de ces biens un avantage injustifié au détriment de l’ensemble des citoyens. Or aucune des dispositions du projet de loi n’apporte de garantie contre la cession à des prix insuffisants.
Sur une question similaire, le Conseil constitutionnel, en 1986, a considéré « que la Constitution s’oppose à ce que des biens ou des entreprises faisant partie de patrimoines publics soient cédés à des personnes poursuivant des fins d’intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur ; que cette règle découle du principe d’égalité ; qu’elle ne trouve pas moins un fondement dans les dispositions de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 relatives au droit de propriété et à la protection qui lui est due ; que cette protection ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre égal, la propriété de l’État et des autres personnes publiques ».
Au regard de cette jurisprudence, il serait peut-être intéressant que la commission des lois soit saisie pour avis !
Ces évaluations des biens concernés seraient utiles à bien des égards. Elles pourraient montrer que les réformes passées se sont révélées inefficaces pour relancer les ports et que, sans un fort engagement de l’État, rien ne pourra se faire.
Une évaluation des ressources des grands ports maritimes en raison de la perte des redevances sur les outillages et au regard de l’exercice par ces entités de missions de service public est nécessaire pour s’assurer que les ports auront encore les moyens de remplir leur fonction.
Je voudrais maintenant aborder la nécessité du renvoi en commission non plus en raison de ce qu’il n’y a pas dans le texte mais en raison de ce qui y est prévu.
Il est totalement aberrant, au regard du contenu du projet de loi, qu’aucune des autres commissions permanentes du Sénat n’ait été saisie pour avis.
La commission des lois devrait être saisie pour avis en raison de la cession des biens mobiliers et immobiliers appartenant au domaine public.
Il serait utile à la formation du jugement des parlementaires d’avoir des éclaircissements sur les notions d’inaliénabilité du domaine public portuaire, mais également sur celle de domaine public maritime ou fluvial naturel et sur les conséquences juridiques attachées à ces qualifications, notamment en matière d’exercice des compétences de police administrative.
Rappelons que le projet de loi prévoit la possibilité – non l’obligation –, pour l’opérateur privé, de bénéficier de droits réels sur les outillages de caractère immobilier, comme les hangars.
Il peut donc jouir, conformément à l’article L. 2122-6 du code général de la propriété des personnes publiques, des mêmes prérogatives et obligations que le bénéficiaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public, et ce pendant soixante-dix ans.
Ces questions sont, bien sûr, complexes et nécessitent un avis éclairé compte tenu de leur importance.
Il est également nécessaire de recueillir l’avis de la commission des finances sur les conséquences de la réforme sur les ressources des ports, par exemple, mais aussi sur l’article 3.
Les ports autonomes sont exonérés de la taxe professionnelle. Les entreprises privées y sont soumises. Cette taxe, qui s’assoit notamment sur la valeur des matériels figurant dans les actifs, est perçue par les collectivités locales, qui en fixent le montant.
Or, en cas d’exonération même temporaire, comme cela est prévu, on risque d’entraîner des demandes d’exonérations de la part d’autres entreprises, de la chaîne logistique, d’entreprises voisines, telles celles de la maintenance, ou à l’autre bout de la chaîne. Ces demandes pourraient être légitimes en vertu du principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt.
De plus, quelles répercussions risque-t-on de constater en termes de pression fiscale sur les citoyens ?
Le fait que la privatisation des outillages entraîne en principe leur assujettissement à la taxe professionnelle, alors que ce n’est pas le cas dans d’autres ports européens – en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni… –risque d’aboutir à une répercussion de cette taxe par les opérateurs et donc à une augmentation des coûts de passage.
Les modifications fiscales proposées vont donc créer de graves distorsions entre les établissements portuaires, mais également entre les entreprises de manutention ou les opérateurs, selon qu’ils sont dans un port autonome ou un port décentralisé.
Une analyse de la commission de finances sur les solutions fiscales proposées au regard du code général des impôts et des règles de concurrence serait, nous semble-t-il, fort utile aux parlementaires.
Enfin, le projet de loi aura de graves conséquences sur l’emploi direct ou induit, sur le statut des personnels restant dans l’établissement public, celui de ses filiales et celui des personnels transférés.
Nous avons déjà déploré l’absence d’étude d’impact et de bilan en la matière. Cette question n’est pas anodine, car la cession d’un bien relevant du domaine public ne doit pas se faire en dessous de la valeur réelle du bien.
Cependant, il est admis que les contreparties de la cession ne soient pas uniquement financières.
La jurisprudence a admis la cession d’un terrain public à une entreprise privée pour une somme modique, mais à condition que cette entreprise crée un nombre d’emplois déterminé dans un temps déterminé. Ici, il semblerait que ces contreparties ne soient pas possibles puisque la réforme risque au contraire d’aboutir à la suppression d’emplois.
Les articles 8, 9, 10 et 11 du projet de loi traitent exclusivement du droit du travail. Sur le dispositif prévu notamment à l’article 10, il ne serait pas inutile de recueillir l’avis de la commission des affaires sociales. Cet article prévoit que dans la limite de cinq années suivant le transfert du personnel du port autonome vers l’opérateur privé en cas de licenciement économique, le contrat de travail peut se poursuivre avec le grand port maritime. Dans ce cas, l’employeur lui verse l’équivalent de ce qu’il aurait versé pour un licenciement économique.
Cet article pose de sérieuses questions du point de vue de son articulation avec le droit du travail. Tout se passe comme si les indemnités pour licenciement économique constituaient les seules obligations légales de l’employeur. Quid des obligations de reclassement ?
Cette solution n’est pas satisfaisante pour le salarié : la limite à cinq ans tend à réduire là encore sa protection.
De plus, il nous semble inadmissible que cette disposition exonère l’employeur de son obligation de reclassement individuelle et, le cas échéant, des obligations relatives à l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi.
Une fois de plus, on va dans le sens d’une individualisation des droits des salariés, démarche qui les place dans un rapport de force déséquilibré et défavorable.
Enfin, on se demande dans quelle mesure le port pourra proposer un travail à ces professionnels de la manutention alors qu’il n’aura en charge que des activités résiduelles de manutention.
Sous couvert de relance de l’activité économique des ports, ce texte constitue donc une nouvelle atteinte au service public et à la défense de l’intérêt général, en mettant en œuvre des solutions qui ont montré leurs limites et leurs effets néfastes, et confirme le désengagement de l’État.
Tous les orateurs, ou presque, qui se sont exprimés au cours de la discussion générale ont souligné l’importance qu’il y avait à engager des moyens pour moderniser et ainsi développer les ports. D’aucuns ont même indiqué que les moyens étaient insuffisants et mal utilisés.
On l’a vu pour les dockers : avec 4 000 dockers en moins, on fait peser le manque d’investissement sur les salariés, en tout cas sur ceux qui restent, en créant un gain sur les salaires tout en demandant une productivité accrue.
Par ailleurs, presque tous ont posé des questions au Gouvernement, y compris vous, monsieur le rapporteur.
Je termine, monsieur le président !
Vous avez même indiqué à un moment donné que le laps de temps dont vous aviez disposé pour réaliser les auditions était trop court, …
…ajoutant qu’il fallait travailler en amont et en aval.
Au demeurant, je m’associe à ma collègue Catherine Morin-Desailly, qui a posé une question sur le contournement de Rouen. Les sénateurs de l’UMP, du groupe socialiste et du groupe CRC vous ont interrogé sur cette question, monsieur le secrétaire d'État, et vous ne leur avez pas répondu !
Dès lors, au nom de la défense des droits du Parlement, qui sont, à notre avis, trop souvent négligés, voire méconnus par le Gouvernement, le groupe communiste républicain et citoyen demande le renvoi de ce projet de loi à la commission des affaires économiques.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Je suis au regret de décevoir une nouvelle fois nos collègues du groupe CRC et, particulier, mon collègue de Seine-Maritime Thierry Foucaud.
Un travail important a été réalisé sur ce texte.
En effet, depuis ma nomination en tant que rapporteur de la commission des affaires économiques du Sénat sur le projet de loi portant réforme portuaire, la commission a auditionné une trentaine de personnes. J’ai réalisé un travail qui peut, me semble-t-il, être raisonnablement qualifié d’« approfondi ». En outre, tout au long de cette période, j’ai effectué des déplacements dans les ports du Havre, d’Anvers et de Hambourg. Bref, j’ai joué mon rôle de rapporteur, et nous avons largement pu débattre de ce texte essentiel.
J’ai exprimé tout à l'heure l’urgence qu’il y a à redresser et à relancer nos ports, et je ne changerai pas d’avis, car nous n’avons que trop tardé.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cette demande de renvoi à la commission.
Je n’ai rien à ajouter aux propos de M. le rapporteur. Il n’est pas nécessaire de retarder le débat, car le travail de la commission des affaires économiques a été de grande qualité.
Je mets aux voix la motion n° 28 rectifié, tendant au renvoi à la commission.
La motion n'est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt-et-une heures trente.