Intervention de Roland Ries

Réunion du 27 octobre 2005 à 15h00
Position de l'union européenne dans les négociations au sein de l'organisation mondiale du commerce avant la conférence de hong-kong — Discussion d'une question européenne avec débat.

Photo de Roland RiesRoland Ries :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quel avenir pour la régulation mondiale du commerce et, partant, quel avenir pour l'OMC ? L'enjeu fondamental des débats d'aujourd'hui et des positions de négociations élaborées à Bruxelles réside dans ces questions. C'est sur cet enjeu que je souhaiterais, chers collègues, vous soumettre quelques réflexions, dans le laps de temps très faible, anormalement faible au regard de l'enjeu, qui m'est imparti.

Incontestablement, certains postulats sont admis et certaines préoccupations sont partagées par l'ensemble des membres de notre Haute assemblée.

Nous sommes tous d'accord pour rappeler l'utilité d'une régulation du commerce au niveau mondial. Elaborer des règles communes pour offrir à chaque pays les moyens d'échanger et de se développer, en évitant le bilatéralisme, est une nécessité reconnue par tous.

Nous partageons aussi le même pessimisme sur la situation actuelle d'inertie, d'enlisement de l'OMC et les perspectives bien minces de déblocage des négociations à Hong-Kong.

Sur le fond, et en particulier sur le dossier agricole, nous partageons aussi une vision assez semblable : celle de la défense d'une agriculture multifonctionnelle, jouant un rôle en matière de préservation des paysages, de protection de l'environnement, de sécurité alimentaire. Nous partageons aussi les mêmes soucis, notamment en ce qui concerne la définition d'une liste des produits dits sensibles, ou, d'une manière plus générale, pour l'instauration d'un principe de précaution au niveau mondial.

Mais dresser ces constats et affirmer ces préoccupations ne suffit pas : cela implique d'en tirer un certain nombre de conséquences concrètes.

L'enlisement des négociations porte en lui un risque majeur, celui de décrédibiliser ce système multilatéral auquel nous sommes attachés, car les pays membres finiront par rechercher ailleurs des solutions pour s'intégrer à l'économie internationale, et l'on constate déjà aujourd'hui la multiplication des négociations d'accords bilatéraux ou régionaux.

Si nous sommes tous d'accord pour défendre le principe d'une organisation mondiale du commerce, il faut tout faire pour sauver la conférence ministérielle de Hong-Kong.

Or, aujourd'hui, quel est le constat ?

Nous avons, d'un côté, le commissaire européen Peter Mandelson, dont la stratégie est en quelque sorte de se servir de la PAC comme d'une monnaie d'échange, en cédant sur l'agriculture pour avancer sur l'industrie et les services, en utilisant le dossier agricole comme variable d'ajustement. Ce n'est, à l'évidence, pas la bonne méthode : l'agriculture est bien sûr un dossier à part entière, à traiter en parallèle avec tous les autres.

Cependant, d'un autre côté, nous avons un gouvernement français dont la démarche consiste fondamentalement à critiquer sévèrement la Commission européenne, à mettre en accusation le commissaire Mandelson, sans stratégie précise, sinon celle de faire de l'affichage, à l'adresse de l'opinion publique, pour démontrer, bien maladroitement à mon avis, que la France est présente s'agissant des dossiers européens.

Cette attitude réactive et quelque peu théâtrale est-elle à la hauteur de l'enjeu ? Je ne le crois pas. C'est à la mi-novembre que la Commission européenne présentera la position qu'elle compte défendre à Hong-Kong : nous devons rester vigilants, mais éviter la diabolisation.

Entre ces deux méthodes, je crois possible de trouver une autre voie.

Pour aborder de façon positive la conférence de Hong-Kong, et surtout les négociations qui devraient suivre, je pense qu'il convient, aux échelons français et européen, de se positionner selon quelques constats et orientations simples.

Il faut tout d'abord souligner, madame la ministre déléguée, que, au sein de l'OMC, le rapport de force entre les 148 pays a beaucoup évolué en quelques années : au groupe de Cairns et au G 10 sont venus s'adjoindre le groupe des 20 et le groupe des 90, chacun de ces groupes ayant des intérêts spécifiques à défendre et des stratégies particulières à promouvoir.

Les lignes ont donc bougé. Désormais, le rapport de force ne s'exerce plus seulement entre l'Union européenne et les Etats-Unis. D'autres interlocuteurs sont apparus, qui vont peser dans les négociations et qui devraient permettre de sortir du face-à-face stérile entre les Etats-Unis et l'Union européenne. L'Europe, dans cette perspective, peut avoir un rôle clé à jouer, pour peu qu'elle arrive à surmonter ses propres divisions.

C'est ce qui me fait penser que l'OMC est à un tournant de son histoire et que nous ne devons pas, de notre côté, continuer notre route en ligne droite, en fondant nos stratégies et nos positions de négociations sur des schémas désormais caducs. Ces nouveaux interlocuteurs que j'évoquais à l'instant, nous devons en faire des partenaires. Ce sera la première étape d'une relance des négociations et d'une évolution souhaitable du fonctionnement même de l'OMC.

Le Premier ministre a encore rappelé, la semaine dernière, que la France participait au cycle de Doha notamment pour aider les pays en voie de développement. Mais, concrètement, le décalage est énorme entre les attentes de ces pays et les propositions que les pays industrialisés vont formuler à Hong-Kong. Une véritable crise de confiance était apparue à Cancún, elle risque de s'accentuer encore d'ici au mois de décembre.

Or, à chaque rendez-vous, le mouvement dit altermondialiste se nourrit de ces échecs et a tendance à faire de l'OMC le bouc émissaire pour toutes les difficultés, alors qu'elle n'en est que le révélateur. De mon point de vue, c'est l'absence de gouvernance à l'échelon mondial qui pose problème, et non l'embryon de régulation instauré par l'OMC, malgré tous les déséquilibres et les insuffisances que l'on constate depuis sa naissance.

Il s'agit donc, pour l'Europe, de nouer un dialogue politique sérieux avec les nouveaux groupes constitués ; nous devons et nous pouvons être « proactifs », formuler des propositions.

En effet, les pistes à explorer sont nombreuses. La promotion d'un traitement différencié pour les pays les plus pauvres est bien sûr la réponse principale et immédiate, celle qui vient tout de suite à l'esprit, mais d'autres pistes existent. J'aimerais, à titre d'illustration, en évoquer deux qui me semblent particulièrement dignes d'intérêt.

La première concerne les biens publics environnementaux. On sait que le thème du développement durable, même s'il figure dans le préambule de l'accord instituant l'OMC, reste encore très marginal pour la grande majorité des Etats membres de l'organisation, qui ont bien d'autres préoccupations, plus urgentes à leurs yeux.

En tout état de cause, si les pays développés ne renforcent pas leur aide technique et financière aux pays les plus pauvres, ces derniers ne pourront intégrer la dimension environnementale dans leurs choix. Or si l'on veut éviter les atteintes irréparables à l'environnement à l'échelle planétaire et favoriser les procédés de production respectueux de l'environnement partout dans le monde, la coopération sur ces questions à l'intérieur de l'OMC est indispensable. Elle est d'ailleurs aussi un moyen de pression à l'égard des pays émergents, qui concurrencent férocement nos productions par le biais d'un dumping social et environnemental.

De ce point de vue, l'élaboration à Hong-Kong d'une liste des biens environnementaux fondamentaux serait déjà une avancée.

La seconde piste concerne la reconnaissance à l'échelon mondial d'un registre des indications géographiques, thème qui a déjà été abordé par les précédents orateurs. Nous sommes d'accord pour affirmer que l'aide aux pays en développement passe par la valorisation de leurs ressources locales et traditionnelles : il s'agit bien souvent de régions périphériques où subsistent de petits producteurs dans un équilibre économique très fragile. La mise en place d'un registre international des indications géographiques permettrait de mieux protéger les productions locales, qui font vivre de petits producteurs et constituent, en même temps, une digue contre la déferlante de la production de masse.

A cet égard, comment, mes chers collègues, ne pas être inquiets de voir des multinationales faire breveter et vendre du riz « basmati » ou du thé « Ceylan » ? Aujourd'hui, un quart seulement de la production mondiale du thé appelé Darjeeling provient effectivement de l'Inde. C'est pourquoi des pays comme l'Inde, le Pakistan, la Thaïlande, la Jamaïque, qui d'ailleurs font partie des nouveaux groupes que j'ai cités, notamment du G 20, réclament une meilleure protection des indications géographiques.

Toutefois, comme vous le savez, les indications géographiques sont aussi d'une importance capitale pour nous Européens.

Savez-vous par exemple, mes chers collègues, que la commercialisation du fameux jambon de Parme est actuellement interdite sous ce nom au Canada, parce que cette appellation a été déposée unilatéralement pour un jambon dit « de Parme » canadien ! De telles situations sont aberrantes, mais leur incidence économique peut être considérable. Cela ne peut plus durer, il faut absolument que les indications géographiques soient protégées à l'échelle internationale : nous pourrons ainsi renforcer notre compétitivité agricole par la qualité plus que par la quantité.

Nous avons là un bel exemple d'intérêts convergents entre les pays en développement et l'Union européenne. Ce thème s'élargit même à d'autres problématiques d'importance, auxquelles nous sommes très attachés : celles, par exemple, du droit des consommateurs et de la sécurité alimentaire.

Ces dossiers ont déjà été mis sur la table, ils sont bloqués, et pour longtemps, diront certains. Mais qui peut en être sûr ?

En fait, des évolutions sont aujourd'hui à mon avis possibles, sur des questions considérées par beaucoup comme sans issue à cause d'intérêts nationaux trop éloignés les uns des autres. L'exemple le plus marquant, à cet égard, est l'approbation, par la Conférence générale de l'UNESCO, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Il s'agit là d'une contribution essentielle au combat visant à ce que la culture ne soit pas considérée comme une marchandise comme les autres. Cela démontre que des avancées sont possibles et permet d'être optimiste s'agissant d'autres dossiers.

Sachons, dès lors, adapter notre vision et notre attitude aux nouvelles configurations qui se dessinent au sein de l'OMC. Sachons élargir nos thèmes de négociations et prendre en compte les idées nouvelles. L'avenir de la régulation mondiale du commerce et, partant, de l'OMC tient à cette perspective selon laquelle l'essor d'un commerce plus équitable à l'échelle mondiale pourrait être le moyen le plus efficace de lutter contre le sous-développement et les énormes inégalités qu'il engendre.

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