Cette situation inacceptable tient largement à la faiblesse du soutien financier apporté par l’État au développement des infrastructures des ports français et à l’absence d’investissements permettant d’améliorer leur desserte.
Par ailleurs, l’insuffisance des investissements est criante si l’on s’intéresse au seul trafic des conteneurs. Fos 2XL, le premier investissement significatif décidé pour le port de Marseille depuis plus de quinze ans, investissement très important et auquel nous sommes attachés, représente une enveloppe de 206 millions d’euros en termes d’infrastructures. Cette somme est dérisoire quand on la compare à celles qui ont été débloquées pour les terminaux à conteneurs d’autres ports européens : 600 millions d’euros à Anvers, 2, 9 milliards d’euros à Rotterdam, 1, 1 milliard d’euros à Hambourg. Nous faisons aussi bien pâle figure face aux ports du sud de l’Europe : 300 millions d’euros ont été investis à Gênes et à La Spezia, 520 millions d’euros à Barcelone et 450 millions d’euros à Algesiras.
Les montants importants qu’ont accepté d’investir dans ces ports européens les opérateurs privés, qu’il s’agisse d’équipements, d’outillages ou de moyens de stockage, ne se sont pas substitués aux investissements publics auxquels je viens de faire référence. Le secteur public intervient notamment sur les infrastructures, les digues et les quais, sur les dessertes terrestres ou les accès maritimes, qui, ici comme ailleurs, restent publics.
Je comprends que l’on cherche à encourager les investissements privés dans nos ports. Je n’y suis pas opposé, car l’investissement privé crée la richesse et, par conséquent, l’emploi. Je comprends aussi que l’on s’efforce de sécuriser les conditions dans lesquelles ils peuvent être réalisés. En revanche, je ne comprends pas pourquoi ce texte, depuis si longtemps annoncé et, finalement, depuis si longtemps espéré, n’est pas à la hauteur des enjeux et des défis que la mondialisation nous impose de relever.
Il ne contient ni plan de relance, ni stratégie de développement, ni exposé sur les moyens de reconquête des trafics. Il n’y a rien, trois fois rien, sur les engagements de l’État en faveur des infrastructures portuaires, ferroviaires et routières. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, j’espère que vous nous fournirez des réponses précises, chiffrées et concrètes.
Ce projet de loi ne dit rien non plus de la stratégie de développement des ports, alors même qu’il est impératif de confirmer leur compétence sur l’aménagement de leur territoire et de permettre que, après une nécessaire phase de concertation, l’approbation, par exemple, d’un schéma directeur leur donne les moyens, non seulement à eux, mais aussi aux acteurs portuaires, de concrétiser leurs projets.
En revanche, ce projet de loi ne manque pas de mettre l’accent sur l’organisation du travail dans les terminaux, comme si l’objet de la réforme était de privatiser les outillages de manutention et leur exploitation.
Certes, une réforme de l’organisation du travail sur les quais peut favoriser des gains de productivité ; certes, personne ne cherche à nier la nécessité d’une adaptation ; certes, l’idée d’une unicité de commandement est admise. De même, le regroupement des grutiers et des dockers au sein d’une même unité est sans doute nécessaire, du moins lorsqu’un opérateur unique est présent dans les terminaux. Cependant, il faut prendre garde de créer de nouvelles citadelles. Il convient que chaque port puisse mettre en place les solutions adaptées à la gestion de ses trafics, en particulier lorsqu’il ne s’agit pas de conteneurs.
Souvenons-nous que, en 1992, on nous présentait déjà l’intégration des dockers au sein des entreprises de manutention comme « la » réforme à mener. À cet égard, on aurait souhaité que la nouvelle réforme de la manutention soit précédée d’une évaluation précise des effets de la précédente, de son coût, de ses apports en termes de productivité et de ses échecs en termes de trafic et, par conséquent, d’emploi.
On objectera que, la réforme de 1992 n’ayant pas été menée au terme de sa logique, celle de 2008 vise à l’achever. En réalité, je crois plutôt que la réforme de 1992, comme celle de 2008, a souffert de ne porter que sur l’un des facteurs de la productivité des ports en oubliant de s’inscrire durablement dans une stratégie de développement.
Je veux ici insister sur un point essentiel qui, pour vous, mes chers collègues, comme pour moi-même, n’est pas un point de méthode.
Une réforme qui concerne les personnels doit d’abord se préoccuper des hommes. Elle ne peut se concevoir qu’avec les intéressés et elle ne peut se bâtir et être mise en œuvre contre eux. Les agents portuaires bénéficient aujourd’hui d’un statut et de garanties qui ont une histoire et une légitimité que l’on ne peut rayer d’un trait de plume sans renier notre propre histoire.
Le Gouvernement a, sur ce point, ouvert le champ à la négociation afin de prendre en compte les évolutions que nous avons évoquées. Cette concertation ne peut pas être un théâtre d’ombres et ne doit pas être vidée de son sens par des dispositions trop précises ou des décrets prématurés. Je pense notamment à l’article 10 du projet de loi, relatif aux conditions de retour des salariés dans les établissements publics portuaires en cas de suppression d’emploi chez les opérateurs et à la durée de cette garantie. Cette disposition ne doit pas être un couperet, et un éventuel retour dans le public peut être envisagé sans mettre en péril l’édifice !
Au-delà de ces garanties individuelles, les salariés portuaires, comme ceux des entreprises de manutention, doivent avoir des perspectives d’avenir crédibles. Celles-ci reposent, je l’ai dit, sur la réaffirmation du rôle prééminent de l’État dans le développement des ports et leur desserte.
Quant à la réforme de la gouvernance, qui prévoit d’accroître l’autonomie des autorités portuaires en les dotant d’un directoire aux pouvoirs élargis, elle mérite, elle aussi, bien des éclaircissements. Je regrette le caractère évasif du texte sur la composition de ce directoire aux pouvoirs élargis. Sera-t-il, comme certains commentaires le donnent à penser, d’une coloration très proche de celle du monde de l’entreprise ? Quelle place réelle sera accordée aux collectivités ?
Le rôle du conseil de surveillance mérite, lui aussi, d’être précisé. L’État, avec cinq représentants, en restera l’acteur principal. Par conséquent, il convient que ce soit le gage d’une responsabilité assumée.
Enfin, la place des collectivités territoriales dans la gouvernance des ports reste très marginale en termes de pouvoir, alors que, ces dernières décennies, leur part dans le financement public des ports autonomes a crû de manière importante – c’était nécessaire –, dépassant parfois celle de l’État.
Dès lors, comment pourrait-on de pas craindre que, une fois de plus, l’État se libère, en la confiant aux collectivités, d’une charge financière qu’il ne peut ou veut plus assumer au motif que ses « caisses sont vides » ?
Les cessions d’actifs telles qu’elles sont envisagées et l’autonomie accordée aux grands ports maritimes, notamment en termes de propriété, avec la disparition des procédures propres au domaine public maritime, ne doivent pas être synonymes d’un désengagement que les élus locaux, mais aussi nos concitoyens, dénoncent et réprouvent.
De même, ce projet de loi ne doit pas ouvrir la porte à l’abandon des terrains portuaires à des fins spéculatives. À cet égard, il nous paraît indispensable que le texte précise les prérogatives et les obligations des ports en la matière.
Vous l’avez compris, j’appelle de mes vœux une réforme, mais je constate que le texte qui nous est proposé ne répond pas, hélas !, aux exigences de l’heure. Il fait l’impasse sur l’effort de rattrapage nécessaire de l’investissement public et il n’est pas suffisamment équilibré et équitable vis-à-vis des personnels portuaires, à qui des garanties individuelles et des perspectives d’avenir doivent être proposées. Celles-ci doivent faire l’objet d’une réelle négociation, sur les conclusions de laquelle le Parlement devra se prononcer.
L’absence de perspectives claires sur les investissements et les craintes quant au devenir des personnels justifient, comme l’a indiqué Charles Josselin, l’abstention du groupe socialiste sur ce texte, qui n’est pas à la mesure des défis que nous devons relever ensemble pour remettre les ports français sur le chemin de la croissance.