Il y a près d’un an, au courant du mois de juin 2007, de passage à Marseille pour inaugurer le tramway, le Président de la République évoquait la nécessité de réformer les ports autonomes.
À l’évidence, à l’époque, l’annonce de la réforme était consécutive aux dix-huit jours de grève sur le bassin pétrolier de Lavera et de Fos-sur-Mer des salariés du port autonome de Marseille, qui demandaient que des agents portuaires soient employés pour le branchement et le débranchement sur le nouveau terminal méthanier de Fos.
Aujourd’hui, reprenant le leitmotiv du MEDEF, selon lequel les ports autonomes français, celui de Marseille en particulier, seraient à l’écart de la croissance mondiale au motif qu’ils sont gérés comme des établissements publics, le Gouvernement nous soumet donc, en procédure d’urgence, un projet qui implique que la compétitivité de nos ports dépendrait d’une réforme dite « économique », articulée autour de quatre axes précédemment évoqués lors de la discussion générale.
En outre, ce projet, il faut le souligner, s’appuie sur le rapport Gressier. Ce dernier part du postulat selon lequel la réforme de 1992 relative au statut des dockers et l’expérience de Dunkerque étant positives, elles devraient par conséquent faire référence.
Or aucune évaluation permettant de justifier ce postulat n’a été rendue publique. Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, la réforme de 1992 imposait que soit présenté chaque année devant le Parlement un rapport relatif aux conséquences de cette dernière. Cela n’a jamais été fait. Pourquoi. ?
De surcroît, l’exemple de Dunkerque, qui fait office de laboratoire, laisse perplexe puisque c’est le seul port présentant un bilan négatif : moins 6 % pour les conteneurs et moins 4 % pour le trafic global !
En revanche, une étude de la CGT portant sur la période allant de 1991 à 2006 conclut que les mesures prises ont conduit à un bilan socialement catastrophique – moins de 50 % des emplois promis ont été créés –, économiquement coûteux et totalement inefficace en termes de développement de l’activité commerciale puisque seulement 6 millions de tonnes de marchandises supplémentaires ont transité par Dunkerque.
Comment croire que, à partir d’un postulat aussi biaisé, les propositions contenues dans ce projet de loi puissent être fondées et pérennes ?
Si l’on souhaite que nos ports retrouvent leur place parmi les premiers grands ports internationaux, il ne faut surtout pas se tromper de diagnostic ! La France doit s’engager dans une véritable politique portuaire et de transport maritime et non se livrer à une basse manœuvre idéologique fondée sur l’idée que le privé est plus opérationnel que le public.
Car s’ils présentent des faiblesses, que nous ne contestons pas, nos ports disposent également d’atouts qui ne sont que trop rarement évoqués !
Les ports sont créateurs d’emplois directs et indirects. Ils sont de puissants outils d’aménagement du territoire. Ils assument une mission d’intérêt général en étant au service de l’économie des régions sur le territoire desquelles ils sont implantés et du pays dans son ensemble. Mais encore faut-il leur donner les moyens de fonctionner et de se développer !
Marseille-Fos, par exemple, ce sont 1 400 sociétés qui travaillent ensemble, 20 000 emplois liés au port, soit 7, 6 % de l’emploi salarié privé, 31 000 emplois indirects, 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 44 millions d’euros de taxe professionnelle.
Ce port polyvalent, unique en Méditerranée, concentre toutes les formes d’activités. Doté d’un outillage de grande qualité, d’une excellente réputation dans le domaine de la réparation navale, d’un remarquable niveau de services et de qualifications, qui sont autant d’atouts, il bénéficie en outre d’une position géographique exceptionnelle, au cœur des échanges avec l’Afrique du Nord, la Méditerranée orientale et l’Asie, via le canal de Suez.
Dans ces conditions, feindre d’ignorer les atouts et ne retenir que les faiblesses serait, à l’heure de la réforme, l’assurance d’aller à l’échec, monsieur le secrétaire d'État.
On pointe régulièrement l’absence d’unité de commandement sur les terminaux, la faible productivité et le manque de fiabilité, imputés aux seuls salariés et à leurs organisations syndicales.
Mais pourquoi ce besoin d’unité de commandement, que nous ne contestons d’ailleurs pas, serait-il contradictoire avec la maîtrise publique ? Il est tout à fait possible de réorganiser le travail autour de coopérations transversales et de conventions rigoureuses, avec un établissement portuaire commandeur de ces différentes activités, comme l’atteste, au Havre, l’expérience Port 2000, où le bilan de 2007 fait une augmentation de 26 % du trafic conteneurs.
À mon sens, seule une maîtrise publique peut permettre le renforcement des liens des ports avec leurs territoires, c’est-à-dire leur hinterland, en organisant une complémentarité intelligente, dans une politique cohérente, entre les ports décentralisés autour des grands ports autonomes Qui d’autre que l’État peut mettre en place une telle politique, assumer en toute sécurité la synergie de l’activité portuaire sur tout le littoral français ?
En outre, la maîtrise publique n’empêche nullement la présence de l’investissement privé, comme en témoigne, à Marseille, la stratégie volontariste, engagée depuis 2000, d’extension des capacités de traitement des conteneurs, stratégie qui s’appuie sur la concession des terminaux à des opérateurs privés internationaux tels que CMA-CGM ou MSC, avec des investissements privés compris, selon les estimations, entre 200 millions et 250 millions d’euros.
De la même manière, comment considérer que seuls les salariés des ports, en l’occurrence les grutiers et les portiqueurs, et leurs organisations syndicales sont responsables du problème de productivité et de rentabilité tandis qu’aucune prospective commerciale, aucune orientation stratégique, aucune programmation financière n’a été engagée ces trente dernières années pour les ports autonomes ? Ces options sont d’ailleurs également absentes du projet de loi.
C’est faire preuve de mauvaise foi que d’expliquer que ces retards accumulés sont imputables aux personnels et à leurs syndicats. Prenez garde aux lieux communs ! Les syndicats montrent leur désaccord non par plaisir, mais par souci de sauvegarde et de développement de l’emploi, de défense du statut du salarié.
Qui peut croire que les dix-huit jours de grève qui ont eu lieu à Marseille, en mars 2007, aussi fort qu’ait été le mouvement, puissent réduire à néant une politique portuaire nationale ? Le fait est que cette politique est totalement inexistante.
Des investissements de haut niveau devraient être programmés, des politiques portuaires pérennes conduites. Lorsque l’on fait appel aux travailleurs et aux salariés, ils savent démontrer leur professionnalisme, leur volonté de participer au développement des ports. Ce sont surtout les investissements qui font défaut !
Ainsi, lorsqu’on est capable d’associer investissements, volonté des salariés et qualification professionnelle, comme c’est le cas avec Port 2000, avec le projet 2 XL, bientôt 3 XL, à Fos, avec le terminal de l’anse Saint-Marc, à La Rochelle, avec la CMA-CGM, qui vient de remporter l’appel d’offres de la forme 10, à Marseille, la plus grande forme de radoub d’Europe, capable de recevoir des bateaux de plus de 400 mètres en réparation navale, on s’en rend bien compte, les résultats suivent !
Pour qui veut bien écouter autre chose que l’antienne mettant systématiquement en cause les salariés et leurs syndicats, la raison du manque de productivité est évidemment ailleurs.
Mes chers collègues, dans les ports du nord aussi, il y a des mouvements d’humeur, de contestation. Mais les gouvernements concernés, hollandais, belge ou allemand, s’efforcent, en pareille situation, de remonter à la source du conflit pour y remédier plutôt que de le monter en épingle en cherchant à ameuter l’opinion.
Cela n’a rien à voir avec la politique d’un État qui se met systématiquement en recul, voire se désolidarise des ports, alors qu’il en est l’actionnaire principal, un État qui, durant toutes ces dernières années, à chaque conflit impliquant des agents portuaires et des dockers, a stigmatisé les grévistes et leurs organisations syndicales, tout en répétant inlassablement que la solution résidait dans la libéralisation portuaire pour mieux se défausser de ses propres responsabilités.
Nous sommes tous d’accord pour reconnaître qu’une réforme est nécessaire, et même qu’elle serait salvatrice. Il nous faut néanmoins, pour la mener à bien, identifier les causes réelles de notre retard, puis les traiter politiquement et financièrement.
Les sept grands ports français – Marseille, Le Havre, Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire, Rouen, Bordeaux et La Rochelle – connaissent tous, dans le contexte d’une économie mondialisée – 80 % des échanges se font par la voie maritime – une dégradation globale, due à une insuffisance de compétitivité. C’est particulièrement vrai pour le secteur des conteneurs, où notre part est passée de 11, 7 % à 6, 2 %, alors que ce marché connaît une croissance de 5 % par an.
Cependant, les autres ports européens, dont la productivité était meilleure ces dernières années, connaissent également des difficultés, liées notamment à des phénomènes de saturation.
Si Marseille-Fos, le premier port français, est quatre fois plus petit que le premier port européen, Rotterdam, à qui la faute ?
Cet état de fait résulte, pour l’essentiel, du désengagement financier et stratégique de l’État, principal actionnaire, qui au fil des années n’a plus assumé sa part des investissements, conduisant ainsi les ports autonomes à s’autofinancer, en fait à s’endetter, et à recourir à l’apport du privé.
S’il est de bon ton de comparer la productivité des ports français à celle de nos amis européens, comparons également les financements publics. La contribution nette de l’État, sur la période 2000 à 2006, pour les sept ports français, aura été de 140 millions d’euros, soit l’équivalent de 13 % de l’effort d’investissement – à défaut des 60 % prévus –, alors qu’il est de 42 % à Anvers.
Afin de rendre plus rapide la rotation en chargement et en déchargement des conteneurs, les grands ports européens se sont lancés dans des opérations d’investissements en infrastructures d’une ampleur et d’un coût sans commune mesure avec celles qui ont été réalisées en France au cours de la période récente.
À l’évidence, il y a une relation de cause à effet entre ces investissements et la productivité du port qui en bénéficie. En 2007, Anvers a traité 181, 5 millions de tonnes, soit autant que Le Havre et Marseille. Or, sur la période 1997-2005, les crédits d’intervention directe et de concours financier aux ports belges ont été trois fois supérieurs à ceux des ports français.
Faiblesse des investissements financiers, disais-je, mais aussi absence, ces trente dernières années, d’une véritable politique maritime portuaire. Qu’ont fait l’État et le patronat pour rendre nos ports compétitifs ? Comment a été anticipée la grande « révolution » des conteneurs ?
À Marseille, pendant longtemps, le patronat s’est contenté de la rente coloniale et de celle des produits pétroliers, sans réaliser les investissements qui auraient pourtant été nécessaires à l’essor de l’activité portuaire. La fragilité de nos deux bassins résulte de la faiblesse de l’hinterland, qui ne permet pas un remplissage à 100 % des bateaux.
J’ajoute que, contrairement à une idée répandue, par rapport à nos concurrents européens, les coûts portuaires sont moindres en France. Hélas, avec moins de moyens matériels et de logistique, la qualité de l’offre est forcément plus faible.
Si l’on assiste à une baisse des parts de marché tandis que le trafic des conteneurs n’a jamais été aussi important, ce n’est pas parce que les hommes, qui travaillent avec les moyens qu’on leur fournit, ne sont pas compétents. La productivité et la fiabilité d’un terminal ne dépendent pas seulement de facteurs sociaux et humains, comme voudrait nous le faire accroire le Gouvernement. Non ! C’est parce que les infrastructures de nos ports et les dessertes françaises ne sont pas à la hauteur des enjeux internationaux !
En France, les décideurs ont montré leurs limites pour défendre et développer nos ports. L’absence d’anticipation et de politique visionnaire n’a pas permis à nos ports de se placer à la hauteur des enjeux. Alors que le développement de la fonction logistique est devenu le pendant de la mondialisation de l’économie et des délocalisations des entreprises de l’Europe vers le Sud-est asiatique, la France accueille aujourd’hui seulement 5 % du total des entrepôts de distribution de produits asiatiques en Europe, contre 56 % aux Pays-Bas, 22 % en Allemagne et 12 % en Belgique. L’argument de la fiabilité sociale ne saurait donc expliquer la baisse de la productivité des ports autonomes.
Quant à la future fiabilité de nos ports, que sera-t-elle demain, lorsque les outillages auront été cédés au secteur privé et que seule prévaudra la concurrence entre opérateurs privés ?