Intervention de Marcel Deneux

Réunion du 27 octobre 2005 à 15h00
Position de l'union européenne dans les négociations au sein de l'organisation mondiale du commerce avant la conférence de hong-kong — Discussion d'une question européenne avec débat.

Photo de Marcel DeneuxMarcel Deneux :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat de cet après-midi s'inscrit à la bonne date dans le calendrier des négociations de ce que nous appelons le « cycle de Doha ». Il est intéressant, en effet, à six semaines de la réunion importante qui se tiendra à Hong-Kong, de faire le point, de voir où sont les enjeux et d'essayer de comprendre ce qui peut arriver.

Vous êtes, madame la ministre, parmi les personnalités françaises les plus aptes à nous apporter un éclairage objectif, car vous êtes au coeur de la négociation, vous avez une bonne connaissance des problèmes économiques internationaux et de la culture anglo-saxonne, ce qui vous permet de mieux apprécier les arguments de nos partenaires à l'OMC.

Il faut comprendre qu'au coeur de ces négociations se joue, finalement, notre vision du monde : d'abord, celles-ci devraient concerner le développement, donc se concentrer sur les intérêts des pays les plus pauvres ; ensuite, elles devraient permettre à l'Europe d'obtenir de nouveaux marchés pour nos produits, nos services, donc favoriser nos emplois ; enfin, elles devraient valoriser les efforts considérables accomplis par l'Union européenne en matière de politique agricole commune.

La Commission européenne a donc aujourd'hui pour mandat de ne pas accepter de concessions qui iraient au-delà. On ne doit pas sacrifier la PAC ! Il faut se rappeler, en effet, qu'au cours de ces négociations seule l'Union européenne a déjà effectué des concessions importantes. Elle a ainsi réformé fondamentalement sa politique agricole en 2003. Elle a aussi accepté, en 2004, le principe des restitutions à l'exportation.

Il faut avoir à l'esprit que les négociations actuelles ont pour objectif de favoriser le développement des pays les plus pauvres. Or l'Europe est le premier importateur mondial, elle importe plus des pays en développement que l'ensemble des autres pays industrialisés et elle représente à elle seule plus de 85 % de la destination des exportations des pays d'Afrique.

Loin de créditer l'Europe de ses efforts, loin de lui reconnaître sa contribution essentielle au commerce et au développement, les Etats-Unis et le Brésil demandent désormais une ouverture plus grande du marché agricole européen. Et, dans ce contexte, les négociateurs européens se disent prêts à de nouvelles concessions.

La Commission européenne doit refuser toute nouvelle demande qui ne profiterait en rien aux pays les plus pauvres et qui remettrait en cause ce que l'agriculture peut apporter à la société : la sécurité alimentaire tant en qualité qu'en quantité, l'équilibre économique et social des territoires ruraux, la création d'emplois, la préservation des cultures, des patrimoines et de paysages auxquels les citoyens européens sont profondément attachés.

A la suite du Conseil des ministres des affaires étrangères du 18 octobre dernier, où la France a fait preuve d'une grande fermeté, il est urgent que la Commission se ressaisisse et que le commissaire au commerce et la commissaire à l'agriculture et au développement rural comprennent et s'en tiennent au mandat de négociation que leur ont donné les vingt-cinq Etats membres.

Dans cette affaire, la France défend non pas des intérêts particuliers, mais l'intérêt général, et des principes.

Lorsqu'elle défend la PAC, la France défend une vision européenne. L'actualité ne cesse de nous démontrer qu'être indépendant sur le plan agricole et autosuffisant en matière alimentaire, ainsi qu'avoir la sécurité sanitaire la plus complète du monde, à l'heure actuelle, cela n'a pas de prix.

Aujourd'hui, le mandat des commissaires est donc clair : toute la réforme de la PAC, mais rien que la réforme de la PAC !

Plus tard, sans doute, il nous faudra « revisiter » la notion de préférence communautaire. Ce n'est pas dans le mandat de 2001. Mais je pense que sur un sujet aussi sensible que l'alimentation des hommes la question mérite d'être posée.

Dans la chronologie des différentes étapes de la négociation, un accord sur l'agriculture à Hong-Kong est annoncé comme la condition nécessaire pour avancer sur les autres points et aboutir à la fin de l'année 2006.

Notre fermeté, celle des négociateurs, ne doit pas se relâcher pour autant. L'agriculture ne peut en aucun cas être une variable d'ajustement.

Avons-nous les assurances nécessaires pour ne pas douter de la sincérité des Etats-Unis lorsqu'ils nous font des offres de démobilisation de leurs subventions agricoles ?

Nous connaissons notre difficulté permanente pour classer dans les différentes catégories d'aides, les trois boîtes, les pratiques américaines en vigueur entre l'aide alimentaire aux plus pauvres, les subventions à l'assurance récolte proche d'une assurance revenu, différentes suivant les Etats, le contexte général d'application du Farm Bill ; nous avons toujours des raisons d'être sceptiques sur cette proposition du 10 octobre, qui reste vague.

Je pense qu'il ne faut pas baisser la garde. Il importe de rester vigilant, par exemple sur la liste des produits dits « sensibles ».

La pression du G20 des pays en développement doit être prise en compte, bien sûr, mais il faut trouver le bon dosage de l'effort de libéralisation : entre les 54 % demandés par les uns et les 75 % avancés par les autres.

Nous connaissons bien les quatre volets des négociations agricoles : les soutiens internes, la concurrence à l'exportation, l'accès au marché, les indications géographiques.

Sur les autres sujets, il faut que les pays émergents, principalement le Brésil, la Chine et l'Inde, comprennent que, s'agissant de l'accès au marché des produits non agricoles, les progrès de la négociation sont aujourd'hui insuffisants.

C'est vrai aussi en ce qui concerne l'environnement. Pour ce qui est des services, il en est de même. Cela intéresse particulièrement les pays développés : 60 % à 70 % de nos économies. C'est un secteur « sensible », car il inclut le « modèle 4 » relatif à la mobilité des travailleurs.

Il faut souhaiter que les gains économiques que nos entreprises doivent normalement retirer de la négociation finale équilibreront les concessions que l'Union européenne est prête à faire, dans le cadre du mandat, bien sûr. Mais, pour qu'il en soit ainsi, il faudra un rééquilibrage substantiel de la négociation

Nous serons un certain nombre de parlementaires à Hong-Kong ; nous jugerons avec vous, madame la ministre. Mais, au point où nous en sommes, il vous appartiendra d'apprécier d'ici au prochain Conseil de l'OMC et lors de celui-ci quelle est la limite d'acceptation des pressions sur l'agriculture, en ayant présent à l'esprit que nous ne pouvons pas prendre le risque de faire « capoter » la négociation uniquement sur les problèmes agricoles. A condition que nos partenaires comprennent que nous avons déjà beaucoup donné ! Mais, en définitive, ce sont les intérêts majeurs de la France qui doivent être sauvegardés.

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