Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord vous remercier de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de pouvoir répondre à l'ensemble des questions que vous avez posées sur un sujet aussi important que l'organisation mondiale du commerce.
L'un d'entre vous a indiqué que le calendrier était parfait. Je crois qu'effectivement nous nous souviendrons de cette semaine où les négociations de l'OMC sont probablement entrées - l'histoire le dira ! - dans une phase déterminante ; vous l'avez tous souligné.
Je rends hommage à la qualité de vos observations et à la connaissance précise que vous avez de questions aussi techniques que celle de l'OMC. J'y ai consacré une partie des premiers mois de l'exercice de mes fonctions.
Comme vous le savez, la négociation a connu une accélération déterminante depuis le 10 octobre dernier, avec une multiplication de propositions, des Etats-Unis d'abord, proposition à laquelle l'Union européenne a jugé bon de répondre, ce qui a entraîné ensuite des propositions du G20 et du G10.
Malheureusement, cette accélération s'est limitée à l'agriculture, vous l'avez tous constaté, et cela suscite les plus vives inquiétudes du Gouvernement et du Président de la République. Nous considérons en effet que notre politique agricole commune, telle qu'elle a été réformée en 2003, est menacée.
Compte tenu de cette évolution, le Premier ministre a confirmé deux objectifs prioritaires pour la France dans le cadre de ces négociations : tout d'abord, opérer un rééquilibrage des négociations au profit, d'une part, de nos intérêts et, d'autre part, des intérêts des pays en voie de développement ; ensuite, faire en sorte que les négociations menées par le commissaire européen ne sortent pas du cadre du mandat qui a été fixé, vous l'avez rappelé tout à l'heure, selon des règles très précises, avec une référence spécifique à la politique agricole commune.
Je suis personnellement très sensible à l'attention que la Haute Assemblée porte aux questions de l'OMC et au rôle que le Sénat doit jouer dans le dialogue qui se déroule entre cent quarante-huit Etats membres.
Certains d'entre vous le savent pour avoir participé à nos réflexions, j'ai tenu à associer les parlementaires à la préparation de ces négociations. Je leur ai offert à tous de participer à une réunion qui a été organisée le 14 septembre dernier. J'ai de même participé à une audition organisée par le Sénat le 19 octobre 2005 qui fut pour moi l'occasion de répondre à toutes les questions que vous souhaitiez me poser.
Je suis également très heureuse de pouvoir compter sur la présence de certains d'entre vous à Hong-Kong, du 13 au 18 décembre prochain.
En reprenant les différents points soulevés par M. Bizet dans sa question et les commentaires des uns et des autres, je me propose de vous répondre en suivant trois axes principaux : après un état des lieux d'une négociation qui, je dois le dire, évolue au fil des heures ces jours-ci, je ferai le point successivement sur le mandat de négociation de la Commission, notamment en matière agricole, puis sur les dossiers relatifs au développement.
Je commencerai donc par l'état des lieux de la négociation du cycle de Doha.
Comme vous le savez, l'accord-cadre de Genève du 1er août 2004 avait relancé le cycle de Doha après des échecs magistraux - en particulier à Cancún -, mais au prix de concessions de l'Union européenne : affirmation du principe de la suppression conditionnelle des restitutions à l'exportation, rétrogradation des questions de régulation et éviction pure et simple de trois des quatre sujets de Singapour.
Que s'est-il passé après le 1er août 2004 ? Pas grand-chose, jusqu'au 10 octobre, date à partir de laquelle les Etats-Unis et l'Union européenne ont présenté leurs propositions respectives pour la négociation agricole.
Cela a suscité, en réplique, des prises de position des groupes du G20, du G33 et du G10.
Par ailleurs, M. Lamy, le nouveau directeur général de l'OMC qui a succédé à ce poste, le 1er septembre, à M. Supachai, a accéléré le rythme de travail. Il adopte une attitude très volontariste et veut aboutir aux deux tiers du chemin du cycle de Doha à Hong-Kong, ce qui rendrait possible - compte tenu du calendrier des nécessaires négociations complémentaires - la réalisation complète des accords avant la fin de 2006 ou le début de 2007, date d'expiration des pouvoirs de négociation de l'administration américaine, le Trade Promotion Authority.
C'est compte tenu de cette date que nous nous « calons » sur celle de la conférence de Hong-Kong, dont nous faisons une étape déterminante.
Les pays du G20, pays émergents emmenés traditionnellement par le Brésil et l'Inde, et les pays du groupe de Cairns - Australie, Canada, Nouvelle-Zélande - continuent, à ce jour, de faire des engagements agricoles le préalable indispensable au déblocage et à l'avancée des négociations sur les produits industriels, les services et les questions liées au développement.
Quant au changement de rapport de force que vous avez évoqué tout à l'heure, je mentionne simplement qu'ils sont régulièrement changeants. A mon sens, au sein du G20, notamment, où l'on trouvait traditionnellement liés par les accords complémentaires des pays comme l'Inde et le Brésil, ces rapports de force sont en train d'évoluer.
A cet égard, je ne serais pas surprise que l'Inde, en particulier, se dissocie un peu du G20 et que la Chine adopte une attitude très discrète. Certains Etats ont intérêt à jouer du G20 tout en faisant valoir leurs intérêts dans des domaines tels que l'industrie et les services.
Aujourd'hui, la négociation agricole, point fondamental sur lequel se constate le plus d'avancées, se concentre sur l'accès au marché, avec comme principale difficulté les droits de douane.
La proposition conditionnelle de l'Union européenne, en août 2004, d'éliminer les restitutions aux exportations - sous réserve, donc, que l'autre partie fasse le même effort - n'a pas été suivie, à ce jour, d'engagements parallèles de la part de nos autres partenaires.
Or la priorité, en l'espèce, est bien d'arriver à un parallélisme des engagements, c'est-à-dire en particulier de faire en sorte que les Etats-Unis acceptent de mettre sur la table leurs programmes d'aide alimentaire qui servent certainement de variable d'ajustement !
Le débat sur une « date d'élimination » est à cet égard emblématique. Vous le savez, nous avons ouvert les négociations sur les restitutions aux exportations en indiquant qu'elles seraient éliminées « dans un délai raisonnable », sans qu'il soit pour autant fait mention d'un délai plus précis.
Or, aujourd'hui, tant les Etats-Unis que quelques-uns de nos partenaires parlent de l'année 2010 comme d'une date butoir réaliste pour l'élimination de ces restitutions. Pourtant, cette date n'a pas été proposée, et ce d'autant moins qu'elle ne nous semble pas acceptable.
Après des mois de blocage sur la question des soutiens internes, les Américains - extrêmement malins, au point d'invoquer un certain nombre de restrictions internes, notamment sur l'accord de libre-échange qu'ils négociaient avec les pays d'Amérique centrale - ont enfin formulé, le 10 octobre, des propositions de réductions chiffrées.
Cette annonce américaine était très habile : il semblait tout à fait ambitieux de proposer une réduction de 60 % du plafond autorisé sur la boîte orange - c'est-à-dire les soutiens les plus distorsifs - ainsi que des réductions de plafond appliquées à la boîte bleue - des soutiens un peu moins distorsifs - et aux aides non soumises à discipline, celles que l'on appelle traditionnellement les de minimis.
Cependant, après analyse, et vous imaginez combien nos services ont été minutieux, cette offre est beaucoup moins ambitieuse. Pour reprendre le mot du ministre du commerce de l'Inde, les Etats-Unis proposent de ne pas dépenser des sommes qu'en définitive ils n'avaient pas l'intention de dépenser !