Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vient aujourd'hui devant vous en deuxième lecture est un pilier essentiel du grand chantier du handicap voulu par le Président de la République.
Ce texte, vous l'avez inspiré et nourri grâce au rapport de M. Paul Blanc, à la proposition de loi de MM. About et Blanc, aux nombreux amendements que la commission des affaires sociales y a apportés et que votre Haute Assemblée a votés en première lecture.
J'ai le devoir non seulement de remercier M. le président Nicolas About et M. le rapporteur Paul Blanc, mais aussi d'exprimer ma gratitude à la Haute Assemblée pour la qualité du travail accompli en faveur de nos concitoyens handicapés.
Pour ma part, j'ai abordé ce texte avec la conviction que la question du handicap rejoint aujourd'hui celle, plus générale, de la capacité de notre société à reconnaître sans discrimination l'ensemble de ses membres, à fixer des règles communes dans le respect des différences, à fonder la cohésion sociale sur la diversité.
Les progrès de la conscience collective, les aspirations propres des personnes handicapées, les uns et les autres soutenus et amplifiés par les perspectives nouvelles de vie qu'autorisent les progrès des sciences et des techniques nous conduisent aujourd'hui à un réexamen des équilibres instaurés dans la loi de 1975 et nous indiquent les voies de nouveaux équilibres pour fonder aussi durablement que possible le nouveau droit du « vivre ensemble ».
Je dis « aussi durablement que possible » avec la conviction que nos législations doivent désormais être suffisamment souples pour être évolutives. D'ailleurs, la loi fondatrice du 30 juin 1975 a elle-même été substantiellement modifiée sur plusieurs points par des lois importantes au nombre desquelles figurent la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
Ayons donc non pas l'objectif de fonder un nouvel équilibre pour trente ou cinquante ans, mais l'ambition, d'une part, d'apporter immédiatement un progrès notable à la condition des personnes handicapées et, d'autre part, de fonder un nouvel équilibre dans notre protection sociale qui sera réajusté en fonction des réalités concrètes.
Les amendements que j'ai souhaité apporter à votre texte, lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, sont une expression de cette conviction. Au demeurant, ils ont largement été inspirés par vos débats et par vos propositions.
J'ai modifié la définition du handicap pour prendre en compte explicitement et de manière pratique l'environnement. Vous aviez vous-même souhaité une telle évolution.
J'ai créé un titre Ier relatif à l'accès aux soins qui reprend, dans une présentation systématique et, je crois, plus complète, les amendements que vous aviez déposés sur cette question importante. C'est une triste vérité : la santé des personnes handicapées est parfois devenue un aspect secondaire sinon délaissé de nos préoccupations. Je citerai un seul exemple : la fréquence du suivi gynécologique des femmes handicapées en établissement est nettement inférieure à la moyenne nationale. C'est d'autant moins admissible que ce déficit les expose, au-delà du handicap, à des cancers que l'on saurait pourtant dépister.
J'ai aussi souhaité une base de ressources plus favorable aux personnes handicapées pour le calcul de leur prestation de compensation.
J'ai inscrit ma démarche dans la perspective de la suppression des barrières d'âge, car je ne conçois pas que les besoins de compensation des handicaps puissent être évalués de manière différente selon l'âge, que les prestations puissent être différentes pour un même handicap selon l'âge de la personne.
Enfin, j'ai considéré que le droit nouveau à compensation créé par la loi se traduira, compte tenu des moyens considérables qui lui sont affectés, par un accroissement massif des aides humaines et, par conséquent, par la création de plusieurs milliers d'emplois dans le secteur de la dépendance. C'est pourquoi j'ai introduit dans la loi le principe d'un « plan métiers », qui va bien au-delà des dispositions initialement envisagées - et par ailleurs contestées - dans l'ancien titre V.
D'autres amendements ont été introduits par les députés, le plus souvent acceptés par le Gouvernement, au nombre desquels je citerai le sous-titrage obligatoire dans les cinq ans et la formation des personnels au handicap : architectes, professionnels du bâtiment, médecins et professionnels de santé.
Ces inflexions me sont apparues nécessaires pour retrouver le souffle originel de la loi et rapprocher encore davantage le texte de la loi de son exposé des motifs, unanimement jugé généreux.
Au moment où ce texte revient devant votre Haute Assemblée, je forme le souhait que notre débat apporte à nos concitoyens toute la clarté qu'ils sont en droit d'attendre sur les dispositions mêmes de ce projet de loi : celles que j'ai souhaité conserver malgré les controverses ; celles que j'apporterai par amendements ; celles qui sont relatives aux futures institutions de la nouvelle politique du handicap.
Parmi les critiques que je ne peux partager, il y a celle qui porte sur la définition du handicap et le refus de substituer l'expression « personnes en situation de handicap » à l'expression « personnes handicapées ». Cette critique, mesdames, messieurs les sénateurs, est allée loin, trop loin.
La position du Gouvernement est claire. Le handicap résulte toujours d'une interaction entre les incapacités d'une personne affectée de déficiences et l'environnement dans lequel cette personne évolue. En ce sens, le handicap constitue en lui-même une situation. Point n'est donc besoin d'être redondant en parlant de « situation de handicap ». Mais il faut aller au-delà.
Tout d'abord, réduire le handicap aux seules incapacités nous ramènerait à une vision dépassée et erronée du handicap. De plus, cette loi serait dévoyée si elle devait dissocier les incapacités de la déficience qui les engendre. II reste que ces incapacités sont un élément constitutif du handicap et qu'il s'agit de les compenser aussi intégralement que possible. Tel est d'ailleurs le sens du droit à compensation créé par ce projet de loi.
Ensuite, il doit également être clair qu'un environnement aménagé, accessible, est un élément puissant de réduction du handicap pour les personnes ayant des incapacités déterminées. Il constitue par conséquent un facteur d'intégration.
Ce projet de loi va si loin dans le champ de l'accessibilité qu'il devient incongru de prétendre qu'il ne prend pas en compte l'environnement dans la définition du handicap. Il serait en outre illusoire de prétendre que l'environnement crée le handicap et que, par conséquent, la politique du handicap pourrait s'épuiser dans l'aménagement de l'environnement.
Enfin, j'observe que la négligence des problèmes de santé de la personne handicapée, que j'évoquais voilà un instant, trouve une large part de son explication dans la dérive de la notion de handicap, dans le déplacement du regard de la personne handicapée vers la situation de handicap.
La définition proposée dans le projet de loi n'est pas une définition abstraite, qui établirait un lien aussi vague qu'incertain entre incapacité et environnement. Elle est une définition opérationnelle, pratique, qui garantit à la personne handicapée que l'appréciation de ses incapacités et la détermination de ses besoins de compensation s'effectueront en tenant compte de l'environnement dans lequel elle évolue ou aspire à évoluer. Cette définition est faite pour les personnes handicapées et non pour ceux qui philosophent sur le handicap. Cette définition est aussi faite pour nos concitoyens, que nous devons amener à comprendre ce qu'est le handicap.
J'en viens maintenant aux remarques qui ont été formulées et dont j'ai reconnu le bien-fondé. Il s'agit notamment de l'insuffisance des ressources des personnes handicapées lorsque leur handicap les a privées d'un emploi ou ne leur permet pas d'accéder à un emploi.
La question posée est celle du niveau de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, c'est-à-dire de son montant absolu. Se pose également la question des ressources disponibles pour la personne en établissement, ce que l'on appelle très souvent le « reste à vivre » dans le langage de l'administration.
Sur cette question aussi je veux être claire. Je considère que la prestation de compensation améliore en elle-même les ressources des personnes handicapées. Celles-ci pourront désormais consacrer l'intégralité de l'AAH à couvrir les frais de la vie courante. Ce n'était pas le cas jusqu'ici : l'AAH devait financer à la fois les frais de la vie courante et certains surcoûts du handicap. Elle était donc doublement insuffisante.
Aujourd'hui, on peut encore juger que le montant de l'AAH est insuffisant. Mais le fait est que ce minimum social est largement supérieur au minimum social de droit commun. Pour autant, il faut en effet aller plus loin. Je considère qu'un relèvement indifférencié de l'AAH serait un contresens, car il conduirait à identifier le handicap à l'exclusion. L'AAH est un minimum social et doit le rester.
En revanche, nous avons le devoir de compenser l'absence de ressources d'activité en raison d'un handicap. Cela est d'abord vrai pour la personne handicapée qui se trouve dans l'incapacité plus ou moins durable de travailler, qu'elle vive à domicile ou en établissement. Cela est vrai aussi pour la personne handicapée qui peut travailler mais ne trouve pas d'emploi en raison de son handicap.
J'ai déjà pris l'engagement d'organiser cette compensation-là. Je le renouvelle devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, avec d'autant plus d'assurance que j'aurai connaissance, incessamment, des conclusions du groupe de travail que j'ai mis en place sur ce sujet.
Je suis toutefois au regret de vous dire que je ne suis pas encore en mesure de déposer les amendements nécessaires pour améliorer les ressources de l'ensemble des personnes handicapées. Mais j'ai à coeur de vous présenter la réforme des ressources que je proposerai lors de l'examen en deuxième lecture du projet de loi devant l'Assemblée nationale.
Tous les allocataires de l'AAH seront traités selon leurs besoins. A ceux qui travaillent, le projet de loi offre d'ores et déjà de meilleures conditions de cumul de leur AAH avec un revenu d'activité en milieu ordinaire et une meilleure garantie de ressources de travailleurs handicapés, la GRTH, en milieu protégé.
A ceux qui peuvent travailler mais se trouvent au chômage, j'ai l'espoir d'offrir une solution d'emploi grâce aux pactes territoriaux pour l'emploi, à l'élaboration desquels travaillent aujourd'hui mes services.
A ceux qui sont dans l'incapacité de travailler, le projet de loi proposera un complément spécifique et substantiel, y compris lorsque ceux-ci perçoivent une pension d'invalidité dont le montant est inférieur à celui de l'AAH.
A ceux qui sont sans ressources d'activité, quelle qu'en soit la cause, un complément d'autonomie cumulable avec le complément d'incapacité de travail sera créé par la loi pour leur permettre de faire face à leurs frais de logement.
Enfin, je m'engage envers tous ceux qui sont accueillis en établissements, que ceux-ci soient hospitaliers, médico-sociaux ou pénitentiaires, à prendre les dispositions réglementaires nécessaires pour que leurs ressources disponibles soient améliorées.
Le droit à la compensation personnalisée du handicap ne s'épuise pas dans des aides humaines ou techniques. II s'étend aussi aux ressources et constitue une réponse plus efficace, plus juste et plus digne que le simple relèvement systématique d'un minimum social, que la simple transformation de l'AAH en salaire de l'exclusion, quel que soit le niveau auquel on le porte.
J'en viens maintenant à l'enjeu majeur de cette deuxième lecture : les institutions. Le Premier ministre avait souhaité confier une mission de réflexion et de proposition sur ce sujet à MM. Briet et Jamet. La concertation engagée avec l'ensemble des partenaires dès la remise de leur rapport cet été a conduit à infléchir certaines de ses conclusions.
Les amendements que le Gouvernement vous soumettra concernent les trois niveaux de l'action publique qui ont été définis après concertation.
Tout d'abord, le département deviendra l'interlocuteur privilégié des personnes âgées et handicapées. C'est à lui qu'il reviendra d'organiser l'accueil, l'information et le conseil des personnes, ainsi que l'évaluation de leurs besoins et, pour cela, de mettre en place la maison départementale des personnes handicapées. Comme l'avait initialement proposé le Sénat et comme l'a souhaité le Comité national consultatif des personnes handicapées, le CNCPH, le Gouvernement propose que cette maison départementale ait le statut d'un groupement d'intérêt public, un GIP, afin de mutualiser le maximum de moyens à son service.
Le département sera également l'échelon de gestion et de financement des prestations liées à la dépendance : allocation personnalisée d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes et prestation de compensation pour les personnes handicapées.
A cet effet, le président du conseil général préside la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, au sein de laquelle sont fusionnées les actuelles commissions départementales d'éducation spéciale, les CDES, et les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel, les COTOREP.
Le département reçoit chaque année de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie les dotations nécessaires pour compléter le financement de ces prestations. Elles lui sont dévolues en fonction de critères définis dans la loi, dans le cadre d'un dialogue de gestion.
Ainsi, la nouvelle prestation de compensation sera intégralement gérée dans la proximité, par le président du conseil général. Les personnes handicapées auront un interlocuteur unique : elles s'adresseront à la maison départementale des personnes handicapées, guichet unique de proximité de la CNSA, comme les familles s'adressent aujourd'hui aux caisses d'allocations familiales ou les malades aux caisses primaires d'assurance-maladie.
Selon les souhaits des associations, des référentiels nationaux seront établis pour permettre une évaluation à la fois des incapacités et des capacités conformes aux orientations de l'Organisation mondiale de la santé et des besoins de compensation. Le projet de vie de la personne sera la base du plan de compensation. La prestation de compensation aura ainsi son unité.
Globalement, 550 millions d'euros sur les 850 millions d'euros issus de la suppression d'un jour férié seront affectés aux départements pour faire plus et mieux.
Sur ces 550 millions d'euros, 200 millions d'euros seront affectés à une meilleure prise en charge des aides techniques, de l'aménagement du logement et de différentes aides ; 350 millions seront affectés à l'élément « aides humaines » de la prestation de compensation. C'est un montant considérable, qui s'ajoute aux quelque 500 millions d'euros de l'allocation compensatrice pour tierce personne, l'ACTP, et aux 50 millions d'euros de subvention aux services d'auxiliaires de vie.
La moitié de ces 350 millions d'euros est destinée aux personnes très lourdement handicapées, afin de leur garantir la présence permanente d'une tierce personne. L'autre moitié doit permettre aux départements d'améliorer leur réponse aux demandes de tierces personnes.
Enfin, s'agissant de l'offre de places dans des établissements médicosociaux, qui relève de ce que l'on pourrait appeler la « compensation collective », le Gouvernement a choisi de maintenir le partage actuel entre le président du conseil général et le préfet en matière d'autorisation et de tarification d'établissements et de services.
Par conséquent, le président du conseil général exercera la fonction de chef de file pour l'élaboration du schéma départemental, conformément à la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, alors qu'il reviendra au préfet d'insérer dans les schémas départementaux les orientations qu'il aura retenues à l'échelon départemental pour les établissements financés par l'assurance-maladie, et qui sont une déclinaison des priorités nationales définies par la CNSA.