Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'aimerais rappeler, à l'occasion de la deuxième lecture du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, que l'ambition de ce texte est, selon les termes mêmes du Président de la République, de réunir « les conditions pour que les personnes handicapées puissent vivre leur vie et la réussir ». C'est une ambition légitime à laquelle nous souscrivons et que nous aurions souhaité voir traduite dans un texte d'une même envergure !
Or, force est de constater que, entre la première lecture et celle-ci, l'imprécision, le morcellement des approches, les incertitudes quant aux financements et à l'architecture institutionnelle générale demeurent.
En effet, nombre de mesures, et non des moindres, s'agissant, par exemple, de l'évaluation des besoins des personnes, sont renvoyées à des dispositions réglementaires.
La méthode de morcellement utilisée par le Gouvernement pour traiter du handicap est inacceptable. Pas moins de quatre textes législatifs interagissent sans que, pour autant, se dessine une politique cohérente et forte en faveur des personnes en situation de handicap.
Ainsi, alors que nous examinions ce projet de loi en première lecture, l'Assemblée nationale recevait le projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, instituant la future caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.
Dans le même intervalle se discutait le projet de loi relatif aux responsabilités locales, conférant à ces dernières un rôle renforcé dans l'élaboration des schémas d'organisation sociale et médicosociale.
Enfin, il nous était proposé de légiférer en attendant les conclusions du rapport Briet-Jamet. Et tout cela anticipant le débat sur la réforme de l'assurance maladie !
S'il est toujours vrai que les personnes en situation de handicap, leurs familles, les associations et les professionnels du secteur sont impatients de voir progresser de manière significative les conditions de vie et de citoyenneté des handicapés, je reste persuadée qu'ils auraient volontiers accordé au Gouvernement un différé de quelques mois au profit d'un texte empreint d'une meilleure lisibilité et d'une véritable cohérence d'ensemble.
Pour notre part, la seule cohérence que nous y voyons est celle de votre volonté toujours affirmée, madame la secrétaire d'Etat, de démanteler le dispositif historique de la sécurité sociale et de reléguer, une fois encore, le handicap dans le domaine de l'assistance.
Dois-je vous rappeler, madame la secrétaire d'Etat, que toutes les associations de personnes en situation de handicap, le CNCPH, le Conseil national consultatif des personnes handicapées, le Comité d'entente des associations représentatives de personnes handicapées et de parents d'enfants handicapés, les conseils d'administration des caisses de sécurité sociale, les syndicats, rappellent leur souhait de voir la perte d'autonomie et le handicap inscrits dans le champ de la sécurité sociale, par la création d'un cinquième risque ?
Cette reconnaissance constitue l'évolution naturelle et moderne de l'universalité des droits proposée à la Libération, lors de la création de la sécurité sociale. Au lieu de cela, vous confirmez, madame la secrétaire d'Etat, le démantèlement de la sécurité sociale en transférant les responsabilité, l'Etat se dégageant de ses responsabilités sur les collectivités territoriales avant de leur transférer les compétences.
Au regard des réactions unanimement négatives face aux préconisations de MM. Briet et Jamet de départementaliser totalement la dépendance et le handicap, vous avez subtilement, mais partiellement, renoncé à ce dispositif, sans pour autant répondre à la question fondamentale du financement national et solidaire de ces situations, mais j'aurais l'occasion d'y revenir.
S'agissant de ce texte, nous nous félicitons néanmoins des améliorations apportées par l'Assemblée nationale en juin dernier.
Ainsi, s'agissant de la compensation, nous observons deux avancées : l'une concerne la suppression des barrières d'âge d'ici à trois ans pour les enfants et d'ici à cinq ans pour les personnes âgées de plus de soixante ans.
L'autre amélioration réside dans la prise en compte limitée des ressources pour l'octroi de la prestation de compensation.
Nous sommes en accord avec la disposition qui vise à retenir le principe de l'inscription des enfants en situation de handicap dans l'établissement le plus proche de leur domicile.
De la même façon, le renforcement des droits des travailleurs en centre d'aide par le travail et la confirmation de la nature médicosociale de ces établissements sont des progrès, tout comme l'est également la suppression des dérogations économiques pour rendre accessibles les lieux recevant du public et l'habitat existant, et ce dans un délai adéquat.
Malheureusement, toutes ces améliorations ne comblent pas le décalage entre l'exposé des motifs du projet de loi et les mesures proposées au coeur des articles, que nous avions vivement dénoncé en première lecture.
Ainsi, nous aurions souhaité que l'expérience tirée de la première lecture et la mobilisation des personnes en situation de handicap et de leurs associations vous conduisent, madame la secrétaire d'Etat, à plus d'ambition et de lisibilité.
S'agissant de la définition même du handicap, une fois de plus, vous tournez le dos à celle qui a été unanimement reconnue par les instances internationales, européennes et associatives depuis plus de vingt ans.
En introduisant le terme « environnement » dans la définition retenue dans le texte, vous ne faites que constater que les personnes vivent dans un environnement. Ce n'est pas de ce bon sens-là dont les personnes en situation de handicap ont besoin !
En effet, une définition dynamique du handicap permettrait de mieux prendre en compte les interactions qui interviennent entre les facteurs personnels et ceux qui sont liés à l'environnement de la personne. L'évaluation personnalisée serait alors effective et pourrait réellement tenir compte du projet de la personne. Or nous voyons pointer le danger que représenteraient les grilles et les barèmes administratifs, qui sont tellement étrangers aux réalités quotidiennes des personnes en situation de handicap.
Ainsi, vous ne retenez, madame la secrétaire d'Etat, que la déficience et, en refusant la mise en conformité de la définition avec les préconisations internationales, les décisions européennes, voire avec l'exposé des motifs du présent projet de loi, vous autorisez la persistance des effets de stigmatisation d'une définition qui est liée aux seules déficiences et qui fait exclusivement porter sur la personne la charge du handicap.
De fait, le projet de loi s'appuie sur une conception médicale étriquée, car individuelle, du handicap, au mépris des nouvelles références et des concepts européens et internationaux. La prise en compte des situations de handicap reste, dans votre esprit, madame la secrétaire d'Etat, cantonnée au domaine de l'assistance et de l'aide, alors qu'elle devrait s'ancrer solidement dans la protection sociale.
Cette conception archaïque et compatissante conduit à reléguer l'accès à tout pour tous en un principe secondaire, sans pour autant placer le droit à compensation au coeur de la réforme.
S'agissant de la prestation de compensation, nous avons obtenu une avancée certaine avec, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, la suppression des critères d'âge. Mais le dispositif retenu par l'Assemblée nationale pour les enfants dans la période transitoire est en nette régression par rapport à ce qui avait été obtenu par le Sénat en première lecture.
En effet, il y a urgence pour les enfants lourdement handicapés, l'actuelle allocation d'éducation spéciale, l'AES, ne répondant que très insuffisamment à leurs besoins.
De plus, cette disposition nouvelle, introduite par l'Assemblée nationale, risque fort, me semble-t-il, d'être inopérante, car le temps pris par l'instruction des dossiers en matière d'aménagement du logement ou du véhicule nous amènera inéluctablement au terme du délai de trois ans, délai à partir duquel la barrière d'âge devrait tomber.
De même, le taux de prise en charge pour cette prestation ne devrait plus être fondé ni sur les revenus professionnels ou rentes viagères de l'intéressé ni sur les ressources du conjoint. Nous avançons donc, mais nous ne sommes toujours pas dans l'universalité puisque les frais à la charge du bénéficiaire restent plafonnés à 10 % de ses ressources nettes d'impôts.