Les ressources restent les grandes oubliées de ce projet, d'où la profonde déception des personnes handicapées. Arguant de la création de cette prestation de compensation, le Gouvernement prétend que le montant de l'AAH disponible pour les dépenses de la vie courante se trouve automatiquement majoré.
Votre réponse sur cette question primordiale des ressources a consisté à ouvrir la possibilité de compléter cette allocation avec un revenu d'activité. Mais, s'agissant du revenu d'existence des personnes en situation de handicap qui ne peuvent pas, en raison de leur déficience, accéder à l'emploi, là encore, aucune réponse n'est apportée, du moins au Sénat, à la demande légitime d'une AAH au niveau du SMIC.
La manifestation du 23 septembre dernier, qui a rassemblé des milliers de personnes handicapées essentiellement autour de cette revendication, ainsi que l'initiative de l'Association des paralysés de France invitant les parlementaire à partager, à leur domicile, un moment avec des personnes en situation de handicap ont montré à chacun d'entre nous qu'il s'agissait vraiment d'une question majeure. Une interrogation est revenue comme un leitmotiv : avec un revenu en dessous du seuil de pauvreté, peut-on exercer dignement et pleinement sa citoyenneté ?
Certes, madame la secrétaire d'Etat, vous consentez enfin à entendre cette revendication. Tout à l'heure, lorsque vous avez commencé une phrase en disant : « Je dispose... », j'ai même cru que vous alliez poursuivre par : « ... d'un budget ». Hélas non ! Il faudra encore attendre !
Quelles que soient les dispositions nouvelles que vous comptez proposer, ce sont les moyens financiers effectivement dégagés qui permettront de juger si l'appel au secours des personnes en situation de handicap a enfin été entendu.
Quant à l'insertion professionnelle de ces personnes, elle aurait aussi mérité un signe fort, un élan nouveau, à travers des mesures plus contraignantes pour les employeurs. Là aussi, c'est la déception ! N'a été consentie qu'une bien maigre concession : la contribution obligatoire des entreprises privées n'employant aucune personne en situation de handicap a été portée à 800 fois le SMIC horaire, mais seulement pour les indélicats n'ayant employé aucune personne handicapée depuis quatre ans.
Dans ce texte, le traitement de l'emploi, de l'insertion professionnelle et du droit à la formation reste bien frileux. Il faudrait garantir une véritable transposition de la directive européenne sur les personnes en situation de handicap et renforcer la sanction des entreprises qui n'emploient aucun travailleur handicapé.
Nous ne pouvons que déplorer l'effacement du rôle de l'Etat et les transferts de charges sur l'AGEFIPH, dont témoignent notamment le financement par cette dernière de dispositifs de placement au service de l'emploi des personnes handicapées, en plus du réseau Cap Emploi, et le financement des entreprises adaptées, en plus des entreprises du milieu ordinaire.
L'impact de ces dispositions risque fort de fragiliser rapidement l'équilibre de gestion de cet organisme. Ses responsables nous ont alertés quant à sa situation de trésorerie en fin d'exercice, qui ne représente plus que quatre mois d'activité et qui fait peser des menaces sur ses engagements pluriannuels.
Cette volonté du Gouvernement de délester l'Etat de sa responsabilité en matière de formation professionnelle, d'orientation, d'accueil des demandeurs d'emploi, s'inscrit dans le désengagement que nous avons déjà dénoncé à propos du projet de loi sur les responsabilités locales.
Enfin, le principe de l'accessibilité généralisée est encore entaché de multiples dérogations.
J'en viens à la question centrale et déterminante du financement. Je persiste à dire - et ce ne sont pas les dernières dispositions dont j'ai pu prendre connaissance qui me feront changer d'avis ! - que ce projet de loi s'enferme dans les limites de son financement. De plus, il érige en principe la complémentarité du financement, notamment celui de la prestation de compensation, à la charge des départements, interdisant de ce fait l'égalité de traitement des citoyens en situation de handicap sur l'ensemble du territoire.
Si, selon vos propres termes, « la question du handicap doit rejoindre la question plus générale de la capacité de notre société à reconnaître sans discrimination l'ensemble de ses membres et à fonder la cohésion sociale sur la diversité », j'aimerais savoir grâce à quelle baguette magique vous dépasserez le paradoxe qui veut qu'on réponde aux besoins des personnes mesurés à partir d'une évaluation personnalisée par une enveloppe financière fermée. J'imagine que cette baguette magique, c'est aux départements qu'il reviendra de l'agiter puisque, selon les propos que vous avez tenus devant la commission des affaires sociales, vous prévoyez déjà qu'en cas d'insuffisance des ressources ce sont eux qui, responsables de la prestation de compensation, devront financer le différentiel.
Manifestement, cette CNSA dont on ne connaît toujours pas le statut n'aura pas pour objectif, pourtant considéré comme fondamental par tous les acteurs du champ du handicap et de la gérontologie, d'intégrer la perte d'autonomie dans le dispositif historique d'une sécurité sociale financée par la solidarité nationale.
En effet, il n'est pas réaliste de croire que les recettes nouvelles engendrées par cette journée de travail non rémunérée seront adaptées aux enjeux sociaux que constituent les réalités démographiques, le vieillissement de la population, la persistance des faits d'exclusion et de discrimination dont sont victimes les personnes en situation de handicap et de dépendance.
Vous proposez à la nation un imbroglio inextricable entre les implications respectives du département, de la région et de l'Etat, sans aucune lisibilité quant à la provenance de ces ressources.
Là où tous attendaient des mesures fortes, reflétant un engagement résolu dans la voie du progrès, vous nous noyez dans des dispositifs d'une opacité telle que seuls quelques spécialistes se sortent de l'exercice ! Pour autant, point n'est besoin d'être un spécialiste pour saisir les intentions du Gouvernement puisque celui-ci indique clairement que « cette nouvelle caisse n'a pas vocation à gérer le risque dépendance », qu'elle « rassemblera les moyens mobilisés par l'Etat et l'assurance maladie pour prendre en charge la dépendance des personnes âgées et handicapées » et qu'elle « déléguera les moyens financiers aux départements, qui seront responsables de la mise en oeuvre globale de la politique de dépendance ».
Madame la secrétaire d'Etat, malgré certaines améliorations apportées par la navette parlementaire, votre texte, riche de promesses, est bien pauvre par les moyens financiers mis en regard de ces promesses. Nous nous efforcerons néanmoins, par nos amendements, de le renforcer dans le sens souhaité par les associations.
Il reste que, selon nous, deux dangers majeurs le guette : d'une part, une application a minima ; d'autre part, le transfert de la montée en charge aux conseils généraux. C'est pour ces deux raisons essentielles que nous ne pourrons pas vous suivre.
De plus, le dispositif de la CNSA tel que vous semblez le proposer constitue à nos yeux une étape supplémentaire dans le démantèlement de notre système solidaire de sécurité sociale, et cela nous ne pouvons l'accepter.