Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, est-il nécessaire et raisonnable de favoriser toujours plus le football professionnel ? Sans démagogie, j’ai tendance à répondre que non.
Faut-il vraiment, pour construire des stades, bousculer le code général des collectivités territoriales, le droit administratif, les règles en matière de sport et même le code civil ? Je ne le pense pas.
Certes, dans son rapport, notre collègue Dufaut a raison de noter que la France manque cruellement d’équipements sportifs pouvant accueillir des événements sportifs internationaux. En l’occurrence, cette proposition de loi n’apporte aucune solution à ce constat.
Elle vise, en fait, à répondre aux exigences, parfois extravagantes, de l’UEFA. Un peu de fair-play dans les normes qu’elle édicte permettrait certainement à tous les pays de sa zone d’influence de pouvoir organiser ce type d’événement. Ces derniers ne seraient pas ainsi réservés aux seuls pays qui ont de gros moyens financiers.
Nous rejetons cette proposition de loi pour plusieurs raisons, que j’exposerai brièvement.
Tout d’abord, nous contestons la méthode utilisée. Il est devenu coutumier que les textes relatifs au sport prennent la forme de propositions de loi, et non de projets de loi. En l’occurrence, nous ne sommes pas dupes de l’origine de ce texte. Ainsi, le contrôle et l’avis du Conseil d’État sont contournés. C’est dangereux car, bien souvent, est ainsi mise en place une législation à la sécurité juridique incertaine. En l’occurrence, je crains que cette proposition de loi ne soit particulièrement instable juridiquement.
Vous savez bien que les dispositions d’exception, qui mêlent intérêts privés et fonds publics, sont sujettes à contentieux. C’est pourquoi, d’ailleurs, vous prévoyez de régler les conflits en dehors du droit commun, dans le cadre d’une juridiction d’exception : le tribunal arbitral.
Toujours s’agissant de la méthode, comment justifier que le Gouvernement ait engagé la procédure accélérée, alors que nous disposons de plus de trois ans pour réaliser les stades devant accueillir l’Euro 2016 ? Ne s’agit-il pas, sous couvert d’organiser ce championnat, de créer une jurisprudence permettant de changer les modes de financement des équipements sportifs, voire de l’ensemble des équipements publics ?
Notre rapporteur dévoile cette arrière-pensée, qu’il expose en conclusion de son rapport. Il considère, en effet, qu’il faudra « favoriser les modes de partenariats entre personnes publiques et privées en matière d’équipements sportifs », qui constituent, selon lui, une voie d’avenir, « que ce soit au niveau des grands stades, des grandes salles mais aussi des équipements de modeste envergure ».
Ainsi, monsieur le rapporteur, vous annoncez votre volonté d’aller vers la privatisation prochaine des équipements sportifs partout où des marges financières pourront être dégagées grâce aux subventions de la collectivité, bien entendu…
Enfin, le dernier point de méthode que nous contestons concerne le manque de concertation autour de cette proposition de loi.
Les associations d’élus n’ont pas été consultées, alors même que les collectivités locales devront financer ces équipements, ni le mouvement sportif. Seules les ligues professionnelles ont été entendues. Il est d’ailleurs étonnant qu’un tel manque de concertation ait prévalu au moment où Mme la ministre des sports met en place l’Assemblée du Sport. La concertation serait donc à géométrie variable ! Souhaitons qu’elle ne soit pas de simple affichage.
J’en viens maintenant au contenu de cette proposition de loi.
En permettant le versement de subventions à des sociétés privées qui réaliseront un stade dans le cadre d’un bail emphytéotique administratif, vous contraignez, en fait, les collectivités locales à financer ces entreprises commerciales. Vous les mettez sous la pression des entreprises en les privant de la couverture des règles juridiques fondamentales qui préservent leurs intérêts.
En effet, s’il existe différentes formules juridiques pour réaliser de grands équipements sportifs, ou d’autres équipements d’ailleurs, c’est que chacune à des conséquences spécifiques sur l’engagement financier de la collectivité. Aussi, en choisissant telle ou telle formule, la collectivité est libre de décider de la hauteur de son investissement. Or, au travers de cette proposition de loi, quelle que soit la forme juridique retenue, les communes, les départements et les régions devront mettre la main au portefeuille. Jusqu’où ? Nul ne le sait. Il n’y a pas de limite…
De plus, la convention de mise à disposition place la collectivité qui participera au financement de l’équipement dans l’obligation de dégager de nouveaux financements pour le même équipement. Elle paiera donc deux fois, en quelque sorte. Ce n’est pas acceptable ! Or c’est le cœur de cette réforme.
Quant aux articles 2 et 3 de la proposition de loi, ils sont tout aussi condamnables à nos yeux, j’y reviendrai lors de la présentation des amendements que j’ai déposés.
Qu’il me soit cependant permis de formuler deux remarques à propos de l’article 2. Son contenu est tout de même étonnant après le débat que nous avons eu sur la réforme des collectivités locales. En effet, alors que la majorité sénatoriale avait à cette occasion bataillé ferme pour supprimer les financements croisés, elle s’apprête au travers de la présente proposition de loi à les encourager.
Par ailleurs, dans le domaine de l’intervention économique en faveur des entreprises – compétence partagée entre collectivités locales –, la loi prévoit explicitement un chef de file, en l’espèce la région. Personne n’a jamais remis en cause une telle procédure. J’ai même cru comprendre que, pour beaucoup de personnes, elle était promise à un grand avenir dans bien d’autres domaines. Or, avec cette proposition de loi, vous vous apprêtez à supprimer le principe d’un chef de fil unique inscrit dans la loi.
Votre attitude semble donc pour le moins contradictoire, voire de simple circonstance. Mais peut-être me trompé-je ?
Les dispositions de cette proposition de loi ne sont-elles pas plutôt tout à fait cohérentes avec l’ensemble des politiques publiques placées sous le signe de la révision générale des politiques publiques, la RGPP ? Ces mesures visent, en fait, à masquer un nouveau désengagement de l’État et de nouveaux transferts vers les collectivités locales. En outre, elles permettraient d’encourager l’ouverture de nouveaux marchés aux grands groupes privés, en l’occurrence à ceux qui œuvrent dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, dont les dirigeants font tous partie de « la bande du Fouquet’s ».
Vous n’hésitez pas à faciliter toujours plus les transferts de fonds publics vers ces grandes entreprises pour assurer la rentabilité des investissements privés, et ce au mépris des règles fondamentales de notre droit.
Ainsi, le Gouvernement s’est totalement désengagé de toute responsabilité dans l’organisation de l’Euro 2016. Comme cela vient d’être rappelé, il ne participera au financement de la réalisation des stades nécessaires à cette compétition qu’à hauteur de 8 %, alors que pour la Coupe du monde de football 1998, la part des subventions de l’État pour les stades avait été de 30 %.