… et la mesure d’un délai moyen doit donc être interprétée avec prudence.
La question de la définition des indicateurs se pose également si l’on observe celui qui porte sur le nombre d’utilisations de la visioconférence.
La commission des lois comprend bien sûr les économies qui peuvent être réalisées grâce au recours à la visioconférence et à son développement. Mais l’utilisation de ce procédé doit-il, pour autant, devenir un objectif de performance à part entière de l’action judiciaire ?
Certes, la visioconférence doit être un moyen pour les magistrats de faire des économies, et il est très utile de promouvoir son déploiement. Mais elle ne saurait s’imposer de façon systématique, en dehors de considérations d’opportunité que seul le juge peut apprécier.
Pour les chefs de cour, la perspective de bénéficier de marges de manœuvre supplémentaires s’ils réalisaient des économies constituait, en 2006, une véritable incitation à la mise en œuvre de la LOLF. Or, se confirme aujourd’hui une déception que l’on sentait poindre depuis deux ans : la LOLF semble plutôt avoir permis à l’administration centrale d’étendre son emprise sur la gestion des juridictions.
Pourtant – et c’est un point très positif –, les magistrats ont opéré un véritable changement de culture avec la mise en œuvre de la LOLF, comme l’illustre le succès du plan de maîtrise des frais de justice.
Après avoir augmenté de 42, 7 % entre 2003 et 2005, les frais de justice connaissent, depuis 2007, une progression oscillant autour de 2 % par an. Des efforts de rationalisation importants ont donc été réalisés, par exemple avec la passation de marchés publics pour les analyses génétiques. Mais les magistrats prescripteurs ont également eu un rôle déterminant, intégrant pleinement le caractère désormais limitatif des crédits.
En dépit de ces efforts, on dénote un risque de détournement de l’esprit de la LOLF. La fongibilité reste l’apanage du responsable de programme ; les services administratifs régionaux semblent excessivement accaparés par la production de statistiques financières, qui se sont multipliées, et les crédits délégués sont encore trop souvent « fléchés » par l’administration centrale.
Les progrès de l’informatisation du ministère de la justice permettront, je l’espère, de réduire la part des activités de reporting des services administratifs régionaux, les SAR, du moins lorsque les applications en cours de développement auront fait leurs preuves, ce qui n’est pas encore le cas.
À cet égard, les perturbations engendrées par la mise en place de Cassiopée, nouvelle application de gestion de la chaîne pénale, montrent qu’il faut apporter aux juridictions pilotes un soutien logistique plus adapté qu’il ne l’est aujourd'hui.
J’en viens maintenant aux profondes transformations que connaît votre ministère, madame le garde des sceaux, avec la réorganisation de l’administration centrale et de la formation des magistrats et la réforme de la carte judiciaire.
Pour la commission des lois, il s’agit, vous le savez, d’une réforme nécessaire.
Un rapport d’information de MM. Jolibois et Fauchon prônait d’ailleurs, dès 1996, une réforme pour une carte judiciaire « réaliste » ; notre collègue Pierre Fauchon l’avait d’ailleurs rappelé l’an dernier. Il faut dire que l’organisation judiciaire n’avait pas subi de modifications substantielles depuis la réforme engagée par Michel Debré en 1958.
Madame le garde des sceaux, vous avez choisi de suivre un calendrier de mise en œuvre accéléré. La future carte judiciaire, qui devrait être achevée en 2011, comprendra 863 juridictions, contre 1 190 aujourd’hui.
Comme vous l’avez expliqué, elle permettra aux magistrats et fonctionnaires de la justice d’avoir le niveau de technicité requis en appartenant à des juridictions jugeant un nombre suffisant d’affaires chaque année. Les exigences de collégialité et de continuité du service public de la justice en seront mieux respectées.
La philosophie générale de la réforme, à défaut de la méthode, ne peut donc qu’être approuvée.
Cependant, la réforme de la carte judiciaire ne doit pas aboutir à transposer la pénurie de personnels des tribunaux supprimés vers les tribunaux d’accueil, car le regroupement des tribunaux ne fera pas disparaître les dossiers. La question se pose en particulier pour les tribunaux d’instance, qui sont confrontés à la mise en œuvre de la réforme des tutelles, adoptée en 2007. L’un des amendements de la commission des lois vise d’ailleurs à répondre à cette préoccupation.
J’ajoute que les 100 000 heures supplémentaires recensées chez les greffiers démontrent que les greffes n’ont pas encore atteint un effectif pléthorique, loin s’en faut !
En outre, la réforme de la carte judiciaire doit s’accompagner d’une réflexion approfondie sur la politique d’accès au droit et à la justice. La suppression de plusieurs tribunaux d’instance conduit à s’interroger sur les moyens, pour une population vulnérable et démunie, d’accéder à la justice, par exemple en matière de surendettement.
Le développement des maisons de la justice et du droit, auquel vous consacrez des moyens, madame le garde des sceaux, apparaît donc indispensable et va de pair avec la réforme de la carte judiciaire et l’éloignement physique de certains tribunaux. Encore faudrait-il assurer le fonctionnement des maisons de la justice et du droit existantes ! Une vingtaine d’entre elles sont aujourd’hui fermées ou n’ouvrent qu’à mi-temps, par manque de personnel.
Par ailleurs, la mise en place de points de conférence visio-public sera-t-elle réellement adaptée à un public qui était auparavant celui des petits tribunaux d’instance ? Il me semble que, sur un certain nombre de questions complexes et difficiles à formaliser pour une personne sans formation juridique, rien ne peut remplacer le dialogue direct.
Pour terminer, je souhaite évoquer la situation de l’état civil à Mayotte. Une délégation de la commission des lois, dont je faisais partie, s’y est rendue en septembre dernier, sous la direction du président Jean-Jacques Hyest.
Les Mahorais, en raison de la faiblesse des moyens alloués à la commission de révision de l’état civil, la CREC, depuis 2001, se trouvent étrangers en France, étrangers chez eux. Le délai de délivrance d’un acte par la CREC étant au minimum de deux ans et demi, ils ne peuvent obtenir de papiers pour aller étudier en métropole ou se rendre à l’étranger.
Que dirions-nous si nous devions attendre deux, trois ou quatre ans pour obtenir un extrait d’acte de naissance, lui-même nécessaire à l’établissement d’un passeport ?
Du fait du sous-effectif du tribunal de première instance de Mayotte, le dernier magistrat nommé au sein de la collectivité n’a pu être affecté à la présidence de la CREC. Pourtant, 14 000 dossiers attendent d’être traités depuis décembre 2007. La commission des lois recommande donc la nomination d’un vice-président de cette commission, afin de multiplier le nombre d’audiences et d’accélérer le traitement des demandes.
La question de l’état civil à Mayotte engage – n’en doutons pas ! – la crédibilité de l’État envers ses citoyens et le respect du principe d’égalité. La commission des lois vous demande donc, madame la garde des sceaux, d’y accorder la plus grande attention.
Pour conclure mon propos, j’indique que, compte tenu de ces précisions, la commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits consacrés aux services judiciaires et à l’accès au droit.