Séance en hémicycle du 1er décembre 2008 à 10h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • carte
  • détenu
  • l’administration pénitentiaire
  • pénitentiaire

La séance

Source

La séance est ouverte à dix heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Par courrier en date du 28 novembre, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L. O. 297 du code électoral, Mme Sylvie Desmarescaux, sénateur du Nord, en mission temporaire auprès de M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté.

Cette mission portera sur l’évolution des droits sociaux attachés au statut de bénéficiaire de minima sociaux dans le cadre de la création du revenu de solidarité active.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce rappel au règlement porte sur l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, fondement de la Constitution et, par conséquent, du règlement du Sénat.

M. Vittorio de Filippis, journaliste et ancien directeur de la publication du journal Libération, a été interpellé le vendredi 28 novembre 2008 à son domicile, à six heures quarante du matin, à la suite d’un mandat d’amener délivré par un juge. Il a été interpellé devant ses enfants, menotté, conduit au commissariat de police du Raincy.

Le journal Libération du 29 novembre a publié le témoignage de M. de Filippis. M. Laurent Joffrin, directeur de Libération, écrit que cette interpellation était « volontairement humiliante ». À lire les récits qui ont paru dans la presse, madame la ministre, j’ajouterai que c’est le moins que l’on puisse dire !

M. Vittorio de Filippis a relaté dans le journal Libération, dans un témoignage repris par le journal Le Monde, que lors de l’interpellation un fonctionnaire aurait déclaré devant son fils : « Vous êtes pire que la racaille ! »

Je rappelle que l’affaire qui a donné lieu aux faits précités est une plainte en diffamation au sujet d’un commentaire hébergé par le site de Libération et publié le 27 octobre 2006. L’avocat du journal Libération, Me Jean-Paul Lévy, déclare : « C’est la première fois que je vois un juge délivrer un mandat d’amener dans une affaire de diffamation. En matière de presse, la détention n’existe pas. Le traitement qui a été réservé à Vittorio de Filippis est invraisemblable. »

Me Baudelot, avocat du journal Le Monde, a déclaré : « C’est invraisemblable et inacceptable, si on permet des […] interpellations de cette nature, on contourne la loi. »

La Société civile des personnels de Libération a dénoncé « des méthodes judiciaires intolérables » et a demandé, à l’instar de nombreuses personnalités politiques qu’une enquête soit ouverte.

Le Syndicat national des journalistes a dénoncé « la démesure avec laquelle sont désormais instruits certains délits de presse ».

Reporters sans frontières a jugé ces faits « intolérables ».

Madame la ministre, devant l’intense et justifiée émotion suscitée par les faits que je viens de rappeler, j’ai l’honneur de vous poser trois questions.

Premièrement, une plainte relative à la présence sur un site d’un commentaire considéré comme diffamatoire vous paraît-elle justifier le traitement qui a été infligé à M. Vittorio de Filippis ?

Deuxièmement, considérez-vous que ces méthodes sont compatibles avec le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes que vous avez défendu ici même ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Troisièmement, madame la ministre – et nous attendons une réponse très précise sur ce dernier point –, avez-vous demandé une enquête sur les faits précités ? Sinon, allez-vous le faire ? Rendrez-vous publiques les conclusions de cette enquête ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mon cher collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement. Mme la ministre vous répondra tout à l’heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, avec votre indulgence, je reprends la parole pour m’étonner du mutisme du Gouvernement. En tant que parlementaire, j’ai posé des questions précises, à la faveur d’un rappel au règlement qui porte sur une affaire concernant les libertés fondamentales : ce n’est pas par hasard que j’ai cité l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Je m’associe aux propos de notre collègue et souhaite que nous obtenions une réponse, puisque Mme la garde des sceaux est présente dans l’hémicycle.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, si elle le souhaite.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Monsieur le président, j’avais l’intention de répondre aux questions qui viennent de m’être posées après les orateurs à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Justice » : à aucun moment je n’ai envisagé de garder le mutisme !

Je voudrais d’abord apporter deux précisions. D’une part, la procédure dont il s’agit est une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction, et non une action dont le Gouvernement ou le ministère public aurait pris l’initiative, par exemple à la demande du garde des sceaux. D’autre part, la délivrance d’un mandat d’amener fait partie des décisions qu’un juge d’instruction peut être conduit à prendre dans le cadre d’une procédure, en particulier lorsque la personne n’a pas déféré à plusieurs convocations.

Je n’ai donc aucun jugement à porter, ni même aucun commentaire à faire sur un acte de procédure qui relève du juge d’instruction. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes dans un État de droit, où l’indépendance de la justice est respectée ! Ce point a même été placé au cœur de nos débats lors de l’examen de plusieurs projets de loi que j’ai défendus devant vous.

Que, conformément aux prérogatives attachées à ma fonction, je puisse donner des instructions au parquet, c’est une chose. Mais je n’en ai jamais donné à un juge d’instruction ! Au demeurant, les membres de l’opposition sont souvent revenus sur cette question et se sont très longtemps émus des risques d’atteinte à l’indépendance de la justice que comporterait une telle pratique, à laquelle il n’a jamais été recouru.

Le mandat d’amener a donc été délivré en toute indépendance par le juge d’instruction. Il faut, dans cette affaire, distinguer deux éléments : l’arrestation, d’une part, la procédure menée par le juge d’instruction, d’autre part.

Je rappelle que, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, le Président de la République avait souhaité que le déroulement et les conditions des interpellations soient nettement améliorés, ce qu’il a fait, notamment, en limitant les fouilles à corps pour éviter les atteintes à la dignité de la personne.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Par ailleurs, lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle, le Président de la République a pris l’engagement d’améliorer la protection du secret des sources en en faisant un principe général inscrit dans la loi de 1881. Tel est l’objet du projet de loi dont nous avons débattu récemment et dont l’adoption permettra à la fois de mieux garantir le secret des sources et d’encadrer plus strictement les procédures mettant en cause un journaliste.

Enfin, pour répondre sur le dernier point évoqué par M. Sueur, j’ai demandé au parquet de se faire communiquer le dossier de la procédure. Il n’a pas encore été transmis. Bien entendu, nous n’avons rien à cacher, et le ministre de la justice ne se réfugie pas dans le mutisme, mais les juges sont indépendants ! Nous avons fait en sorte de pouvoir disposer de plus d’éléments, que vous serez à même d’avoir en temps utile.

Bref, non seulement les conditions de la garde à vue ont été nettement améliorées, mais nous tenons particulièrement à la liberté d’expression, notamment à la liberté de la presse ; et je rappelle que le Président de la République est le premier à avoir fait en sorte que, pour les journalistes, soient mises en œuvre plus de garanties et plus de protection, ce qui était réclamé depuis longtemps.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2009, adopté par l’Assemblée nationale (nos 98 et 99).

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Le Sénat va examiner les crédits relatifs à la mission « Justice ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la mission « Justice » est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2009, de 6, 654 milliards d’euros de crédits de paiement, soit une augmentation de 2, 6 %.

Dans un contexte budgétaire globalement tendu, cette progression des crédits illustre l’importance attachée à la justice et la priorité accordée à ses moyens, et cela depuis plusieurs années.

Le programme « Justice judiciaire » compte 2, 83 milliards d’euros en crédits de paiement, en hausse de 3, 8 %.

Au sein de ce programme, il convient de souligner les progrès remarquables réalisés en termes de maîtrise des frais de justice. Grâce aux efforts conjugués des magistrats et de la Chancellerie, la dynamique à la hausse de ces frais est désormais contenue. En 2009, une dotation de 409 millions d’euros est prévue pour les couvrir, contre 405 millions d’euros en 2008.

Un autre problème récurrent reste toutefois à résoudre : celui de l’insuffisance de greffiers au sein des juridictions, je l’ai souligné à de nombreuses reprises.

Le ratio actuel de 2, 5 fonctionnaires de greffe par magistrat traduit une réelle faiblesse du soutien logistique susceptible d’être apporté aux magistrats, tant pour le rendu des décisions de justice que pour la gestion des juridictions. Les efforts afin d’accroître les effectifs de magistrats, en conformité avec la loi d’orientation et de programmation pour la justice, la LOPJ, au cours de la période 2003-2007, méritent d’être salués. Mais ils n’ont de sens que s’ils s’accompagnent d’un effort encore plus important en faveur des greffiers.

Le projet de loi de finances pour 2009 permet également de faire le point sur la réforme de la carte judiciaire et sur son coût.

Depuis de nombreuses années, chacun convenait de la nécessité de réformer la carte judiciaire, mais aucune réorganisation n’avait été entreprise depuis 1958. En dépit des évolutions démographiques, économiques et sociales de notre pays, la carte judiciaire n’avait fait l’objet depuis cette date que d’adaptations ponctuelles.

Elle avait ainsi fini par devenir un frein à la modernisation de la justice et une entrave à sa nécessaire lisibilité pour les citoyens.

Toutefois, cette réforme présente un coût initial.

Pour 2009, le budget qui lui sera consacré s’élève à 37 millions d’euros, supportés par le programme « Justice judiciaire ». Encore faut-il ajouter à cette somme 55 millions d’euros mobilisés sur le compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État », provenant essentiellement des produits de cessions de bâtiments appartenant à l’État.

Au total et sur cinq ans, le coût de la réforme de la carte judiciaire est désormais chiffré par la Chancellerie à 427 millions d’euros, soit un montant très inférieur à celui qui était annoncé initialement, c'est-à-dire 800 millions d’euros.

Il faut toutefois préciser que ce coût n’intègre pas l’opération de réaménagement du tribunal de grande instance de Paris, qui pourrait s’élever, à elle seule, à près d’un milliard d’euros.

Le programme « Administration pénitentiaire » comporte 2, 467 milliards d’euros de crédits de paiement, soit une progression de 4 %.

Faut-il le rappeler ? En France, les conditions de détention sont inacceptables. La vétusté de la plupart des prisons y est pour beaucoup, mais surtout l’insuffisance de places est accablante. Le taux de surpopulation carcérale atteignait ainsi 126, 5 % au 1er juillet 2008 et ce taux, qui n’est qu’un taux moyen, peut même aller jusqu’à plus de 200 % dans certains établissements…

On ne peut donc que se réjouir de la création nette de 4 588 places en établissements pénitentiaires en 2009, parmi lesquels figure la maison d’arrêt du Mans, ce que je note avec satisfaction. Cependant, à supposer que le nombre de détenus reste au niveau actuel et que les prévisions en matière de créations nettes de places en détention soient respectées, il s’agit de 11 569 places à créer entre 2009 et 2012, le nombre de places n’égalera pas le nombre de personnes détenues au terme de la programmation…

En 2009, la création d’emplois au sein de l’administration pénitentiaire suivra ces ouvertures de places. Le programme enregistrera un nouvel accroissement de ses effectifs de 894 équivalents temps plein travaillé.

S’agissant des conditions de vie et d’accueil dans les établissements pénitentiaires, je souhaite tout particulièrement insister sur la prise en charge défaillante des cas de psychiatrie en milieu carcéral. Notre système souffre d’une grave insuffisance de moyens en la matière, notamment en ce qui concerne le nombre des psychiatres intervenant en établissement pénitentiaire. Je demande instamment que l’on crée des postes, notamment dans les nouveaux établissements.

La question des transfèrements de détenus pose également problème. Une « remise à plat » de la charge de ces missions, qui incombent actuellement à la police et à la gendarmerie, me paraît indispensable. Je reviendrai d’ailleurs sur cette question lors de la présentation de l’amendement proposé par la commission des finances du Sénat sur les crédits de la mission « Justice ».

Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » s’appuie sur une enveloppe de 787, 1 millions d’euros en crédits de paiement, en baisse de 2, 1 %.

Il sera marqué par une évolution stratégique notable en 2009 : son recentrage sur la prise en charge des mineurs délinquants.

Au regard de la performance de ce programme, il faut souligner que les taux d’occupation des établissements enregistrent des progrès significatifs. Ainsi, ce taux est-il passé de 71 % pour les centres éducatifs fermés en 2007 à 75 % en prévision actualisée pour 2008, avec une cible de 80 % en 2011.

Un résultat de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, ne doit pas nous échapper : 66 % des jeunes pris en charge au pénal n’ont ni récidivé, ni réitéré, ni fait l’objet de nouvelles poursuites dans l’année qui a suivi la clôture de la mesure. À lui seul, ce chiffre suffirait à justifier l’importance de l’action de la PJJ.

Les moyens du programme « Accès au droit et à la justice » diminuent de 4, 3 % en crédits de paiement, en passant de 334, 3 millions d’euros à 320 millions d’euros.

Au sein de ce programme, l’aide juridictionnelle voit sa dotation passer de 314, 4 millions d’euros en 2008 à 300 millions d’euros en 2009. Cette baisse de 4, 6 % doit toutefois être relativisée, dans la mesure où elle pourrait être compensée par un rétablissement de crédits à hauteur de 13 millions d’euros au titre du recouvrement de l’aide juridictionnelle. Par ailleurs, l’hypothèse sur laquelle s’appuie cette prévision budgétaire se fonde sur un non-accroissement du nombre d’admissions à l’aide en 2009, soit 886 000 bénéficiaires.

Il n’en reste pas moins qu’une réforme de ce dispositif s’impose. La commission des finances a déjà eu l’occasion de formuler des recommandations dans ce domaine. Elle souhaite que 2009 puisse être une année de prise de décisions fortes.

Le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice : expérimentations Chorus » constitue une nouveauté relative au sein de la mission « Justice ».

Sa création s’explique par la mise en œuvre, au sein du ministère de la justice et à compter du 1er janvier 2009, du logiciel Chorus, qui doit gérer à terme l’ensemble de la dépense des recettes non fiscales et de la comptabilité de l’État.

Ce programme comporte 238 millions d’euros de crédits de paiement.

Il faut noter, le concernant, que la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui était rattachée jusqu’en 2008 au programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés », est transférée en direction du programme « Défense des droits des citoyens » de la mission « Direction de l’action du Gouvernement ». Ce transfert de la CNIL sur un programme permettant de mieux individualiser et de mieux « sanctuariser » ses crédits correspond à la satisfaction d’un souhait plusieurs fois émis par la commission des finances du Sénat.

Le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice », enfin, n’a plus qu’une vocation transitoire. Il disparaîtra le 31 décembre 2009, date à laquelle la totalité des crédits de la mission « Justice » seront gérés dans l’application financière Chorus.

En conclusion, mes chers collègues, l’année 2009 sera, pour la justice, une année de continuité. Continuité, tout d’abord, dans les efforts budgétaires consentis pour rattraper des retards trop longtemps accumulés. Continuité, ensuite, dans la volonté de moderniser l’institution judiciaire, pour la rendre plus proche du justiciable et plus lisible par nos concitoyens. Continuité, enfin, dans le souci d’apporter une réponse au problème posé par la surpopulation carcérale et les conditions de détention, trop souvent indignes de notre République.

Dans ces conditions, la commission des finances propose au Sénat l’adoption des crédits de la mission et de chacun de ses programmes.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le programme « Administration pénitentiaire », qui constitue l’un des six programmes de la mission « Justice », représente 37 % de cette mission, soit une enveloppe de 2, 467 milliards d’euros.

Les crédits de paiement augmentent de 4 % par rapport aux crédits ouverts en 2008, après une hausse de 6, 4 % entre 2007 et 2008, et les autorisations d’engagement progressent de 30, 2 % en raison du renouvellement des marchés des établissements à gestion déléguée et de la notification des nouveaux établissements dont la livraison est prévue pour 2010.

Le plafond d’autorisations d’emplois en 2009 s’élève à 33 020 équivalents temps plein travaillé contre 32 126 en 2008, soit une augmentation de 894 emplois. Cette évolution s’explique principalement pour les personnels de surveillance, plus 775 emplois, par la livraison des premiers établissements issus du programme « 13 200 », et pour les personnels d’insertion et de probation, plus 104 emplois à partager avec les métiers du greffe et de l’éducatif, par le développement des mesures d’aménagement de peine et plus particulièrement du placement sous surveillance électronique.

Le budget de fonctionnement de l’administration pénitentiaire devrait ainsi augmenter de 5, 6 % entre 2008 et 2009. Afin de prendre en compte les besoins liés au recrutement supplémentaire de personnels, la subvention pour charge de service public versée à l’École nationale d’administration pénitentiaire, l’ENAP, devrait être abondée de 5 millions d’euros.

Au cours des trente dernières années, les gouvernements successifs ont engagé trois programmes immobiliers d’envergure afin d’augmenter le nombre de places de détention opérationnelles : en 1987, le programme Chalandon de 13 000 places avec la construction de vingt-cinq établissements ; en 1994, le programme Méhaignerie de 4 000 places, avec la construction de six établissements ; enfin, la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002 prévoit la création de 13 200 places avec la construction d’une quinzaine d’établissements pénitentiaires et de sept établissements pour mineurs.

Ces derniers ont été les premiers à ouvrir dès 2007, tandis que la livraison des établissements pour majeurs a débuté cet automne.

Le solde des ouvertures-fermetures de places sur les exercices 2007 et 2008 s’élève à 1 497 places supplémentaires, mais le mouvement s’accélère puisque ce sont 4 590 places nouvelles qui devraient être opérationnelles en 2009 avec les ouvertures des centres pénitentiaires de Rennes, Bourg-en-Bresse, Béziers, Poitiers-Vivonne et Nancy-Maréville, du centre de détention du Havre, de la maison d’arrêt de Le Mans-Coulaines et du quartier courte peine de Seysses.

Si ces différentes observations ne peuvent qu’amener la commission des lois à émettre un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire », votre rapporteur pour avis souhaiterait cependant attirer tout particulièrement votre attention sur deux points.

Tout d’abord, l’année 2009 devrait être marquée par l’adoption longtemps attendue du projet de loi pénitentiaire.

À l’instigation de son président, la commission des lois a pris l’initiative d’examiner ce texte le 17 décembre prochain afin de permettre son inscription rapide à l’ordre du jour. Or l’évolution des crédits pour 2009, dont la progression significative résulte pour l’essentiel de la livraison des premiers établissements pénitentiaires du programme « 13 200 », n’anticipe guère les effets financiers du projet de loi pénitentiaire.

Si ces conséquences sont difficiles à mesurer, l’étude d’impact accompagnant le texte ne demandant guère d’éléments d’appréciation sur ce point, elles n’en sont pas moins inéluctables.

Certes, le projet de budget ne peut présumer des votes et des choix du législateur, mais comment ne pas craindre que l’irrecevabilité financière appliquée en vertu de l’article 40 de la Constitution n’interdise au Parlement de débattre utilement de certaines options fondamentales pour une réforme pénitentiaire ambitieuse ?

Aussi avais-je souhaité, par exemple, proposer un amendement afin de dégager une enveloppe d’un montant limité permettant aux assemblées de discuter, lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire, de la mise en place éventuelle d’un minimum carcéral ou d’une allocation carcérale de réinsertion.

L’étroitesse des marges de manœuvre de ce programme m’a amené à y renoncer, mais je forme le vœu, comme on a bien voulu me le laisser entendre, que ce ne soit pas au prix d’une mise à l’écart du Parlement sur des sujets qui doivent fondamentalement relever de sa responsabilité.

Ensuite, je m’interroge sur la modestie des ambitions de certains indicateurs de performance. Ainsi, alors que le taux de détenus bénéficiant d’une formation professionnelle était de 9, 3 % en 2008, la cible pour 2011 demeure identique.

J’aurais également pu prendre l’exemple du taux de détenus bénéficiant d’une activité rémunérée, qui n’évolue guère dans les objectifs 2011 par rapport aux réalités de 2008 et qui s’inscrit même en baisse sensible au regard des objectifs de la précédente loi de finances.

Ces prévisions apparaissent-elles bien conformes, mes chers collègues, à l’obligation de mobiliser les moyens au service d’une politique de réinsertion ?

Vous ayant ainsi associés à mes préoccupations, je n’en suis que plus à l’aise pour rappeler l’avis favorable de la commission des lois et de votre rapporteur pour avis sur l’adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2009.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2009 et le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 marquent un coup d’arrêt à la progression des crédits alloués à la protection judiciaire de la jeunesse depuis quelques années.

Après avoir augmenté de 8, 6 % en 2007, puis de 1, 6 % en 2008, les crédits de paiement diminueront de 2, 2 % en 2009, pour s’établir à un peu plus de 787 millions d’euros en 2009, représentant ainsi 11, 8 % de l’ensemble des crédits de la mission « Justice ». Ils diminueront ensuite de 1 % en 2010 et de 1, 4 % en 2011.

Au-delà de cette diminution globale, le projet de loi de finances pour 2009 opère, comme M. le rapporteur spécial l’a souligné, un important redéploiement des moyens, afin de recentrer l’action de la protection judiciaire de la jeunesse sur les mineurs délinquants. Ainsi, les crédits de paiement alloués à la prise en charge des mineurs en danger et des jeunes majeurs diminueront de 40 %, tandis que ceux qui sont consacrés à la prise en charge des mineurs délinquants augmenteront de 18 %.

Pour ce qui concerne les effectifs, ce redéploiement concernera 805 équivalents temps plein travaillé, le plafond d’autorisation d’emplois étant fixé à 8 951 équivalents temps plein travaillé, contre 9 027 en 2008. D’ici à un an ou deux ans, seules les mesures judiciaires d’investigation concernant les mineurs en danger et les jeunes majeurs seront encore prises en charge par l’État. Cette évolution prolonge la réduction significative des crédits destinés à la prise en charge des jeunes majeurs qui a été engagée depuis quelques années. Elle est présentée comme la conséquence de la réaffirmation, par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, de la compétence des conseils généraux en matière de protection des mineurs en danger et des jeunes majeurs.

Enfin, elle devrait s’accompagner, sur le plan juridique, d’une réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, que vous aviez annoncée, madame le garde des sceaux, et qui a été confirmée par la récente conférence de presse donnée par le recteur Varinard, et de l’abrogation du décret du 18 février 1975 relatif à la prise en charge des jeunes majeurs que vous avez laissé entendre.

Sans doute cette évolution va-t-elle dans le sens des recommandations de la commission d’enquête sur la délinquance des mineurs mise en place en 2002, en vertu desquelles le secteur public devait se consacrer exclusivement à la prise en charge des mineurs délinquants et le secteur associatif devait être habilité à s’investir davantage au pénal. Mais elle n’en suscite pas moins, par son ampleur, des interrogations et des inquiétudes exprimées notamment par l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, par l’Assemblée des départements de France et par l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, quant à la continuité et à l’homogénéité du suivi des mineurs en danger et des jeunes majeurs.

La commission des lois souhaite souligner la nécessité de veiller à ce que les jeunes en danger, comme les jeunes majeurs, puissent bénéficier d’un même niveau de protection sur l’ensemble du territoire national. Parallèlement, il convient de noter que la modernisation de la protection judiciaire de la jeunesse se poursuit suivant trois axes : la diversification des modes de prise en charge, la rationalisation des moyens et le développement de l’évaluation.

À cet égard, je ne ferai que quelques brèves remarques, inspirées par les déplacements que j’ai effectués cette année.

Si les structures de prise en charge des mineurs ont été diversifiées afin de permettre l’élaboration d’un véritable « parcours éducatif », il importe aujourd’hui de veiller à leur bonne articulation sur le plan tant géographique que fonctionnel.

À titre d’exemple – et je vous ai d’ailleurs posé cette question en commission –, on peut déplorer qu’aucun centre éducatif fermé n’ait été créé dans les Bouches-du-Rhône et que la région d’Île-de-France n’en compte qu’un, à Savigny-sur-Orge.

Ce centre, que j’ai visité avec M. Lecerf, est l’un des cinq centres éducatifs fermés ayant bénéficié en 2008, à titre expérimental pour améliorer la prise en charge des mineurs atteints de troubles mentaux, de moyens supplémentaires, qui devaient se traduire par le recrutement de deux infirmiers, d’un second psychologue et d’un psychiatre.

Dans le centre que nous avons visité, un second psychologue à temps plein avait bien été embauché, mais l’équipe ne bénéficiait du concours d’un psychiatre qu’à raison d’une vacation d’une demi-journée par semaine et n’avait pu recruter aucun infirmier, faute de candidatures valables. L’équipe du centre a salué l’intervention et l’implication des psychologues dans la prise en charge des mineurs. En revanche, elle a attiré notre attention sur la nécessité de ne pas considérer les cinq centres éducatifs fermés retenus pour l’expérimentation comme des centres spécialisés dans l’accueil de jeunes atteints de troubles psychiatriques graves en provenance de toute la France.

Il nous a été indiqué qu’un jeune, à peine placé dans le centre par un magistrat qui souhaitait mettre un terme à son séjour en hôpital psychiatrique, avait séquestré et menacé le personnel de direction. Cet exemple ainsi que la tentative de suicide d’un mineur placé dans le centre, la veille de notre venue, témoignent des efforts considérables qui restent à accomplir pour améliorer la prise en charge des jeunes atteints de troubles mentaux.

Le bilan d’ensemble des quelque 37 centres éducatifs fermés, les CEF, n’en est pas moins satisfaisant, puisque 66 % des mineurs qui y sont accueillis ne commettent pas de nouvelle infraction dans l’année de leur sortie.

L’un de ceux que j’ai rencontrés à Savigny-sur-Orge venait d’effectuer, avec succès, un stage dans une chocolaterie. Le CEF, nous a-t-il confié, constitue un point d’arrivée pour un nouveau départ. Pour ma part, j’y vois là un motif d’espoir.

En conclusion, je formulerai quelques observations personnelles.

Il faut considérer les crédits alloués à la mission « Justice » dans la durée et les mettre en perspective sur quelques années. En dehors de toute considération partisane dans un secteur aussi sensible que celui de la justice, notamment celui de la protection de la jeunesse, je tiens à rendre un hommage particulier aux éducateurs des centres éducatifs fermés, ces fonctionnaires un peu oubliés de la société civile, qui ne s’intéresse qu’à des questions médiatiques et ignore le travail permanent qu’ils accomplissent jour et nuit au contact de personnes extrêmement difficiles à gérer.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avisde la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois a émis un avis favorable sur les crédits du Programme « Protection judiciaire de la jeunesse » au sein de la mission « Justice », qu’elle vous demande d’approuver, mes chers collègues.

Applaudissementssur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les grandes lignes des crédits de la mission « Justice » alloués pour 2009, qui ont été présentées par M. le rapporteur spécial notamment.

Cependant, je relève que le nombre total d’équivalents temps plein travaillé du programme « Justice judiciaire » est en baisse de 54, notamment en raison du transfert de la Cour nationale du droit d’asile vers la justice administrative. Mais, par un « effet » de la LOLF en quelque sorte, cette baisse cache en fait des créations d’emplois : 59 emplois de magistrats, 9 de greffiers en chef et 50 de greffiers. Le nombre d’équivalents temps plein travaillé de magistrats s’établira donc à près de 7 900 en 2009, ce qui peut être considéré comme un effectif satisfaisant.

Toutefois, il convient de regarder les choses de manière plus détaillée, et je reviendrai sur la question des effectifs.

Mon propos sera axé sur trois points : l’application de la LOLF à la justice, la réforme de la carte judiciaire et l’accès au droit et, enfin, l’indispensable et nécessaire révision de l’état civil à Mayotte.

Après trois années d’application de la LOLF à la justice, le bilan est contrasté.

Tout d’abord, la justice n’était pas le domaine où la mise en œuvre d’une logique de performance apparaissait la plus naturelle. D’ailleurs, les indicateurs de performance en la matière doivent être considérés avec prudence.

Ainsi, s’agissant des délais de jugement, toutes les procédures n’obéissent pas aux mêmes délais, …

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

… et la mesure d’un délai moyen doit donc être interprétée avec prudence.

La question de la définition des indicateurs se pose également si l’on observe celui qui porte sur le nombre d’utilisations de la visioconférence.

La commission des lois comprend bien sûr les économies qui peuvent être réalisées grâce au recours à la visioconférence et à son développement. Mais l’utilisation de ce procédé doit-il, pour autant, devenir un objectif de performance à part entière de l’action judiciaire ?

Certes, la visioconférence doit être un moyen pour les magistrats de faire des économies, et il est très utile de promouvoir son déploiement. Mais elle ne saurait s’imposer de façon systématique, en dehors de considérations d’opportunité que seul le juge peut apprécier.

Pour les chefs de cour, la perspective de bénéficier de marges de manœuvre supplémentaires s’ils réalisaient des économies constituait, en 2006, une véritable incitation à la mise en œuvre de la LOLF. Or, se confirme aujourd’hui une déception que l’on sentait poindre depuis deux ans : la LOLF semble plutôt avoir permis à l’administration centrale d’étendre son emprise sur la gestion des juridictions.

Pourtant – et c’est un point très positif –, les magistrats ont opéré un véritable changement de culture avec la mise en œuvre de la LOLF, comme l’illustre le succès du plan de maîtrise des frais de justice.

Après avoir augmenté de 42, 7 % entre 2003 et 2005, les frais de justice connaissent, depuis 2007, une progression oscillant autour de 2 % par an. Des efforts de rationalisation importants ont donc été réalisés, par exemple avec la passation de marchés publics pour les analyses génétiques. Mais les magistrats prescripteurs ont également eu un rôle déterminant, intégrant pleinement le caractère désormais limitatif des crédits.

En dépit de ces efforts, on dénote un risque de détournement de l’esprit de la LOLF. La fongibilité reste l’apanage du responsable de programme ; les services administratifs régionaux semblent excessivement accaparés par la production de statistiques financières, qui se sont multipliées, et les crédits délégués sont encore trop souvent « fléchés » par l’administration centrale.

Les progrès de l’informatisation du ministère de la justice permettront, je l’espère, de réduire la part des activités de reporting des services administratifs régionaux, les SAR, du moins lorsque les applications en cours de développement auront fait leurs preuves, ce qui n’est pas encore le cas.

À cet égard, les perturbations engendrées par la mise en place de Cassiopée, nouvelle application de gestion de la chaîne pénale, montrent qu’il faut apporter aux juridictions pilotes un soutien logistique plus adapté qu’il ne l’est aujourd'hui.

J’en viens maintenant aux profondes transformations que connaît votre ministère, madame le garde des sceaux, avec la réorganisation de l’administration centrale et de la formation des magistrats et la réforme de la carte judiciaire.

Pour la commission des lois, il s’agit, vous le savez, d’une réforme nécessaire.

Un rapport d’information de MM. Jolibois et Fauchon prônait d’ailleurs, dès 1996, une réforme pour une carte judiciaire « réaliste » ; notre collègue Pierre Fauchon l’avait d’ailleurs rappelé l’an dernier. Il faut dire que l’organisation judiciaire n’avait pas subi de modifications substantielles depuis la réforme engagée par Michel Debré en 1958.

Madame le garde des sceaux, vous avez choisi de suivre un calendrier de mise en œuvre accéléré. La future carte judiciaire, qui devrait être achevée en 2011, comprendra 863 juridictions, contre 1 190 aujourd’hui.

Comme vous l’avez expliqué, elle permettra aux magistrats et fonctionnaires de la justice d’avoir le niveau de technicité requis en appartenant à des juridictions jugeant un nombre suffisant d’affaires chaque année. Les exigences de collégialité et de continuité du service public de la justice en seront mieux respectées.

La philosophie générale de la réforme, à défaut de la méthode, ne peut donc qu’être approuvée.

Cependant, la réforme de la carte judiciaire ne doit pas aboutir à transposer la pénurie de personnels des tribunaux supprimés vers les tribunaux d’accueil, car le regroupement des tribunaux ne fera pas disparaître les dossiers. La question se pose en particulier pour les tribunaux d’instance, qui sont confrontés à la mise en œuvre de la réforme des tutelles, adoptée en 2007. L’un des amendements de la commission des lois vise d’ailleurs à répondre à cette préoccupation.

J’ajoute que les 100 000 heures supplémentaires recensées chez les greffiers démontrent que les greffes n’ont pas encore atteint un effectif pléthorique, loin s’en faut !

En outre, la réforme de la carte judiciaire doit s’accompagner d’une réflexion approfondie sur la politique d’accès au droit et à la justice. La suppression de plusieurs tribunaux d’instance conduit à s’interroger sur les moyens, pour une population vulnérable et démunie, d’accéder à la justice, par exemple en matière de surendettement.

Le développement des maisons de la justice et du droit, auquel vous consacrez des moyens, madame le garde des sceaux, apparaît donc indispensable et va de pair avec la réforme de la carte judiciaire et l’éloignement physique de certains tribunaux. Encore faudrait-il assurer le fonctionnement des maisons de la justice et du droit existantes ! Une vingtaine d’entre elles sont aujourd’hui fermées ou n’ouvrent qu’à mi-temps, par manque de personnel.

Par ailleurs, la mise en place de points de conférence visio-public sera-t-elle réellement adaptée à un public qui était auparavant celui des petits tribunaux d’instance ? Il me semble que, sur un certain nombre de questions complexes et difficiles à formaliser pour une personne sans formation juridique, rien ne peut remplacer le dialogue direct.

Pour terminer, je souhaite évoquer la situation de l’état civil à Mayotte. Une délégation de la commission des lois, dont je faisais partie, s’y est rendue en septembre dernier, sous la direction du président Jean-Jacques Hyest.

Les Mahorais, en raison de la faiblesse des moyens alloués à la commission de révision de l’état civil, la CREC, depuis 2001, se trouvent étrangers en France, étrangers chez eux. Le délai de délivrance d’un acte par la CREC étant au minimum de deux ans et demi, ils ne peuvent obtenir de papiers pour aller étudier en métropole ou se rendre à l’étranger.

Que dirions-nous si nous devions attendre deux, trois ou quatre ans pour obtenir un extrait d’acte de naissance, lui-même nécessaire à l’établissement d’un passeport ?

Du fait du sous-effectif du tribunal de première instance de Mayotte, le dernier magistrat nommé au sein de la collectivité n’a pu être affecté à la présidence de la CREC. Pourtant, 14 000 dossiers attendent d’être traités depuis décembre 2007. La commission des lois recommande donc la nomination d’un vice-président de cette commission, afin de multiplier le nombre d’audiences et d’accélérer le traitement des demandes.

La question de l’état civil à Mayotte engage – n’en doutons pas ! – la crédibilité de l’État envers ses citoyens et le respect du principe d’égalité. La commission des lois vous demande donc, madame la garde des sceaux, d’y accorder la plus grande attention.

Pour conclure mon propos, j’indique que, compte tenu de ces précisions, la commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits consacrés aux services judiciaires et à l’accès au droit.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle qu’en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de trente minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Pierre Fauchon.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’examen d’un budget ne saurait se limiter à un exercice purement comptable, malgré l’importance que ce dernier revêt, surtout lorsqu’il est effectué par des personnalités aussi remarquables que celles que nous venons d’entendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Ce point est d’autant plus valable que nous traitons aujourd’hui de la justice et que ce troisième pouvoir, si réel en dépit des controverses théoriques, est dépositaire de responsabilités essentielles.

L’intensité et la complexité des missions judiciaires n’ont d’égal que la difficulté rencontrée, par l’appareil judiciaire, pour les traiter d’une manière convenable, c’est-à-dire apporter sans retard les réponses appropriées aux innombrables questions qui lui sont posées dans un contexte extraordinairement difficile. Il s’agit effectivement d’appliquer une loi, laborieusement et incessamment modifiée, à des réalités, dans le contexte général de remise en cause quasi systématique des valeurs, des droits et des obligations.

Le temps de parole qui m’est imparti ne m’autorise que quelques réflexions, qui ont pour seul objet d’évoquer les problèmes, sans prétendre apporter les réponses.

Le premier de ces problèmes reste, en dépit de budgets qui sont, en eux-mêmes, relativement satisfaisants, celui des moyens de la justice.

Notre commission des lois n’a jamais cessé d’apporter la plus grande attention à cette question primordiale, depuis le rapport d’information que j’ai présenté, avec M. Charles Jolibois, au siècle dernier – on a bien voulu me rappeler qu’il datait de 1996. Elle a effectivement conscience que notre société n’a pas le droit d’attendre de sa justice des résultats que l’insuffisance des moyens ne permet pas d’obtenir, en dépit du dévouement d’un grand nombre de magistrats – mais non de tous, avouons-le ! – et de leurs auxiliaires, auxquels, avant tout, je tiens à rendre hommage.

Toutefois, il ne suffit pas de rendre hommage. Il faut aussi comprendre que l’exigence de résultat qui, de plus en plus, doit marquer nos réflexions ne peut être atteinte en ignorant cette insuffisance de moyens.

Dans le rapport auquel je viens de faire allusion, nous avions inscrit, en priorité de nos propositions, la réforme de la carte judiciaire, point de passage obligé avant toute autre considération. À cette époque où l’on ne parlait pas encore de spécialisation des juridictions, il ne s’agissait que de mieux faire coïncider les volumes de contentieux, relativement stables, avec le positionnement et les moyens de ces dernières. Cette démarche visait à corriger des disproportions ou des singularités historiques, parfois considérables et que les magistrats ne manquaient pas de déplorer à chacune de nos visites.

Je me souviens, en particulier, du débat qu’avait engendré une comparaison surprenante entre la situation de Meaux et celle de Nancy. Cette évocation me donne l’occasion de dire bien haut combien nous nous réjouissons de voir qu’il s’est enfin trouvé un garde des sceaux, plutôt une garde des sceaux – ceci explique peut-être cela ! – …

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

…pour s’attaquer résolument à ce problème.

Puis-je ajouter à ce compliment un souhait et un regret ?

Tout d’abord, je souhaiterais que les cartes comparées de l’appareil judiciaire, tel qu’il est, et des volumes de contentieux, tels qu’ils sont, soient établies et publiées, si ce n’est déjà fait. II me semble que le simple rapprochement de ces deux cartes serait fort éloquent. Il devrait faciliter la compréhension et, peut-être, relativiser les plaintes sur l’insuffisance de concertation préalable. Ces plaintes peuvent être justifiées, comme M. Yves Détraigne l’a rappelé, mais elles masquent aussi parfois l’absence d’une justification sérieuse de certaines résistances.

Ensuite, je regrette que les cours d’appel ne semblent pas concernées par la présente démarche. Nous sommes quelques-uns à nous en inquiéter. En effet, leur dispositif relève quelquefois d’un passé d’ancien régime, certes émouvant, pittoresque et sympathique, mais ne correspondant guère aux problèmes actuels.

Enfin, il faudrait que le recours systématique aux audiences foraines permette de préserver une certaine proximité. Il est assez facile d’organiser de telles audiences, et ce point me semble très important.

Mais la réforme de la carte judiciaire est en cours, voire, semble-t-il, très avancée. Elle n’est donc pas au premier plan de l’actualité judiciaire, qui, en revanche, est marquée par un climat psychologique relativement tendu. Cette tension se traduit inévitablement par l’importance, sans doute excessive, qui est accordée à certains événements ou certaines initiatives, avec l’aide d’une presse dont la nature – il faut le reconnaître – est de mettre de l’huile sur le feu plus volontiers que du baume sur les irritations.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Précisons immédiatement que cette problématique concerne l’action gouvernementale. Par conséquent, il ne nous appartient pas de la commenter et, moins encore, de nous en mêler.

Toutefois, certains de ses aspects touchent, de manière plus ou moins directe, à des questions institutionnelles et, à ce titre, concernent notre assemblée, soit qu’elles rouvrent un débat ancien au cours duquel nous avons naguère avancé des propositions qui méritent d’être rappelées, je veux parler de la question du statut du parquet ; soit qu’elles viennent enrichir et stimuler le travail législatif suscité par la révision récente de la Constitution, pour ce qui est du Conseil supérieur de la magistrature.

S’agissant du statut du parquet, il est permis de penser que certaines difficultés, qui sont récemment survenues, trouvent une partie de leur explication dans la confusion toujours entretenue entre la fonction de procureur et celle de juge.

Nos traditions font sans doute que les uns et les autres sont des magistrats et que leurs carrières sont en quelque sorte fondues. Il n’en demeure pas moins que les juges sont seuls chargés de rendre la justice. Cette responsabilité leur confère une dignité particulière dont les procureurs ne sauraient se prévaloir.

J’ai l’impression que cette distinction, si fondamentale, est quelque peu oubliée. Je pense, par exemple, au cas de convocation à la Chancellerie, encore que, selon moi, une telle convocation ne mérite d’être interprétée par personne comme un abus d’autorité. Ce n’est pas le tribunal de l’Inquisition, que je sache ! Cette démarche ne peut être critiquée, si ce n’est par ceux qui n’admettent en réalité aucune autorité, confondant ainsi l’indépendance, qui est le propre des juges, avec l’autonomie, qui n’a pas lieu d’être dans un service public. En effet, nous n’en sommes plus au temps où les magistrats étaient propriétaires de leurs charges.

Je trouve ici l’occasion de rappeler que notre assemblée a voté naguère une réforme du parquet qui faisait relever celui-ci d’une autorité indépendante, un procureur général de la République n’appartenant pas au Gouvernement et, donc, à l’abri de toutes suspicions politiques. Malheureusement, le processus législatif dans lequel cette disposition s’inscrivait s’est interrompu.

Il faudra peut-être revenir, un jour, à cette idée qui permettrait une gestion de l’action publique convenablement hiérarchisée, à l’abri précisément du soupçon de politisation dont on abuse, bien sûr, mais que l’on ne peut ignorer. Nous ne renoncerions pas pour autant aux exigences de la cohérence et de l’efficacité qui doivent caractériser l’exercice de l’action publique.

Ma dernière réflexion sera pour exprimer la surprise de beaucoup d’entre nous, ayant pris connaissance de la critique à laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a cru pouvoir se livrer à l’égard d’une initiative très particulière de la Chancellerie, qu’il a qualifiée de « précipitée ». II ne me semble pas que de telles appréciations entrent dans ses attributions.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Je suis content de vous faire rire, madame Borvo Cohen-Seat, car je vais vous citer dans un instant. Sans doute tout magistrat, comme toute personnalité, a-t-il le droit d’être assisté et même défendu dès lors qu’il est mis en cause. Mais cette mission peut incomber à des organisations professionnelles ou aux parlementaires. Ce matin, j’ai entendu avec plaisir M. Jean-Pierre Sueur, d’ailleurs soutenu par vous, madame Nicole Borvo Cohen-Seat, évoquer un cas particulier sur ce sujet. J’estime que, dans ce cas, nous étions tout à fait dans nos responsabilités.

La raison d’être et la responsabilité du Conseil supérieur de la magistrature ne sont pas de cette nature. Elles sont d’une portée et d’une dignité suffisante pour que l’institution n’ait rien à gagner d’initiatives particulières qui leur sont étrangères et qui ont comme un parfum de « remontrances » qu’aucun républicain ne devrait admettre.

Il conviendra, monsieur le président de la commission des lois, de se souvenir de cette question quand nous aurons à examiner la loi organique mettant en œuvre la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Est-il nécessaire de le rappeler ? Cette loi a été votée à Versailles, en juillet dernier, par deux voix de majorité.

Ainsi, tout en respectant les responsabilités et prérogatives propres au Gouvernement et sans rien oublier des égards dus à ceux qui portent la lourde charge de poursuivre et, plus encore, de juger, nous apporterons notre contribution à l’œuvre de justice dans le seul souci de rendre celle-ci plus conforme aux attentes des Français.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le temps m’étant compté, je ne polémiquerai pas avec M. Fauchon qui m’a pourtant interpellée.

Je signalerai simplement, madame la garde des sceaux, que le budget que vous nous présentez est en augmentation de 2, 65 % par rapport à celui de 2008. Il s’élève à 6, 66 milliards d’euros et il convient d’en souligner l’ampleur modeste. Alors que l’État supprime 30 600 emplois de fonctionnaires en 2009, le ministère de la justice créerait 952 emplois nouveaux.

Puisque nous devons nous conformer à la loi organique relative aux lois de finances que je n’ai pas votée, je précise qu’il s’agit, en réalité, de 22 équivalents temps plein pour les magistrats et d’un glissement d’emplois pour les greffiers. Celui-ci est bénéfique, puisqu’il augmente leur nombre de 150 greffiers, mais il diminue d’autant le nombre d’agents de catégorie C. Par conséquent, cette évolution, bien que positive, ne fait pas progresser les effectifs globaux alors même que ceux-ci sont très insuffisants.

Je remarque d’ailleurs que les rapporteurs pour avis, même s’ils appellent à adopter les crédits de cette mission, sont assez critiques dans leurs propos.

Je ne m’appesantirai pas davantage sur les chiffres ; il y aurait beaucoup à dire mais je viens, à l’instant, de dire l’essentiel.

Madame le garde des sceaux, l’une de vos priorités est de dépenser mieux, et non de dépenser plus. Mais que veut dire au juste « dépenser mieux » ? Cela signifie-t-il incarcérer davantage ? Cela veut-il dire supprimer des tribunaux d’instance, et rendre ainsi l’accès au droit plus difficile ?

Vous l’aurez compris, nous désapprouvons l’affectation des moyens au sein de ce projet de budget pour 2009. Votre politique pénale nous paraît vouée à l’échec en ce qu’elle est parfois incohérente et qu’elle continue de provoquer des drames humains insupportables.

La lutte contre la récidive illustre notamment cet échec. La politique menée à l’encontre des mineurs délinquants et l’explosion carcérale actuelle montrent à l’évidence que les résultats ne sont pas ceux que l’on pourrait attendre d’une amélioration de la politique pénale.

Les peines planchers, instituées par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, devaient avoir un effet dissuasif. Elles aboutissent en fait à une augmentation du nombre de détenus alors que vous vous plaisez à dire que les actes de délinquance diminuent ; ce constat s’avère par ailleurs douteux car, s’il est peut-être vrai que les vols de portables diminuent, la délinquance violente augmente. Cet accroissement du nombre de condamnations montre en tout cas que l’effet dissuasif des peines plancher ne fonctionne pas. C’est l’exact opposé de ce que vous avez présenté comme un bilan positif.

En outre, à vous entendre, les juges n’auraient pas dû voir leur liberté d’appréciation remise en cause par cette loi. Pourtant, fin septembre, la Chancellerie, jugeant insuffisante l’application des peines plancher, a donné pour instruction aux procureurs de faire appel des jugements écartant la peine minimale. En conséquence, la liberté du juge du siège a, de fait, disparu puisque ses décisions sont systématiquement remises en cause.

La politique menée à l’encontre des mineurs délinquants ne recueille pas, non plus, notre approbation. Nous nous attendions au pire avec les conclusions de la commission Varinard sur la justice des mineurs, et nous avions malheureusement raison : l’objectif est de remettre en cause la primauté de l’éducatif dans le texte qui fonde la spécificité de la justice des mineurs.

Déjà, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse enjoint aux éducateurs de se concentrer sur les missions de contrôle, de probation, d’aménagement des peines et d’accompagnement de l’incarcération. Les crédits alloués à la protection judiciaire de la jeunesse pour 2009 traduisent cette logique. En baisse de 2, 1 %, ils sont prioritairement affectés à la mise en œuvre des mesures pénales.

Les mesures éducatives, dont les crédits accusent une chute importante, seront progressivement abandonnées et laissées sous la responsabilité des départements et des associations, ce qui pose de très graves problèmes du point de vue de l’égalité des citoyens sur tout le territoire. La précédente défenseure des enfants avait en effet signalé que, selon les départements, les principes et les philosophies étaient très différents, ce qui n’avait d’ailleurs pas plu à tout le monde.

L’incarcération des mineurs ne cesse d’augmenter, de même que leur enfermement au travers des centres éducatifs fermés, les CEF. Franchement, eu égard aux tentatives de suicide et aux suicides que nous connaissons actuellement, l’accroissement de l’enfermement des mineurs ne saurait être traité en termes de flux. C’est, au contraire, une question de fond. Je constate que les procureurs ont reçu pour instruction de recourir systématiquement à la présentation des mineurs devant la justice et d’interjeter appel lorsque leurs réquisitions de placement en détention provisoire ne sont pas suivies.

Lorsqu’un adolescent s’est suicidé en octobre à la maison d’arrêt de Metz-Queuleu – c’est le quatrième suicide depuis le début de l’année dans cette prison pourtant présentée comme modèle –, il vous a bien fallu réagir tant l’émotion suscitée par cette affaire fut grande. C’est pourtant le procureur, qui n’avait fait qu’appliquer vos instructions, qui a été désigné comme responsable d’une décision qualifiée d’« injuste ».

De même, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, vient de rendre un rapport accablant après le suicide, en février dernier, d’un adolescent à la prison de Meyzieu, estimant que ce drame fait suite à de graves lacunes de l’administration pénitentiaire.

Dans ces conditions, il serait provocateur de reprendre la proposition de la commission Varinard qui vise à abaisser l’âge de la majorité pénale à douze ans, et qui permettrait donc d’incarcérer un enfant dès cet âge.

Les adultes ne sont pas plus épargnés : quatre-vingt-dix suicides ont été enregistrés depuis le début de l’année, et, ce week-end, il faut encore déplorer le suicide d’un jeune homme de vingt-sept ans qui accomplissait une courte peine.

De tels drames seraient pourtant évitables si le corps judiciaire n’était pas soumis à des tensions insupportables entraînées par une politique pénale centrée sur l’emprisonnement.

Votre priorité reste le renforcement du parc pénitentiaire, avec l’ouverture programmée en 2009 de sept établissements et, évidemment, l’augmentation du nombre de places en prison ce qui, eu égard à la surpopulation actuelle, paraît l’évidence même. Toutefois, chacun sait que l’augmentation du nombre de places disponibles en prison est vouée à se poursuivre indéfiniment. Nous avons connu un nouveau record au 1er juillet 2008, avec 64 250 détenus recensés à cette date. Et l’on prévoit que le nombre de détenus pourrait s’élever à 80 000 en 2017, un chiffre suffisamment sérieux pour avoir été repris par le centre d’analyse stratégique dans sa note du 17 septembre 2007, intitulée Contrôle des lieux d’enfermement : les enjeux internationaux. Je ne sais pas où nous allons…

Pour résumer, nous sommes pris dans un cercle vicieux que le Gouvernement refuse délibérément d’arrêter, en faisant adopter des lois toujours plus répressives. Dès qu’une voix s’élève pour critiquer votre politique pénitentiaire, à l’instar de celle de Martine Herzog-Evans, qui vient de démissionner de la commission chargée d’accorder un label européen à certaines prisons, des pressions sont exercées afin qu’aucun cheveu ne dépasse, si vous me permettez d’employer cette expression.

Les rapports successifs du commissaire européen aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ne suscitent pas la moindre émotion à la Chancellerie. Ce devrait pourtant être le cas tant ils dénoncent une situation intolérable, que les parlementaires français avaient déjà, par le passé, jugée insupportable et qui, depuis, ne s’est pas améliorée, loin s’en faut.

Je crois vraiment qu’il est temps de changer de politique pénale. Dans ce contexte, nous ne pouvons approuver ce projet de budget. Je dois dire également que le projet de loi pénitentiaire, que vous avez présenté en conseil des ministres le 28 juillet dernier, apparaît, d’une part, en total décalage avec vos actions et, d’autre part, terriblement insuffisant en termes de moyens alloués aux administrations.

À mon tour, je veux m’associer à l’hommage qui a été rendu à tous les personnels – magistrats, personnels de l’administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse –, qui accomplissent un travail très difficile mais sont sans cesse attaqués d’une façon ou d’une autre, y compris par le Gouvernement, qui est censé les protéger.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Madame le garde des sceaux, le budget qui nous est présenté est à la hauteur des ambitions et des objectifs que vous vous êtes assignée depuis votre arrivée au Gouvernement.

Alors que nous sommes, et c’est peu de le dire, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, le budget de la justice augmente de 2, 6 % en crédits de paiement. J’y vois le signe que la justice constitue bien l’une des priorités du Gouvernement, ce dont le groupe UMP se félicite.

Ce budget est l’un des seuls, si ce n’est le seul, à enregistrer des créations d’emplois alors que le budget de l’État prévoit plus de 30 000 suppressions d’emplois sur l’ensemble des missions. Ce sont, au total, 952 emplois supplémentaires qui permettront, notamment, de faire face à l’ouverture des 5 130 nouvelles places de prison prévues dans le cadre du programme dit des « 13 200 » issu de la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, présentée à l’époque par Dominique Perben.

Ce budget est volontaire et particulièrement cohérent avec les grandes réformes que vous avez récemment entreprises, madame le garde des sceaux, ainsi qu’avec celles qui vont être prochainement mises en œuvre afin de moderniser notre justice.

Il permet, tout d’abord, de renforcer la lutte contre la récidive, conformément à la loi du 10 août 2007. Nous savons que, sur le fondement de cette loi, 14 000 récidivistes ont déjà été condamnés, dont 50 % à des peines planchers.

Toutefois, la lutte contre la récidive ne consiste pas uniquement en une politique pénale plus ferme ; elle passe aussi par une politique pénitentiaire plus ambitieuse, en termes non seulement de nombre de places disponibles, mais aussi de conditions de détention et d’actions de réinsertion à l’égard des détenus, ces dernières devant être renforcées à travers une politique d’aménagement de peine dynamique.

Une politique pénale n’est en effet légitime que si elle repose sur le strict respect de la personne humaine en détention. Cela a déjà été dit, à juste titre.

Nous sommes nombreux dans cette assemblée à dénoncer depuis longtemps la situation dans les prisons françaises. Une telle situation ne date pas d’hier. En 2002, le Gouvernement avait décidé de s’y attaquer au travers de la loi de programmation dont je parlais à l’instant et qui commence, aujourd’hui, à porter ses fruits. Nous savons que les conditions de détention en France ne sont pas acceptables, que le taux de surpopulation carcérale, qui a atteint 126, 5 % au 1er juillet 2008 et peut aller jusqu’à 200 % dans certains établissements, n’est pas admissible.

Pour autant, votre projet de budget répond à cette préoccupation majeure puisqu’il tend à permettre la poursuite du programme immobilier lancé en 2002 et que sept établissements pénitentiaires nouveaux ouvriront leurs portes en 2009, ce qui représentera 5 130 places nouvelles. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Toutefois, on observe trop souvent que les investissements publics sont livrés avec retard. Aussi, je souhaiterais, madame le garde des sceaux, que vous puissiez nous rassurer quant à la réalisation effective de ces nouveaux établissements pénitentiaires en 2009.

Le groupe UMP est également satisfait de l’augmentation de plus de 4 % des crédits de paiement du programme « Administration pénitentiaire », laquelle mérite d’être soulignée et permettra de poursuivre les efforts engagés pour rendre les prisons françaises plus dignes et les mettre en conformité avec les normes européennes, ce qui constitue l’une des préoccupations du Gouvernement.

À cet égard, nous appelons de nos vœux, comme l’a indiqué Jean-René Lecerf tout à l’heure, l’inscription rapide à l’ordre du jour du Parlement du projet de loi pénitentiaire, qui doit apporter un certain nombre d’améliorations s’agissant notamment de la réinsertion des détenus.

Il est grand temps effectivement d’accorder toute leur place aux impératifs d’insertion et de réinsertion à la sortie de prison, afin d’assurer un meilleur respect des droits fondamentaux des personnes détenues.

Madame le garde des sceaux, vous pouvez d’ores et déjà compter sur notre soutien pour mener à bien cette réforme nécessaire et urgente, que nous souhaitons ambitieuse.

Ce projet de budget est animé par une véritable volonté de modernisation que nous saluons avec force. Pierre Fauchon et d’autres orateurs avant lui ont évoqué la carte judiciaire. Elle constitue, me semble-t-il, la première étape de cette modernisation. Elle se met actuellement en place et permettra à la justice de gagner en cohérence, en qualité, en efficacité et en crédibilité, tout en restant proche des citoyens. Rappelons qu’il s’agit d’un engagement qu’avait pris le Président de la République, avec la réforme de l’organisation judiciaire.

Comme certains, je considère qu’un certain nombre de juridictions spécialisées doivent effectivement voir le jour. Nous l’avions d’ailleurs dit à l’occasion de l’examen dans cet hémicycle du projet de loi de lutte contre la contrefaçon, dont j’étais rapporteur.

Maintes fois reportée, cette réforme de la carte judiciaire a été lancée par votre ministère avec courage et détermination, madame le garde des sceaux. C’est une réforme de bon sens et de responsabilité, qui est dans l’intérêt même du justiciable.

Avec la nouvelle carte, un tiers des juridictions seront regroupées. Les moyens nécessaires sont au rendez-vous, puisque près de 427 millions d’euros sont prévus pour financer cette importante réforme.

Une justice qui se modernise, c’est aussi une justice qui se met à l’heure du numérique, surtout en matière civile, tant il est vrai qu’en matière pénale il faut savoir rester quelque peu prudent.

À l’heure des nouvelles technologies, la justice doit être capable de dématérialiser et de fluidifier la transmission des pièces. L’informatisation des juridictions a longtemps été lacunaire. Aussi, madame la ministre, je souhaiterais que vous nous indiquiez le calendrier de mise en service des principaux projets informatiques de la Chancellerie et que vous nous précisiez quelles améliorations ils apporteront au fonctionnement de la justice.

Enfin, je voudrais saluer la priorité que vous accordez à la prise en charge des mineurs délinquants.

À ce sujet, madame la ministre, vous avez créé, à titre expérimental, des centres éducatifs fermés « psychiatriques » pour les mineurs. Pouvez-vous nous dresser un bilan de l’expérimentation de ces centres et nous dire si vous entendez la poursuivre ?

Sous réserve de ces observations, et pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera les crédits de cette mission, qui porte la marque de votre détermination à œuvrer pour une justice ferme, humaine, ouverte à tous et modernisée.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Justice » constitue un moment fort de la discussion du projet de loi de finances dans la mesure où ce ministère, sans doute plus que d’autres, revêt une dimension symbolique, dont la connotation est double : d’un côté, la justice incarne une des missions les plus régaliennes de l’État ; de l’autre, elle est le rempart protecteur dont chaque citoyen peut et doit bénéficier, y compris le plus modeste.

En conséquence, l’examen des crédits de la mission « Justice » ne saurait se résumer à un simple alignement de chiffres ou à un froid commentaire de texte sur les dépenses de fonctionnement ou sur ses actions, mais doit être bel et bien une confrontation d’idées, dans le respect des règles d’éthique qui sont celles de la nature même de la République, ce ministère gérant non pas des productions, mais des destins humains.

C’est pourquoi je voudrais aborder, ce matin, la question de l’incarcération, qui, depuis un certain nombre d’années, est, ici ou là, au centre de toutes les discussions relatives à la justice.

En ce début du xxie siècle, cette question atteint son paroxysme en raison de la surpopulation carcérale, indigne d’une démocratie moderne. Comment accepter que, dans certaines maisons d’arrêt – je pense à celle de Rodez, que je connais bien –, les condamnés se retrouvent à sept ou à huit dans une cellule prévue pour cinq personnes, avec, pour résultat, une promiscuité insoutenable entre les personnes en détention provisoire et celles qui purgent de courtes peines ?

Certes, nous n’en sommes pas revenus au temps du bagne de Cayenne, dont la France – je ne l’oublie pas – doit la suppression à une éminente figure du groupe auquel j’appartiens, Gaston Monnerville, à l’époque où, peu avant la guerre, celui-ci exerçait les fonctions de sous-secrétaire d’État aux colonies, avant de devenir plus tard le charismatique président de la Haute Assemblée.

Du reste, comment oublier, madame la ministre, que ce fut dans ce même hémicycle, à quelques mètres de nous, qu’un pair de France, sous la Monarchie de Juillet, un jour qu’il se rendait au palais du Luxembourg, fut si frappé par le spectacle d’un forçat enchaîné conduit par les gendarmes qu’il imagina aussitôt en séance son personnage de Jean Valjean, des Misérables ? Vous l’avez reconnu, je fais référence à Victor Hugo, qui fut sénateur de la Seine et grand militant de l’abolition de la peine de mort.

Partageant une idée chère au grand public et à un certain nombre de juristes, les rédacteurs du code pénal napoléonien ont vu dans la peine privative de liberté une panacée contre la délinquance, avec pour double objectif l’élimination des condamnés mis à l’écart de la société, et, de ce fait, ne pouvant plus lui faire courir de risques, et la dissuasion pour ceux qui voudraient imiter leur exemple.

Mais cette idée était bien antérieure au xixe siècle, conforme à toute une tradition répressive qui faisait de la justice un instrument punitif et non éducatif.

Les choses ont aujourd’hui évolué, et force est de constater que l’emprisonnement n’a pas rempli ces deux rôles qu’on espérait lui voir jouer, et ce pour deux raisons essentiellement : le contexte de surpopulation carcérale et le caractère criminogène avéré de la prison.

La prison n’a donc pas empêché la délinquance de progresser et n’a nullement guéri les condamnés libérés, puisque les récidivistes sont nombreux, et même trop nombreux. Cela nous conduit naturellement à chercher, au moins pour les petits délinquants, toutes les solutions possibles pour favoriser les peines substitutives à l’incarcération.

Pour parvenir à cet objectif, certes sans verser dans l’angélisme mais en demeurant fidèle aux valeurs humanistes, il ne suffit pas d’élargir les possibilités de recours à des mesures de substitution, mais aussi de renforcer leur efficacité.

Tout d’abord, il serait bon d’améliorer la prise en charge des condamnés, afin d’inciter les magistrats à prononcer, dans des délais utiles, c’est-à-dire avant que le prévenu n’arrive en fin de peine, des peines autres que l’incarcération, au sens large du terme : peines de substitution à l’emprisonnement, conversions de peine, placements sous le régime de la semi-liberté.

Les peines de substitution ne trouvent leur pleine crédibilité que par une meilleure prise en charge des condamnés par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, ou par l’intensification des liens entre les services du milieu ouvert et ceux du milieu fermé.

Dans le même esprit, on peut encore tenter de relancer un certain nombre de mesures insuffisamment prononcées, comme l’ajournement du prononcé de la peine avec mise à l’épreuve, qui paraît adapté à la petite délinquance, ou la peine de jour-amende, qui est trop peu utilisée. Ne pourrait-on envisager, enfin, de donner à cette peine son plein caractère de solution de remplacement à l’emprisonnement en prévoyant que le condamné devra procéder spontanément au paiement de la somme fixée ?

C’est l’une des pistes qu’il convient d’explorer, en conservant à l’esprit que la semi-liberté est toujours préférable à l’incarcération totale, puisqu’elle évite la rupture des liens sociaux, professionnels et familiaux, et qu’elle constitue ainsi un réel outil de préparation à la sortie.

L’élargissement du champ d’application des solutions de remplacement à l’incarcération englobe donc l’ensemble des peines et des mesures s’exécutant en milieu dit « ouvert ». Il concerne de ce fait non seulement les peines de substitution à l’emprisonnement, mais encore les mesures susceptibles d’être prises par le juge de l’application des peines, qu’il s’agisse des conversions de peine ou de l’exécution de celle-ci en milieu ouvert : suppression du consentement du condamné, remplacement de la contrainte par corps par un travail d’intérêt général, ou TIG, autorisation de prononcé d’un TIG pour les mineurs de treize à seize ans, création de la possibilité d’une libération conditionnelle avec TIG.

Dans la même logique, il conviendrait d’accroître les compétences du juge d’application des peines, qui est le magistrat le plus souvent au contact des condamnés, et de lui confier de nouveaux pouvoirs d’exécution des peines, tout en renforçant ses prérogatives en la matière.

Alors, et alors seulement, l’amélioration de l’efficacité d’une peine pourrait constituer un instrument de réinsertion sociale.

Nous sommes sans doute nombreux ici à considérer que la prévention vaut mieux que la répression, et qu’une bonne politique judiciaire n’a pas seulement pour but d’éviter la surpopulation carcérale. Le renforcement de l’aspect pédagogique de la peine doit être toujours recherché en priorité, tout autant que l’amélioration de la prise en charge des délinquants.

Si, tous, nous nous donnions les moyens d’y réfléchir, le Gouvernement comme le Parlement, l’administration comme le monde associatif, les magistrats comme les avocats, cela constituerait sans nul doute un réel progrès dans la prévention de la récidive.

Repensons les procédures, revisitons la réglementation, laissons les parties concernées s’exprimer, et nous pourrons dépoussiérer l’attirail des peines et les rendre plus efficaces.

À titre d’exemple, les projets individualisés d’exécution de la peine devraient associer davantage les détenus ; c’est une des voies, parmi d’autres, qui permettraient l’amélioration de l’individualisation administrative et judiciaire des peines.

Sous l’impulsion de son président de l’époque, Guy Cabanel, le groupe RDSE, en digne garant des traditions humanistes de la République radicale, s’est longtemps consacré à la recherche de solutions novatrices pour répondre aux diverses questions que je viens d’évoquer.

L’inexorable augmentation de la population carcérale impose non seulement de conduire une réflexion approfondie sur les améliorations susceptibles d’être apportées, mais encore de rechercher des solutions trop timidement envisagées jusqu’ici. En un mot, il nous faut innover.

À cet égard, la surveillance électronique demeure probablement la solution d’avenir. Les progrès techniques, en effet, permettent d’envisager un nouveau mode de contrôle des délinquants en milieu ouvert, de nature à améliorer leurs chances de réinsertion. C’est là une solution de substitution fiable qui, du reste, a fait ses preuves là où les expérimentations ont été mises en œuvre et qui inverse de façon constructive le « tout-prison », que l’administration pénitentiaire ne parvient guère à gérer.

J’ai noté avec intérêt les souhaits que vous avez exprimés, madame le garde des sceaux, en matière de mesures d’aménagement des peines d’emprisonnement : le placement sous surveillance électronique mobile, la semi-liberté, le placement extérieur, le recours à la libération conditionnelle ou aux suspensions de peine, autant de mesures que je ne puis qu’approuver si elles deviennent effectives.

Mais il faudra sans doute bien davantage que des formules pour changer les mentalités, et seule une réelle volonté politique, comme celle qu’avait naguère manifestée notre très estimé collègue Robert Badinter dans son combat pour l’abolition de la peine de mort, pourra venir à bout d’un système dont on mesure aujourd’hui les limites et dont les conséquences pour la réinsertion des détenus sont désastreuses.

Au terme de mon intervention, je mesure l’effort budgétaire particulier programmé par votre ministère. Je ne peux y être insensible, mais, je le répète, l’enjeu est bien plus vaste. Il est d’abord celui du devenir de destins humains ; il est ensuite celui de la dignité d’hommes et de femmes, parfois d’enfants, que nous devons remettre debout, même si la tâche n’est pas facile, j’en conviens ; il est enfin celui d’un équilibre à trouver entre la répression des crimes et l’éducation des peines, c’est-à-dire la définition même de la justice.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, avant de parler des crédits de la mission « Justice », permettez-moi de revenir sur le contexte particulier de cette matinée.

Madame le garde des sceaux, je ne peux me satisfaire des éléments de réponse que vous avez apportés tout à l’heure à la suite de la grave affaire mettant en cause les libertés publiques et le droit de la presse, qui vient de survenir.

Je formulerai cinq observations.

Première observation : l’adresse et les coordonnées précises du journaliste, de son journal et de son avocat figuraient au dossier. Par conséquent, était-il bien nécessaire de l’interpeller à six heures quarante du matin, de le menotter, de lui interdire d’appeler son avocat et de lui infliger les traitements qui ont été décrits dans la presse ?

Deuxième observation : un fonctionnaire a-t-il réellement déclaré que ce journaliste est « pire que la racaille » ? Si les faits sont avérés, une enquête s’impose ; s’ils ne le sont pas, que le Gouvernement défende alors ce fonctionnaire !

Troisième observation : le porte-parole de l’UMP, le député Frédéric Lefebvre, a déclaré que le traitement réservé à ce journaliste est « surréaliste ». Il a ajouté que la « méthode utilisée dans une simple affaire de diffamation semble tellement disproportionnée qu’elle nous paraît devoir donner lieu à une enquête ». Le porte-parole de l’UMP viole-t-il l’indépendance des magistrats ?

Quatrième observation : votre collègue Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, a fait part de son souhait « que toute la lumière soit faite sur les circonstances dans lesquelles ce journaliste a été présenté devant la justice ». Mme Albanel demande donc une enquête. Viole-t-elle le principe de l’indépendance des magistrats ?

Cinquième et dernière observation : ce qui est en cause dans cette affaire, c’est la liberté de la presse. Certes, chaque juge d’instruction est libre de recourir aux moyens qui sont à sa disposition ; pour autant, il doit rester dans le cadre de la loi et des principes de la Constitution.

Permettez-moi de rappeler les termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

Il n’y a jamais eu de mandat d’amener pour une affaire de diffamation. Une affaire de diffamation ne peut en aucun cas entraîner l’emprisonnement d’une personne en vertu de la loi. Par conséquent, il s’agit d’une grave menace aux principes de la liberté de la presse et aux principes fondamentaux qui fondent notre droit.

Madame la ministre, je ne comprendrais pas qu’en votre qualité de garde des sceaux vous ne demandiez pas une enquête précise sur ces faits.

Je reviendrai brièvement sur d’autres éléments du contexte judiciaire qui ont déjà été évoqués par de précédents intervenants.

On constate une perte de confiance de nombre de magistrats et de fonctionnaires dans leur ministre. Elle résulte des incohérences de votre politique pénale, madame le garde des sceaux. Ainsi, par exemple, vous réclamez plus de sévérité pour les mineurs et, dans le même temps, vous fustigez les magistrats ayant décidé l’incarcération d’un mineur qui s’est suicidé durant sa détention.

Je ne reviendrai pas sur les positions prises par le Conseil supérieur de la magistrature le 27 novembre dernier. Il y a eu la forte mobilisation du 23 octobre. Il y a eu le texte signé par 534 magistrats pour dénoncer l’« incohérence des politiques pénales », « les injonctions paradoxales », une politique qui développe les peines planchers tout en demandant des aménagements de peines. Il y a la tutelle sur les procureurs, les mutations de procureurs contre leur gré et contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, lorsque ces procureurs, voire des procureurs généraux, ne sont pas priés de solliciter leur mutation ! Je pense ne pas inventer.

Dans sa décision du 13 juillet 2008, la Cour européenne des droits de l’homme écrit que, en France, « le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion ».

Eu égard à ce contexte, ma question est très simple, madame le garde des sceaux : le temps presse, le malaise existe, que comptez-vous faire pour rétablir tout simplement la confiance ?

J’en viens au projet de budget proprement dit.

Mes collègues évoqueront tout à l’heure la politique pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse. Je m’en tiendrai à quelques réflexions sur les actions relevant de la justice.

Comme l’ont souligné les rapporteurs, le nombre de magistrats diminue de 22 cette année par rapport à l’année dernière, et il y aura 217 départs à la retraite en 2009.

Le nombre de recrutements à l’École nationale de la magistrature passera de 250 en 2009, à 140 en 2011 et à 40 en 2012.

En ce qui concerne les fonctionnaires de justice, le déficit est flagrant.

Madame le garde des sceaux, vous annoncez la promotion de 150 agents de catégorie C en greffiers de catégorie B. En fait, et vous le savez parfaitement, il s’agit d’un tour de passe-passe, car ces postes sont non pas créés mais déplacés, 150 fonctionnaires de catégorie C devenant des agents administratifs.

Les effectifs des fonctionnaires de catégorie B subiront cette année une perte sèche de huit postes et 280 départs à la retraite.

Le nombre de greffiers de catégorie B et de secrétaires administratifs sera également en baisse.

M. Vincent Lamanda a rédigé, à la demande de M. Nicolas Sarkozy, un rapport intitulé Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux. Il préconise, dans sa recommandation n° 15, de renforcer les secrétariats des services de l’application des peines des juridictions : « Chaque cabinet de juge de l’application des peines devrait comprendre un greffier et un agent administratif. » Nous en sommes très loin.

Ma seconde question, après celles qui concernent l’affaire du journaliste de Libération, est simple : comment faire une meilleure justice avec moins de personnels, moins de magistrats, comment réduire les délais de jugement qui sont, encore aujourd’hui, très importants ? Et je ne dis pas cela dans cet hémicycle par hasard.

J’en viens à la carte judiciaire. Les crédits alloués aux opérations immobilières du fait de la réforme de la carte judiciaire n’apparaissent pas très clairement dans votre projet de budget.

Il est indiqué que 14 millions d’euros seront alloués à la carte judiciaire sans que l’on sache s’il s’agit de crédits destinés à indemniser les personnels des juridictions ou de crédits alloués aux aménagements immobiliers. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point, madame la ministre ?

Dans le titre « Dépenses d’investissements », il est indiqué que 15 millions d’euros seront alloués en crédits de paiement au titre des dépenses d’investissement liés à la carte judiciaire pour réaliser les travaux immobiliers. Les autorisations d’engagement s’élèveront à 80 millions d’euros. Or, ces sommes sont largement insuffisantes au regard des investissements qu’impose cette réforme.

Madame le garde des sceaux, en septembre 2007, la direction des services judiciaires a considéré que la seule suppression des tribunaux de grande instance nécessitait 247 millions d’euros pendant une durée de six ans.

Dans mon département, deux tribunaux d’instance – Pithiviers et Gien – seront supprimés à compter du 1er janvier 2010. Selon vos représentants, cette décision n’aura pas de conséquences dommageables puisque des maisons de justice et du droit seront créées. Mais pour que les maisons de justice et du droit aient de la crédibilité, il faut qu’au moins un greffier, membre de l’administration du ministère de la justice y soit affecté. Comment pouvez-vous, après avoir supprimé des tribunaux d’instance, créer des maisons de justice et du droit alors que les postes qui seraient nécessaires à leur fonctionnement sont en diminution ? C’est impossible, sauf à demander aux collectivités locales de payer, mais je crains que ce ne soit difficile pour elles. Par ailleurs, cela ne relève pas de leurs compétences. J’ajoute que la justice est par excellence une prérogative régalienne.

Enfin, les crédits de l’aide judiciaire sont en baisse de 14, 45 millions d’euros en crédits de paiement. Le plafond de ressources reste de 884 euros, ce qui est bien bas pour de nombreux justiciables.

J’aurais souhaité aborder d’autres sujets, mais je ne peux le faire faute de temps.

Madame le garde des sceaux, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Justice » pour des raisons qui tiennent à trois mots simples.

Tout d’abord, les moyens : on ne peut pas faire une meilleure justice sans moyens complémentaires.

Ensuite, la cohérence : elle manque à votre politique pénale.

Enfin, et c’est peut-être le plus important, la confiance, qui fait malheureusement défaut.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites, et je m’efforcerai donc de ne pas les répéter.

J’évoquerai les crédits de l’administration pénitentiaire avec la gravité qu’imposent les événements survenus ces derniers mois dans les prisons françaises.

Madame le garde des sceaux, une politique pénitentiaire est nécessairement une politique de sanction à l’égard des personnes qui n’ont pas respecté les règles sociales et qui ont causé un préjudice, parfois irréversible, à leurs victimes.

Une fois ce principe est posé, le débat est ouvert. Il s’agit de déterminer quel sort nous devons réserver aux détenus. Je répondrai par une formule : un juste sort.

Or, aujourd’hui, ce juste sort n’est pas acquis. Trop souvent, les détenus subissent une double peine. Une peine publique prononcée par le juge, conformément à la loi, à laquelle s’ajoute une peine secrète, peut-être plus difficile, qui est l’humiliation, l’abaissement de la personne, l’abandon à la violence et à la loi du plus fort, au fond, une peine de négation de l’homme dans le prisonnier.

Les suicides, notamment les suicides de mineurs, fournissent un exemple dramatique de cette réalité qui a valu à la France diverses condamnations de la part d’instances internationales, ce dont nous ne pouvons pas être fiers. Nous avons notamment été condamnés par le Comité européen de prévention de la torture en 2004 et en 2007, par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies cet été, ou encore dans le récent rapport du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

Dans ce dernier rapport, Thomas Hammarberg dénonce « les conditions de vie inacceptables de nombreux détenus, qui doivent faire face à une surpopulation, une absence de vie privée, des locaux vétustes, et une hygiène pauvre » ou encore « le haut niveau de suicides dans les prisons françaises [...] symptôme des défaillances structurelles du système pénitentiaire ».

Tout est dit ! Face à ce constat, que faire ?

Nous pourrions d’abord poser un principe simple, inspiré du même Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe : « Le plein respect des droits de l’homme ne doit pas souffrir des considérations sécuritaires ».

Malheureusement, les choix qui ont été faits dans ce projet de budget sont très éloignés de cette préoccupation.

Bien sûr, nous saluons la hausse des crédits de l’administration pénitentiaire, même si elle reste insuffisante. Nous savons combien elle est nécessaire pour les personnels comme pour les détenus, et, finalement, pour améliorer les conditions d’une réinsertion réussie à laquelle nous devons toujours penser.

Pour les personnels de l’administration pénitentiaire, il s’agit d’un budget en trompe-l’œil. Vous avez certes prévu des effectifs supplémentaires pour les prochaines années, mais, parallèlement, le parc pénitentiaire sera agrandi et de nouvelles missions seront confiées à cette administration. Nous pouvons donc craindre que les conditions de travail ne continuent à se dégrader.

Et surtout, madame le garde des sceaux, comment ne pas relever une incohérence qui prive votre effort budgétaire de son efficacité ? Vous refusez en effet de lier votre politique criminelle et ses conséquences pénitentiaires.

Votre politique répressive, notamment l’instauration des peines planchers, a provoqué une augmentation du nombre de détenus, comme l’ont rappelé plusieurs intervenants, notamment Mmes Escoffier et Borvo Cohen-Seat. Au 1er octobre 2008, cette augmentation était de 2 122 en un an, et même un peu plus à en croire certains propos. Au total, 63 185 personnes étaient emprisonnées en France au 1er octobre 2008, pour 51 000 places disponibles.

La misère pénitentiaire de notre pays trouve certainement là une de ces causes.

M. le rapporteur spécial a rappelé tout à l’heure que le taux d’occupation de nos prisons atteint en moyenne 126 % et que dans certains établissements, réputés pour leur vétusté, ce pourcentage, qui est déjà inadmissible, était dépassé.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Madame le garde des sceaux, votre obsession répressive vous conduit à remplir des prisons sans prévoir la création des places supplémentaires nécessaires, avec comme conséquences mécaniques une dégradation des conditions de vie des détenus, voire, pour les plus fragiles d’entre eux, des suicides. Les chances de réinsertion des autres sont compromises, et le risque de récidive augmente.

Le projet de budget de la mission « Justice » ainsi que le futur projet de loi pénitentiaire n’apportent pas les réponses que nous attendrions.

Une réforme pénitentiaire d’ampleur est indispensable – le groupe socialiste à l’Assemblée nationale a d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens –, et elle doit se fonder sur le sens de la peine, sur son contenu et sur sa mise en œuvre. Mais quel peut être le sens de la peine lorsque la prison devient un lieu d’injustice, voire l’école du crime ? Quelle est l’efficacité de la politique pénale lorsque l’homme qui retrouve sa liberté est détruit ou parfois rempli de haine par ses conditions de détention et, finalement, encouragé à la récidive ?

Le projet de loi pénitentiaire que vous nous présenterez prochainement ne va ni dans le sens de la réhabilitation ni dans celui de la réinsertion. Vous vous limitez à une gestion du flux par le jeu des peines alternatives ou des aménagements de peine.

Certes, vous améliorerez les statistiques, évitant peut-être ainsi une nouvelle condamnation de notre pays. Mais notre société ne disposera pas encore d’une politique pénitentiaire ambitieuse et humaine.

D’autres voies, notamment en faveur des plus fragiles, peuvent être explorées. C’est notamment le cas du suivi psychiatrique des détenus.

Là encore, comment ne pas noter que 30 % des détenus souffrent de troubles mentaux, et 15 % de pathologies lourdes ?

L’un des responsables de la section française de l’Observatoire international des prisons affirmait récemment ceci : « Les suicides au mitard de détenus ayant des troubles psychiatriques sont fréquents. » D’ailleurs, la France a récemment été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme sur ce sujet, dans un arrêt « Renolde contre France » du 16 octobre 2008, avec des considérations très sévères pour notre pays.

Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il s’agit là d’avertissements importants qui doivent nous inciter à envisager des créations de places d’internement psychiatrique adaptées. Nous devons faire en sorte que notre politique pénitentiaire à l’égard des plus fragiles, notamment les psychotiques, ne mette pas en place des « mouroirs psychiatriques ».

Voilà quelques années, Michel Foucault avait dénoncé la confusion qui était déjà entretenue entre folie et criminalité. Il est temps aujourd'hui de trouver des solutions.

Je terminerai en saluant le courage de notre collègue Jean-René Lecerf, qui avait déposé devant la commission des lois un amendement tendant à instituer un revenu minimum carcéral. Il s’agit là d’un projet d’autant plus courageux qu’il est peu susceptible d’apporter à ses promoteurs des gains de popularité ou des suffrages. Malheureusement, cet amendement a été retiré en commission.

Le Gouvernement nous a apporté des assurances à cet égard. J’espère qu’il tiendra ses engagements et qu’il n’invoquera pas l’irrecevabilité financière prévue par l’article 40 de la Constitution lorsque le Parlement sera de nouveau saisi d’une telle proposition. Encore une fois, cette idée ne procurera aucun bénéfice électoral à ses auteurs, mais elle traduit la vision que nous avons de notre pays et de notre mandat.

En tout état de cause, madame le garde des sceaux, pour les raisons que j’ai indiquées, le groupe socialiste votera contre le projet de budget de la mission « Justice ».

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Madame le garde des sceaux, de mon point de vue, le projet de budget de la mission « Justice » est décevant à plusieurs titres, et ce malgré l’autosatisfaction affichée par vous-même et par votre majorité en raison de l’augmentation globale des crédits de paiement de 2, 6 % et de la création de 952 emplois.

Mes critiques envers vos orientations budgétaires sont nombreuses, justifiées et argumentées, même si je n’espère malheureusement pas vous convaincre.

Tout d’abord, je tiens à rappeler un élément. C’est bien le Conseil de l’Europe, et non l’opposition parlementaire française, qui a classé la France au trente-cinquième rang des quarante-trois pays membres en matière de budget annuel de la justice par habitant. À mon sens, notre retard en ce domaine est inadmissible pour un pays qui se présente comme la patrie des droits de l’homme.

Or, loin de commencer à combler un tel retard, le projet de budget qui nous est aujourd'hui présenté permettra à peine de faire face à l’aggravation de la surpopulation carcérale et de financer les objectifs du Gouvernement en termes de construction de places supplémentaires « à confort amélioré ».

Pourtant, alors que vous êtes aujourd’hui aux responsabilités, il devrait vous revenir d’agir pour remédier à cette situation de surpopulation carcérale, pour améliorer notre classement et pour présenter un budget cohérent, efficace et ambitieux. Or la lecture de votre projet semble montrer que vous n’empruntez pas la meilleure voie pour y parvenir.

À titre d’illustration, je voudrais insister sur deux exemples.

D’une part, les moyens et les ambitions affichés en matière de protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, affichent un affaiblissement dangereux des mesures éducatives en faveur de la prévention de la primo-délinquance et de la lutte contre la récidive.

D’autre part – je m’exprime en tant qu’élue locale soucieuse de l’exercice de la justice sur l’ensemble du territoire avec une efficacité accrue, de mutualisations cohérentes et de dépenses maîtrisées –, je trouve inquiétant le coût de la réforme de la carte judiciaire qui est aujourd'hui annoncé. Cela a d’ailleurs été évoqué. Et je n’aborderai même pas les fortes réticences qui sont exprimées par des élus de toutes tendances politiques, y compris au sein de la majorité parlementaire, quant au fonctionnement et à l’organisation territoriale imposés.

Madame le garde des sceaux, en ce qui concerne la protection judiciaire de la jeunesse, votre projet de budget ne déroge pas à la tradition établie par le gouvernement précédent et perpétuée par vous l’an dernier.

En effet, le financement des mesures rééducatives et des actions en milieux ouverts pâtit de la priorité accordée au problème des mineurs délinquants, auquel vous apportez d’ailleurs seulement des réponses strictement pénales. Ce dernier volet perçoit ainsi environ 60 % des crédits, contre moins de 20 % pour l’aide aux mineurs ou aux jeunes majeurs en danger.

La protection judiciaire de la jeunesse connaît un net recentrage de ses activités. Les crédits alloués à l’action « Mise en œuvre des mesures judiciaires : mineurs délinquants » augmentent de 20 %. Parallèlement, les moyens attribués à l’action « Mise en œuvre des mesures judiciaires : mineurs en danger et jeunes majeurs » baissent de 40 %, soit une diminution de 96 millions d’euros. L’écart entre ces deux volets est déjà suffisamment flagrant. Mais il ne cesse de se creuser. L’an dernier, ces deux actions bénéficiaient respectivement de 50 % et de 30 % des crédits.

Le Gouvernement justifie de telles orientations budgétaires par l’évolution de la délinquance des mineurs, en s’appuyant sur des chiffres contestables et contestés.

Madame le garde des sceaux, je ne sais pas de quelles sources vous disposez pour affirmer que les mineurs délinquants sont toujours plus nombreux, plus jeunes et plus violents. Pour ma part, j’ai consulté les statistiques de la police et de la justice, et je n’ai pas fait les mêmes constats.

Selon ces chiffres, la part des mineurs dans l’ensemble des personnes mises en cause par la police et la gendarmerie est passée de 22 %, maximum atteint en 1998, à 18 % en 2007.

En outre, et contrairement à ce que vous affirmez, la répartition des condamnations prononcées par la justice selon les classes d’âge, c'est-à-dire les jeunes âgés de treize à seize ans, les mineurs âgés de seize à dix-huit ans et les adultes, est parfaitement stable.

Enfin, parmi les 203 700 adolescents mis en cause par la police, qui ne représentent que 5 % de l’ensemble de la population mineure française, seulement 1, 3 % était impliqué dans des actes criminels.

Madame le garde des sceaux, vous avez à juste titre invoqué devant l’Assemblée nationale les difficultés de la gestion d’une politique pénale face à l’opinion publique.

Certes, il est difficile de lutter contre l’émotion télévisuelle. Mais c’est précisément là un piège dans lequel nous devons nous garder de tomber. Le devoir des politiques n’est-il pas justement de ramener chaque dossier, chaque question, chaque problème à ses justes proportions et de ne pas se laisser entraîner vers la dérive de la gestion émotionnelle du fait divers ? Cette forme de gestion est affective et subjective, surtout lorsqu’il s’agit de victimes et d’auteurs d’actes de délinquance qui sont des enfants et des adolescents, c'est-à-dire des adultes en devenir.

Alors, soyons précis et soucieux des chiffres que nous affichons. Posons les problèmes tels qu’ils sont et non tels que les techniques de communicants en tout genre nous suggèrent de les commenter.

Le désengagement de l’État de la protection judiciaire de la jeunesse en général – les crédits baissent de 4, 2 % –, et de ses missions civiles en particulier, me semble inquiétant. La circulaire d’orientation budgétaire de rentrée de l’administration centrale de la PJJ impose ainsi le positionnement de ses services exclusivement au pénal.

À terme, le projet de budget qui nous est présenté renvoie aux collectivités territoriales, sans nulle précision chiffrée, toutes les mesures relevant des secteurs civil, éducatif, de la santé ou de l’insertion sociale. Voilà qui est préoccupant.

Bien évidemment, en tant qu’élue locale, je m’alarme du nouveau transfert prévisible par l’État de ses responsabilités financières vers les collectivités territoriales dans le cadre de la nouvelle prise en charge de la protection des mineurs en danger.

Les charges pesant sur les collectivités locales doivent-elles encore s’accroître au moment où leur budget est obéré par l’aggravation de leurs dépenses sociales obligatoires, qui sont encore appelées à augmenter à l’avenir, compte tenu de la situation économique ?

Comme nous sommes nombreux à le ressentir, pour le Gouvernement, en particulier pour votre ministère, le primat de l’éducatif sur le répressif n’est plus qu’un lointain souvenir ! Pourtant, Victor Hugo proclamait autrefois ceci : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison ! »

Loin de toute considération angélique, je m’interroge et vous interroge, madame le garde des sceaux. Où sont envisagées, chiffrées et budgétées les nécessaires coopérations, synergies ou mutualisations entre la PJJ, l’éducation nationale, la santé, la cohésion sociale et la réduction de la pauvreté ? Cela me semble pourtant indispensable à la cohérence, la rationalisation et l’efficacité de la dépense publique en la matière.

Où en sont les grands « plans banlieues » et autres dispositifs de prévention de la délinquance annoncés par le gouvernement auquel vous appartenez à grands renforts d’effets de manche, de budgets gelés sitôt votés et de coopérations interministérielles fantômes, dont nous attendons toujours l’embryon d’un début de mise en place ? Qu’en est-il des dizaines de milliers de places promises dans les dispositifs dits de « deuxième chance » ? Je pense aux écoles de la deuxième chance, aux centres ouverts de l’Établissement public d’insertion de la Défense, aux cadets de la police ou au service civil volontaire dans les associations ou collectivités locales.

Quels sont les liens, fonctionnels, organisationnels et budgétaires entre la justice, la PJJ, et ces dispositifs vers lesquels des milliers de jeunes pourraient être adressés avec une réelle chance d’insertion familiale, sociale et professionnelle, si seulement le Gouvernement respectait ses engagements ? Je tiens à le souligner, cela aurait un coût d’encadrement moindre que dans les centres fermés, dont le Gouvernement prône pourtant le seul développement. À cet égard, compte tenu de la diversité des parcours des jeunes qui y sont envoyés, la nécessité de tels centres reste encore à prouver, y compris aux yeux des professionnels y travaillant. Pour ma part, j’ai la conviction intime et profonde qu’il s’agit d’orientations vouées à l’échec. C’est même une spirale ascendante de dépenses injustifiées, au regard de la réalité de la délinquance des mineurs, de ses causes, qui ne seront en aucun cas traitées efficacement avec les seules mesures affichées.

Notre exigence de cohérence et de vision durable du budget de la justice est également nécessaire à l’organisation territoriale. J’en viens donc au deuxième point que je souhaitais aborder : la gestion immobilière de la réforme de la carte judiciaire.

Je ne reviendrai pas sur les chiffres qui ont été mentionnés par mon collègue Jean-Pierre Sueur.

Mais, madame le garde des sceaux, le coût global et le plan de financement prévus pour les investissements immobiliers induits par la réforme de la carte judiciaire viennent gravement compromettre les possibilités d’une politique judiciaire ambitieuse. D’ailleurs, en matière de délai de traitement des dossiers et de coût de revient, l’efficacité de cette démarche ne sera pas, me semble-t-il, au rendez-vous sans une réflexion approfondie et concertée sur la répartition des charges entre les tribunaux. Encore une fois, il y va de l’efficacité de la dépense publique.

Madame le garde des sceaux, vous avez répété à l’envi que vous n’improvisiez rien en matière de réformes et que plus de dix textes ont été publiés depuis votre arrivée à la Chancellerie.

Hélas ! un tel empilement de textes, conjugué à votre projet de budget, provoque une désorganisation massive de l’institution judiciaire et assombrit son avenir et ses rapports avec nos concitoyens.

Au-delà des chiffres, en apparence globalement en hausse, il faut se plonger dans les détails, car c’est là que se nichent souvent les failles. Or, pour 2009, elles sont nombreuses.

Une réforme vraiment utile de notre justice exigerait des moyens qui sont absents dans ce projet de budget. C’est pourquoi nous ne le voterons pas.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Tout d’abord, je souhaite répondre à la question qui m’a été posée par M. Sueur – cela me donnera également l’occasion de répondre à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat – sur l’interpellation de M. Vittorio de Filippis.

Dans un souci de clarté et de précision, je voudrais vous rappeler quelle a été la procédure suivie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes, comme moi, attachés au principe d’indépendance de la justice. En l’occurrence, dans cette affaire, il s’agit d’une constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction, donc d’une initiative tout à fait indépendante du parquet ou du garde des sceaux.

Dans cette affaire, il y a une personne qui est mise en cause. À trois reprises, on lui envoie une convocation. Elle ne défère pas aux convocations à trois reprises. Le juge d’instruction, en toute indépendance – et je suis attachée, tout comme vous, madame Borvo Cohen-Seat, à l’indépendance de la justice – délivre un mandat d’amener, ce qui est tout à fait possible dans le cadre des procédures.

C’est une procédure qui s’applique à tous nos concitoyens : lorsqu’une personne ne défère pas aux convocations d’un juge, ce dernier a la possibilité d’émettre un mandat d’amener à son encontre.

Je rappelle que, depuis la loi du 15 juin 2000, votée sous un gouvernement socialiste, la notification de la mise en examen ne peut plus se faire par voie postale comme c’était le cas auparavant. Cette disposition vise à préserver la présomption d’innocence en permettant à la partie mise en cause de s’expliquer. Il est donc de l’intérêt de cette dernière de déférer aux convocations.

Lorsqu’un citoyen ne défère pas aux convocations, on lui envoie un mandat d’amener. Cela ne veut pas dire qu’il est coupable. Il s’agit aussi de le protéger et de préserver ses droits. Il doit pouvoir venir s’expliquer.

Lorsque le mandat d’amener est délivré, la police va chercher cette personne. Il n’y a pas de procédure de garde à vue. La personne est directement dirigée au commissariat et emmenée au tribunal de grande instance de Paris.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Où on la traite de « pire que la racaille » !

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Vous n’en savez rien, vous n’y étiez pas !

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Monsieur le sénateur, vous m’avez demandé des précisions ; je vous rappelle simplement la procédure. Elle est valable pour tout le monde ! Je le répète, la loi du 15 juin 2000 préserve vos droits, et, si vous ne déférez pas aux convocations, on vous envoie un mandat d’amener avant de vous mettre en examen, s’il y a lieu.

Le juge d’instruction émet son mandat d’amener dans le cadre d’une procédure tout à fait régulière avec des outils juridiques qu’il est parfaitement autorisé par la loi à utiliser.

Sauf à ce que vous vouliez remettre en cause l’indépendance de ce magistrat dans cette affaire, la délivrance du mandat d’amener relève du pouvoir d’appréciation du juge.

Je vous l’ai dit, le parquet de Paris a demandé officiellement la communication de la procédure ce matin même.

S’agissant des journalistes, permettez-moi de vous rappeler deux éléments.

D’une part, le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes répond à l’engagement pris par le Président de la République de consacrer le principe de la liberté d’expression pour les journalistes en renforçant les droits et les garanties dont ils disposent dans l’exercice de leurs fonctions.

D’autre part, le rapport Guinchard que j’ai demandé voilà quelques mois préconise la dépénalisation de la diffamation en matière de presse.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Par conséquent, la procédure que nous évoquons ne pourra plus être appliquée à un journaliste ou à un directeur de rédaction mis en cause pour diffamation.

Ne mélangez donc pas tout, monsieur le sénateur : les instructions au parquet, l’indépendance, le climat de confiance… J’ai beaucoup trop de respect pour vous pour penser que vous aimez la polémique ou la caricature.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Le Président de la République a été élu par les Français, notamment pour appliquer une politique pénale. Dès lors, il est normal que le garde des sceaux, en vertu de ses prérogatives statutaires et constitutionnelles, puisse donner au procureur des instructions pour l’application de la politique pénale souhaitée par les Français.

À aucun moment, le Gouvernement n’a donné d’instruction ou n’a remis en cause des décisions de justice prononcées par des juges, lesquels sont indépendants. Et nous tenons à leur indépendance.

S’il existe des cas d’atteinte à l’indépendance des juges, ce serait alors une violation des principes de l’État de droit ; mais il faudrait citer des exemples précis, afin de ne pas en rester à des choses un peu brumeuses et laisser la rumeur enfler.

Nous sommes dans un État de droit, et j’y tiens ; je suis très attachée à l’indépendance de la justice, car elle garantit l’application de la même justice pour tous sur le territoire.

Par conséquent, je le répète, jamais le Gouvernement ni moi-même n’avons porté atteinte en aucune manière à l’indépendance des magistrats, à laquelle nous sommes très attachés.

J’espère avoir répondu précisément sur la procédure et sur ses effets.

J’en reviens à présent à la présentation du budget du ministère de la justice.

Pour la deuxième année consécutive, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur spécial, la justice est une priorité du Gouvernement.

Dans un contexte économique difficile, c’est un budget ambitieux qui tient compte de la « vigilance financière » défendue notamment par le rapporteur général, M. Philippe Marini.

En 2009, les crédits du ministère de la justice progressent de 177 millions d’euros pour atteindre 6, 66 milliards d’euros, soit une augmentation de 2, 65 %.

La justice pourra financer un millier d’emplois supplémentaires, 952 très exactement. D’ailleurs, je le rappelle, le ministère de la justice est le seul à bénéficier de créations d’emplois, …

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

…puisque, dans l’ensemble des services de l’État, 30 600 départs à la retraite ne seront pas remplacés.

Cet effort budgétaire s’accompagne d’une profonde réforme de la justice. C’était une véritable attente des Français, parce que, pendant trop longtemps, on a considéré qu’un service public qui fonctionnait avait besoin de toujours plus de moyens.

La réalité a montré que ce n’est pas forcément avec plus de moyens que l’on apporte plus de protection aux Français. C’est d’abord en modernisant la justice et en l’adaptant aux enjeux de notre société. C’est ce que nous faisons depuis dix-neuf mois.

En adoptant le projet de budget pour 2009 du ministère de la justice, vous permettrez à notre justice de mieux remplir ses missions essentielles : protéger, sanctionner et, également, être au service de nos concitoyens.

Nous avons déjà fait beaucoup pour que les victimes retrouvent leurs droits et leur dignité.

D’abord, le juge des victimes a été créé le 1er janvier dernier. Il enregistre aujourd’hui plus de trois cents saisines.

Ensuite, le service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions est opérationnel depuis le 1er octobre dernier. Force est de constater que 72 000 victimes qui se voient allouer des dommages et intérêts ne sont pas prises en compte par la commission d’indemnisation des victimes d’infractions. Elles doivent effectuer elles-mêmes les démarches. Nous considérons qu’il n’est pas normal qu’une victime qui a été restaurée dans sa dignité et ses droits ait encore des démarches à accomplir pour obtenir une totale réparation. Ce n’est pas notre conception de la justice.

En 2009, les crédits d’aide aux victimes s’établiront à 11 millions d’euros, soit une progression de 15, 8 % par rapport à 2007.

Nous réformerons l’aide juridictionnelle, comme il nous l’a été demandé, pour qu’elle réponde mieux aux besoins des justiciables les plus modestes. La réforme prendra en compte les propositions formulées par la commission des finances, sur l’initiative du rapporteur spécial, Roland du Luart, mais également par la commission Darrois.

En réponse à M. Sueur, j’indique que, en 2009, dix points d’accès au droit seront ouverts dans les quartiers les plus en difficulté. La justice agit également pour l’égalité des chances. Nous avons ouvert dans toutes les écoles du ministère de la justice des classes préparatoires intégrées, destinées à aider les étudiants les plus modestes ou socialement défavorisés, n’ayant pas démérité sur le plan scolaire ou universitaire, à se présenter aux concours.

La protection, c’est aussi une prise en charge plus digne des détenus.

Nous avons mis en place une politique pénitentiaire extrêmement ambitieuse.

Elle passe par des conditions de détention améliorées. C’est ce que nous faisons en construisant des prisons modernes. En 2008, nous avons ouvert huit établissements pénitentiaires, dont trois pour les mineurs. Le 20 novembre dernier, j’ai inauguré le centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan. C’est un établissement pénitentiaire d’une nouvelle génération qui porte un regard neuf sur la détention.

En 2009, sept établissements ouvriront, dont celui du Mans. Monsieur le rapporteur spécial, je vous précise qu’ils représenteront 5 130 places neuves. Elles permettront d’améliorer les conditions de travail des personnels et les conditions de vie des détenus.

Monsieur Béteille, tout comme vous, je souhaite que le calendrier des ouvertures soit respecté. Je veux vous rassurer, il l’est à ce jour. C’est l’un des grands avantages du partenariat public-privé que nous avons lancé voilà près d’un an. Les entreprises sont incitées à livrer en avance et sans défaut, ce qui est un grand progrès.

L’administration pénitentiaire sera donc renforcée par 1 087 agents, dont 917 surveillants.

La politique pénitentiaire a aussi des effets contre la récidive à travers les actions qui favorisent la réinsertion des détenus.

C’est le sens de la dynamique donnée à la politique d’aménagement des peines : 2 000 peines aménagées en moyenne par an entre 2002 et 2007, plus de 6 000 aujourd’hui.

Les efforts se poursuivront en 2009. Il est prévu de créer 500 emplois de conseillers d’insertion et de probation d’ici à 2012, dont 170 en 2009.

En 2009 également, 2 500 bracelets électroniques seront mis en service, ce qui portera leur nombre à 6 500. En 2012, il y en aura 12 000 au total.

Avec les 63 000 places disponibles en détention, nous nous donnons les moyens d’en finir avec le problème de la surpopulation carcérale. Monsieur Anziani, c’est le premier élément pour améliorer la situation des prisons françaises.

Je rappelle que, entre 1997 et 2002, 4 % des places de prison ont été fermées sans compensation en termes de mesures alternatives à l’incarcération. Dans la même période, nous avons assisté à une augmentation sans précédent de la délinquance.

Le projet de loi pénitentiaire que nous présenterons à la commission des lois le 10 décembre renforcera encore la dignité des personnes détenues.

Je souhaite également rassurer à cet égard M. Lecerf. Le Parlement aura toute sa place dans l’élaboration de cette loi qui est attendue depuis très longtemps, comme vous l’avez dit, et nous discuterons notamment de la réinsertion des détenus. Le Gouvernement considère que cette réinsertion passe d’abord par l’activité professionnelle.

Madame Escoffier, vous avez évoqué des pistes intéressantes en matière d’aménagement des peines. Comme vous, le Gouvernement souhaite qu’il n’y ait plus de sorties sèches, car c’est le meilleur moyen de prévenir la récidive. C’est l’objet de toute une série de mesures au sein du projet de loi pénitentiaire qui vise, comme vous le souhaitez, à développer l’usage du bracelet électronique.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Je souhaite que nous puissions en discuter lors de l’examen de ce texte.

Monsieur Lecerf, vous avez évoqué la question de la formation professionnelle des détenus. C’est un sujet que nous avons régulièrement évoqué. Il est vrai que notre indicateur est stable. Cependant, compte tenu de l’évolution de la population carcérale, l’administration pénitentiaire devra renforcer l’incitation à cette formation professionnelle. Pour aller au-delà, il faudra en changer les modalités. C’est pour cette raison que le Gouvernement propose d’expérimenter la formation professionnelle de manière plus incitative avec les régions.

De la même manière, selon l’indicateur dont nous disposons, le nombre de personnes ayant une activité rémunérée augmente. En 2008, 40, 8 % des détenus exerçant une activité rémunérée, contre moins de 35 % l’année précédente. En 2009, notre objectif sera de 41, 5 %.

La deuxième mission de la justice est de sanctionner ceux qui ne respectent pas la loi. Je considère que la première des libertés est de pouvoir vivre en sécurité ; il s’agit non pas d’avoir une position sécuritaire, mais simplement de protéger nos concitoyens.

C’est l’objet de la loi du 10 août 2007 : plus de 16 000 récidivistes ont déjà été condamnés, dont 50 % à des peines plancher.

La loi est claire : elle est applicable aux récidivistes. Nous n’admettons pas que des multirécidivistes n’aient aucune sanction et à aucun moment.

Madame Borvo Cohen-Seat, contrairement à ce que vous indiquez, les résultats se font sentir sur le terrain, puisque, en un an, la délinquance générale a diminué de près de 5 %, les atteintes aux biens ont baissé de 7 %, et le nombre d’agressions contre les personnes enregistre une stabilisation, après une baisse constante – pour la première fois depuis 1995 – entre mars et septembre 2008.

Contrairement à ce que vous indiquiez, madame le sénateur, l’indépendance des juges n’a pas été restreinte. Vous semblez considérer que les parquets ne devraient pas faire appel lorsque des décisions prises ne sont pas conformes à leurs réquisitions. Pour avoir été magistrat, je peux vous dire que les décisions rendues ne sont pas toujours conformes aux réquisitions du procureur, auquel cas le parquet, avec un pouvoir d’appréciation, peut faire appel. Ce sont des voies de recours parfaitement légitimes dans un État de droit. Tout le monde pourrait faire appel, sauf le parquet ?

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Ce serait une véritable atteinte à l’État de droit !

Vous avez affirmé que les parquets étaient obligés de faire appel lorsque les peines plancher n’étaient pas prononcées. Le parquet a une possibilité de faire appel comme toutes les autres parties : les voies de recours sont ouvertes à tout le monde, y compris au parquet ! C’est l’État de droit !

C’est aussi l’objet de la refonte de la justice des mineurs. Nous allons créer un code pour les mineurs adapté aux jeunes et aux actes de délinquance de 2009. Le texte actuel date de 1945 et contient des dispositions qui, parfois, ne sont pas très cohérentes ou peuvent paraître obsolètes.

Je rappelle également que l’ordonnance de 1945 ne regroupe pas toutes les dispositions applicables aux mineurs, l’ensemble de la procédure concernant ces derniers étant dispersée entre plusieurs codes et divers textes. Toute la difficulté pour les magistrats est donc d’avoir la mesure la plus appropriée pour réprimer la délinquance des mineurs.

Nous disposerons par conséquent, pour la première fois, d’un code pénal pour les mineurs qui regroupera tous les textes, ce qui permettra aux magistrats de pouvoir rendre une justice pour les mineurs beaucoup plus efficace.

La commission présidée par le recteur Varinard me rendra son rapport le 3 décembre. Je remercie tout particulièrement les sénateurs ayant participé à ses travaux.

L’objectif est d’améliorer la prise en charge des mineurs délinquants pour mieux protéger notre société et pour donner toute leur efficacité aux mesures de suivi des jeunes délinquants.

Nous utiliserons toute la gamme des mesures disponibles pour apporter une réponse adaptée à chaque mineur délinquant.

Madame Klès, vous citez des chiffres globaux. Vous passez sous silence l’évolution inquiétante du nombre des criminels de treize à seize ans. Ils représentaient 30 % des mineurs criminels en 1997. Ils en représentent aujourd’hui 60 %. C’est la réalité.

Pour les mineurs ancrés dans la délinquance, les centres éducatifs fermés ont fait la preuve de leur efficacité : 61 % des mineurs ne récidivent pas au bout d’un an, après un passage en centre éducatif fermé, et 84 % réintègrent un cursus scolaire.

Le 14 novembre dernier, j’ai inauguré à Mulhouse le trente-septième centre éducatif fermé. Le programme se poursuivra en 2009 avec l’ouverture de sept centres éducatifs fermés supplémentaires.

J’ai souhaité également, comme M. Laurent Béteille l’a rappelé, expérimenter une prise en charge pédopsychologique dans cinq centres éducatifs fermés.

Pour beaucoup de jeunes délinquants ayant commis des faits extrêmement graves, le suivi éducatif ne suffit plus. Ils ont de réels problèmes de comportement. Dans ces centres éducatifs fermés, les postes de psychologue, de psychiatre et d’infirmier sont doublés par rapport aux centres éducatifs fermés classiques.

Monsieur Béteille, vous m’avez interrogée sur la poursuite de cette expérimentation. L’évaluation de ces cinq centres éducatifs fermés est prévue avec la direction de l’hospitalisation du ministère de la santé. D’ores et déjà, nous savons que ces cinq centres éducatifs fermés répondent à un vrai besoin. Ils seront consolidés, et d’autres seront mis en place si nécessaire.

En 2009, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse disposera d’un budget de 787 millions d’euros. Elle se recentrera sur la prise en charge des mineurs délinquants.

Monsieur Alfonsi, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse assumera son rôle d’aide à la décision auprès des magistrats pour la protection des mineurs en danger et renforcera sa mission d’audit et de conseil pour s’assurer de l’égalité de la prise en charge des mineurs en danger sur l’ensemble du territoire, en collaboration avec les conseils généraux. Nous avons, vous le savez, un problème d’articulation avec la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, qui dévolue cette mission aux conseils généraux.

Madame Klès, le recentrage de la PJJ sur les mineurs délinquants correspond à l’application des principes de la loi du 5 mars 2007 votée par le Parlement.

La troisième mission de la justice est de servir les Français. La justice doit être un service public moderne et performant.

Nous avons commencé par réformer la carte judiciaire. M. Fauchon l’a rappelé, il s’agissait d’une réforme nécessaire et attendue depuis longtemps. Il a également évoqué le travail qu’il a fait avec son ancien collègue Charles Jolibois. Il aurait aussi pu évoquer le travail du président de la commission des finances, Jean Arthuis, sur ce sujet.

Les moyens étaient dispersés entre près de 1 200 juridictions : les juges étaient souvent isolés et l’accueil des justiciables n’était pas garanti de façon satisfaisante.

Avec la nouvelle carte judiciaire, les juges pourront travailler ensemble, les services seront regroupés de façon cohérente, les conditions de travail des personnels seront améliorées. Nous répondrons ainsi beaucoup mieux aux attentes des justiciables en termes de délais et de compréhension de la justice.

La réforme de la carte, c’est un tiers des juridictions regroupées. Les moyens sont là puisque la réforme coûtera au total 427 millions d’euros : 385 millions d’euros pour l’immobilier, 21, 5 millions d’euros pour les primes de restructuration et 20 millions d’euros pour les avocats.

Je souhaite rassurer M. Sueur sur ce point. Il y aura 385 millions d’euros d’autorisations d’engagement sur cinq ans. Il est normal que la traduction budgétaire de ces opérations soit étalée, car, en matière immobilière, les opérations connaissent plusieurs phases. Le ministère de la justice bénéficiera de crédits de paiement à la fois sur son budget et sur le compte d’affectation spéciale alimenté par les cessions immobilières.

Le calendrier de la réforme de la carte judiciaire sera tenu. Il sera même anticipé dans certains cas. Le terme prévu reste le 31 décembre 2010, mais nous irons plus vite – c’est ce que nous avons déjà commencé à faire – là où les personnels des juridictions seront prêts.

Au 1er janvier 2009, la réforme de la carte judiciaire aura déjà mis en œuvre toute la première partie du programme, puisque nous avons regroupé les tribunaux de commerce, passant de 185 à 135 tribunaux de commerce. Il en a été de même pour les conseils de prud’hommes. Si tel n’avait pas été le cas, les élections prud’homales actuellement en cours ne se dérouleraient pas de façon aussi satisfaisante.

L’organisation territoriale, qui vous est chère, sera plus claire, et la justice sera plus efficace au service de nos concitoyens.

Parallèlement, nous développons une nouvelle génération de maisons de justice et du droit : cinq de ces nouvelles maisons de justice et du droit seront expérimentées en 2009 dans des zones particulièrement éloignées d’une juridiction. Elles disposeront de moyens de communication modernes, sur le modèle de ce qui est déjà expérimenté dans le Loiret, département cher à M. Sueur.

Monsieur Détraigne, je vous rendrai compte de cette expérimentation pour être sûre qu’elle réponde aux questions légitimes que vous avez posées.

Le deuxième volet de la réforme de la justice mis en œuvre est celui de la réforme des contentieux, comme je m’y étais engagée.

Des infractions et des actes civils de la vie courante seront déjudiciarisés : le divorce par consentement mutuel sans audience, la médiation obligatoire pour les conflits familiaux de l’après-divorce, les procédures simplifiées pour les primo-délinquants et les petits délits routiers.

La proposition de loi de M. le sénateur Béteille, ainsi que celle de M. le député Jean-Luc Warsmann s’inscrivent pleinement dans cette volonté de simplifier notre justice.

Les tribunaux utilisent maintenant de plus en plus les nouvelles technologies. Le justiciable est le premier gagnant de cette modernisation.

Les personnels sont aussi les grands bénéficiaires des nouvelles technologies, avec la numérisation, la dématérialisation des procédures, ainsi que la visioconférence.

Cette modernisation se poursuivra en 2009 grâce à Cassiopée et à d’autres applications qui permettront d’accélérer les procédures et d’avoir des décisions de justice plus rapides et plus lisibles.

Le budget informatique du ministère de la justice augmentera de 7, 6 %. Le fonctionnement des juridictions sera renforcé, conformément aux souhaits de M. le rapporteur spécial et de M. Détraigne, rapporteur pour avis. Nous renforcerons les juridictions par le recrutement de 59 magistrats et de 150 greffiers. Contrairement à ce qu’a dit M. Sueur, il ne s’agit pas de tours de passe-passe ! C’est une réalité !

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Les priorités sont la mise en œuvre de la réforme des tutelles et le développement des aménagements de peines.

Nous bénéficierons également des premiers effets de la carte judiciaire.

La réforme de la carte des tribunaux de commerce et des conseils de prud’hommes permettra de redéployer 247 emplois.

Je souhaite à cet égard vous indiquer que le tribunal supérieur d’appel de Mamoudzou verra son effectif accrû de deux magistrats, pour renforcer le contrôle de l’état civil à Mayotte.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Nous travaillons également, avec mes collègues ministre de l’intérieur et secrétaire d’État chargé de l’outre-mer, à la simplification de l’état du droit à Mayotte, ce qui permettra d’accélérer le traitement du dossier.

La réorganisation ne concerne pas que les juridictions. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, nous rendons la Chancellerie beaucoup plus performante. Depuis le 1er septembre, nous avons une nouvelle organisation de l’administration centrale, plus rationnelle. Deux directions ont en effet été supprimées.

L’administration centrale disposera, en 2009, d’un budget de 249 millions d’euros, et les départs en retraite n’y seront pas remplacés.

La réforme s’appuie également sur de nouvelles relations entre la Chancellerie et la justice sur le terrain. Je remercie M. Pierre Fauchon d’avoir indiqué qu’être convoqué à la Chancellerie ne signifiait pas devoir se présenter devant le tribunal de la Sainte Inquisition !

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

La création d’un service des ressources humaines au ministère de la justice constitue une première. Jusqu’à présent, des magistrats pouvaient effectuer toute leur carrière sans jamais rencontrer qui que ce soit de la Chancellerie ! Il est important de mieux prendre en compte les demandes, les besoins, mais aussi l’évaluation des magistrats dans le cours de leur carrière. La création de ce service des ressources humaines y pourvoira. Aujourd'hui, un peu plus de 500 entretiens avec des magistrats ont eu lieu en moins d’un an d’activité de cette direction.

Nous avons également organisé les services déconcentrés : nous rapprochons les cartes des directions et les moyens de gestion pour créer des synergies. Aujourd’hui, il y a neuf directions régionales de l’administration pénitentiaire et quatorze directions régionales de la protection judiciaire de la jeunesse. Au 31 décembre 2008, l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse auront neuf directions régionales qui coïncideront.

Enfin, la réforme de la justice passe nécessairement par la rénovation de la formation. La réforme de l’École nationale de la magistrature a été adoptée par son conseil d’administration.

Avant cela, la formation des magistrats était essentiellement technique. Elle sera désormais plus ouverte aux qualités humaines, aux compétences essentielles du métier de magistrat et plus tournée vers la société et l’international. Nous nous sommes beaucoup inspirés des rapports du Sénat dont les auteurs, depuis bien longtemps, demandent la réforme de la formation des magistrats.

Madame Nicole Borvo Cohen-Seat, vous disiez ne pas vouloir voter ce budget, considérant qu’il est sécuritaire.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Vous affirmiez que l’objectif visé était uniquement d’incarcérer des personnes. Je considère que réinsérer des personnes détenues, c’est d’abord respecter leur dignité. La justice est aussi là pour donner une deuxième chance.

Nous avons également un objectif clair, qui est de lutter contre la récidive, car nos concitoyens ont le droit de vivre en toute liberté et en toute sécurité.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Quand nous avons proposé cette avancée démocratique majeure qu’est le poste de contrôleur général des lieux de privation de liberté, vous n’avez pas voté en faveur du texte !

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Je trouve regrettable que la création de cette nouvelle autorité n’ait pas fait consensus !

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà les points sur lesquels il me semblait essentiel d’insister.

Le budget pour 2009 du ministère de la justice est donc un budget ambitieux. Il correspond à une nouvelle façon de gouverner. Réformer l’État, ce n’est pas toujours dépenser plus. C’est d’abord mettre les bons moyens aux bons endroits.

C’est un budget d’action. Je sais que vous avez toujours eu à cœur de veiller à ce que les politiques publiques conduites par le ministère de la justice soient en phase avec les préoccupations concrètes de notre société.

Vous le savez, c’est le même objectif fondamental qui guide mon action.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.

En euros

Justice

Justice judiciaire

Dont titre 2

1 951 454 683

1 951 454 683

Administration pénitentiaire

Dont titre 2

1 605 214 704

1 605 214 704

Protection judiciaire de la jeunesse

Dont titre 2

417 523 247

417 523 247

Accès au droit et à la justice

Conduite et pilotage de la politique de la justice : expérimentations Chorus

Dont titre 2

97 506 826

97 506 826

Conduite et pilotage de la politique de la justice

Dont titre 2

2 950 000

2 950 00

L'amendement n° II-1, présenté par M. du Luart, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Modifier comme suit les crédits des programmes :

En euros

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Justice judiciaire

Dont Titre 2

Administration pénitentiaire

Dont Titre 2

Protection judiciaire de la jeunesse

Dont Titre 2

Accès au droit et à la justice

Conduite et pilotage de la politique de la justice : expérimentations Chorus

Dont Titre 2

Conduite et pilotage de la politique de la justice

Dont Titre 2

TOTAL

SOLDE

La parole est à M. le rapporteur spécial.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Cet amendement est à double détente.

Il vise, d’une part, à traiter le problème trop bien connu du transfèrement des détenus.

Il permet, d’autre part, d’évoquer le problème du palais de justice de Paris.

Le transfèrement des détenus est actuellement essentiellement assuré par les forces de gendarmerie et de police. Ces missions mobilisent des effectifs importants, soit près de 1 000 équivalents temps plein pour la gendarmerie et de 2 700 équivalents temps plein pour la police.

La situation actuelle organise donc, de fait, un transfert indu de charges de la mission « Justice » vers la mission « Sécurité ».

La difficulté liée à ce transfert est parfaitement bien identifiée. Les conclusions de la révision générale des politiques publiques l’ont d’ailleurs une nouvelle fois mise en évidence en 2008.

Pourtant, des solutions existent, qui vont de la refacturation entre l’administration pénitentiaire, la police et la gendarmerie, à une plus grande mobilité des magistrats, qui pourraient se déplacer dans certains cas dans les établissements pénitentiaires plutôt que de mobiliser des effectifs pour assurer le transfèrement des détenus entre la prison et leur cabinet.

L’amendement n° II-1 privilégie une autre piste prometteuse, celle de la visioconférence : il s’agit de doter le programme « Administration pénitentiaire » de 2 millions d’euros supplémentaires afin de compléter l’équipement des établissements pénitentiaires en matériel de visioconférence. Les nouvelles technologies doivent en effet être pleinement mises à profit pour le bon fonctionnement de l’institution judiciaire et la rationalisation de la dépense.

Ces 2 millions d’euros sont prélevés sur le programme « Justice judiciaire » et correspondent à la subvention pour charges de service public accordée à l’établissement public du palais de justice de Paris. Le projet de réaménagement de ce palais de justice tend en effet à devenir un « serpent de mer » de la gestion de l’institution judiciaire. Le tribunal de grande instance de Paris souffre de l’exiguïté de ses locaux, mais le choix d’un nouveau site tourne à la valse-hésitation depuis plusieurs années : aussi peut-on s’interroger sur l’utilité d’une subvention de 2 millions d’euros affectée à un établissement public dont la raison d’être s’amenuise au fil du temps. L’inertie de ce projet est d’autant plus regrettable qu’un site paraît recueillir l’assentiment tant des avocats parisiens que des magistrats ou des fonctionnaires du TGI, l’Hôtel-Dieu, situé à deux pas du palais de justice…

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

En conclusion, cet amendement présente une cohérence forte mais paradoxale : limiter les déplacements de détenus en finançant partiellement la mesure grâce la suppression du déplacement du TGI de Paris !

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Monsieur le rapporteur spécial, les établissements dotés d’équipements de visioconférence accueilleront plus de 80 % des détenus à la fin de l’année 2008. Vous avez raison de rappeler que cette technologie économise les postes d’agents chargés de procéder à ces extractions. Une autre considération doit également être prise en compte : la sécurité. En effet, la visioconférence réduit les risques d’évasion et d’incident avec le personnel pénitentiaire.

À la fin de 2008, 84 % des détenus sont internés dans des établissements équipés ; cette proportion devrait s’élever à 90 % d’ici à la fin de l’année 2009, les nouveaux établissements qui ouvriront pendant l’année étant équipés. La Chancellerie s’est engagée à réduire d’au moins 5 % le nombre d’extractions en 2009, et encore de 5 % en 2010. Le budget de la direction de l’administration pénitentiaire s’élève à 2, 47 milliards d’euros, mais il permet d’affecter plus de moyens, si nécessaire, au développement des équipements de visioconférence.

Monsieur le rapporteur spécial, vous avez abordé la question du déménagement du tribunal de grande instance de Paris. Vous avez raison, la question de l’emplacement du nouveau tribunal à Paris est importante : nous n’avons pas le droit de nous tromper dans notre choix. Les négociations, avec la mairie de Paris notamment, ont repris, et toutes les options sont expertisées. Nous allons déterminer quel sera le bon site, notamment en fonction de sa capacité, mais réduire les crédits de l’établissement public du palais de justice de Paris reviendrait à renoncer à un projet. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Monsieur le rapporteur spécial, l’amendement n° II-1 est-il maintenu ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Les précisions apportées par Mme le garde des sceaux sur le problème de la visioconférence me satisfont pleinement, car cette évolution répond au bon sens ; d’ailleurs, le jour même où la commission des finances a adopté cet amendement, une évasion s’est produite pendant un transfert de détenu. Cela démontre le bien-fondé de la position de la commission des finances. Je donne donc acte à Mme le garde des sceaux de l’augmentation des moyens alloués au développement de cette nouvelle technologie.

J’observe toutefois, madame le ministre, que vous ne m’avez pas répondu sur un autre point : la nécessité d’encourager les déplacements des magistrats dans les établissements pénitentiaires afin de réduire les extractions de détenus ; mais il me semble que c’est une conséquence logique de ce qui vient d’être dit.

En ce qui concerne le tribunal de grande instance de Paris, le dossier devrait avancer en 2009 puisque vous dites que la négociation a repris avec le maire de Paris et les maires d’arrondissement, et – c’est le plus important – que toutes les pistes seront examinées. Compte tenu de ces précisions, je veux bien retirer l’amendement de la commission à titre exceptionnel ; mais nous suivrons avec une attention extrême ce qui se passera au cours de l’année 2009 : la décision d’implantation du nouveau TGI de Paris ne peut pas être indéfiniment renvoyée aux calendes grecques !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° II-1 est retiré.

La parole est à M. le président de la commission des finances.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Madame le garde des sceaux, je voudrai revenir sur la problématique du transfèrement. Lorsque nous allons discuter le budget de la mission « Sécurité », plusieurs amendements posant le problème du transfèrement des détenus et de son coût seront examinés. Ils posent en fait la question de savoir s’il appartient à cette mission de prendre en charge ces dépenses qui pourraient incomber à la mission « Justice ».

Nous connaissons les qualités gestionnaires de votre ministère, madame le garde des sceaux ; la démonstration en a été faite avec les frais de justice. Nous nous demandons donc s’il ne serait pas judicieux de confier la gestion des transfèrements de détenus au ministère de la justice. Le coût de ces opérations, aujourd’hui à la charge de la police et de la gendarmerie, devrait donc être mieux identifié au sein de la mission « Sécurité » afin que les crédits afférents soient transférés à la mission « Justice ». En effet, lorsque les magistrats se saisissent de problèmes de gestion, ils font une démonstration éclatante de leur capacité à maîtriser les coûts !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Monsieur le président de la commission des finances, le transfert de charge devrait s’accompagner du transfert des moyens correspondants !

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Or, pour l’instant, tel n’est pas le cas !

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Je pense que la visioconférence va déjà permettre une révolution culturelle, comme je l’ai déjà dit à M. le rapporteur spécial.

Pour compléter mon propos précédent, j’indique que nous allons mettre en place la notification d’actes par visioconférence, qui représentera une avancée importante. En effet, les transfèrements et les extractions interviennent souvent pour des problèmes de notification d’actes. Par exemple, on est souvent obligé d’extraire un détenu pour le faire comparaître devant le magistrat qui lui notifie la réception du rapport d’expertise. La visioconférence va donc permettre de notifier les actes. Il reste encore à régler le problème de l’authentification des signatures, point sur lequel nous travaillons notamment avec la Caisse des dépôts et consignations ; la signature électronique devrait offrir des solutions fiables.

Le développement de la visioconférence nous amènera à déterminer quels transferts de détenus restent encore absolument nécessaires. Mais si la responsabilité de ces opérations doit incomber au ministère de la justice, il faudra également allouer à ce dernier les moyens correspondants : c’est un vrai débat, qui me paraît encore un peu difficile !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. le président de la commission des finances.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Je vous remercie de cette réponse, madame le garde des sceaux, et je souhaite dissiper tout malentendu. Dans l’esprit de la commission des finances, il ne s’agit pas d’autre chose que de transférer à votre ministère les moyens budgétaires correspondants, afin de vous permettre de conserver les plus-values résultant de l’effet de synergie entre la mise en place de la visioconférence et la réduction du nombre de transfèrements de détenus.

J’exprime donc le souhait de la commission de voir la réflexion avancer dans cette voie.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° II-52 rectifié, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Modifier comme suit les crédits des programmes :

En euros

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Justice judiciaire

Dont Titre 2

Administration pénitentiaire

Dont Titre 2

Protection judiciaire de la jeunesse

Dont Titre 2

Accès au droit et à la justice

Conduite et pilotage de la politique de la justice : expérimentations Chorus

Dont Titre 2

Conduite et pilotage de la politique de la justice

Dont Titre 2

TOTAL

SOLDE

La parole est à M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Monsieur le président, avec votre accord, je présenterai en même temps les amendements n° II-52 rectifié et II-53 rectifié, qui ont tous deux pour objet le renforcement des moyens en personnel du ministère de la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° II-53 rectifié, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Modifier comme suit les crédits des programmes :

En euros

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Justice judiciaire

Dont Titre 2

Administration pénitentiaire

Dont Titre 2

Protection judiciaire de la jeunesse

Dont Titre 2

Accès au droit et à la justice

Conduite et pilotage de la politique de la justice : expérimentations Chorus

Dont Titre 2

Conduite et pilotage de la politique de la justice

Dont Titre 2

TOTAL

SOLDE

La parole est à M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

L’amendement n° II-52 rectifié a pour objet de permettre aux tribunaux d’instance de faire face à la mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs et d’affecter aux maisons de justice et du droit, les MJD, les effectifs dont elles ont besoin pour fonctionner.

Je rappelle que la loi du 5 mars 2007 fait obligation à l’ensemble des tribunaux d’instance de revoir tous les dossiers de protection juridique des majeurs d’ici à 2012. Or pratiquement aucun tribunal d’instance n’a pu se mettre à la tâche, car ces juridictions sont débordées par les autres missions qu’elles doivent accomplir.

Pour entrer dans le détail, il s’agit de prélever 1 786 278 euros du programme « Administration pénitentiaire », plus précisément de l’action « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice », pour alimenter le programme « Justice judiciaire ». La majoration de crédits de ce programme est imputée de la façon suivante : 1 281 350 sur l’action 01, « Traitement et jugement des contentieux civils », pour créer dix emplois de magistrats et vingt emplois de greffiers qui renforceraient les effectifs des tribunaux d’instance ; 504 928 euros sur l’action 08, « Support à l’accès au droit et à la justice », pour la création de seize emplois de greffiers de catégorie B, destinés à compléter les effectifs des maisons de justice et du droit qui, selon les indications de la Chancellerie, sont actuellement déficitaires.

Les crédits sont prélevés sur le programme « Administration pénitentiaire » – je conviens que ce n’est pas tout à fait dans l’air du temps… –, plus particulièrement sur les dépenses liées à la sécurisation des établissements pénitentiaires, dans l’action 01 « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice ». En effet, le taux d’évasion de ces établissements est, en France, l’un des plus faibles d’Europe, et il ne paraît pas indispensable d’appliquer de façon indifférenciée à tous les détenus d’un établissement pénitentiaire les règles de sécurité visant une minorité d’entre eux.

L’amendement n° II-53 rectifié a également pour objet de renforcer les moyens alloués à l’accès au droit et à la justice en transférant 213 722 euros du programme « Administration pénitentiaire » au programme « Accès au droit et à la justice ».

Ces crédits sont prélevés, pour les mêmes motifs que précédemment, sur l’action 01, « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice », et affectés au programme « Accès au droit et à la justice », à l’action 02, « Développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité », afin d’assurer l’ouverture de nouvelles maisons de justice et du droit et d’améliorer l’équipement des MJD existantes. Certes, le projet de loi de finances prévoit l’ouverture de nouvelles maisons de justice et du droit, mais on sait qu’un certain nombre des MJD déjà existantes ne fonctionnent pas, ou seulement à temps partiel ou encore avec des moyens mis à disposition par les collectivités locales.

L’adoption de ces deux amendements déplacerait des crédits d’un montant total de 2 millions d’euros et permettrait de « boucler » le dispositif des MJD, si vous me permettez l’expression, notamment dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire qui rend leur rôle d’autant plus important.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

J’ai beaucoup de considération pour mon collègue et ami Yves Détraigne…

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Je voulais affecter 2 millions supplémentaires à l’administration pénitentiaire, mais les deux amendements déposés par M. Détraigne tendent à prélever 2 millions d’euros sur les crédits de cette même administration. Si nos amendements avaient tous été adoptés, leur effet aurait donc été nul !

Sur le fond, la loi d’orientation et de programmation pour la justice a permis – il faut le reconnaître en toute honnêteté intellectuelle – un rattrapage des crédits affectés aux emplois de magistrats sur la période 2003-2007. Mais, nous l’avons souligné, les effectifs de greffiers restent en revanche très insuffisants, comme l’illustre le ratio actuel de 2, 5 greffiers par magistrat.

La réforme de la protection juridique des majeurs est assurément à l’origine d’une montée en charge des tâches pesant sur les tribunaux d’instance, mais cet accroissement des charges reste difficilement mesurable aujourd’hui.

La question posée au détour de l’amendement de notre éminent collègue est bien celle, essentielle, de l’évaluation en amont de l’impact budgétaire d’une réforme de la justice avant son vote par le Parlement.

Or cet amendement est gagé sur des crédits – 1, 7 million d’euros – prélevés sur l’administration pénitentiaire, et l’on connaît les besoins cruciaux de cette administration face à la crise de la surpopulation carcérale.

Aussi, vous comprendrez que je sollicite l’avis du Gouvernement avant de me prononcer sur cet amendement.

J’en viens à l’amendement n° II-53 rectifié.

Les maisons de justice et du droit tiennent, certes, une place importante dans la justice dite de proximité. Elles constituent un lieu où le justiciable peut bénéficier d’un accueil, d’une écoute, d’une information sur ses droits et obligations et, le cas échéant, d’une orientation vers un service compétent.

Toutefois, le projet annuel de performances pour 2009 témoigne déjà d’un niveau excellent de satisfaction pour les usagers des maisons de justice et du droit puisque l’enquête de satisfaction fait ressortir que 95 % des personnes sont satisfaites de la qualité du service rendu.

Mais l’amendement étant également gagé sur des crédits prélevés à l’administration pénitentiaire, j’aimerais connaître l’avis du Gouvernement avant de me prononcer définitivement.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Le projet de loi de finances prévoit la création de cinquante-neuf emplois de magistrats et de cinquante-neuf emplois de greffiers. L’essentiel de ces emplois sera consacré aux tutelles et aux aménagements de peine.

En effet, la réforme des tutelles, qui sera en vigueur à compter du 1er janvier 2009, nécessitera des emplois de magistrats supplémentaires, de même que les aménagements de peine puisque nous avons engagé une politique volontariste en ce domaine.

Il faut aussi rappeler que nous ne recourons plus aux grâces collectives, qui ont longtemps été un outil de régulation de la population carcérale, avec d'ailleurs des effets désastreux en termes de sortie. Le caractère automatique des réductions de peine et les lois d’amnistie, qui étaient utilisées comme variables d’ajustement sur la population carcérale, ne jouent plus.

Nous avons misé sur l’aménagement des peines justement pour faire diminuer la récidive et pour faciliter la réinsertion des personnes détenues.

Cent cinquante postes de secrétaires administratifs sont prévus, et cette augmentation permettra aux greffiers de se concentrer sur leurs vraies missions.

La réforme de la carte judiciaire, qui sera déjà en grande partie mise en œuvre à compter du 1er janvier 2009, permettra de libérer des emplois, lesquels pourront être redéployés.

Ainsi, 247 emplois de fonctionnaires seront libérés par la réduction du nombre de tribunaux de commerce et de centres provisoires d’hébergement, les CPH, ainsi que dix emplois de magistrats. Ces effectifs seront donc redéployés dans le cadre des juridictions en fonction des besoins.

Une nouvelle génération de maisons de justice et du droit va voir le jour, avec la création de cinq nouvelles maisons, dotées des derniers perfectionnements technologiques, puisqu’on y trouvera des bornes interactives. Il sera possible d’y déposer des requêtes pénales et même des dossiers aux affaires familiales, qu’il s’agisse d’une demande en divorce ou de mesures concernant des enfants.

On y disposera d’un accès au greffe du tribunal de grande instance compétent dans le ressort, et la visioconférence permettra une meilleure compréhension des affaires traitées. Un guichet universel de greffe sera également créé.

Par ailleurs, il est prévu dans le projet de loi de finances une augmentation de plus de 85 % des crédits en faveur de l’accès au droit. Ces crédits ont été doublés depuis 2007. En 2009, 2, 3 millions d’euros seront destinés à l’ouverture de ces maisons de justice et du droit de nouvelle génération.

Monsieur Détraigne, une réduction de 2 millions d’euros des crédits consacrés à l’administration pénitentiaire empêcherait l’ouverture d’un certain nombre d’établissements pénitentiaires, car ce montant correspond à 85 emplois de surveillants. Peut-être serions-nous obligés de fermer la prison du Mans, monsieur le rapporteur spécial ! Dans le contexte actuel, on ne peut pas se permettre de réduire les crédits de l’administration pénitentiaire, en particulier ceux qui sont destinés à l’ouverture de nouveaux établissements.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Madame Borvo Cohen-Seat, l’administration pénitentiaire comprend l’insertion et la probation, qu’il faut aussi maintenir dans le contexte actuel.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Je suis d’accord avec vous, il ne faut pas diminuer ces crédits !

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Je vous demande donc, monsieur le rapporteur pour avis, de bien vouloir retirer ces amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Quel est, en définitive, l’avis de la commission ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Même Mme Borvo Cohen-Seat soutient le garde des sceaux ! Je suis maintenant convaincu que M. Détraigne devrait retirer ses amendements.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Monsieur le rapporteur pour avis, les amendements n° II-52 rectifié et II-53 rectifié sont-ils maintenus ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Même si mon collègue Roland du Luart ne s’était pas exprimé aussi clairement, j’aurais compris qu’il penchait plutôt vers le retrait, compte tenu des explications qui ont été données par Mme le garde des sceaux.

J’insiste bien évidemment sur le fait que ces maisons de justice et du droit doivent réellement fonctionner, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui. Il est inutile d’annoncer la création de nouvelles maisons de la justice et du droit si c’est pour qu’elles ne soient pas opérationnelles !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Par ailleurs, je souligne que le ratio entre les magistrats et les greffiers n’est pas adéquat. M. le rapporteur spécial a même commencé son propos en insistant sur le fait que la charge de travail des greffiers était trop importante.

Enfin, j’ai bien noté que les maisons de justice et du droit de nouvelle génération allaient être équipées de moyens de visioconférence, de bornes informatiques qui permettront de communiquer avec le greffier en chef du tribunal de grande instance auquel ces maisons seront rattachées. Toutefois, comme je l’ai déjà souligné dans mon intervention à la tribune tout à l’heure, je ne suis pas certain qu’un point visio-public permette de clarifier les choses. Ce ne sera peut-être pas une aide suffisante pour une personne qui n’est pas juriste, qui veut prendre contact avec des professionnels du droit sur un dossier qui la préoccupe mais qui ne sait pas formuler ses questions en termes juridiques, ni même de manière claire.

Il faudra donc être très vigilant dans la mise en œuvre de ces maisons de justice et du droit de nouvelle génération afin de s’assurer qu’elles apportent bien le service qu’on est en droit d’attendre d’elles. Si le taux de satisfaction de 95 % qu’a rappelé mon collègue M. du Luart chute dangereusement, il faudra revoir le format et le mode de fonctionnement. Sinon, les justiciables risquent de ne voir, dans la réforme de la carte judiciaire, qu’un recul de l’accès au droit, ce qui n’est assurément pas notre but.

Bien entendu, si l'amendement n° II-1 de la commission des finances avait été maintenu, un parfait équilibre entre les crédits de la justice judiciaire et ceux de l’administration pénitentiaire aurait été trouvé. Dans le contexte actuel, j’aurais des remords à maintenir mes amendements qui sont financés par 2 millions d’euros prélevés sur le programme de l’administration pénitentiaire. Par conséquent, je les retire.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Les amendements n° II-52 rectifié et II-53 rectifié sont retirés.

La parole est à M. le président de la commission des finances.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Les deux plateaux de la balance des amendements étaient également chargés de manière à assurer un parfait équilibre et une totale neutralité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Puisqu’on a évoqué la performance des greffes, je voudrais revenir, madame le garde des sceaux, sur les systèmes d’information mis en place dans les juridictions, et plus globalement au sein de votre ministère.

Voilà quelques semaines, nous avons pris connaissance d’un rapport de la Cour des comptes qui faisait suite à une requête de M. Roland du Luart sur le fonctionnement des CARPA, les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats.

À cette occasion, nous avons pu constater que des marges de progression assez significatives existaient dans les interfaces entre les différents systèmes, ceux qui sont mis en œuvre au sein des CARPA et ceux qui sont mis en œuvre au sein des greffes.

Voilà peu, la commission des finances était en mission de contrôle sur pièces et sur place dans l’importante juridiction du tribunal de grande instance du Mans, et le constat a été fait de l’existence de ruptures de chaînes.

Nous avions été impressionnés par l’encombrement d’un bureau du greffe où étaient enregistrées les affaires pénales. On nous a expliqué que deux mois au moins étaient nécessaires pour enregistrer ces affaires compte tenu de l’incompatibilité entre, d’une part, les logiciels utilisés par les officiers de police judiciaire, gendarmes et policiers, et, d’autre part, les logiciels du greffe.

On peut faire les mêmes observations sur la notification des jugements et sur les liens entre la trésorerie générale et le ministère pour la mise en recouvrement d’amendes.

Madame le garde des sceaux, de notre point de vue, il y a donc un immense effort d’investissement à accomplir pour unifier et rendre compatible l’ensemble des systèmes d’information. Cela donnerait certainement aux greffiers une plus grande efficacité dans leurs travaux, et sans doute y gagnerait-on également en termes de délais.

Sur ce point, pouvez-vous nous confirmer que votre ministère a inscrit des crédits suffisants, en termes d’investissement, qu’il s’agisse des équipements, de la formation des greffiers et, dans certains cas peut-être, de celle des magistrats ? La question dépend sans doute moins du nombre d’agents que de l’efficience des systèmes d’information.

Votre ministère, à une époque déjà ancienne, avait tenté de préserver son indépendance en demandant aux magistrats de devenir informaticiens ; on a constaté qu’il valait mieux recourir aux compétences des uns et des autres. On peut rester indépendant tout en faisant appel à de bons praticiens de l’informatique.

Debut de section - Permalien
Rachida Dati, garde des sceaux

Monsieur le président de la commission des finances, vous avez raison de le rappeler, lors de ma prise de fonctions, j’ai voulu développer l’informatisation. Les greffiers ou les fonctionnaires qui font fonction de greffiers passent leur temps à faire les photocopies nécessaires à la constitution de dossiers et d’archives, et l’oubli d’une seule pièce les oblige à tout recommencer le lendemain !

Par conséquent, le premier respect que l’on doit à ces fonctionnaires tient à l’amélioration de leurs conditions de travail. J’ai donc souhaité la numérisation des documents, la dématérialisation des procédures, de manière que les greffiers n’aient plus d’archives à gérer et ne passent plus des journées entières à photocopier les pièces de dossiers d’instruction qui peuvent comporter jusqu’à quarante-sept tomes, voire cent vingt pour certains dossiers très lourds.

On m’a alors expliqué qu’une telle réforme était compliquée à mettre en place rapidement. Déjà, en 1999, puis en 2005, me semble-t-il, un décret avait rendu possible cette informatisation. Mais cette dernière n’avait jamais pu être mise en œuvre compte tenu du fonctionnement autonome de chaque direction au sein de la Chancellerie. Chaque direction possédait en effet des services informatiques, des services immobiliers, l’ensemble des fonctions « support » étant dispersées dans chacune d’entre elles. C’est d'ailleurs l’une des raisons qui ont justifié la réorganisation des directions.

Je me suis rendu compte qu’il s’agissait en fait d’un problème de communication entre personnes, les directeurs étant réticents à s’entendre afin de faire progresser cette informatisation. On m’a alors expliqué qu’il fallait leur laisser un peu de temps, afin qu’ils se parlent et puissent mettre leurs services en commun. Un peu d’autorité a fait avancer les choses, et j’ai voulu qu’au 1er janvier 2008 tous les services soient équipés de matériels de numérisation et de dématérialisation.

J’ai passé une convention avec la Caisse des dépôts et consignations, qui est une fonction support pour le ministère de la justice. Cela permet de former non seulement les magistrats, mais également les greffiers à l’utilisation de ces outils.

Depuis le 1er janvier 2008, toutes les juridictions sont équipées en matériel de numérisation et de dématérialisation. L’expérimentation a été lancée à Angoulême, et s’est poursuivie à Narbonne. Aujourd'hui, tous les TGI sont équipés du matériel de numérisation et de dématérialisation, et plus d’une cinquantaine d’entre eux l’utilisent de manière totalement opérationnelle. Les greffiers ne passent plus leur temps à faire des photocopies et à chercher dans les archives, mais donnent des CD-Rom et consultent leurs microfiches.

Les barreaux se sont attelés à mettre en place cet outil avec un peu de retard, car ils ont d’abord laissé passer la réforme de la carte judiciaire. Aujourd'hui, tous les barreaux rattachés à la cinquantaine de TGI équipés sont connectés. Par exemple, à Narbonne, on mobilisait auparavant des greffiers, des fonctionnaires et des magistrats pendant des demi-journées entières pour des audiences de mise en état qui servaient à insérer les pièces au dossier et à vérifier que les conclusions avaient bien été remises. Dorénavant, tout est transféré informatiquement, ce qui permet de boucler le dossier et de le renvoyer pour audiencement, sans passer par cette audience de mise en état. On gagne du temps et on améliore la qualité du travail effectué !

Nous allons continuer ce travail, notamment grâce à la généralisation du logiciel Cassiopée en 2009. L’un des aspects de la réforme de la carte judiciaire était de permettre aux avocats de ne plus avoir à se déplacer : ils peuvent désormais vérifier à distance, en un seul clic, l’état d’avancement de la procédure. Aujourd'hui, notre souhait est que tous les jugements civils et pénaux puissent être accessibles en ligne à compter de 2009.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.

J’ai été saisi d’une demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite, de la part de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je vous rappelle que, s’agissant de l’examen du projet de loi de finances, les demandes d’explication de vote doivent être communiquées la veille de la séance !

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Je voterai contre les crédits de la mission « Justice », mais l’intervention de Mme le garde des sceaux m’incite à expliquer mon vote.

Madame le garde des sceaux, vous défendez avec fougue la politique que vous menez et à laquelle, bien évidemment, vous croyez, mais cela ne vous autorise pas pour autant à dire des inexactitudes.

Tout à l’heure, j’ai mis en cause non pas le rôle du Parquet, mais les pressions exercées sur ce dernier, et vous savez parfaitement ce que je veux dire…

J’aurais qualifié, selon vous, votre politique de « sécuritaire ». Mais la sécurité est à double tranchant. C’est, de mon point de vue, un droit fondamental pour tous les citoyens. Quant à vous, vous privilégiez une politique d’enfermement – vous ne pouvez tout de même pas dire le contraire ! –, que je déplore. Nous sommes donc malheureusement très loin de ma vision des choses, et nous pourrions sans doute discuter longtemps de nos conceptions respectives des causes de l’insécurité.

Par ailleurs, j’ai voté des deux mains en faveur de la création d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté, poste confié à M. Delarue, que je réclamais depuis de nombreuses années. Le problème réside dans les moyens dont il dispose. J’espère en tout cas qu’il ne sera pas absorbé par le futur défenseur des droits, pour la création duquel je n’ai pas voté, malgré mon amour des droits, ses fonctions me paraissant être pour l’instant complètement floues.

En ce qui concerne les jeunes, vous n’êtes pas la première à dire, madame le garde des sceaux, que les jeunes d’aujourd'hui ne sont pas ceux d’hier. Mais cette constatation est valable pour tout le monde : ainsi, le garde des sceaux d’aujourd’hui n’est pas celui de la Libération…

Mais les enfants sont toujours des enfants, en application des droits qui leur sont reconnus au niveau international. Que ce soit clair, je m’oppose à leur enfermement. Je constate d’ailleurs que les enfants de la bourgeoisie restent enfants de plus en plus tard : ils vivent jusqu’à un âge très avancé chez leurs parents, lesquels les protègent et les nourrissent, alors qu’on voudrait que les enfants du peuple soient adultes de plus en plus tôt ! Cette différence de traitement serait, selon moi, très préjudiciable.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Monsieur Sueur, un document rappelant les règles de la discussion du projet de loi de finances pour 2009 a été transmis à chaque groupe. Il est ainsi prévu…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Ce n’est pas nécessaire, monsieur le président ! Pas de moyens, pas de cohérence, pas confiance ! C’est clair !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je mets aux voix les crédits de la mission « Justice ».

Ces crédits sont adoptés.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Justice ».

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.