Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le temps m’étant compté, je ne polémiquerai pas avec M. Fauchon qui m’a pourtant interpellée.
Je signalerai simplement, madame la garde des sceaux, que le budget que vous nous présentez est en augmentation de 2, 65 % par rapport à celui de 2008. Il s’élève à 6, 66 milliards d’euros et il convient d’en souligner l’ampleur modeste. Alors que l’État supprime 30 600 emplois de fonctionnaires en 2009, le ministère de la justice créerait 952 emplois nouveaux.
Puisque nous devons nous conformer à la loi organique relative aux lois de finances que je n’ai pas votée, je précise qu’il s’agit, en réalité, de 22 équivalents temps plein pour les magistrats et d’un glissement d’emplois pour les greffiers. Celui-ci est bénéfique, puisqu’il augmente leur nombre de 150 greffiers, mais il diminue d’autant le nombre d’agents de catégorie C. Par conséquent, cette évolution, bien que positive, ne fait pas progresser les effectifs globaux alors même que ceux-ci sont très insuffisants.
Je remarque d’ailleurs que les rapporteurs pour avis, même s’ils appellent à adopter les crédits de cette mission, sont assez critiques dans leurs propos.
Je ne m’appesantirai pas davantage sur les chiffres ; il y aurait beaucoup à dire mais je viens, à l’instant, de dire l’essentiel.
Madame le garde des sceaux, l’une de vos priorités est de dépenser mieux, et non de dépenser plus. Mais que veut dire au juste « dépenser mieux » ? Cela signifie-t-il incarcérer davantage ? Cela veut-il dire supprimer des tribunaux d’instance, et rendre ainsi l’accès au droit plus difficile ?
Vous l’aurez compris, nous désapprouvons l’affectation des moyens au sein de ce projet de budget pour 2009. Votre politique pénale nous paraît vouée à l’échec en ce qu’elle est parfois incohérente et qu’elle continue de provoquer des drames humains insupportables.
La lutte contre la récidive illustre notamment cet échec. La politique menée à l’encontre des mineurs délinquants et l’explosion carcérale actuelle montrent à l’évidence que les résultats ne sont pas ceux que l’on pourrait attendre d’une amélioration de la politique pénale.
Les peines planchers, instituées par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, devaient avoir un effet dissuasif. Elles aboutissent en fait à une augmentation du nombre de détenus alors que vous vous plaisez à dire que les actes de délinquance diminuent ; ce constat s’avère par ailleurs douteux car, s’il est peut-être vrai que les vols de portables diminuent, la délinquance violente augmente. Cet accroissement du nombre de condamnations montre en tout cas que l’effet dissuasif des peines plancher ne fonctionne pas. C’est l’exact opposé de ce que vous avez présenté comme un bilan positif.
En outre, à vous entendre, les juges n’auraient pas dû voir leur liberté d’appréciation remise en cause par cette loi. Pourtant, fin septembre, la Chancellerie, jugeant insuffisante l’application des peines plancher, a donné pour instruction aux procureurs de faire appel des jugements écartant la peine minimale. En conséquence, la liberté du juge du siège a, de fait, disparu puisque ses décisions sont systématiquement remises en cause.
La politique menée à l’encontre des mineurs délinquants ne recueille pas, non plus, notre approbation. Nous nous attendions au pire avec les conclusions de la commission Varinard sur la justice des mineurs, et nous avions malheureusement raison : l’objectif est de remettre en cause la primauté de l’éducatif dans le texte qui fonde la spécificité de la justice des mineurs.
Déjà, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse enjoint aux éducateurs de se concentrer sur les missions de contrôle, de probation, d’aménagement des peines et d’accompagnement de l’incarcération. Les crédits alloués à la protection judiciaire de la jeunesse pour 2009 traduisent cette logique. En baisse de 2, 1 %, ils sont prioritairement affectés à la mise en œuvre des mesures pénales.
Les mesures éducatives, dont les crédits accusent une chute importante, seront progressivement abandonnées et laissées sous la responsabilité des départements et des associations, ce qui pose de très graves problèmes du point de vue de l’égalité des citoyens sur tout le territoire. La précédente défenseure des enfants avait en effet signalé que, selon les départements, les principes et les philosophies étaient très différents, ce qui n’avait d’ailleurs pas plu à tout le monde.
L’incarcération des mineurs ne cesse d’augmenter, de même que leur enfermement au travers des centres éducatifs fermés, les CEF. Franchement, eu égard aux tentatives de suicide et aux suicides que nous connaissons actuellement, l’accroissement de l’enfermement des mineurs ne saurait être traité en termes de flux. C’est, au contraire, une question de fond. Je constate que les procureurs ont reçu pour instruction de recourir systématiquement à la présentation des mineurs devant la justice et d’interjeter appel lorsque leurs réquisitions de placement en détention provisoire ne sont pas suivies.
Lorsqu’un adolescent s’est suicidé en octobre à la maison d’arrêt de Metz-Queuleu – c’est le quatrième suicide depuis le début de l’année dans cette prison pourtant présentée comme modèle –, il vous a bien fallu réagir tant l’émotion suscitée par cette affaire fut grande. C’est pourtant le procureur, qui n’avait fait qu’appliquer vos instructions, qui a été désigné comme responsable d’une décision qualifiée d’« injuste ».
De même, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, vient de rendre un rapport accablant après le suicide, en février dernier, d’un adolescent à la prison de Meyzieu, estimant que ce drame fait suite à de graves lacunes de l’administration pénitentiaire.
Dans ces conditions, il serait provocateur de reprendre la proposition de la commission Varinard qui vise à abaisser l’âge de la majorité pénale à douze ans, et qui permettrait donc d’incarcérer un enfant dès cet âge.
Les adultes ne sont pas plus épargnés : quatre-vingt-dix suicides ont été enregistrés depuis le début de l’année, et, ce week-end, il faut encore déplorer le suicide d’un jeune homme de vingt-sept ans qui accomplissait une courte peine.
De tels drames seraient pourtant évitables si le corps judiciaire n’était pas soumis à des tensions insupportables entraînées par une politique pénale centrée sur l’emprisonnement.
Votre priorité reste le renforcement du parc pénitentiaire, avec l’ouverture programmée en 2009 de sept établissements et, évidemment, l’augmentation du nombre de places en prison ce qui, eu égard à la surpopulation actuelle, paraît l’évidence même. Toutefois, chacun sait que l’augmentation du nombre de places disponibles en prison est vouée à se poursuivre indéfiniment. Nous avons connu un nouveau record au 1er juillet 2008, avec 64 250 détenus recensés à cette date. Et l’on prévoit que le nombre de détenus pourrait s’élever à 80 000 en 2017, un chiffre suffisamment sérieux pour avoir été repris par le centre d’analyse stratégique dans sa note du 17 septembre 2007, intitulée Contrôle des lieux d’enfermement : les enjeux internationaux. Je ne sais pas où nous allons…
Pour résumer, nous sommes pris dans un cercle vicieux que le Gouvernement refuse délibérément d’arrêter, en faisant adopter des lois toujours plus répressives. Dès qu’une voix s’élève pour critiquer votre politique pénitentiaire, à l’instar de celle de Martine Herzog-Evans, qui vient de démissionner de la commission chargée d’accorder un label européen à certaines prisons, des pressions sont exercées afin qu’aucun cheveu ne dépasse, si vous me permettez d’employer cette expression.
Les rapports successifs du commissaire européen aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ne suscitent pas la moindre émotion à la Chancellerie. Ce devrait pourtant être le cas tant ils dénoncent une situation intolérable, que les parlementaires français avaient déjà, par le passé, jugée insupportable et qui, depuis, ne s’est pas améliorée, loin s’en faut.
Je crois vraiment qu’il est temps de changer de politique pénale. Dans ce contexte, nous ne pouvons approuver ce projet de budget. Je dois dire également que le projet de loi pénitentiaire, que vous avez présenté en conseil des ministres le 28 juillet dernier, apparaît, d’une part, en total décalage avec vos actions et, d’autre part, terriblement insuffisant en termes de moyens alloués aux administrations.
À mon tour, je veux m’associer à l’hommage qui a été rendu à tous les personnels – magistrats, personnels de l’administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse –, qui accomplissent un travail très difficile mais sont sans cesse attaqués d’une façon ou d’une autre, y compris par le Gouvernement, qui est censé les protéger.