Madame le garde des sceaux, de mon point de vue, le projet de budget de la mission « Justice » est décevant à plusieurs titres, et ce malgré l’autosatisfaction affichée par vous-même et par votre majorité en raison de l’augmentation globale des crédits de paiement de 2, 6 % et de la création de 952 emplois.
Mes critiques envers vos orientations budgétaires sont nombreuses, justifiées et argumentées, même si je n’espère malheureusement pas vous convaincre.
Tout d’abord, je tiens à rappeler un élément. C’est bien le Conseil de l’Europe, et non l’opposition parlementaire française, qui a classé la France au trente-cinquième rang des quarante-trois pays membres en matière de budget annuel de la justice par habitant. À mon sens, notre retard en ce domaine est inadmissible pour un pays qui se présente comme la patrie des droits de l’homme.
Or, loin de commencer à combler un tel retard, le projet de budget qui nous est aujourd'hui présenté permettra à peine de faire face à l’aggravation de la surpopulation carcérale et de financer les objectifs du Gouvernement en termes de construction de places supplémentaires « à confort amélioré ».
Pourtant, alors que vous êtes aujourd’hui aux responsabilités, il devrait vous revenir d’agir pour remédier à cette situation de surpopulation carcérale, pour améliorer notre classement et pour présenter un budget cohérent, efficace et ambitieux. Or la lecture de votre projet semble montrer que vous n’empruntez pas la meilleure voie pour y parvenir.
À titre d’illustration, je voudrais insister sur deux exemples.
D’une part, les moyens et les ambitions affichés en matière de protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, affichent un affaiblissement dangereux des mesures éducatives en faveur de la prévention de la primo-délinquance et de la lutte contre la récidive.
D’autre part – je m’exprime en tant qu’élue locale soucieuse de l’exercice de la justice sur l’ensemble du territoire avec une efficacité accrue, de mutualisations cohérentes et de dépenses maîtrisées –, je trouve inquiétant le coût de la réforme de la carte judiciaire qui est aujourd'hui annoncé. Cela a d’ailleurs été évoqué. Et je n’aborderai même pas les fortes réticences qui sont exprimées par des élus de toutes tendances politiques, y compris au sein de la majorité parlementaire, quant au fonctionnement et à l’organisation territoriale imposés.
Madame le garde des sceaux, en ce qui concerne la protection judiciaire de la jeunesse, votre projet de budget ne déroge pas à la tradition établie par le gouvernement précédent et perpétuée par vous l’an dernier.
En effet, le financement des mesures rééducatives et des actions en milieux ouverts pâtit de la priorité accordée au problème des mineurs délinquants, auquel vous apportez d’ailleurs seulement des réponses strictement pénales. Ce dernier volet perçoit ainsi environ 60 % des crédits, contre moins de 20 % pour l’aide aux mineurs ou aux jeunes majeurs en danger.
La protection judiciaire de la jeunesse connaît un net recentrage de ses activités. Les crédits alloués à l’action « Mise en œuvre des mesures judiciaires : mineurs délinquants » augmentent de 20 %. Parallèlement, les moyens attribués à l’action « Mise en œuvre des mesures judiciaires : mineurs en danger et jeunes majeurs » baissent de 40 %, soit une diminution de 96 millions d’euros. L’écart entre ces deux volets est déjà suffisamment flagrant. Mais il ne cesse de se creuser. L’an dernier, ces deux actions bénéficiaient respectivement de 50 % et de 30 % des crédits.
Le Gouvernement justifie de telles orientations budgétaires par l’évolution de la délinquance des mineurs, en s’appuyant sur des chiffres contestables et contestés.
Madame le garde des sceaux, je ne sais pas de quelles sources vous disposez pour affirmer que les mineurs délinquants sont toujours plus nombreux, plus jeunes et plus violents. Pour ma part, j’ai consulté les statistiques de la police et de la justice, et je n’ai pas fait les mêmes constats.
Selon ces chiffres, la part des mineurs dans l’ensemble des personnes mises en cause par la police et la gendarmerie est passée de 22 %, maximum atteint en 1998, à 18 % en 2007.
En outre, et contrairement à ce que vous affirmez, la répartition des condamnations prononcées par la justice selon les classes d’âge, c'est-à-dire les jeunes âgés de treize à seize ans, les mineurs âgés de seize à dix-huit ans et les adultes, est parfaitement stable.
Enfin, parmi les 203 700 adolescents mis en cause par la police, qui ne représentent que 5 % de l’ensemble de la population mineure française, seulement 1, 3 % était impliqué dans des actes criminels.
Madame le garde des sceaux, vous avez à juste titre invoqué devant l’Assemblée nationale les difficultés de la gestion d’une politique pénale face à l’opinion publique.
Certes, il est difficile de lutter contre l’émotion télévisuelle. Mais c’est précisément là un piège dans lequel nous devons nous garder de tomber. Le devoir des politiques n’est-il pas justement de ramener chaque dossier, chaque question, chaque problème à ses justes proportions et de ne pas se laisser entraîner vers la dérive de la gestion émotionnelle du fait divers ? Cette forme de gestion est affective et subjective, surtout lorsqu’il s’agit de victimes et d’auteurs d’actes de délinquance qui sont des enfants et des adolescents, c'est-à-dire des adultes en devenir.
Alors, soyons précis et soucieux des chiffres que nous affichons. Posons les problèmes tels qu’ils sont et non tels que les techniques de communicants en tout genre nous suggèrent de les commenter.
Le désengagement de l’État de la protection judiciaire de la jeunesse en général – les crédits baissent de 4, 2 % –, et de ses missions civiles en particulier, me semble inquiétant. La circulaire d’orientation budgétaire de rentrée de l’administration centrale de la PJJ impose ainsi le positionnement de ses services exclusivement au pénal.
À terme, le projet de budget qui nous est présenté renvoie aux collectivités territoriales, sans nulle précision chiffrée, toutes les mesures relevant des secteurs civil, éducatif, de la santé ou de l’insertion sociale. Voilà qui est préoccupant.
Bien évidemment, en tant qu’élue locale, je m’alarme du nouveau transfert prévisible par l’État de ses responsabilités financières vers les collectivités territoriales dans le cadre de la nouvelle prise en charge de la protection des mineurs en danger.
Les charges pesant sur les collectivités locales doivent-elles encore s’accroître au moment où leur budget est obéré par l’aggravation de leurs dépenses sociales obligatoires, qui sont encore appelées à augmenter à l’avenir, compte tenu de la situation économique ?
Comme nous sommes nombreux à le ressentir, pour le Gouvernement, en particulier pour votre ministère, le primat de l’éducatif sur le répressif n’est plus qu’un lointain souvenir ! Pourtant, Victor Hugo proclamait autrefois ceci : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison ! »
Loin de toute considération angélique, je m’interroge et vous interroge, madame le garde des sceaux. Où sont envisagées, chiffrées et budgétées les nécessaires coopérations, synergies ou mutualisations entre la PJJ, l’éducation nationale, la santé, la cohésion sociale et la réduction de la pauvreté ? Cela me semble pourtant indispensable à la cohérence, la rationalisation et l’efficacité de la dépense publique en la matière.
Où en sont les grands « plans banlieues » et autres dispositifs de prévention de la délinquance annoncés par le gouvernement auquel vous appartenez à grands renforts d’effets de manche, de budgets gelés sitôt votés et de coopérations interministérielles fantômes, dont nous attendons toujours l’embryon d’un début de mise en place ? Qu’en est-il des dizaines de milliers de places promises dans les dispositifs dits de « deuxième chance » ? Je pense aux écoles de la deuxième chance, aux centres ouverts de l’Établissement public d’insertion de la Défense, aux cadets de la police ou au service civil volontaire dans les associations ou collectivités locales.
Quels sont les liens, fonctionnels, organisationnels et budgétaires entre la justice, la PJJ, et ces dispositifs vers lesquels des milliers de jeunes pourraient être adressés avec une réelle chance d’insertion familiale, sociale et professionnelle, si seulement le Gouvernement respectait ses engagements ? Je tiens à le souligner, cela aurait un coût d’encadrement moindre que dans les centres fermés, dont le Gouvernement prône pourtant le seul développement. À cet égard, compte tenu de la diversité des parcours des jeunes qui y sont envoyés, la nécessité de tels centres reste encore à prouver, y compris aux yeux des professionnels y travaillant. Pour ma part, j’ai la conviction intime et profonde qu’il s’agit d’orientations vouées à l’échec. C’est même une spirale ascendante de dépenses injustifiées, au regard de la réalité de la délinquance des mineurs, de ses causes, qui ne seront en aucun cas traitées efficacement avec les seules mesures affichées.
Notre exigence de cohérence et de vision durable du budget de la justice est également nécessaire à l’organisation territoriale. J’en viens donc au deuxième point que je souhaitais aborder : la gestion immobilière de la réforme de la carte judiciaire.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres qui ont été mentionnés par mon collègue Jean-Pierre Sueur.
Mais, madame le garde des sceaux, le coût global et le plan de financement prévus pour les investissements immobiliers induits par la réforme de la carte judiciaire viennent gravement compromettre les possibilités d’une politique judiciaire ambitieuse. D’ailleurs, en matière de délai de traitement des dossiers et de coût de revient, l’efficacité de cette démarche ne sera pas, me semble-t-il, au rendez-vous sans une réflexion approfondie et concertée sur la répartition des charges entre les tribunaux. Encore une fois, il y va de l’efficacité de la dépense publique.
Madame le garde des sceaux, vous avez répété à l’envi que vous n’improvisiez rien en matière de réformes et que plus de dix textes ont été publiés depuis votre arrivée à la Chancellerie.
Hélas ! un tel empilement de textes, conjugué à votre projet de budget, provoque une désorganisation massive de l’institution judiciaire et assombrit son avenir et ses rapports avec nos concitoyens.
Au-delà des chiffres, en apparence globalement en hausse, il faut se plonger dans les détails, car c’est là que se nichent souvent les failles. Or, pour 2009, elles sont nombreuses.
Une réforme vraiment utile de notre justice exigerait des moyens qui sont absents dans ce projet de budget. C’est pourquoi nous ne le voterons pas.