Intervention de Serge Lepeltier

Réunion du 5 avril 2005 à 9h30
Eau et milieux aquatiques — Discussion d'un projet de loi

Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la présentation devant le Sénat du projet de loi sur l'eau est pour moi un moment très important, à double titre.

D'une part, c'est le premier projet de loi entièrement porté par le ministère de l'écologie et du développement durable que je présente. II porte sur une politique fondamentale du ministère, celle de l'eau et des milieux aquatiques.

D'autre part, c'est une sorte de privilège pour moi de commencer la lecture de ce texte avec vous au Sénat, où je siégeais encore il y a à peine plus d'un an.

Vous êtes les représentants des collectivités locales, et ce projet de loi répond avant tout aux attentes des élus et des collectivités qui ne peuvent pas faire face à leurs responsabilités et aux lourds engagements qu'ils ont à prendre dans le domaine de l'eau potable et de l'assainissement.

L'eau est un enjeu majeur pour la vie, pour la planète, mais aussi pour les collectivités territoriales que vous représentez. En effet, les élus locaux, à travers les services publics d'eau potable et d'assainissement ou l'aménagement et l'entretien des rivières, sont les acteurs de premier ordre de la politique de l'eau. II me paraissait donc tout à fait naturel de commencer la lecture de ce texte au Sénat.

En ce début de printemps, ce projet de loi sur l'eau est d'autant plus d'actualité qu'il y a quelques semaines on évoquait déjà une sécheresse précoce. Toute la presse en parlait. Nous nous sommes alors rappelé que, même en France, l'eau est un bien vital et limité.

Les pluies de ces derniers jours ont redonné de l'eau aux rivières. On a clairement observé une remontée des débits des cours d'eau. Toute la question est de savoir si cette pluviométrie de début de printemps sera suffisante pour recharger un peu les nappes avant d'aborder la période estivale.

C'est au début de mai, période durant laquelle la végétation en pleine croissance capte presque intégralement l'eau de pluie et qu'il n'y a donc plus de recharge de nappe, que nous pourrons faire un bilan complet.

Cet épisode de sécheresse de fin d'hiver nous a montré, après deux années sèches - 2003 et 2004 -, que la France n'était pas à l'abri de problèmes de ressource en eau. C'est un sujet majeur que nous aborderons dans le projet de loi sur l'eau.

Avant de vous présenter les enjeux de la politique de l'eau et ce projet de loi lui-même, permettez-moi de remercier très chaleureusement Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques, Jean Arthuis, président de la commission des finances, et Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, qui ont examiné avec une très grande attention ce projet de loi.

Je veux également remercier le rapporteur au fond, Bruno Sido, et les deux rapporteurs pour avis, Fabienne Keller et Pierre Jarlier, de l'importance et la très grande qualité du travail qu'ils ont mené.

Bruno Sido a associé, dès la phase préparatoire des travaux du groupe d'étude sur l'eau, l'ensemble des groupes, afin de communiquer à chacun de ceux-ci toute l'information nécessaire. Je tiens à l'en remercier très sincèrement.

C'est également dans cet état d'esprit très constructif que je me présente devant vous. L'eau nous concerne tous. Il faut que nous donnions ensemble à la politique de l'eau une vision pour demain, afin que nous puissions, ensemble, reconquérir sa qualité.

Nous avons un objectif ambitieux pour la politique de l'eau : atteindre en 2015 un bon état écologique des eaux dans nos cours d'eau, nos lacs, nos nappes souterraines et nos eaux littorales.

Cet objectif ambitieux est national, mais aussi européen. C'est l'Europe qui permet enfin que celui-ci s'impose à tous, que l'on soit en amont ou en aval de la rivière. En effet, on le sait bien, quand on se situe en amont d'une rivière, on a du mal à intégrer les conséquences de ses rejets ou de ses prélèvements plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres en aval.

Et que dire des fleuves internationaux ?

Sur le Rhin, sans l'Europe, aucune politique de l'eau n'aurait pu se mettre en place.

Et que dire alors des mers ?

Encore plus qu'ailleurs, une politique européenne était indispensable, car la mer du Nord et la Manche, par exemple, subissent les conséquences des rejets de tous les pays environnants.

Individuellement, chaque pays n'a pas toujours un intérêt à agir. Seule une action collective menée au niveau de l'Europe permet de définir une politique commune qui sera efficace.

Si chacun on apprend à l'école élémentaire que tous les fleuves se jettent dans une mer ou dans un océan, et cela paraît une banalité de le dire, on est en revanche surpris de constater que la mer du Nord est eutrophisée, c'est-à-dire qu'elle présente des excès d'algues ou de mousses parfois observés sur le littoral. En effet, l'assainissement de grandes villes comme Paris ou Bruxelles, ou de villes allemandes, est encore insuffisant.

Eh oui, la Seine se jette bien dans la mer !

C'est donc bien grâce à l'Europe, à travers la directive du 20 octobre 2000 fixant un cadre pour une politique communautaire de l'eau, que tous les pays européens sont désormais solidaires en ce qui concerne la politique de l'eau. Cette solidarité est indispensable, car la pollution ne s'arrête pas aux frontières.

Nous avons donc désormais un objectif clair et précis à atteindre : le bon état écologique des eaux, des cours d'eau, des lacs, des nappes souterraines et des eaux littorales en 2015.

Reconquérir la qualité des eaux dans le milieu naturel, c'est s'assurer que, demain, l'ensemble des usages de l'eau pourront être satisfaits.

C'est permettre, d'une part, la production d'eau potable en quantité suffisante, en qualité irréprochable et à moindre coût et, d'autre part, le développement durable d'activités économiques, ainsi que de loisirs, comme la pêche ou la baignade.

C'est en ce sens que la loi sur l'eau de 1992 avait érigé l'eau en « patrimoine commun de la nation ». Car c'est un bien précieux et limité, qu'il faut protéger, mais c'est aussi un bien vital, car sans eau de qualité et en quantité il n'y a pas de développement durable possible.

Cette loi de 1992 a fixé des principes essentiels. Elle a donné ce statut de patrimoine commun de la nation à l'eau et en a fait un bien unique dont la préservation est d'intérêt général.

Toutefois, malgré le dispositif mis en place par les lois successives sur l'eau - loi sur l'eau de 1964, qui avait créé les agences de l'eau, loi pêche de 1984 ou loi sur l'eau de 1992 -, je constate que la situation en France n'est pas encore satisfaisante.

Certes, des progrès ont été réalisés. D'énormes investissements ont été consacrés à l'assainissement des communes depuis la fin des années quatre-vingt. Les pollutions industrielles les plus importantes ont été supprimées.

Mais de nouvelles formes de pollution se développent, comme les pollutions diffuses par les pesticides ou les nitrates : quasiment 80 % des cours d'eau contiennent des résidus de pesticide et 57 % des eaux souterraines.

Il reste encore de nombreux assainissements à mettre aux normes. La France a été condamnée par la Cour de justice des Communautés européennes le 23 septembre 2004. En effet, 120 agglomérations de plus de 10 000 habitants, en zones sensibles, n'étaient pas aux normes en 1998, alors qu'elles auraient dû l'être : 60 d'entre elles le sont désormais.

Il faut impérativement rattraper le retard sur les 60 dernières agglomérations. J'ai personnellement écrit à chacun des maires et présidents d'établissement public de coopération intercommunale concernés.

Par ailleurs, les unités d'assainissement non collectif sont malheureusement souvent défectueuses. Plus de 5 millions de logements, ce qui représente plus de 11 millions de Français, sont concernés par ce mode d'assainissement.

Vous connaissez mieux que moi les difficultés auxquelles sont confrontés les maires pour mettre en place les services publics de l'assainissement non collectif.

L'objectif de bon état écologique des eaux fixé pour 2015 n'est atteint actuellement que sur la moitié environ des points de suivi de la qualité des eaux superficielles et des eaux côtières. En ce qui concerne ces dernières, leur qualité de réceptacle des pollutions de l'ensemble des bassins versants les expose trop souvent aux pollutions de l'amont.

Par ailleurs, certaines régions du territoire connaissent des déséquilibres entre les besoins et les ressources en eau, préjudiciables aux activités économiques et à l'équilibre écologique des milieux aquatiques. En 2003, dans trois départements sur quatre, des mesures de restriction de l'usage de l'eau ont été prises par les préfets.

En matière d'assainissement, la mise en conformité des installations nécessitera 4 milliards à 5 milliards d'euros d'investissement par an jusqu'en 2015, ce qui est tout à fait considérable.

Voilà donc, à travers quelques exemples et données chiffrées, les principaux défis que nous devrons relever.

Cela ne doit pas nous effrayer mais, au contraire, nous montrer que nous avons su, par le passé, surmonter certains enjeux de pollution. Il faudra persévérer et affronter d'autres formes de pollution.

Pour atteindre cet objectif, permettez-moi de souligner la chance que nous avons, en France, de disposer d'une politique de l'eau déjà très décentralisée à l'échelle du bassin hydrographique, comprenant des démarches participatives qui associent l'ensemble des usagers de l'eau. La France a su dès 1964, avec la création des agences de l'eau, organiser sa politique de l'eau au bon périmètre géographique : celui du bassin hydrographique.

Cette expérience a été enrichie dans les années quatre-vingt par le lancement des contrats de rivière, puis, en 1992, par la création des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, les SDAGE, et des schémas d'aménagement et de gestion des eaux, les SAGE.

Je suis intimement persuadé qu'une politique de l'eau ne peut réussir qu'au niveau du bassin, et surtout à condition de convier l'ensemble des acteurs autour d'une même table.

Seuls les usagers locaux de l'eau, et en première ligne les élus, peuvent définir les objectifs les plus pertinents. Cette façon de travailler est la seule qui permette aux usagers de se comprendre et de s'approprier les enjeux.

Par exemple, le plan Loire grandeur nature, qui me concerne au premier chef en tant qu'élu local, est une réussite. Des travaux importants de réparation des digues et de prévention des inondations ont été réalisés. Alors que seules quelques dizaines de saumons remontaient jusqu'à Vichy au début des années quatre-vingt-dix, plus de 1 200 ont été recensés en 2003.

Ces démarches participatives de bassin, que j'entends encore renforcer dans le projet de loi sur l'eau, nous permettront d'aborder avec force et efficacité les futurs enjeux de la politique de l'eau.

Le projet de loi que je vais maintenant vous présenter correspond à deux orientations essentielles : tout d'abord, nous donner les outils juridiques qui permettront d'atteindre le bon état écologique des eaux en 2015 ; ensuite, donner les moyens aux collectivités de faire face aux investissements importants qu'elles doivent consacrer aux services d'eau potable et d'assainissement.

Le présent projet de loi vient parachever le travail entrepris en matière de réforme de la politique de l'eau.

Ainsi, de nombreuses lois récentes ont contribué à moderniser la politique de l'eau. En dernier lieu, la loi sur le développement des territoires ruraux a permis de réformer la politique de gestion des zones humides.

Des réformes importantes sont également en cours au niveau de la police de l'eau. Avec quatre autres collègues ministres, j'ai donné instruction en novembre dernier aux préfets de ne plus retenir qu'un seul service de police de l'eau par département. Quand on sait que certains en comptaient jusqu'à sept, c'est une véritable révolution !

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