Intervention de Fabienne Keller

Réunion du 5 avril 2005 à 9h30
Eau et milieux aquatiques — Discussion d'un projet de loi

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller, rapporteur pour avis :

Je voudrais insister sur la suppression de la possibilité, actuellement ouverte aux agences de l'eau, de contribuer par voie de fonds de concours au budget de l'Etat. Rappelons que cette disposition avait servi à justifier, d'un point de vue juridique, le « prélèvement » de 210 millions d'euros opéré l'an dernier sur leur trésorerie.

La suppression de ces dispositions est présentée comme une forme de protection des ressources des agences de l'eau, qu'il serait à l'avenir plus difficile de « reprendre » au profit du budget de l'Etat. Une telle initiative nécessiterait en effet une nouvelle disposition législative.

On soulignera que les dépenses des agences de l'eau seront plafonnées à 12 milliards d'euros, hors primes, au cours de la période 2007-2012. Si toutes les agences retenaient les taux plafond pour chaque redevance, elles disposeraient d'une capacité financière de 24 milliards d'euros, soit le double de leur possibilité de dépense.

Cela me conduit à aborder la réforme des redevances perçues par les agences de l'eau. Je m'en tiendrai aux éléments principaux dans la mesure où ce sujet est très complexe.

L'objet premier de la réforme est d'assurer la stabilité juridique du dispositif des redevances, qui sont fragiles depuis que le Conseil constitutionnel les a qualifiées d'impositions de toute nature. En effet, les assiettes et les taux des redevances étaient peu, voire pas, encadrés par la loi.

L'article 37 procède à une réforme nécessaire, qui conduit à des simplifications dans la mesure où les assiettes seront communes quelle que soit l'agence prise en considération. Toutefois, le dispositif reste très complexe, puisque les agences percevront à l'avenir sept catégories de redevances différentes.

De manière schématique, la réforme proposée ne paraît pas de nature à modifier réellement les grands équilibres actuels entre les différents contributeurs ni à rendre le système des redevances très incitatif.

Au demeurant, l'étude d'impact du présent projet de loi est assez claire de ce point de vue, puisqu'elle précise qu'« une différence importante par rapport au texte de 2002 est le choix de solutions pragmatiques et concertées, en abandonnant l'illusion de bâtir, avec une fiscalité compliquée et punitive, un système d'incitation forte pour changer les comportements individuels des redevables ».

L'élément le plus net de cette conception est l'absence de taxation spécifique des engrais en vue d'inciter à une réduction des excédents d'azote.

Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que le Gouvernement n'avait pas retenu le principe d'une redevance sur les engrais, considérant que son efficacité économique et écologique était loin d'être démontrée. Vous avez également estimé que la conditionnalité des aides de la politique agricole commune constituait le meilleur outil environnemental afin de favoriser le respect des règles communautaires sur les nitrates. La commission des finances, qui a longuement débattu de la « taxation azote », portera une attention particulière à cette réforme et à ses effets.

Par ailleurs, la commission des finances présentera deux amendements tendant à rendre plus incitatif le dispositif de la redevance pour pollutions diffuses afin de permettre une taxation plus importante des substances toxiques ou écotoxiques les plus dangereuses.

Elle vous proposera aussi de modifier les équilibres retenus entre les usages, s'agissant de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau, l'objectif étant notamment une moindre pénalisation de l'alimentation en eau potable par rapport aux autres usages.

En outre, la commission des finances a souhaité prévoir un dispositif de taxation pour les personnes disposant d'un forage pour leur alimentation en eau.

Si, dans la réforme proposée, est maintenue la conception selon laquelle les redevances sont avant tout des moyens de financement des agences de l'eau, et pas tant des moyens d'incitation, des transferts de charges entre telle ou telle catégorie d'acteurs seront toutefois observés.

L'étude d'impact montre d'ailleurs que certaines entreprises pourraient connaître des variations extrêmement importantes de leurs redevances. Les industries chimiques les plus touchées pourraient, par exemple, voir leurs redevances multipliées par trois, certaines industries métallurgiques, par six.

Il a semblé essentiel à la commission des finances que les effets de la réforme soient précisément étudiés et que, le cas échéant, des mesures sectorielles d'accompagnement, qui relèvent plutôt de la politique industrielle, soient mises en place afin de ne pas fragiliser des entreprises déjà soumises à la mondialisation.

On notera à cet égard qu'un dispositif de lissage des effets de la réforme est prévu de 2007 à 2010.

Le dernier axe important de la réforme réside dans la création de l'office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'ONEMA. Ses ressources seraient de deux types : d'une part, les contributions des agences de l'eau, dont le montant global annuel serait plafonné à 108 millions d'euros sur la période allant de 2007 à 2012, et, d'autre part, des subventions versées par des personnes publiques. A cet égard, il n'est pas certain que les 108 millions d'euros versés par les agences de l'eau permettent à l'office de garantir une solidarité financière entre bassins.

Je m'en tiendrais à quelques remarques.

Tout d'abord, la création de cet office requiert une certaine vigilance dans la mesure où elle pourrait entraîner des doublons avec le ministère de l'écologie, tout particulièrement avec sa direction de l'eau, même si des redéploiements de personnels sont prévus. A ce titre, l'examen du présent projet de loi devra permettre de clarifier les relations entre l'Etat, l'ONEMA et les agences de l'eau.

On peut également s'interroger sur les conséquences de la création d'un tel office sur la structure interne du ministère de l'écologie et du développement durable, à la lumière de l'architecture budgétaire retenue pour la mise en oeuvre de la LOLF, qui ne prévoit pas la création d'un programme dédié à la politique de l'eau.

Enfin, dans une optique budgétaire, en mettant en avant le principe selon lequel « l'eau doit payer pour l'eau », la création de cet office s'apparente à une opération de débudgétisation et à un moyen de sanctuariser les crédits dévolus à la politique de l'eau. Il était important de clarifier ce point.

Je souhaiterais également préciser l'impact global de la réforme sur les finances de l'Etat.

Si l'on compare la situation de 2007 à celle de 2005, il ressort de l'étude d'impact que cette réforme entraînerait globalement un gain pour l'Etat, avec un solde positif de 26 millions d'euros, tandis que les agences de l'eau devraient supporter plus de charges qu'elles ne gagneraient de recettes, le solde étant négatif pour elles à hauteur de 46 millions d'euros.

Cette vision semble toutefois partielle dans la mesure où elle fait l'impasse sur la perte de recettes que constitue pour l'Etat la suppression du prélèvement de solidarité pour l'eau. D'après les calculs de la direction du budget, le solde serait au contraire négatif pour l'Etat à hauteur de 49 millions d'euros. Si l'on retient les données de l'étude d'impact, on aboutit même à un solde négatif de 57 millions d'euros.

Enfin, on peut remarquer que l'avant-projet de loi transmis au Conseil d'Etat offrait aux départements la possibilité de mettre en place un fonds départemental pour l'alimentation en eau et l'assainissement. Cette possibilité ne figure plus dans le projet de loi déposé au Sénat ; toutefois, monsieur le ministre, la commission des finances a jugé nécessaire de vous proposer de la réintroduire.

Elle a de même souhaité prévoir un dispositif de contractualisation entre les agences de l'eau et les départements - je touche ici au sujet de l'ex-FNDAE -, les départements participant au financement des travaux d'alimentation en eau potable et d'assainissement dans les communes rurales.

Sous réserve de ces remarques et des amendements qu'elle vous proposera, la commission des finances a émis un avis favorable sur le projet de loi.

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