Intervention de Paul Raoult

Réunion du 5 avril 2005 à 9h30
Eau et milieux aquatiques — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Paul RaoultPaul Raoult :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici enfin réunis pour la discussion en première lecture du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques. Après d'interminables discussions depuis plus de sept ans, une trentaine de versions différentes, moult consultations, reculs, avancées, hésitations, un texte est enfin soumis à notre approbation.

Il est vrai que l'eau, dans notre pays, est devenue un sujet sensible qui nous concerne tous à divers titres, tant l'eau touche à la vie, au sacré, au symbole, à la culture, à tous les aspects de la vie économique - industrie, agriculture, loisirs et tourisme.

L'eau est un besoin vital permanent dans toutes les civilisations. Les installations humaines sont liées prioritairement à la présence de l'eau : villages et villes sont situés près des sources, des rivières et des fleuves, le long des littoraux ; pensons au pont du Gard, à l'aménagement de la Durance et du Bas-Languedoc ou, dans des lieux plus lointains, aux terrasses irriguées de la riziculture dans le sud-est asiatique. De l'eau du baptême, du bain dans le Gange aux piscines dites « tropicales » de certains villages de vacances, l'eau fascine, attire et est même l'objet d'un véritable culte.

Cependant, dans un pays d'économie avancée comme le nôtre, nous découvrons, depuis seulement quelques années, que l'eau est un bien précieux qu'il ne faut pas gaspiller, dégrader, et qui se raréfie. En effet, nous constatons, un peu tardivement, que, dans l'ensemble, la qualité de notre eau diminue parfois très fortement, au point de mettre en péril notre santé. Partout, on commence à s'alarmer : 59 % des eaux superficielles et 55 % des eaux souterraines utilisées pour l'alimentation en eau potable contiennent des pesticides ; 39 % des premières et 21 % des secondes exigent un traitement spécifique.

Or il faut savoir que chaque être humain a besoin de quarante à cinquante litres d'eau par jour. Pour assurer ce ravitaillement, il faut donc un environnement sain ; mais il faut aussi assurer ce ravitaillement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an, ce qui exige un effort collectif pour donner de l'eau à tous, à un prix accessible pour tous.

L'eau n'est donc pas une marchandise comme les autres. Un contrôle social, politique, est absolument nécessaire. L'Etat, les pouvoirs publics ne peuvent s'en désintéresser, et le droit à l'eau est un droit absolu que toute société a le devoir de mettre en oeuvre.

Pourtant, l'eau est aussi une marchandise pour la vie économique, le transport fluvial, la production hydro-électrique, la fabrication de produits alimentaires, les loisirs et la pêche, l'irrigation, qui requièrent des volumes très importants. La société se doit de fournir des volumes d'eau maîtrisés à des prix raisonnables et responsables pour notre économie. Rappelons qu'il faut, paraît-il, vingt-cinq litres d'eau pour fabriquer un litre de bière et 10 000 litres d'eau pour fabriquer une voiture !

Face à des besoins croissants et à des conflits d'usage de plus en plus forts, face à la nécessité de préserver notre biodiversité pour assurer la continuité de la chaîne alimentaire, la gestion de l'eau a besoin d'un contrôle social permanent. C'est le rôle d'une loi sur l'eau de faire en sorte que ce contrôle social soit bien assuré. S'il ne l'est pas, ce sont des investissements de plus en plus lourds qui devront être réalisés, insupportables pour le prix de l'eau : usine de dénitrification, traitement des métaux lourds, aménagement pour lutter contre l'érosion des sols et éviter les crues et les inondations.

Face à cette situation, dramatique par certains côtés, une reconquête énergique de l'eau est indispensable. C'est un enjeu majeur. Bruxelles a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme puisque la France a été plusieurs fois condamnée pour non-respect des directives européennes. Je rappellerai que la dernière directive européenne transposée en droit français en avril 2004 nous demande d'atteindre un bon état écologique en 2015, avec cette fois-ci une obligation de résultat. Nous sommes par conséquent « condamnés » à faire un immense effort dans les dix années qui viennent. Le projet de loi est donc tout à fait bienvenu.

Au terme d'un rapide tour d'horizon, on peut dire que ce texte présente certaines avancées significatives, par ailleurs attendues depuis longtemps, sur le débit réservé, plus favorable au maintien de la continuité écologique. Qu'il s'agisse du SAGE, dorénavant opposable au tiers, du fonds de garantie chargé d'indemniser les dommages causés par l'épandage des boues d'épuration, qui rassurera les agriculteurs et les amènera à accepter cet épandage sur les terres agricoles, d'une certaine simplification et clarification des redevances, d'une organisation plus rationnelle de la pêche en eau douce, de la possibilité d'instaurer une taxe pour la gestion des eaux pluviales et de divers autres aspects, certes plus mineurs mais intéressants, ce projet de loi peut paraître satisfaisant.

Cependant, si ce texte n'était pas modifié, il présenterait de graves insuffisances et ne répondrait pas à quelques questions fondamentales.

En premier lieu, le projet de loi ne prévoit pas de dispositif pour le traitement des pollutions diffuses, qui sont le point noir et le principal échec des décennies précédentes.

Les excédents d'azote, sous des formes variées en culture ou en élevage, restent excessifs et aboutissent à des taux de nitrates très largement supérieurs à ce qui est tolérable.

Cela nous conduit à fermer des captages ou à faire ce que l'on appelle des coupages d'eau, de provenances géographiques différentes.

Cependant, la recherche de nouveaux captages et l'exploitation de nouveaux champs captants ont leurs limites, lesquelles ne sont pas loin d'être atteintes !

Les taux de nitrates excessifs aboutissent à une eutrophisation accélérée des rivières, très préjudiciable à la richesse de la biodiversité, en particulier à la vie des poissons.

Face à cette situation parfois dramatique, il est nécessaire de créer des conditions de pression sur les agriculteurs pour limiter les épandages d'engrais. Une taxe sur les produits azotés serait à mon avis utile. L'exonération d'une redevance sur ces produits me paraît inacceptable. Il faut en effet créer chez les agriculteurs un électrochoc, qui sera salutaire pour tous, et, ce faisant, les amener à entrer dans le jeu d'une gestion collective de la ressource en eau.

L'argent collecté nous permettrait, en concertation avec les représentants du monde agricole et avec leur soutien, d'aider beaucoup plus fortement qu'aujourd'hui les agriculteurs à généraliser des pratiques agronomiques raisonnées.

Nous pourrions ainsi apporter une aide beaucoup plus forte à une agriculture biologique ou orientée vers une production biologique.

La généralisation des comités d'aide au développement, les CAD, bio ou orientés bio sur le territoire des champs captants serait à mon avis une excellente mesure allant dans le sens souhaité, à savoir la sanctuarisation de ces zones primordiales pour l'alimentation en eau.

Je rappellerai, à titre d'anecdote, que, en Autriche, on peut lire sur des panneaux : « ici, vous entrez sur le territoire d'un champ captant ».

La même problématique vaut pour l'usage des pesticides. On peut d'ailleurs se réjouir que le produit de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, devienne une redevance pour les agences de l'eau.

Il est vrai, aussi, que les primes de la politique agricole commune, la PAC, liées à l'écoconditionnalité amélioreront les choses. Pour autant, la politique « franco-française » doit accentuer ces choix de la PAC.

De plus, je veux souligner que tous les produits agricoles, et donc tous les territoires, ne sont pas forcément touchés par les primes, et donc par l'écoconditionnalité.

L'autre enjeu majeur est, à mon sens, le maintien de la solidarité entre le monde rural et le monde urbain dans le domaine de l'eau.

Je ne comprends pas pourquoi l'on a supprimé, presque à la sauvette, le FNDAE, dans l'article 121 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2004.

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